1. La culture : une notion phare des sciences
sociales
Il est impossible de nier la complexité du mot «
culture » dans la langue française. Il suffit d'ouvrir le
Dictionnaire de la langue française pour se rendre compte des
nombreux sens que nous pouvons attribuer à ce mot. Au premier coup
d'oeil, nous remarquons qu'il faut alors prêter attention aux
différents sens propres mais aussi figurés de ce mot.
Afin de mieux comprendre le sens de ce mot et
l'évolution de ce dernier au cours des derniers siècles et son
apparition dans les sciences sociales, Denys Cuche (2010)14 lui a
consacré un ouvrage. Comme le dit si bien l'auteur, « les mots ont
une histoire et, dans une certaine mesure aussi, les mots font l'histoire. Si
cela est vrai de tous les mots, cela est particulièrement
vérifiable dans le cas du terme « culture » » (2010,
p.9). En effet, tout débute au cours du XIIIème
siècle où le mot « culture » fait son apparition dans
la langue française. Il relève alors d'un sens propre et
correspond aux soins que les individus apportaient aux champs et aux
bétails. Au fil des années, son sens va petit à petit se
modifier. Quelques siècles plus tard, l'idée d'action sera alors
associée au terme culture et il se définira comme « l'action
de cultiver la terre, travail visant à la rendre productive » (Le
Dictionnaire du Français, 1996, p.412)15.
Ce n'est qu'au milieu du XVIème siècle que va
émerger le sens figuré du mot « culture ». La culture
n'est alors plus seulement une action, mais elle définit
également un état. C'est pendant le siècle des
Lumières que le terme « culture » va commencer à
connaître son essor. Il est alors utilisé au singulier et
représente alors l'universalisme et l'humanisme des philosophes qui ont
marqué ce siècle. Il va alors être associé à
la dimension éducative et la culture est alors définie par les
penseurs comme « la somme des savoirs accumulés et transmis par
l'humanité, considérée comme totalité, au cours de
son histoire » (Cuche 2010, p.11).
Cependant, le mot « culture » va avoir moins de
succès qu'en Allemagne et a du mal à s'imposer face au terme
« civilisation » qui rencontre un réel succès en
France. Ces deux mots qui appartiennent au même champs sémantique
sont très souvent associés et pourtant différents. En
effet, comme le précise D. Cuche dans son ouvrage (2010), la «
culture » fait
14 Cuche, D. (2010). La notion de culture dans les sciences
sociales. Paris : La Découverte
15 Moingeon, M. (1996). Le Dictionnaire du Français - 60
000 Mots. Paris : Hachette
15
plus référence aux progrès individuels,
alors que la « civilisation » est plus associée aux
progrès collectifs.
C'est au XIXème siècle que le terme
culture va devenir un concept scientifique avec la naissance de la
sociologique, et plus particulièrement de l'ethnologie, qui se penchent
sur la question de la culture, mais aussi des cultures. Cette dernière
science tente d'expliquer objectivement la diversité humaine à
travers l'unité des hommes. De nombreux auteurs et chercheurs se
confrontent à l'exercice et de nombreux courants théoriques
naissent de ces recherches.
La première approche à voir le jour est
menée par Edward Tylor, anthropologue de formation, qui propose une
conception universaliste de la culture. Il sera alors
le premier à définir le terme de culture dans un de ses ouvrages
:
« Culture ou civilisation, pris dans
son sens ethnologique le plus étendu, est ce que tout complexe qui
comprend la connaissance, les croyances, l'art, la morale, le droit, les
coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l'homme en
tant que membre de la société »
Edward Tylor, 1871, p.116
Cette définition nous permet de voir que E. Tylor prend
en considération tous les aspects de la vie sociale de l'individu
lorsqu'il parle de « culture » et de « civilisation ». Pour
cet auteur la culture est donc acquise par l'individu au cours de son
existence, tout en lui accordant une dimension inconsciente tout de même.
De ce fait, il était en accord avec les théories
évolutionnistes puisqu'il considérait que l'être humain
acquérait au fil des expériences de nouvelles compétences
mais aussi la culture et ses règles et valeurs. Il est
intéressant de noter que E. Tylor croyait à l'aspect
universaliste des êtres humains, ainsi l'homme réagit de
façon plus ou moins identique dans des situations semblables. C'est de
cette manière qu'il expliquait les ressemblances observées dans
des sociétés pourtant très différentes.
Les travaux de E. Tylor vont pousser d'autres anthropologues
à se questionner sur le concept de culture. C'est le cas de Franz Boas
qui est le premier à mener des observations en situation qui le poussent
à proposer une conception particulariste de la
culture. Comme le
16 Tylor, E. (1871). La civilisation primitive. Paris :
Reinwald
16
précise D. Cuche (2010, p.21), F. Boas «
s'aperçut que l'organisation sociale était plus
déterminée par la culture que par l'environnement physique
». A travers son travail il cherche à montrer l'absurdité de
la notion de « race ». Selon lui, il n'y a pas de lien entre les
traits physiques de l'individu et les capacités mentales de chacun. Les
différences que nous pouvons observer entre des populations de diverses
sociétés sont dues à la culture et non pas à des
différences génétiques. C'est pour cette raison que F.
Boas préfère utiliser le terme de « culture » qui
permet de souligner la diversité humaine. Il utilise même le
concept de « culture » au pluriel en évoquant « les
cultures ». F. Boas rejoint Tylor en attribuant une dimension plutôt
acquise que innée à la culture. Ainsi, chaque culture est
singulière et c'est cette dernière qui permet de comprendre les
coutumes particulières de certaines sociétés puisqu'elle
influence les comportements de l'individu dans une société
particulière.
Le concept de culture va continuer à être
étudié par différents chercheurs. C'est Emile Durkheim,
éminent sociologue de la fin du XIXème siècle,
qui va consacrer son travail afin d'étudier le « fait social »
dans toutes ses dimensions, et donc la dimension culturelle. E. Durkheim
propose alors une approche unitaire des faits de
culture. Cependant il est intéressant de noter que dans
ses travaux, E. Durkheim ne fait que rarement référence au
concept de « culture ». En effet, il préfère utiliser
le concept de « civilisation », mais de manière flexible. De
ce fait, il définit la civilisation comme :
« Un ensemble de phénomène sociaux qui ne
sont pas attachés à un organisme social particulier ; ils [ces
phénomènes] s'étendent sur des aires qui dépassent
un territoire national, ou bien ils se développent sur des
périodes de temps qui dépassent l'histoire d'une seule
société ».
Emile Durkheim, 1969, p.68217
Selon Durkheim, l'humanité est un tout et ce sont
toutes les civilisations dans leurs spécificités qui contribuent
à la civilisation humaine dans son entité complète. Il
crée d'ailleurs le concept de « conscience collective » qui
existe dans chaque société et qui permet l'union et la
cohésion d'une société. Cette théorie culturelle
suppose que la conscience collective s'impose à l'individu à
travers les représentations collectives, les idéaux et les
valeurs que partagent les individus vivant dans une société
commune.
17 Durkheim, E. (1913). « Note sur la notion de civilisation
», Journal sociologique, Paris : PUF, p.681-685
17
En parallèle de l'anthropologie culturelle mis en
lumière par les américains, en France, Claude Lévi-Strauss
travaille lui aussi sur le concept de « culture » et propose une
analyse structurale de la culture. Il s'appuie sur
les théories américaines vues précédemment et
définit la culture comme :
« Toute culture peut être considérée
comme un ensemble de système symbolique au premier rang desquels se
placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports
économiques, l'art, la science, la religion. Tous ces systèmes
visent à exprimer certains aspects de la réalité physique
et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces
deux types de réalité entretiennent entre eux et que les
systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les
autres. »
Claude Lévi-Strauss, 1968, p.1718
Son but premier est d'observer et d'analyser
l'invariabilité de la Culture et cherche alors à
répertorier ce qui ne change pas entre les différentes
sociétés. Selon lui, chaque culture spécifique a besoin de
la Culture, qu'il considère alors comme le capital commun de
l'humanité. L'être humain a besoin de vivre en
société mais il est nécessaire que des règles,
explicites et implicites, existent pour assurer le fonctionnement de cette
dernière. L'approche structurale de la culture va alors tenter de
répertorier ce qu'il appelle les « invariants »,
c'est-à-dire ce qui est similaire et commun à chaque culture.
Comme le précise D. Cuche (2010) dans son ouvrage, la prohibition de
l'inceste est l'exemple le plus caractéristique de ces règles
universelles. A travers son travail, C. Lévi-Strauss va alors tenter de
présenter la relation entre l'universalité de « la »
Culture et la particularité « des » cultures.
La multitude de courant scientifique proposant de
définir la culture nous permet de mettre en avant certaines
caractéristiques d'une culture. Tout d'abord, la culture contient des
codes communs qui permettent à l'individu de comprendre son
environnement et de s'adresser à autrui. La seconde
caractéristique est que chacun ne possède pas une culture mais
plusieurs identités culturelles qui s'entremêlent créant
l'identité individuelle. Enfin, la culture est en perpétuel
mouvement face à des influences multiples et variées. De ces
caractéristiques découlent des fonctions précises que la
culture possède. En effet, la culture joue un rôle clef dans la
compréhension de l'environnement par l'individu lui permettant de se
sentir en
18 Lévi-Strauss, C (1968). « Introduction à
l'oeuvre de Marcel Mauss », in Mauss Marcel, Sociologie et
Antrhopologie. Paris : Presses Universitaires de France
18
sécurité et en confiance. De plus, la culture
est le lien qui existe au sein de la communauté qui la partage
puisqu'elle permet aux individus de communiquer les uns avec les autres. De ce
fait, elle est également un facteur d'appartenance et d'insertion
sociale puisqu'elle permet aux membres de la société de se
reconnaître les uns et les autres. Enfin, elle fournit également
la matière qui va permettre à chacun de construit sa
personnalité individuelle.
Les différents courants théoriques
abordés précédemment nous permettent de comprendre un peu
mieux le concept de culture et son évolution au cours des derniers
siècles. De ce fait, nous pouvons dire que l'Homme est avant tout un
être de culture et qu'il a besoin de celle-ci pour se construire. Il va
alors acquérir au cours de son existence les règles fondamentales
afin de pouvoir s'adapter à son milieu.
Lévi-Strauss parle de la Culture universelle en
comparaison avec les cultures existantes. Chaque société globale
se différencie par sa propre culture, mais il existe également
des « sous-cultures » qui se rencontrent au sein d'une même
société.
Beaucoup de travaux ce sont basés sur l'observation des
cultures dites « primitives » par rapport aux cultures occidentales
où sont nés ces différents courants scientifiques. Ayant
effectué mon expérience à l'étranger en Afrique
Subsaharienne, il me semble inévitable d'évoquer la culture
traditionnelle africaine et ses grandes différences par rapport à
nos cultures occidentales.
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