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Les dispositifs d'encadrement du public du parc des Princes et leurs effets.

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par Mathieu Kerrien
Université Paris-Est Marne-la-Vallée - Master Espaces, Sociétés et Territoires 2014
  

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2. La gestuelle expressive des fans contre la passivité des spectateurs

Dans un second temps, la capacité à se mouvoir d'un individu dans l'espace à l'intérieur d'une tribune peut être entendue comme une facilité à se mouvoir d'une manière relativement fluide et dynamique. Afin d'impressionner visuellement et vocalement les joueurs et les supporters adverses, les supporters ont traditionnellement recours aux tifos et aux chants, mais également à une gestuelle particulière. Ma présence régulière au Parc des Princes m'a permis de constater toute la diversité des actions du public pour encourager le PSG. Par exemple, les supporters dynamiques n'hésitent pas à taper des mains, lever les bras, s'asseoir pour finalement se relever, sauter, tourner le dos et s'attraper par les épaules pour réaliser une danse grecque après un but. La photographie ci-dessous (fig. 12), prise le 1er décembre 2013 lors de la victoire du PSG contre l'Olympique Lyonnais sur le score de 4 à 0, permet de mieux visualiser cette célébration.

150 Roux J-M., op cit, été 2014.

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Fig 12 - Photographie illustrant une danse grecque en virage pour célébrer un but du PSG contre Lyon le 1er
décembre 2013 (Source : google image)

Ce genre d'action révèle le potentiel créatif des supporters de football. Au Parc des Princes, l'interdiction d'avoir recours à du matériel propre à la culture du supporterisme comme un tambour, un mégaphone ou la confection de tifo, oblige le public à user de leur imagination pour animer la tribune. De cette manière, ces supporters continuent à poursuivre leur ambition, à savoir, donner vie au virage pour encourager leur équipe. Comme le montre les figures 11 et 12, les personnes qui n'hésitent pas à remuer leur corps ont tendance à se trouver au bas de la tribune et à former le groupe des fans.

Par conséquent, les différentiels de mobilité et d'activité corporelle entre les personnes d'une même tribune créent une opposition entre le haut et le bas de la tribune. Alors que dans le haut de la tribune, lors d'un match classique, la majorité des personnes sont assises et statiques, dans le bas de la tribune, les personnes sont actives. Cette opposition crée une fracture spatiale soulignée par une différenciation visuelle et auditive. Elle montre aussi à quel point le rapport à la normalisation comportementale imposée par les instances dirigeantes du club peut être pluriel.

Cette opposition est donc visible physiquement. Elle est aussi ressentie dans les discours des différents types de public.

3. La confrontation de visions différentes du spectacle

Ces mobilités différenciées au sein d'une même tribune renvoient souvent à des représentations distinctes du supporterisme.

De nombreux auteurs ont analysé ce qui poussait des amateurs de football à devenir de réels fans d'une équipe en particulier. Eric Witthersheim explique par exemple que ces personnes viennent au stade pour s'extraire de leurs conditions de vie parfois pénibles151. Ces personnes voient le match comme un exécutoire. Le stade de football devient alors l'espace à l'intérieur

151 Witthersheim E., op cit, novembre 2014, 150 pages.

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duquel on peut « se lâcher ». Le vocabulaire utilisé par ces fans dans les tifos met en lumière la culture de la plaisanterie en vigueur dans les virages des stades de football. En effet, il arrive souvent que le sérieux soit oublié pour laisser place à une facétie crue. En revanche, cette culture propre à la culture populaire, n'est pas présente en tribunes latérales où on trouve une majorité de spectateurs. Ainsi, il arrive souvent qu'une grande proportion du public préfère qualifier les mots utilisés par les fans de véritables propos racistes. Le supporterisme est alors présenté comme une passion où les comportements sont sujets à une désinhibition (ce fut notamment le cas lors de la finale de la Coupe de France 2008 entre le PSG et le Racing Club de Lens)152 qui permet de dédramatiser le quotidien. Cette liberté d'expression est alors défendue avec passion. Elle devient même un support identitaire pour les différents groupes de supporters. Ainsi, on peut envisager le stade de football comme un lieu émancipateur puisqu'il représente pour les supporters un lieu où les expressions habituellement contrôlées sont susceptibles de s'exprimer. Ce sentiment de liberté qui désinhibe les comportements constitue un lieu d'épanouissement secondaire pour nombre de supporters. L'expérience collective, émotionnelle et libertaire, contraste avec les pratiques plus individuelles et contraintes du quotidien. Le choix des mots et la réaction du public révèle l'existence de visions du spectacle différenciée.

D'un point de vue collectif, ces fans viennent au stade pour célébrer leur équipe. Ces personnes sont conscientes qu'elles ont un rôle à jouer sur le sort du match et un devoir à accomplir vis-à-vis des supporters adverses. Nicolas Hourcade a décrit ce réseau en prenant l'exemple des banderoles injurieuses153 : « Ces messages par banderoles interposées s'inscrivent dans une compétition entre ultras où il s'agit de trouver l'insulte ou la vanne qui fera mouche. Dans ce petit jeu, l'ironie féroce, le mauvais goût, l'outrance et la provocation sont prisés »154. Ainsi, les initiatives des ultras sont inscrites dans un contexte qui s'appuie sur un esprit de concurrence entre les différentes tribunes. Il faut donc avoir la réputation du public qui fait le plus de bruit et qui impressionne le plus les joueurs par le bruit et les prestations visuelles.

A l'opposée, certaines personnes viennent au match pour assister à un spectacle. Dans ce cas, elles choisissent les meilleures places disponibles. C'est notamment le cas de Kerim :

« Non, c'est bien quand il y a de l'ambiance. Je suis pas contre mais je serais pas non plus hyper déçu si je suis en latéral et tu vois... A la limite, ça m'aurait pas dérangé d'être en latéral et bien voir le match, quitte à ce qu'il n'est pas d'ambiance... Etre vraiment bien placé latéralement pour voir le match un peu comme à la télé »

(Entretien croisé réalisé à mon domicile le 22 mai 2015)

152 Une banderole affichée par des supporters parisiens a créé une hystérie nationale et l'outrage de toute une région selon les médias. Lors de cette finale de coupe au stade de France, une banderole où il était inscrit : « Pédophiles, Chômeurs, Consanguins : bienvenue les ch'tis » fut déployée à la mi-temps.

153 Après la banderole déployée au Stade de France, des supporter lensois ont répondu avec humour : « vous avez oublié alcooliques ».

154 URL : http://forum.psgmag.net/index.php?topic=3423.20;wap2

De plus, comme l'a montré Bérangère Ginhoux155, les associations de supporters se plaisent à trouver un rival à « vaincre » en matière de démonstration vocale et visuelle. C'est en parti pourquoi les tribunes Auteuil et Boulogne étaient rivales. Aujourd'hui, la particularité du Parc des Princes est l'absence d'associations dans ces tribunes. Ainsi, le principal adversaire du supporter parisien (au sens traditionnel, anciennement ultra) est le public qui l'entoure. Cette conception montre la dichotomie qui existe aujourd'hui à l'intérieur des virages. Dans de nombreux cas, j'ai pu être témoin de cette confrontation. Mes observations sont confirmées par les propos de Kerim :

« Mais quand tu parlais des insultes des supporters, la seule fois que j'ai entendu ça c'est quand Cavani il est sorti... C'était contre Rennes, et tu sais, il s'est fait siffler. Du coup là, il y avait vraiment une division dans le public. Il y avait la moitié qui sifflait et la moitié qui applaudissait. Tout le monde s'insultait du coup. Ceux qui sifflaient insultaient ceux qui applaudissaient et le contraire aussi. »

(Entretien croisé avec Baptiste et Kerim réalisé à mon domicile le 22 mai 2015)

Ces insultes au sein d'une même tribune entre supporters du PSG s'expliquent donc par la vision différenciée de deux postures. Une minorité bruyante voit le football comme un exécutoire lors duquel de nombreuses choses sont permises. La passivité de la majorité silencieuse marginalise aussi stimule l'excitation des supporters acharnés. C'est pourquoi j'ai régulièrement entendu des insultes contre les « viagogo » et notamment pendant le match contre le FC Lorient le 20 mars 2015. Lors de cette rencontre, j'étais juste au-dessus du groupe constitué de fans. Face à la passivité du public parisien en tribune Auteuil, le leader a craqué et a décidé de « faire grève » : en raison de la sensation de ne pas être écouté ni suivi par le reste de la tribune. Ce même leader, reconnaissable par sa casquette, prévient avant la mi-temps qu'il restera assis la seconde partie du match. Chose faite dès la reprise. Ses camarades et lui ne se sont pas relevés et n'ont pas applaudi le retour des joueurs parisiens sur la pelouse. Sauf qu'une partie du groupe refuse et reste debout. Face à cette attitude, le leader en question leur a demandé d'être solidaires, sans résultat positif. J'ai pris une photographie (fig 13) de ce micro-événement qui montre le groupe scindé en deux pendant quelques minutes. A gauche, autour du leader, ils sont assis. A droite, ils sont debout.

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155 Ginhoux B., op cit, 13 mai 2015 .

URL : http://www.metropolitiques.eu/En-dehors-du-stade-l-inscription.html

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Fig 13 - Grève d'une partie des fans lors du match contre Lorient (Source : M.Kerrien Photographie prise le 20

mars 2015)

Cette rencontre dans une même tribune de conceptions différentes de ce que devrait être le supporterisme entraine des insultes de la part des fans regroupés en bas de la tribune envers des personnes qu'ils jugent être des spectateurs. Une forme de domination des groupes organisés autour d'un leader au bas de la tribune se met en place et pousse certaines personnes à se placer en haut de la tribune pour ne pas être insultées et pour mieux voir le match. Une polarisation spatiale se met alors en place dans la tribune avec le développement d'espaces attribués. En effet, se positionner au bas de la tribune doit signifier vouloir participer à la fête et chanter. Sinon, en cas de passivité, on risque de se faire insulter. Dès lors, une fonction précise et un comportement particulier sont attendus dans cet espace. Ce comportement constitue en quelque sorte une normalisation alternative à celle promue par le club et est à l'initiative des fans.

Ainsi, les nouveaux dispositifs d'encadrement ont reconfiguré les systèmes d'appartenance à un groupe de supporters et les lignes de clivages en son sein. Ils ont créé indirectement une nouvelle frontière à l'intérieur d'une même tribune : une scission est aujourd'hui accentuée et est devenue la cause de tensions répétées. Autrefois cette scission opposait deux tribunes différentes aux visions plus ou moins semblables. Aujourd'hui, des désaccords créent une fracture dans un même espace entre des supporters qui représentent les résidus d'un mouvement ultra et le reste du public, plus passif et moins actif. Ce résidu se considère toujours comme un mouvement ultra. Même si concrètement ces personnes ne peuvent pas être ultras car elles ne sont pas organisées au sein d'une association, on entend très fréquemment dans le stade (presque à chaque rencontre) ce chant résonner dans la tribune : « Liberté pour les ultras ».

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Les insultes sont à inscrire dans une toile de fond définie comme une forme de résistance de la part des fans regroupés au bas de la tribune. Derrière ces insultes, se cache la volonté de maintenir la spécificité populaire et festive des virages. Lors d'une conversation informelle, une personne m'a assuré vouloir militer contre l'homogénéisation du stade. En ce sens, elle veut que le virage reste un lieu animé. Cet avis est partagé par Madame Leprince :

- Mathieu : « Toi, t'es pour qu'il y ait quand même... Enfin qu'on ne soit pas dans une homogénéisation de tout stade mais qu'il y ait encore des territoires spécifiques ? »

- Madame Leprince : « Oui bien sûr car chacun peut vivre sa passion. Chacun peut vivre le foot comme il l'entend.... Je suis très libérale hein... Je suis très libérale pour ce genre de chose. Chacun fait comme il en a envie.

Mais pour l'ambiance, faut quand même que les virages fassent leur boulot. C'est pas les tribunes latérales qui vont le faire... »

(Entretien réalisé le 29 avril 2015 au domicile de Madame Leprince)

La singularité des virages rend fier les abonnés qui s'y trouvent. En effet, cette fierté d'appartenir à une tribune est repérable dans les chants. Alors que les associations ont été dissoutes et sont toujours interdites, à chaque rencontre, j'ai pu entendre des échanges entre la tribune Auteuil et la tribune Boulogne. C'est ainsi qu'on peut entendre régulièrement : « Auteuil est magique » et « Boulogne est magique ». Ces chants connus dans le monde des supporters, sont souvent suivis par des spectateurs qui habituellement ne chantent pas. Ce fut le cas de Kerim :

- Mathieu : (à Kerim) « Et pourquoi tu ne chantais pas ? Parce que tu ne connaissais pas

les chants ? »

- Baptiste : « Yen a au moins un que tu connais. »

- Kerim : « Non mais je connaissais les mélodies mais les chants non. »

- Mathieu : « Si je te ramène les paroles, et si tu te mets dans la même situation, tu

pourrais chanter ? »

- Kerim : « Non mais même, j'étais pas dans le trip du chant.»

- Baptiste : « Comme il le dit, il est sympathisant »

- Kerim: « Ouais voilà. »

- Baptiste : « Un Paris - Marseille, je suis sûr que tu chanterais »

- Mathieu : « Dans aucun cas tu pourrais chanter ? »

- Kerim : « A pars si je suis bourré ou si c'est vraiment un match.... Mais j'ai dû

chanter vite fait tu vois... Mais c'était des trucs marrants. Je crois le truc que j'ai

chanté c'était : « Paysan - Paysan... » (rires)

Et puis il n'y avait pas de paroles, c'était marrant, c'était facile. Sinon il y avait les

chants quand les tribunes se répondent. Là ouais, je le faisais.»

(Entretien croisé réalisé chez moi le 22 mai 2015)

Ces échanges pacifiques entre Boulogne et Auteuil permettent de perpétuer des traditions et des identités qui se perdent selon de nombreux témoignages156. Ils contribuent à marquer le territoire vis-à-vis des autres supporters. Cette inscription des pratiques dans un territoire contribuent donc à le spécifier. Ainsi, de nombreuses formes d'appropriation et d'adaptation voient le jour au Parc des Princes. Par exemple, en changeant de place dans la tribune d'un match à l'autre, j'ai pu entendre et voir des supporters situés à côté des « barrières infranchissables » (Monsieur André) taper sur les vitres pour donner un rythme sonore indispensable pour diffuser un chant au reste de la tribune (voir document 3 en partie annexe). D'ailleurs, un des leaders s'appuie souvent sur ces mêmes baies vitrées pour être au-dessus de ses partenaires et entamer les chants. Ainsi, les supporters conservent une marge de manoeuvre et s'adaptent au contexte sécuritaire en reconfigurant leurs pratiques dans le stade. Ces rituels, qui peuvent être d'anciennes comme de nouvelles habitudes, sont autant de formes différenciés d'appropriation de l'espace par les supporters, de réaménagement de contraintes imposées par les nouveaux règlements et dispositifs.

Ces rituels constituent ainsi, quelque part, autant d'actes de détournement - certes d'intensité inégale - du processus de normalisation des comportements du public que les dirigeants du club souhaitent imposer.

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156 Whenwewerekids 70 min, 2013

URL: https://www.youtube.com/watch?v=UCiD62DBAoA

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon