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La responsabilisation du secteur privé dans le contrôle des exportations de défense en France. Quelles perspectives pour la commercialisation d'armements ?

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par Yann Wendel
Université Panthéon-Assas Paris II - Master 2 Défense et Dynamiques Industrielles 2016
  

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B. L'évolution progressive de la place de l'Etat dans le secteur de l'armement

1. Les entreprises de défense ont été confrontées à trois mouvements : privatisation, transnationalisation et dualisation

Depuis la fin de la guerre froide, l'industrie de défense a connu des transformations qui ont modifié son rapport à l'Etat. Le caractère public de la plupart des entreprises de défense permettait auparavant d'aligner de façon immédiate les intérêts du client et ceux du producteur, mais ce mode de gestion ne se révélait pas efficient sur le long terme. Cette logique d'arsenal ne plaçait en effet pas l'efficacité économique au coeur de la démarche productive des entreprises. La privatisation des moyens de production de défense en termes d'organisation, puis de capital a donc progressivement permis à ces dernières d'être compétitives en incitant à davantage d'innovation et de rentabilité économique16. Les

13 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014), Economie de la Défense, Paris, Collection Repères

14 WARUSFEL B. (2004), L'adaptation des marchés publics de défense, Contrats publics - L'actualité de la commande et des contrats publics, n°32, pp.44-46

15 IDIART A. (2014) Essai sur l'évolution du contrôle des exportations de produits militaires et à double usage depuis les années 1990 in ACHILLEAS P., MIKALEF W. (2014), « Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale », Editions A. Pedone, pp.275

16 BELLAIS R. (2000), Production d'armes et puissance des nations, Paris, L'Harmattan, pp.109-119

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autorités nationales ont alors dû adapter leur approche de cette industrie de souveraineté très liée à la chose publique.

Le mouvement d'internationalisation et de consolidation de la BITD à l'échelle européenne a débuté par une privatisation relative des entreprises de défense17. A titre d'exemple, la fusion récente de KMW et Nexter a nécessité au préalable un mouvement de privatisation de Nexter par la création de KNDS18 (le groupe KMW étant quant à lui déjà privé), afin que les homologues industriels allemands acceptent la transaction. Historiquement, la privatisation des entreprises de défense en France a été contrôlée par l'Etat, qui renouvelle son mode de gestion de ces acteurs stratégiques, sans pour autant se désengager du domaine19. L'administration garde en effet des prérogatives sur le fonctionnement des entreprises de défense, avec des mécanismes actionnariaux tels que la « golden share », ouvrant des droits particuliers au régulateur sur les décisions de l'entreprise sans que cette part n'ait de valeur marchande, ou bien l'administration conserve une participation minoritaire au-dessus du seuil de blocage pour garder un droit de veto sur les décisions stratégiques. Ainsi, l'Etat garde des participations boursières dans la plupart des entreprises de défense, passant d'une logique d'Etat stratège à celle d'Etat actionnaire et évoluant d'un mode de régulation administrée à un système de rentabilité et de soutenabilité20. L'entreprise peut alors s'épanouir sur le marché tout en donnant à l'Etat un droit de regard sur ses décisions, à des fins d'alignement avec les intérêts nationaux, dans la mesure où certains enjeux majeurs peuvent dépasser l'entreprise en tant qu'acteur privé. Certaines activités qui ne sont par exemple pas rentables économiquement peuvent constituer un vecteur stratégique indispensable à la souveraineté nationale. L'actionnariat étatique peut toutefois freiner certains mouvements de consolidation industrielle, de peur que l'Etat ne guide la marche d'entreprises consolidées au-delà de ses frontières dans des objectifs politiques et non économiques. De manière similaire, la CJUE21 considère que les droits associés tels que la « golden share » sont autant de restrictions au droit des autres actionnaires, même si cela est autorisé dans le cas de groupes liés au secteur de la défense22. Le pouvoir de l'Etat sur

17 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014), Economie de la Défense, Paris, Collection Repères pp.24

18 Krauss Nexter Defence Systems

19 HEBERT J-P. (2006), Le débat stratégique sur l'armement 1992-2005, Cahier d'Etudes Stratégies 38-39, EHESS.

20 Rapport Public Thématique (2013), Les faiblesses de l'Etat actionnaire d'entreprises industrielles de défense, Cour des Comptes.

21 Cour de Justice de l'Union Européenne

22 CJCE, 4 juin 2002, affaires C-367/98, C-483/99 et C-503/99, Commission/Portugal, Commission/France et Commission/Belgique

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l'entreprise prend alors une nouvelle forme, qui s'inscrit dans un mouvement plus large de redéfinition des relations entre l'Etat et sa BITD, alliant flexibilité et responsabilité.

Les entreprises de défense européennes s'internationalisent et se consolident pour s'adapter à une baisse des budgets de défense sur le continent ; la période 1990-2001, dite des « dividendes de la paix », ayant vu les dépenses militaires réelles diminuer de 1,8% par an23. Ce mouvement constitue une réponse des sociétés européennes pour rechercher des débouchés à l'export et gagner en compétitivité notamment face à une industrie américaine consolidée sur une large base nationale, capable de pratiquer d'importantes économies d'échelle alors que les produits sont de plus en plus coûteux à développer24. Les Etats européens ont donc progressé dans la mise en commun de connaissances techniques en développant des champions de produits de haute technologie, tels que le franco-germanique Eurocopter, devenu Airbus Helicopters par la suite. Ce mouvement ne provient pas à la base d'une impulsion intégratrice politique, mais bien d'une nécessité économique, qui a eu un impact direct sur la gestion des problématiques de contrôle par les pouvoirs publics européens25. Les problématiques capacitaires de défense s'internationalisent donc par le biais industriel, en réponse à des pressions budgétaires, le fonctionnement de ces entreprises étant de moins en moins centré autour de leur pays d'origine.

La dualisation des entreprises de défense a également entraîné une redéfinition du contrôle étatique, d'autant plus que les produits de très haute technologie se confondent désormais avec des biens à double usage. Les entreprises de défense ont en effet vu la part de leurs activités civiles augmenter à la fin de la guerre froide, pour combler la baisse des budgets de défense, et diversifier leurs profits et leurs débouchés. C'est ainsi que Dassault Aviation a par exemple développé une gamme d'avions d'affaires civils, ou qu'Aérospatiale lanceurs (dorénavant Airbus Defence & Space) a développé son programme Ariane. Cette approche plus globalisée et moins spécifique des entreprises de défense leur a permis de satisfaire leurs actionnaires privés en lissant les cycles de commandes, mieux réparties entre clients étatiques et privés. Les procédures de gestion des entreprises de défense se sont donc alignées sur celles du civil, privilégiant la logique économique à celle stratégique, et évitant autant que possible

23 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014), Economie de la Défense, Paris, Collection Repères pp.12

24 MEIJER H. (2010), Post-cold war trends in the European defence industry : implications for transatlantic industrial relations, Journal of Contemporary European Studies 18(1), pp. 63-77.

25 BROMLEY M. (2011), The EU common position on arms export and national export control policies. In : BAILES A., DEPAUW S., The EU defence market : balancing effectiveness with responsibility, Brussels : Flemish Peace Institute, pp.39-45

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les contraintes administratives afin d'optimiser la commercialisation de produits. Les procédures propres à l'industrie de défense s'inspirent de plus en plus du civil, en ce que ces dernières s'appliquent aussi bien au cadre du marché international qu'au national. Ainsi, la logique de marché s'inscrit progressivement dans les procédures des entreprises concernées, car leurs débouchés à l'export sont de plus en plus importants par rapport aux traditionnelles ventes à l'Etat. D'ailleurs, alors que les « spin off »26 étaient monnaie courante à l'époque de la guerre froide, on observe dorénavant une émergence de « spin in » le prolongement de technologies civiles permettant d'obtenir des applications militaires (électroniques, informatiques, optroniques ...)27. Dans la même veine, l'avion multi rôle ravitailleur transport de troupes A330 MRTT d'Airbus Group est par exemple une adaptation d'avions commerciaux A330. Certaines entreprises civiles qui développent des produits de haute technologie peuvent en conséquence avoir une réelle implication dans la BITD nationale. Les Etats ont donc dû apprendre à s'adapter à ces nouveaux fournisseurs, dont les méthodes de fabrication perdent leurs spécificités militaires dans une logique d'uniformisation industrielle de la production. Cette prise de conscience a débuté avec le règlement européen sur les biens à double usage de 199428, qui a dans un premier temps permis aux instances nationales de contrôler les activités civiles dotées d'un potentiel militaire. Par la suite, la catégorie des biens à double usage est devenue le reflet de l'inscription des biens produits par les entreprises de défense dans une logique civilo-militaire (surveillance, numérisation du champ de bataille ...). En plus de l'existence de régimes de protection de type Wassenaar englobant les biens à double usage, les limitations se sont peu à peu renforcées concernant les entreprises duales, qui même si elles ne sont pas toutes soumises à l'AFCI, doivent être contrôlées car elles représentent un patrimoine national, en termes militaires ou technologiques. Cette logique duale a d'ailleurs été exploitée par la Commission européenne pour pénétrer la souveraineté nationale des Etats membres sur les produits stratégiques. Depuis 1994, un Règlement communautaire oblige les Etats à se concentrer davantage sur les produits militaires « purs » que sur les biens à double usage.

26 Fertilisation technologique du militaire vers le civil (internet, NASA ...), in BRANSCOMB L.M. (1992), Beyond Spinoff : Military and Commercial Technologies in a Changing World, Harvard Business School Press.

27 IDIART A. (2014), Essai sur l'évolution du contrôle des exportations de produits militaires et à double usage depuis les années 1990. In : ACHILLEAS P., MIKALEF W., Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale, Editions A. Pedone, pp.260.

28 Règlement (CE) n°3381/94 du Conseil du 19 décembre 1994 instituant un régiment communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage.

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Une logique transnationale est donc désormais à prendre en compte dans l'univers traditionnellement très étatique des entreprises de l'armement. Le fonctionnement économique compétitif éclipsant peu à peu la perception des entreprises comme faisant partie d'un arsenal national, celles-ci s'étant internationalisées et dualisées. D'un autre côté, le fait que les entreprises de défense soient implantées dans plusieurs pays leur donne accès à de nombreux interlocuteurs étatiques différents, ce qui constitue un levier par rapport à la seule décision d'exportation de la France par exemple, mais limite les capacités d'exportation aux destinations acceptables à la fois pour tous les pays d'implantation.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus