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La responsabilisation du secteur privé dans le contrôle des exportations de défense en France. Quelles perspectives pour la commercialisation d'armements ?

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par Yann Wendel
Université Panthéon-Assas Paris II - Master 2 Défense et Dynamiques Industrielles 2016
  

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2. L'adaptation des outils du contrôle aux coopérations industrielles européennes

Suite à l'échec de la CED (Communauté Européenne de Défense), les prérogatives liées à la défense sont restées jusqu'à récemment résolument nationales29. Les contrôles étaient uniquement pensés sur une base nationale, dans un axe matériel/frontière, la chaîne d'approvisionnement transfrontalière n'étant pas prise en compte car elle demeurait marginale dans les activités de défense. Cela a résulté en une fragmentation économique et juridique de l'Europe en matière de défense. L'intégration plus ou moins poussée de certains groupes au niveau européen, ainsi que l'émergence de programmes militaires communs entre plusieurs Etats ont toutefois contribué à mettre en avant la question de la définition de la nationalité des biens (en fonction de la localisation des activités de production, de la nationalité de l'entreprise, ou du pays de provenance de composants).

Les coopérations d'armement ont en effet constitué la première étape de l'évolution du paysage industriel et réglementaire en ce qui concerne la défense en Europe. Leur cadre a d'abord été inter-gouvernemental, la structure juridique appliquée différant en fonction du programme. C'est par exemple le cas des accords Debré-Schmidt (1972) entre la France et l'Allemagne concernant quelques programmes en cours à l'époque de matériels de guerre produits en commun, qui stipulent que chaque pays producteur peut conduire de son propre chef l'ensemble des opérations d'exportation, dans un « esprit de coopération », malgré le fait qu'un des deux gouvernements puisse refuser une exportation de composants30. Dans ce cas,

29 BRONER R. (2014), La Directive n°2009/43/CE du 6 mai 2009 sur les transferts intra-communautaires de produits liés à la défense et sa transposition en droit français : perspectives industrielles. In : ACHILLEAS P., MIKALEF W., Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale, Editions A. Pedone, pp.285.

30 Accords Debré-Schmidt (1972), Article 2 : « Aucun des deux gouvernements n'empêchera l'autre gouvernement d'exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d'armement issus de

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le pays partenaire doit permettre à celui qui veut exporter de produire les composants chez lui ou de faire appel à d'autres sous-traitants31. Les politiques d'exportation sont ainsi liées, mais chaque Etat préserve la souveraineté de sa décision. Dans les faits, l'application de l'accord Debré-Schmidt a abouti à la règle coutumière entre la France et l'Allemagne qu'un partenaire ne met pas de veto à une décision d'autorisation accordée par le partenaire acceptant. Une des principales limites à ces accords est que ces derniers ne constituent pas un traité officiel, n'ayant jamais été publiés. Ils ne peuvent donc pas s'appliquer de manière contraignante et ont une vocation intergouvernementale davantage que de droit positif32. Cette procédure pourrait d'ailleurs être rénovée par le pilotage d'un groupe bilatéral à des fins de conciliation rapide au niveau politique en cas de problème lié à des exportations de produits communs. Cette question pourrait ressurgir dans les prochains temps à l'heure des modalités de définition du rapprochement industriel entre Nexter et KMW33 et de la révision de la Directive européenne sur les Transferts Intra-Communautaires34.

Le traitement des matériels produits en coopération dans le cadre de l'entreprise franco-britannique MBDA, tels que les missiles « Scalp/EG » et « Storm Shadow », est à ce titre particulièrement remarquable. Les deux produits ayant la même base sont pourtant chacun fabriqués dans leur pays respectif avec des spécificités techniques qui leur sont propres. Cet état de fait démontre que dans ce cadre bien précis, le but principal de la coopération ne provient pas d'une volonté d'intégrer complètement les produits, mais plutôt de partager une partie des coûts de production et des parts de marché export entre pays. Cette logique de progression en «petits pas », pragmatique mais ne symbolisant pas une décision politique claire pour l'industrie, a le mérite de faire avancer le processus d'harmonisation des décisions d'exportation. Ce système a constitué une première étape vers l'élaboration d'une politique cohérente d'exportation de matériel militaire au niveau multilatéral, sans pour autant que cette décision ne soit directement transférée à un échelon supranational.

développement ou de production menés en coopération. Chacun des deux gouvernements s'engage à délivrer sans retard et selon les procédures prévues par les lois nationales les autorisations d'exportation nécessaires pour la fourniture de ces composants au pays exportateur. Il ne pourra être fait usage qu'exceptionnellement de la possibilité de refuser l'autorisation d'exporter les composants d'un projet commun ».

31 Accords Debré-Schmidt (1972), Article 4 : « En cas de refus d'autorisation d'exporter les composants d'un projet commun, l'industriel du pays exportateur serait autorisé à rechercher, pour une partie ou pour l'ensemble des fournitures considérées, le concours d'autres sous-traitants ».

32 L'article 3 du décret n° 53-192 du 14 mars 1953 relatif à la ratification et à la publication des engagements internationaux souscrits par la France dispose que « les conventions, accords, protocoles ou règlements, (...) de nature à affecter, par leur application, les droits ou les obligations des particuliers, doivent être publiés au Journal officiel de la République française »

33TTU Online (2015), Un Premier Pas. Disponible sur : http://www.ttu.fr/exportations-franco-allemandes-un-premier-pas/ [Accès le 10 février 2016].

34 Directive européenne 43/2009 transposée par la France dans la loi 702/2011.

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De manière plus institutionnalisée, le cadre de l'OCCAr35 a constitué un dépassement de l'encadrement strictement bilatéral, en ouvrant la voie à une approche multilatérale, entre pays européens désireux de déléguer la maîtrise d'oeuvre des projets d'armement en coopération à une organisation ad hoc, sans toutefois aller jusqu'à une intégration du contrôle des exportations de programmes réalisés en commun. Ces contrôles restent donc du ressort des Etats, dans un « esprit de coopération »36, et l'Etat producteur d'un composant peut s'opposer à une décision d'exportation du matériel par l'assembleur final37. Les parties se consultent ainsi en amont pour se prémunir d'objections éventuelles à une vente. Cette façon de procéder a ouvert la voie à un débat sur la justification de l'exclusivité de la compétence nationale concernant le contrôle, et cette enceinte pourrait à ce titre constituer un cadre idéal en ce qui concerne l'harmonisation des pratiques d'exportation de matériels de guerre.

Un processus de contrôle export bien défini est primordial à la bonne réussite des projets industriels, dans la mesure où des échanges commerciaux de composants entre des entreprises partenaires implantées dans plusieurs pays différents peuvent être restreints par la volonté des Etats. L'intégration ou la coordination des activités industrielles de part et d'autre des frontières est donc subordonnée à une décision politique. Ainsi, certaines entreprises transnationales sont amenées à conserver certaines de leurs activités les plus stratégiques sur le territoire d'un pays donné, comme par exemple la dissuasion française pour le groupe Airbus. Les entreprises d'armement ne peuvent donc pas être véritablement perçues comme entièrement internationales, mais plutôt multidomestiques. Au final, l'internationalisation des entreprises de défense relève davantage d'une logique financière par fusions-acquisitions ayant eu un impact relativement faible sur leur organisation industrielle, la volonté politique incarnée par le contrôle étant encore strictement attachée à une base nationale, ce qui peut contraindre la stratégie d'évolution des entreprises sur une base européenne. Ainsi, malgré le désengagement apparent des Etats dans la production directe d'équipements de défense, ces derniers gardent des leviers dans le domaine de la réglementation des exportations38.

Si beaucoup d'entreprises participent à la chaîne d'approvisionnement au niveau européen, toutes ne sont pas transnationales. La fabrication de produits de défense communs par des entreprises européennes nécessite un échange fluidifié et sécurisé de composants. Il est cependant difficile pour les entreprises de concilier un espace commercial unifié avec un

35 Organisation for Joint Armament Cooperation

36 OCCAr Article 8

37 OCCAr Article 8 al 3

38 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014), Economie de la Défense, Paris, Collection Repères

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espace juridique constitué d'un ensemble de différents régimes réglementaires comme cela est le cas actuellement en Europe, ce qui augmente leur charge administrative et influe négativement sur leurs délais et donc directement sur leur compétitivité par rapport à celles évoluant dans un espace juridique plus unifié. Ainsi, il convient de limiter les contraintes administratives nationales et de simplifier les échanges entre Etats membres, car ce sont autant d'obstacles à la mise en place d'une « supply chain » intégrée au niveau européen39. Cette fluidité du marché intérieur et cette harmonisation des contrôles sont des conditions essentielles à la prospérité des entreprises de défense européennes au niveau mondial par rapport aux concurrents traditionnels (Etats-Unis) ou émergents (Chine, Turquie ...), d'autant plus que la croissance de ces entreprises dépend de plus en plus de leurs exportations40. Le niveau du contrôle des exportations, composante nationale, doit donc s'adapter à cette nouvelle donne en favorisant les échanges peu risqués entre entreprises dans l'espace européen, pour permettre l'établissement d'un espace industriel fluidifié et compétitif, tout en se concentrant sur les livraisons de matériels particulièrement sensibles aux pays tiers, en adoptant une logique « risques » adaptée à l'augmentation des flux d'échanges. Cette évolution est d'autant plus pertinente que sur 12 672 demandes de licence en 2003 au niveau européen pour les transferts intracommunautaires, seules 15 licences ont été refusées41. Cette nouvelle façon de penser le contrôle, de manière ciblée et limitée permettrait d'éviter un phénomène de distension des enjeux entre Etats et entreprises de défense42. L'allègement des procédures n'empêche donc pas un strict cadre de contrôle, à partir du moment où les biens en question sont peu sensibles et où les Etats partenaires disposent de procédures efficaces. Les logiques de non-prolifération et de souveraineté s'appliquent alors avec la même force l'une que l'autre, et même si la prohibition reste la règle dans le contrôle export national, ces procédures doivent évoluer pour prendre en compte l'environnement juridique global des armements43.

39 Document de travail des services de la Commission accompagnant la Proposition de directive du Parlement et du Conseil simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense dans la Communauté - Résumé de l'analyse d'impact {COM(2007) 765 final} {SEC(2007) 1593} /* SEC/2007/1594 final */

40 Commissariat Général du Plan (1993), L'avenir des industries liées à la défense, Rapport du groupe de stratégie industrielle présidé par Marcel Bénichou.

41 EU Code of Conduct on Arms Export. In : DUFOUR N., SCHMITZ P-E. (2005), Intra-Community Transfers of Defence Products, Final report of the study «Assessment of Community initiatives related to intra-community transfers of defence products», UNISYS, Brussels, pp.15.

42 HARTLEY et al. (2008), The evolution and future of European defence firms. In : CHATTERJI M. et FONATENEL J., War, Peace and Security, Emerald, New York, pp.83-104

43 Art L.2331-1 du Code de la Défense

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