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La responsabilisation du secteur privé dans le contrôle des exportations de défense en France. Quelles perspectives pour la commercialisation d'armements ?

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par Yann Wendel
Université Panthéon-Assas Paris II - Master 2 Défense et Dynamiques Industrielles 2016
  

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C. Une régulation des exportations d'armement de moins en moins influencée par le cadre national traditionnel

1. La remise en cause progressive de la souveraineté nationale comme seule base juridique des armements

La légitimité de l'action de l'Etat dans l'économie a été ces dernières années profondément remise en cause, du fait de pratiques entrepreneuriales privées réputées plus efficaces en termes de gestion et de rationalisation des coûts, alors que les budgets publics sont toujours plus contraints. D'autre part, le phénomène de mondialisation contribue à sa manière à mettre en lumière des enjeux qui dépassent les pays en tant que tels, dans la mesure où les flux économiques sont perçus comme de plus en plus indépendants de la volonté de la puissance publique. Aussi, à l'organe traditionnel du contrôle qu'est l'Etat dans la commercialisation d'armement se substituent de nouveaux acteurs supranationaux, dans la mesure où le processus est désormais fortement influencé par des normes européennes et onusiennes44.

Le modèle basé sur la prééminence de l'Etat dans l'autorisation d'exporter a débuté son évolution avec la mise en place d'embargos sur les armes par les Nations Unies, ou plus récemment par l'Union Européenne45, les approches multilatérales venant compléter l'approche étatique, qui doit les prendre en compte même s'il reste souverain dans ses choix. L'environnement international influence alors les politiques nationales de manière plus ou moins contraignante, les pays exportateurs mettant en place des groupes de contrôle pour se concerter, concernant la commercialisation de produits sensibles et ainsi éviter toute prolifération (Wassenaar, MTCR, groupe Australie ...). Ces instances mettent en oeuvre, dans une logique de soft power, des instruments de transparence internationaux46 et la publication de listes communes de contrôle avec l'arrangement de Wassenaar. Plus récemment, la mise en place du TCA47 a insisté sur le besoin de traçabilité des transferts d'armes légères notamment

44 HOEFFLER C. (2011), Les politiques d'armement en Europe : l'adieu aux armes de l'Etat nation ? Une comparaison entre l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Union européenne de 1976 à 2010, Thèse de doctorat en Science Politique, IEP Paris.

45 On peut à ce titre remarquer le débat au Parlement Européen portant sur un éventuel embargo sur les armes envers l'Arabie Saoudite au début de l'année 2016, qui aurait des conséquences certaines sur les industriels européens. In : MASON R. (2016), David Cameron boasts of «brilliant» UK arms exports to Saudi Arabia, The Guardian. Disponible sur : https://www.theguardian.com/world/2016/feb/25/david-cameron-brilliant-uk-arms-exports-saudi-arabia-bae [Accès le 25 mai 2016].

46 A savoir le registre de l'ONU de déclaration par les Etats de leurs transferts d'armement conventionnel.

47 Traité sur le Commerce des Armes

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dans les pays dépourvus de réglementation de contrôle export48. Ces mécanismes ont pour principal objet de lutter contre la prolifération accrue des armes permise par la mondialisation et la multiplication des flux, qu'ils soient humains et commerciaux. Le rôle de l'Etat doit alors se redéfinir en fonction des influences extérieures, en accord avec un cadre multilatéral de plus en plus pertinent pour le contrôle.

Les intégrations industrielles au niveau européen ont elles aussi contribué à la remise en question progressive du mode national de contrôle d'exportations de matériels pour aller vers une plus grande harmonisation, en lieu et place de l'établissement de règles discrétionnaires au niveau de chaque Etat. Les réglementations devaient s'uniformiser à des fins de création d'un marché unique de l'armement cohérent, comme le soutient la France dans une résolution des Nations Unies de décembre 2009 : « L''interdépendance croissante des systèmes de contrôle est inéluctable, tant pour des raisons industrielles que diplomatiques. Elle est particulièrement importante avec nos partenaires européens et contribue à l'efficacité d'ensemble des efforts de lutte contre la prolifération et la dissémination des armements »49. En effet, les contrôles strictement nationaux n'étaient plus adaptés à la transnationalisation de la production d'armements, ceux-ci pouvait freiner la compétitivité des pays producteurs en leur imposant plusieurs règles nationales différentes50. Ces problématiques liées aux armements n'étant pas abordées frontalement par les institutions européennes, cet objectif d'harmonisation a été atteint par l'intermédiaire de la PESC51 et poussé dans le même temps par le COARM (Working party on conventional arms export), organisme ad hoc créé par le Comité Politique (aujourd'hui Comité Politique et de Sécurité), qui prépare depuis 1991 les décisions de conseil des ministres dans les transferts internationaux d'armes52.

48 Séminaire (2016) « Lutte contre le trafic d'armes : Quel rôle pour les acteurs privés et la société civile ? »

février http://www.defense.gouv.fr/dgris/la-dgris/evenements/seminaire-lutte-contre-les-trafics-d-armes-2-
fevrier-2016/seminaire-lutte-contre-les-trafics-d-armes-2-fevrier-2016

49 Résolution 64/40 des Nations Unies « Législations nationales relatives au transfert d'armes, de matériel

militaire et de produits et techniques à double usage »
http://www.un.org/disarmament/convarms/NLDU/docs/NDLU2010/France(F).pdf

50 Une harmonisation des règles de contrôle entre pays européens est d'ailleurs bénéfique à la lutte contre la prolifération, dans la mesure où elle rend impossible pour certaines entreprises de s'implanter dans un pays moins strict en termes de réglementation afin d'exporter certains produits particulièrement sensibles.

51 Politique Etrangère et de Sécurité Commune.

52 DAVIS I. (2002), The regulation of arms and dual-use exports : Germany, Sweden and the UK , Oxford University Press

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La Commission Européenne a quant à elle étudié assez tôt l'idée d'un Code de Conduite des exportations à travers une Communication de 199653, ainsi que dans une Communication dite « Bangemann » en 199754 concernant la mise en oeuvre de la stratégie économique de l'Union Européenne sur les entreprises liées à la défense (qui sera par la suite complétée par une Communication de 2003 «Vers une politique de l'Union européenne en matière d'équipements de défense » 55). Il en est ressorti que dans le contexte d'une mutation du paysage industriel, un décloisonnement des marchés nationaux à travers un système simplifié de circulation des biens d'armements selon des règles strictement commerciales était souhaitable en intra-européen56, et ne pouvait être véritablement efficace qu'en harmonisant les conditions d'exportation de matériel de guerre entre les pays membres.

Le Code de Conduite, mis en place en 1998 sous la pression de nombreuses ONG suite notamment aux ventes d'armes européennes lors de la guerre Iran-Irak57, a donné une base minimale de contrôle pour les exportations des pays européens avec huit critères à respecter58, et les a enjoint à échanger des informations en vue d'une transparence accrue des décisions et donc d'une convergence des politiques d'exportation. De manière assez remarquable, cette initiative a entraîné pour la première fois l'introduction de principes de sécurité humaine dans le champ du contrôle export. Le Code de Conduite a été transformé en Position Commune dix ans plus tard, rendant ainsi contraignants les huit critères communs mis en place entre les pays à des fins d'harmonisation des politiques nationales d'exportation d'armement au sein de l'Union Européenne. Le Code de Conduite n'était en effet à la base qu'une déclaration du Conseil européen, dotée d'une valeur déclarative sur un modèle infra-juridique et donc non susceptible de recours devant la CJCE. Ainsi, même si le traitement des exportations reste

53 COM (1996), Communication de la commission au conseil et au parlement : Les défis auxquels sont confrontées les industries européennes liées à la défense - Contribution en vue d'actions au niveau européen, COM 10 final.

54 COM (1997), Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions : L'industrie aérospatiale européenne face au défi mondial, COM/97/0466 final.

55 COM (2003), Communication de la Commission : Vers une politique de l'Union européenne en matière d'équipements de défense, COM 113 final.

56 BALZACQ T., DEPAUW S., LEONARD S. (2014), The political limits of desecuritization : security, arms trade and the EU's economic targets, London, Routledge, pp.104-121

57 STAVRIANAKIS A. (2010), Taking aim at the arms trade. NGOs, Global Civil Society and the world military order, Zed Books, London.

58 Critères du Code de Conduite : (1) respect par le destinataire des engagements internationaux ; (2) respect des droits de l'Homme ; (3) situation interne dans le pays de destination finale ; (4) préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales ; (5) sécurité nationale des États membres et des États alliés ou amis ; (6) comportement du pays acheteur à l'égard de la communauté internationale et notamment son attitude envers le terrorisme ; (7) existence d'un risque de détournement du matériel à l'intérieur du pays acheteur ou d'une réexportation dans des conditions non souhaitées ; (8) compatibilité des exportations d'armes avec la capacité technique et économique du pays bénéficiaire.

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malgré tout national, la portée supranationale de la procédure est désormais bien tangible, comme gage de bonne foi de la part des Etats devant la Commission Européenne. Les huit critères extranationaux de la Position Commune 2008/944/PESC sont intégralement repris dans la procédure de contrôle nationale de CIEEMG, ce qui constitue une preuve supplémentaire de l'influence de ces normes dans le droit interne59. De la même manière, la plupart des Etats membres, dans les certificats d'utilisation finale qu'ils demandent aux importateurs, font référence directement à la Position Commune.

L'adoption d'une liste commune européenne d'équipements militaires le 13 juin 2000 par le COARM a enfin permis d'obtenir une référence identique de contrôle, ce qui a contribué à harmoniser les notifications du Code de Conduite, et de rapprocher les politiques d'exportation des Etats, sur le modèle des biens à double usage60. La CJCE61 a, dans le même temps, légitimé le rôle du COARM dans sa jurisprudence « Hautala », lorsque les Etats ont refusé de faire parvenir le rapport du COARM à M. Hautala sous couvert de sécurité publique, alors que celui-ci désirait étudier le critère des droits de l'homme62 63. La CJCE a à cette occasion pu affirmer sa compétence en tant que juridiction sur un texte touchant directement à un pilier stratégique traditionnel des Etats.

Le procédé de notification de refus introduit par le Code de Conduite sensibilise les pays européens et les enjoint à communiquer entre eux préalablement à l'exportation. Ainsi, si un Etat refuse une exportation, il en informe les autres Etats membres, et si un Etat désire exporter un bien similaire vers une destination auparavant refusée par un autre Etat membre dans un délai de trois ans, les deux Etats doivent se consulter. Au cas où l'exportation est réalisée, l'Etat exportateur doit justifier publiquement sa position64. La volonté européenne de responsabiliser les Etats européens producteurs d'armement au moyen de standards d'exportation homogènes est alors claire, afin d'arbitrer entre les préoccupations économiques et stratégiques liées aux ventes d'armes, tout en laissant une souplesse nécessaire aux Etats. Ainsi, il n'y a pas de liste d'Etats interdits à l'exportation, mais des critères de réflexion sur des situations plus ou moins sensibles, qu'il faut respecter afin d'assurer la stabilité internationale. Le code de conduite a aussi permis d'harmoniser et d'institutionnaliser des

59 Rapport au Parlement 2014 sur les exportations d'armement de la France (2014), Délégation à l'information et à la communication de la Défense.

60 La référence au Code de Conduite apparaît dans l'article 8 du Règlement CE 1334/2000 (et suivants) régissant le contrôle des biens à double usage. JOUE n° L159/1 du 30/06/2010.

61 Cour de Justice des Communautés Européennes

62 CJCE, Hautala c/Conseil, 1999

63 CJCE, Hautala c/Conseil, 2001

64 Point 3 de la Position Commune 944/2008.

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engagements extérieurs : le critère de sécurité régionale européenne permettant par exemple de faire converger les politiques étrangères des Etats membres. D'autres instruments de convergence ont par ailleurs aidé à sa bonne application par les Etats, tels que l'élaboration par le COARM d'un guide d'utilisation de la Position Commune pour aider à interprétation des critères65. Il reste toutefois possible pour un Etat d'outrepasser ces critères pour prendre en compte ses intérêts propres dans sa décision d'exportation, car les textes européens s'inscrivent dans une logique de convergence progressive, précédent une éventuelle harmonisation complète66. Ces critères ont donc un impact politique et médiatique davantage que pratique, même si les pays européens s'efforcent de les appliquer.

L'intégration au niveau européen de l'industrie de défense a entraîné une certaine redistribution des compétences entre les institutions européennes et les Etats membres67. Concernant les armements, on ne peut donc pas réellement parler d'européanisation, mais plutôt d'uniformisation progressive de la décision d'exportation. Les Etats ont donc perçu la nécessité d'adapter un certain niveau supranational de contrôles, tout en gardant leur prérogative au niveau national. Il n'y a en effet pas à ce jour de collège européen décisionnaire concernant les licences d'exportation d'armement. Ainsi, les décisions des Etats se font de manière unilatérale, mais concertée.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery