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Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

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par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

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ethnies au Mali.

La société malienne, comme la majeure partie des sociétés africaines, n'est pas monolithique. Le poids historique des structures sociales qui la composent est une variable fondamentale des conflits modernes ; « la plus grande partie des populations d'Afrique « Noire » [...] est encore enfermée dans des cultures et religions primitives, sur lesquelles reposent tout l'ordre social » 231. La société est constituée de plusieurs strates, au sein desquelles différentes formes d'allégeance se maintiennent et évoluent (1) ; l'amenokal continue de représenter les populations touaregs auprès des institutions modernes232. Les frontières n'ont pas supprimé ces réalités sociales, qui doivent avec leur historicité propre, composer un même dessin, au sein d'une même entité politique (2).

Le Mali compte treize ethnies géographiquement réparties sur son territoire. Ces ethnies ont chacune leur langue et leurs coutumes : en dehors du français, langue officielle, coexistent une quantité de langues nationales, dont le bambara est le plus utilisé. Ethnie mandingue issue des Malinké, les Bambara sont majoritaires au Mali ; si bien qu'ils constituent, sous la présidence de Modibo Keita, l'essentiel des fonctionnaires du pays. Les Touareg se retrouvent alors dominés par des peuples soudaniens qu'ils tenaient en infériorité. Ainsi, le modèle étatique qui s'impose à l'Afrique, « donne à une minorité autochtone l'opportunité historique de capter à son avantage les nouvelles institutions »233.

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231BRAUDEL, Fernand, Grammaire des civilisations, op. cit., p.211

232RFI, « Qui pour succéder à Intalla ag Attaher ? », RFI, [En Ligne], décembre 2014

URL : http://www.rfi.fr/afrique/20141219-mali-succession-intalla-ag-attaher-amenokal-ifoghas-alghabass/ 233BAYART, Jean-François, La greffe de l'Etat, Paris, Karthala, 1996, p.8

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1. Portrait des ethnies du Mali : différences anthropologiques, et particularités psychologiques.

L'ethnie est un groupe humain dont les membres partagent culture, langue, et sentiment d'appartenance234. Cette structure sociale est entrée en concurrence avec l'Etat dès l'indépendance. Une autre forme d'allégeance est créée, la citoyenneté, et tente d'imposer de nouvelles valeurs « importées » par le biais d'institutions, notamment démocratiques235. Alors qu'en Europe au XIXème siècle le fait national précède la formation de l'Etat, en Afrique, il intervient ad hoc, postérieurement à la délimitation territoriale des entités politiques. Ces ethnies, certaines identiques et divisées, d'autres différentes et rassemblées, n'ont pas été fondamentalement perturbées par ce phénomène - elles résistent, se maintiennent là où l'Etat est défaillant, et deviennent à leur tour, dans les paradigmes modernes, un élément de friction, un repère sous-jacent de la conflictualité. Certaines ethnies sont divisées en tribus, elles-mêmes subdivisées en clans. La tribu est un groupe humain lignager, l'ancêtre commun est exprimé par un préfixe nominatif - Ag, chez les Touareg, pourrait vouloir dire « fils de » en tamasheq236. Or, ces structures de solidarité, renforcées par le caractère familial, entretiennent des allégeances sub-étatiques concurrentes à l'Etat-nation. Le communautarisme déforme les principes démocratiques - « la démocratie donne mathématiquement le pouvoir aux peuples, aux ethnies ou aux tribus qui ont le plus grand nombre d'électeurs » 237. La fissure crisogène ne réside pas uniquement dans la relation entre ethnies et institutions étatiques, mais dans les relations entre ethnies elles-mêmes au sein de l'Etat.

Les ethnies se différencient par le faire (les modes de production), et l'être (leur historicité).

La culture et les modes de production font partie des principaux référents identitaires de l'ethnie238. Leur activité est conditionnée, dans un premier temps, par la situation géographique : ainsi, les peuples du désert sont essentiellement pasteurs, tandis que les peuples des terres fertiles sont essentiellement agriculteurs. Au sein de ces deux modes de vies, des précisions plus locales s'établissent. Les Bozo et les Somono vivent

234AMSELLE, Jean-Loup, « ETHNIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 mai 2015

URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ethnie/

235BADIE, Bertrand, L'Etat importé : essai sur l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992 236Dans les tribus arabes, le préfixe « ibn », ou « ben » signifie « fils de ». Nous retrouvons le même procédé chez les Berbères avec le préfixe « aït ». Nous supposons donc que le préfixe « ag » en tamasheq pourrait signifier, sinon « fils de », la filiation, et l'appartenance lignagère.

237LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.591

238GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », L'Homme, Vol.2, n°2., 1962, p.106

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traditionnellement de la pêche, et diffèrent par les techniques utilisées239. Les Bozo descendent des nobles de l'Empire du Ghana, et s'installent après leur déchéance, sur les plaines alentours du fleuve Niger240. Ainsi, ils adaptent leurs traditions aux coutumes locales, sauvegardant les particularités qui les distinguent des autres groupes ethniques. Conditionnés par leur situation géographique, ils développent une activité halieutique essentiellement basée sur la pêche de barrage et de marais, en eaux peu profondes et peu mouvementées241. A l'inverse, les Somono, assimilés par l'Empire toucouleur d'El Hedj Omar, vivent sur les rives du fleuve, d'une pêche plus intense, en eaux profondes - ils « ont de vastes pirogues propres à la batellerie dont ils avaient la charge »242.

Les Songhaï et les Dogon diffèrent par leur mode de culture, alors qu'ils sont tous deux cultivateurs243. Les Songhaï sont à la frontière entre Afrique « blanche » et Afrique « noire », et descendent de l'Empire Songhaï qui a connu un rayonnement important entre le XVème et le XVIème siècle. Les Dogon sont un peuple difficile à pénétrer, notamment parce qu'ils vivent dans des villages construits sur des falaises ayant une fonction de refuge ; « Appuyées sur la fonction défensive de la montagne, de nombreuses minorités y ont souvent, au cours de l'Histoire, trouvé refuge pour échapper à la pression de peuples, d'Etats ou de religions majoritaires »244. Les techniques de production diffèrent entre ces deux groupes cultivateurs, « les Dogon laborieux, et soigneux, défrichent des champs plus vastes et mieux entretenus. Les Sonraï se contentent de moins [...] »245.

Des techniques pastorales différentes se trouvent également chez les populations nomades présentes au Mali, « Peuls, Maures, Touareg se côtoient sans se pénétrer »246. Les Peuls sont des nomades musulmans pour la majorité, présents dans une quinzaine de pays au Sahel-Sahara, issus de grands Empires, comme l'Empire peul du Macina247. Ils se sont sédentarisés, mais quelques fractions de la population continuent de pratiquer l'élevage et le pastoralisme. Les Touareg, en conflit avec l'Etat malien depuis l'indépendance, ont un pastoralisme de

239GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.108

240DIETERLEN, Germaine, SOUMARE, Mamadou, L'Empire de Ghana : le Wagadou et les traditions Yéréré,

Paris, Karthala, 2000, p.144

241GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.106

242Ibid., p.109

243Ibid.

244ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.75 245GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op.cit., p.109

246Ibid.

247LACROIX, Pierre Francis, « PEULS, FULBE ou FULANIS », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 17 mai 2015

URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/peuls-fulbe-fulanis/

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groupes (en clans). Leurs cheptels sont composés de bovins, caprins et ovins, de manière indifférenciée, tirant profit et avantage de chacun de leur produit d'élevage248. Ils achètent leurs chameaux aux populations maures, à la fois pasteurs et commerçants. Cette ethnie est moins présente au Mali depuis le rattachement du Hodh, leur terrain de transhumance, à la Mauritanie249. Quelques tribus vivent encore autour de Tombouctou, la partie sahélienne du Mali constituant leur zone de migration. Arabes musulmans, ils vivent généralement en bons termes avec les populations « noires » du sud, si bien que le brassage ethnique a profité à leur culture (origines arabes bédouines, berbères, « noires »)250. Leur organisation sociale est fondée sur la filiation paternelle, au sein d'une société hiérarchisée, dominée par les castes maraboutiques ; « leur genre de vie pastorale est influencé par d'autres préoccupations, les familles très souvent maraboutiques vivent de l'enseignement et des services religieux qu'elles rendent de village en village »251.

La modernisation de l'Etat concurrence ces techniques de production traditionnelle, alors même qu'elles servaient, en partie, d'indicateur identitaire ; « l'élargissement des activités de l'Homme vers le plein emploi et vers l'exploitation de toutes les possibilités naturelles se heurte à ces contestations banales : « Nous sommes Bambara, donc nous ne pouvons élever des animaux » »252. Et, au-delà, la prépondérance de certains secteurs d'activité plus rentables modifie la perception des modes et techniques de production253. L'activité n'est plus traditionnellement attribuée à tel ou tel groupe, mais est généralisée au sein de l'Etat, attisant convoitise et jalousie ; « Les activités biens rémunérées grâce à l'évolution économique, la pêche en particulier, intéressent de plus en plus les cultivateurs »254. Ces modes de vie singuliers se transforment en activité économique générale : l'ethnie se trouve tiraillée entre deux pôles. Par le haut, un sentiment d'appartenance en gestation tente de se substituer aux allégeances particulières. Par le bas, les nouveaux modes de production et de répartition perturbent les racines, les fondements, de ces particularités humaines. Elles modifient la perception des référents identitaires et désorganisent les monopoles traditionnels.

248GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.110

249DADDAH, Mokhtar Ould, La Mauritanie contre vents et marées, Paris, Karthala, 2003, p.259

250MEUNIER, Roger, « MAURES, ethnie », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 17 mai 2015

URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/maures-ethnie/

251GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op.cit., p.110

252Ibid., p.108

253Au Mali, ce phénomène est d'autant plus visible que les premières années de l'indépendance furent dirigées

par un régime autoritaire de type socialiste.

254Ibid.

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Si le faire, les modes et techniques de production, ont pu être adaptés et dominés par les nouvelles institutions de l'Etat, l'être, fondé sur l'historicité de ces groupes, vit et résiste aux impulsions externes255. L'histoire ancienne ne peut s'effacer au profit d'une histoire moderne en gestation qui la nierait. Tributaire de la mémoire locale, de la tradition orale, l'historicité de ces ethnies, de leurs ancêtres, se transmet de génération en génération. Inscrite dans l'espace et sur les territoires, elle s'exprime aujourd'hui à travers la répartition géographique des différentes ethnies sur le sol malien, à laquelle elles se sont adaptées ; « l'histoire est un élément de cohésion en dépit des migrations qui ont suivi l'abandon du cadre géographique que le groupe avait réussi à organiser »256.

L'Etat moderne tente d'assimiler ces entités humaines à sa structure en modifiant les modes de vie (urbanisation), en invoquant de nouveaux principes (démocratie), de nouvelles valeurs (nation). Or, l'historicité de ces peuples reste le noyau dur, et s'exprime plus ou moins fort en fonction de la capacité de l'Etat à satisfaire la population (en termes de justice sociale, politique, économique, par exemple). Nécessaire à la compréhension des logiques sociales et contestataires actuelles, l'historicité trouve dans les institutions modernes un autre mode d'expression et d'affirmation d'elle-même. Elle contribue à élargir l'écart entre réalité sociétale et réalité politique ; entre démocratie moderne, et système politique hybride coincé entre deux temps - « Très souvent, la différenciation ethnique repose sur le souvenir historique des rivalités, et est entretenue par des oppositions ou des nuances entre les organisations socio-politiques » 257.

La mémoire de ces ethnies s'exprime à travers deux tendances : la répulsion, et l'attraction. Une dynamique construite comme un jeu à somme nulle, un même évènement pouvant à la fois être répulsif pour une partie de la société malienne, et attractif pour l'autre. Les liens et relations tissés dans cet espace depuis des siècles, continuent d'influencer les enjeux politiques et géopolitiques.

La tendance répulsive se fonde sur le traumatisme de l'esclavage. Il s'exprime comme un rejet absolu de la domination au sein de l'Etat par d'anciens peuples esclavagistes. Cette

255 « La thèse de l'extranéité prend peut-être l'exception pour la règle. L'Etat en Afrique et surtout en Asie ne doit pas être tenu a priori pour le simple produit de synthèse de l'épisode colonial. Maintes formations politiques de ces deux continents préexistaient à leur mise en dépendance par l'Occident [...] », BAYART, Jean-François, « L'historicité de l'Etat importé », op. cit., p.9

256GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.111

257Ibid., p.108

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matrice négative s'exprime à travers la captation ethnique du pouvoir politique, et dans les contestations régionales, puisque « les anciens esclaves constituent la base du djihadisme »258.

« En Afrique subsaharienne, la nation repose sur un grand mensonge historique selon lequel la traite esclavagiste était une histoire de Blancs. Leur culpabilité ne fait aucun doute, mais ils n'ont pas été seuls et ont toujours travaillé en joint-venture avec des « Noirs ». Lorsque la traite esclavagiste transatlantique s'éteint progressivement au début du XIXème siècle, on assiste alors à une explosion de l'esclavagisme interne aux sociétés africaines. Certains guerriers qui appliquent le djihad sont des esclavagistes. »259

Les peuples sédentaires soudaniens ont, de par leur mode de vie, pu s'adapter avec plus de facilités aux nouvelles formes de gestion du politique. Ils se retrouvent souvent majoritaires dans des Etats qui, en érigeant la démocratie en principe, leur donne l'occasion d'exprimer numériquement leur domination. Et, les descendants d'anciens esclaves réprouvent, de manière quasi obsessionnelle, toute autorité à laquelle ils ne participeraient pas, d'autant que ce phénomène reste prégnant dans la société ; « Aujourd'hui en Afrique de l'ouest, tout le monde sait qui est fils d'esclave ou de noble, par le nom, la manière de rire - le rire grossier n'a pas la réserve aristocratique »260.

Cette réalité historique s'est transformée, dans les années 1960, en problématique sociale irrésolue ; « tous les partis nationalistes - et l'Indépendance - se sont construits sur un mensonge : l'occultation de la question sociale » 261. Et, cette problématique a gangréné, jusqu'à se trouver aujourd'hui intimement connectée aux questions sécuritaires régionales ; « la question du djihad et de l'esclavage sont donc imbriquées » 262.

D'autres ethnies maliennes inscrivent cette histoire dans les temps glorieux de leur apogée. Ce long moment sahélo-saharien freine la cohabitation politique, en favorisant le repli communautaire. Il ravive, par ailleurs, la frustration de certaines sociétés historiquement dominante, qui refusent d'être dominées. Au-delà du communautarisme, cette frustration s'exprime par le rejet de l'Etat malien (irrédentisme touareg), et de la modernité elle-même (djihadisme).

258BAYART, Jean-François, « Les anciens esclaves constituent la base du djihadisme », Le Un, n°43, février

2015 259Ibid.

260Ibid. 261Ibid. 262Ibid.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"