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Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

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par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

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2. Dissidences et unité : des islams africains aux djihads précoloniaux

L'adaptation de l'islam en Afrique crée une sorte de mélange entre tradition maraboutiste et religion musulmane qui s'exprime par un regain du mysticisme islamique, et l'émergence de la pensée confrérique entre le XVIIIème et le XIXème siècle332. Bien que le kharijisme et le chiisme aient été les premières dissidences contestataires à l'égard de l'islam arabe, le sunnisme reste dominant, et trois tendances se démarquent333.

La tendance moderniste actuelle est essentiellement composée de jeunes ayant fait des études supérieures dans des écoles arabes « « essentiellement axées sur l'apprentissage de la langue arabe pendant que l'autre [école coranique] privilégie l'éducation religieuse »334. Elle se traduit par la multiplication d'associations culturelles islamique en Afrique de l'ouest et au Sahel-Sahara poussant au réformisme, et « s'opposant ainsi ouvertement aux confréries mystiques sur lesquelles repose toute la force de la tendance traditionnaliste généralement hostile à tout changement »335. Bien qu'en mouvement, cette poussée moderne ne résorbe pas les polarités fondamentalistes qui s'appuient sur des structures archaïques, et tirent, à l'inverse, vers le « dé-réformisme », le retour aux bases classiques de la religion, mais également des sociétés.

Les branches kharijite et chiite constituent la tendance sectaire. Le kharijisme ne résiste pas aux assauts abbassides, et se replie dans la boucle du Niger, chez les Songhaï. Quant aux chiites, ils voient leur sort lié à celui de l'Empire fatimide. D'autres tendances sectaires résultent de ces métastases, les Ahmadia et Bahia, présents notamment au Mali336.

Les tendances traditionnalistes sont de trois ordres : maraboutique, confrérique, et guerrier337. L'islam maraboutique est une adaptation du texte aux croyances animistes locales ; « Pour ce faire, le marabout emprunte volontiers des recettes à la magie noire pour mieux asseoir son autorité »338. Son origine est liée au soufisme, fondé au VIIIème siècle par Hassan al Basri, un Perse qui, après avoir compilé les hadiths, invite les croyants à pratiquer un islam fondé sur la

332MERIBOUTE, Zidane, Islamisme, soufisme, évangélisme : la guerre ou la paix, Genève, Labor et Fides,

2010, p.10

333MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.833

334Ibid., pp.836-837

335Ibid., p.837

336Ibid.

337Ibid., p.834 338Ibid. p.835

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relation personnelle à Dieu339 ; « Dès leur apparition ils se sont efforcés d'imiter la personnalité de Mohamed et de se séparer du commun des fidèles par leur pratique intensive d'exercices spirituels et de mortifications sensuelles »340. Ainsi cette tendance de l'islam permet une grande malléabilité et adaptation aux traditions animistes locales, souvent teintée de mysticisme, voire de sorcellerie.

« Au sens propre, un murabit désigne, depuis le VIIIè siècle, quelqu'un qui vit dans un ribat, une place forte aux frontières du territoire islamique. Le ribat est occupé par des volontaires qui vont y accomplir un acte religieux pieux assimilé au djihad. En pratique, il leur revient d'assurer la protection des frontières à l'assaut saisonnier contre les voisins infidèles, que ce soit les Byzantins d'Asie Mineure, les Wisigoths d'Espagne ou les royaumes d'Afrique occidentale comme le Ghana médiéval [...] Les Al-moravides, dynastie berbère du XIè siècle, doivent ainsi leur nom à la déformation occidentalisée du terme désignant les habitants d'un ribat (al-Murabitun) [Aujourd'hui, Al-Murabitun est un groupe armé djihadiste du Sahel fondé en Aout 2013 de la fusion du MUJAO et des Signataires par le sang]. »341

Le terme de marabout s'est élargi, et désigne une sorte de sorcier guérisseur qui a perdu sa fonction militaire à la colonisation - sa puissance mystique lui donne cependant, une autorité absolue dans sa communauté ; « Il occupe dès lors une fonction qui recouvre en partie celle de l'imam, mais qui autorise aussi des pratiques ésotériques réservées à un plus haut degré de proximité au divin, ou de malice »342.

« Aux XIXè et XXè siècles, les mouvements anticoloniaux en Afrique, avec leur dimension maraboutique, ont nourri une tradition militante de réforme islamique. Chaque confrérie ou groupe religieux a combattu dans une optique déterminée et pour des objectifs limitées à leur zone de contrôle politique. Certains d'entre eux ont abouti à des radicalisations, au sein de formations que l'on regroupe sous le vocable de djihadistes, notamment dans le Sahel. »343

339DURIEUX, Jacob, « Murabitun. Soufisme et Jihad », Academia, [En Ligne], PDF URL : http://www.academia.edu/9864257/Murabitun._Soufisme_et_Jihad

340 Ibid. 341Ibid.

342 Ibid.

343 Ibid.

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Les tendances traditionnalistes ont également pour ressort l'islam confrérique africain : Shasiliya, Khalwatia, et les deux plus importantes, Quadiriya et Tijanya344.

« Longtemps méprisés, parce qu'incroyants, et achetés comme esclaves tant par les Européens que par les Arabes, les Africains « noirs » sont demeurés, en entrant dans le monde de l'islam, l'objet de la condescendance des Arabes, qui les ont tout simplement invités à se considérer à peu près comme des musulmans de deuxième catégorie. Cependant, les confréries soufies (turzcq sing. Tariqa) avec leurs activités culturelles centrées sur les mausolées saints locaux et organisées par la hiérarchie de leurs descendants, ont apporté une fin de non-recevoir à une telle invite. Les turzcq ont fourni à l'Afrique « noire » son propre leadership religieux. »345

Cet islam est l'adaptation la plus marquée par la culture sociale africaine - le sentiment d'appartenance, y compris à l'islam, ne pouvant être perçu par l'individu qu'à travers son adhésion à une communauté, et donc une confrérie mystique346 ; « Les chefs de ces confréries représentent souvent une force politique ou plus précisément, un important potentiel électoral avec qui l'homme politique juge souvent bon de composer »347. En plus de facteur de cohésion socialo-religieuse et de référent identitaire, ces confréries sont également des vecteurs d'éducation, bien qu'il existe des oppositions, parfois virulentes, entre confréries, ou bien au sein des confréries elles-mêmes.

« Ce qui favorise davantage la propagation de l'islam confrérique c'est essentiellement le fait que le Négro-Africain, d'une manière générale, qui vit en collectivité se sent moins isolé et partant plus en sécurité dans le cadre d'une confrérie où, en marge des pratiques d'ordre strictement islamique, les adeptes sont tenus d'observer un certain nombre de règles de vie communautaire. »348

L'islam guerrier est la dernière des trois voies traditionnalistes de l'islam africain. Il se réfère aux présupposés arabiques de l'islam, dans une sorte de confusion entre le religieux et l'histoire - notamment, une adaptation des principes de conquête et d'expansion au souvenir des Empires de la route actualisé.

344MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.834

345D. C. O'Brien, « La filière musulmane, confréries soufies et politique en Afrique noire », traduit de l'anglais

par Christian Coulon, Politique Africaine, [En Ligne], PDF, p.7

URL : http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/004007.pdf

346MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.835

347Ibid.

348Ibid., p.834

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« Faisant suite aux bâtisseurs de ces Empires [Empires du Moyen-âge africain], de puissants prosélytes doublés de chefs militaires d'une valeur incontestable : Ousman Dan Fodio au Nigéria (XIXè siècle), El Hedj Omar Tall (XIXè siècle) dans le Haut-Sénégal, Almamy Samory Touré (XIXè siècle), en Guinée, ont réalisé des poussées d'une longue portée pour étendre le domaine de l'islam. »349

Peuls, Toucouleurs et Haoussas jouent un rôle important dans les djihads africains ; « les dernières tentatives de guerre dite sainte ou jihad qu'a connu l'Afrique « noire » datent de la fin du XIXè siècle »350. Ces djihads sont motivés par une certaine propension à l'unité et à l'homogénéité d'un islam divisé (par la mise en place du monopole d'une confrérie au détriment des autres). Le modèle arabique prévaut, et les instigateurs de ces djihads rejettent toutes les pratiques importées, extérieures au livre saint. Ab extra, ce sont les contextes politiques et les enjeux géopolitiques qui motivent intrinsèquement ces mouvements guerriers. Dès 1804 la contestation se développe à l'encontre des chefs haoussas : leur islam adapté aux pratiques ancestrales fait l'objet d'une critique religieuse rejetant toute coutume haram, alors mêmes que leurs « Etats » contrôlent les routes du Soudan central.

De la fin du XVIIIème siècle à la fin du XIXème siècle, Malik Sy crée l'Empire Boundou aux abords de l'actuel Sénégal. De 1720 à 1886, des Peuls islamisés prennent le pouvoir dans le Fouta-Djalon, imposant une théocratie esclavagiste. De 1810 à 1862, dans le Macina, Amadou Lobo de la confrérie Quadiriya établit un « Etat » théocratique. De 1849 à 1894, El Hedj Omar de la confrérie Tijanya fonde l'Empire toucouleur, du fleuve Sénégal à Tombouctou. De 1804 à 1903, le Peul Ousman Dan Fodio, puis son fils Mohamed Bello, construisent le Califat de Sokoto, et imposent l'islamisation, l'arabisation de l'haoussa, et l'esclavage des non musulmans351. Le cercle vicieux des oppositions est le nerf du djihad, y compris moderne - il les enlise, les catalyse, les gangrène autour de trois fractures principales : religieuse (musulmans / non-musulmans), ethnique (ethnies dominantes / ethnies dominées), et sociale (anciens esclaves / anciens esclavagistes).

349Ibid., p.836

350MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.836

351FOUCHER, Michel, « Les 5 djihads du XIXe siècle », Le Un, n°43, février 2015

o 77

Ousmane352 Dan Fodio et le Califat de Sokoto

Peul musulman, Ousmane Dan Fodio se révolte contre l'islam hybride des chefs haoussas, et commence le djihad au Nigeria actuel ; il « fut porté par l'idée de construire dans l'ouest africain une société régie selon les préceptes de l'islam tel qu'il lui avait été enseigné au sein de la confrérie Qadiriya »353. Chassé par le roi de Gobir il s'exile dans le désert, entame son propre Hégire354. Des nomades peuls opposés au pouvoir des chefs haoussas le rejoignent et le proclament Emir al Mouminin (« guide des croyants »)355. Dès lors, il lance un appel au djihad et constitue une armée ; « Le djihad fut lancé en 1804 et rallia les chefs religieux. La conquête des villes fut facilitée par l'efficacité de la cavalerie peul et le ralliement de la population acquise au djihad par la promesse d'une justice fiscale »356.

Ousmane Dan Fodio fut le maître d'un vaste territoire, à la tête duquel son fils Mohamed Bello lui succède ; « L'ordre établi par le Califat favorise l'expansion de l'islam, le commerce, l'arabisation de la langue haoussa et l'esclavage aux dépens des non-musulmans, avec le Califat Abasside (VIIIè - XIIIè) comme référence et la charia comme loi »357.

o Sékou Amadou et le Califat peul du Macina

Les Peuls vivant dans les royaumes bambaras du Kaarta et de Ségou se révoltent contre leurs souverains animistes358. Ousmane Dan Fodio nomme Sékou Amadou cheikh. Il s'autoproclame ensuite Emir, affirmant qu'il est le douzième imam359. Sékou Amadou prend la tête de la contestation peule dans le Macina. A la mort d'Ousmane Dan Fodio il se déclare indépendant du Califat de Sokoto et de son nouveau dirigeant Mohamed Bello360.

« Poursuivant ses campagnes, mais désormais vers le sud puis vers l'est, il s'empara de Djenné en 1819 et se donna une capitale, Hamdallahi (« louange à Dieu »), ville fondée

352Othman en arabe, qui est le nom du troisième calife de l'islam.

353LUGAN, Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, Monaco, Editions du Rocher, 2013, p.41 354Ibid.

355Ibid.

356FIERRO, Alfred, « OUSMAN DAN FODIO (1752 env.-1816) », Encyclopædia Universalis, [en ligne],

consulté le 18 mai 2015

URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ousman-dan-fodio/

357FOUCHER, Michel, « Les 5 djihads du XIXe siècle », op. cit.

358LUGAN, Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.41

359Nous avons ici un phénomène particulier, puisque Ousmane Dan Fodio est à la fois émir (calife de la tradition sunnite), et douzième imam (tradition du chiisme duodécimain).

360Ibid.

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en 1820. Dans les années suivantes, il élargit ses conquêtes, y englobant Tombouctou ; vers le sud, il les étendit jusqu'à la confluence du Sourou et de la Volta noire et il constitua l'Empire peul du Macina. »361

Son fils et successeur Amadou Sékou fut combattu et détrôné par les Bambaras, et les Touareg de la région de Tombouctou362.

o El Hedj Omar et le Califat toucouleur

Omar tente de ressusciter l'élan religieux et l'esprit du djihad contre les Etats païens à l'est de la Sénégambie. Il critique de manière virulente l'hérédité des fonctions politiques et la confiscation de la zakkat par les riches chefferies363.

Né dans une famille peule islamisée membre de la confrérie Quadiriya, il rompt avec elle avant de rejoindre la confrérie Tijanya. Grâce à ses réseaux, il entreprend de nombreux voyages entre l'Arabie et l'Afrique du nord, et suit une formation militaire au côté de Mohamed Bello364. Nommé Grand Calife de la confrérie Tijanya, il se fixe pour objectif l'islamisation de l'Afrique de l'ouest et s'attaque au royaume bambara de Kaarta divisé sur des questions dynastiques. Il tente de prendre Médine, un poste français du Haut-Sénégal, mais est repoussé par les troupes françaises. Il poursuit ses conquêtes en envahissant Ségou - dans le même temps, les Bambaras de la région s'allient au Califat peul du Macina qui entre en guerre contre El Hedj Omar. Après sa victoire, ce dernier installe son fils Amadou Tall au pouvoir. A Tombouctou, une résistance se forme autour de la confrérie Quadiriya - El Hedj Omar trouve la mort en combattant leur chef El Bekay365. Amadou Tall ne résiste pas longtemps à cet échec : à l'intérieur du Califat, des luttes fraternelles pour la succession éclatent, à l'extérieure, la résistance des Bambaras persiste366.

361LUGAN, Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.42 362Ibid.

363Inspection des écoles françaises d'Afrique Occidentale, « L'expansion de l'islam », Ipefdakar, [En Ligne], PDF

URL : http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCIQFjAA&url=http%3A %2F% 2Fwww.ipefdakar.org%2FIMG%2Fdoc%2FL_expansion_de_l_islam.doc&ei=MSFaVeyhLYP4ywODiY H4Cg&usg=AFQjCNEHYOoVbxVTJW2Y6RIrXYhlg6Je9A&sig2=wDr2vbeMEz4OXF8kdc4yUQ&bvm=bv.9 3564037,d.bGQ

364LUGAN, Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, op. cit,, p.43

365Ibid.

366L'Empire toucouleur disparait avec la conquête française. En Avril 1890, le lieutenant-colonel Louis Archinard prend Ségou. En août 1892, un décret constitue la colonie du Soudan français.

« En conclusion, on peut affirmer que tout au long des XVIIIe et XIXe siècles ; l'islam a eu à jouer un rôle très important dans l'évolution sociopolitique des Etats où il était présent. Se présentant comme une alternative politique possible, l'islam est intervenu dans la vie des sociétés du Soudan à chaque fois que l'ordre traditionnel a commencé à être bouleversé par les grands évènements de l'histoire. L'expansion musulmane continue pendant l'ère coloniale, puisque dès le début du XXe siècle quand par exemple la France s'installe au Sénégal, la destruction des anciens cadres d'évolution des populations colonisées facilitent l'implantation des confréries religieuses qui deviennent les nouvelles structures d'encadrement de cette société en perte de repères. »367

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367Inspection des écoles françaises d'Afrique Occidentale, « L'expansion de l'islam », op. cit.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry