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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 35 : LE SCANDALE DES COLLECTES DE SANG EN MILIEU CARCERAL COMME REVELATEUR DES FAIBLESSES DE L'ORGANISATION DES SOINS EN PRISON

Bien que l'information soit déjà apparue en novembre 1991, le scandale des collectes de sang en prison éclate au printemps 1992 lorsque deux journalistes du Monde publient dans les éditions des 11 et 12-13 avril une longue enquête affirmant que « la responsabilité de nombreuses autorités médicales, sanitaires et judiciaires dont les décisions, facilitant ou multipliant les collectes de sang en prison, ont été directement à l'origine de plusieurs milliers de contaminations »2316(*). Les articles incriminent notamment la Direction de l'Administration pénitentiaire pour avoir demandé, par la circulaire du 13 janvier 1984 entièrement reproduite dans le journal2317(*), l'intensification des prélèvements ou encore pour avoir freiné l'arrêt des dons de sang, au cours de la réunion du Comité Santé/Justice du 10 juin 1985 dont le procès-verbal est cité. Au-delà des responsabilités individuelles, les journalistes pointent du doigt les incohérences du système transfusionnel français mais également « la politique du secret » adoptée par le ministère de la Justice face au problème du sida en prison :

« Plusieurs éléments témoignent de la volonté de certains des représentants des pouvoirs publics d'empêcher certaines voix médicales ou scientifiques d'expliquer qu'une proportion importante des détenus était contaminée ou pouvait l'être. Un risque épidémique que l'on pensait à tort maîtrisé, la volonté de poursuivre une pratique aidant au maintien du fragile équilibre pénitentiaire et le souci de ne pas stigmatiser gardiens et détenus en assimilant prison et sida, tout cela explique que l'on ait continué les collectes de sang là où le risque de contamination était le plus grand »2318(*).

Si aucun journaliste ne contesta qu'il y ait un scandale, L'Evénement du jeudi reprocha cependant aux deux journalistes du Monde d'avoir publié ces informations pour entretenir la défense de Michel Garetta, l'ancien directeur général du CNTS2319(*). Afin de mettre fin à la polémique, les ministres des Affaires sociales, René Teulade, de la Santé, Bernard Kouchner et de la Justice, Michel Vauzelle, confient le jour même une mission conjointe à l'IGAS et l'IGSJ dont les résultats sont prévus en novembre.

Le Monde crée une nouvelle fois l'événement en publiant dans son édition du 5 novembre les conclusions du rapport à partir d'une note de synthèse de huit pages, non signée, daté du 23 octobre résumant la première version de l'enquête2320(*). Le soir même, les ministres de la Justice, des Affaires sociales et de la Santé précisent dans un communiqué commun que le document alors en circulation est un « projet » susceptible d'être modifié après avis des personnes mises en cause ayant un droit de réponse. Les conclusions de la note de synthèse sont reprises le lendemain dans la plupart des quotidiens. On assiste dans les jours qui suivent à la publication d'entretiens et de documents inédits dans le cadre d'une concurrence acharnée pour l'information2321(*). Probablement en lien avec cette forte pression médiatique, le rapport est finalement rendu public le 6 novembre suscitant la publication de très nombreux articles en l'espace de quelques jours2322(*).

Dans l'échelle des responsabilités, le rapport place les Centres de transfusion sanguine en première ligne. Ils leur reprochent tout d'abord d'avoir sous-estimé les risques de contamination liés à ces collectes pour des raisons aussi bien « intellectuelles » que « pratiques » : « En effet, les collectes de sang en prison telles qu'elles ont pu être appréhendées par la mission étaient surtout caractérisées par un souci évident de rentabilité » (p.81). Du fait de la non prise en compte des signaux d'alerte envoyés par quelques transfuseurs, les inspecteurs délivrent un réquisitoire sans équivoque contre le réseau français de transfusion sanguine : « La responsabilité des ETS dans l'existence et la poursuite prolongée des collectes de sang en prison est déterminante » (p.97). Dans l'examen des différentes responsabilités, le rapport s'attarde en second lieu sur le rôle de la DGS et du cabinet du ministre de la Santé, Edmond Hervé : « L'attitude de l'administration de la santé - ce terme étant entendu de façon globale peut -être considérée comme défaillante » (p.172).

Les inspecteurs relativisent en revanche la responsabilité de l'Administration pénitentiaire et du ministère de la Justice dans ces collectes : « L'AP, sans autres informations que celles que véhiculaient les médias, souvent contradictoires [...] ignorait encore à la fin de l'année 1984, et même dans les premiers mois de 1985, ce que seuls savaient sur l'épidémiologie du sida quelques spécialistes de la recherche médicale » (p.130). Il est ainsi établi, au vu de cette sous-information de l'Administration pénitentiaire, que « dans sa conception et ses objectifs- la note de l'AP du 13 janvier 1984 n'est pas fautive » (p.141) alors même que son incidence sur le volume des prélèvements en milieu carcéral est relativisée (p.145).

La faible responsabilité de l'Administration pénitentiaire, et notamment de sa directrice, s'explique selon le rapport par l'organisation de la médecine pénitentiaire décrite comme un des facteurs explicatifs de la survenue du scandale. Les services médicaux des établissements pénitentiaires étaient en effet tenus, selon une note du 7 août 1963, de « signaler les détenus [candidats au don de sang] pour lesquels le prélèvement semblait médicalement déconseillé ». Pourtant l'enquête souligna que de nombreux toxicomanes ont pu donner leur sang.

« Exemple topique » du cloisonnement des prisons françaises, soulignent les inspecteurs, la médecine pénitentiaire était jusqu'en 1983 une « une médecine spécifique, dépendant totalement de l'AP, aussi bien pour son organisation, ses modalités d'exercice que pour son financement » (p.121). En dépit des avancés liés à la réforme de l'inspection médicale, le rapport souligne les faiblesses de l'organisation du service médical pénitentiaire à partir desquelles les défaillances de l'Administration pénitentiaire sont justifiées. L'absence d'un « véritable conseiller médical » et une moindre prise en compte de l'IGAS expliquent que Myriam Ezratty ait pu adopter la note du 13 janvier 1984 sans être informée des risques. De même, les « moyens médicaux très insuffisants » à la disposition de la médecine pénitentiaire rendaient difficile une sélection des donneurs :

« Les médecins pénitentiaires n'étaient pas toujours en mesure de satisfaire dans les meilleures conditions aux dispositions de l'article D.285 et D.375 du CPP qui leur imposent de nombreuses visites et examens cliniques des détenus et notamment l'examen systématique de tous les entrants. Ainsi, peut s'expliquer, en partie, la non observation régulière des dispositions de la note du 7 août 1963 de l'AP » (p.132).

Ainsi, le scandale des collectes de sang en prison fut l'occasion de souligner, alors même que la réforme était en cours de discussion dans les ministères, les carences de la médecine pénitentiaire accusées d'être l'une des principales causes à l'origine d'un drame national en matière de santé publique2323(*).

* 2316 NOUCHI Franck, NAU Jean-Yves, « Contamination : le sang des prisons », Le Monde, 11/04/1992.

* 2317 Une note datée du 13/01/1984 et signée par la DAP Myriam Ezratty fut adressée aux chefs d'établissement autorisant l'accroissement des collectes de sang en prison, jusque-là limitées à deux fois par an dans le même établissement. Ce document fut largement au centre des polémiques.

* 2318 NOUCHI Franck, NAU Jean-Yves, « Contamination : le sang des prisons », Le Monde, 12-13/04/1992.

* 2319 En novembre 1992, L'Evénement du jeudi accuse les deux journalistes du Monde d'avoir entretenu une relation de « connivence » avec Me Charvet, l'avocat de Michel Garretta, condamné le 23 octobre 1992 à quatre ans de prison ferme. Me Charvet aurait notamment demandé conseil à Franck Nouchi, un ami de Michel Garretta, afin de mettre au point la meilleure stratégie pour défendre son client. Le journaliste aurait, au cours d'une conversation retranscrite dans l'hebdomadaire, laissé entendre que d'autres affaires éclateront prouvant que Garretta n'est pas seul fautif. Une polémique s'enclenchera alors entre Le Monde et L'Evénement du jeudi qui évoque l'existence « d'un plan marketing visant à organiser une campagne médiatique [...] pour absoudre en grande partie le Dr Garretta [...] en noyant sa responsabilité particulière dans une culpabilité collective » (KAHN Jean-François, « Le scandale du sang, « L'EDJ », « Le Monde » et l'information volée », L'Evénement du jeudi, 12-18/11/1992).

* 2320 « Les suites de l'affaire du sang contaminé. Le drame des collectes en prison », Le Monde, 5/11/1992.

* 2321 Patrick Champagne et Dominique Marchetti rendent ainsi compte largement du scandale du sang contaminé par le développement d'un journalisme d'investigation « à scandales » en lien avec la démédicalisation de l'information médicale au sein du champ journalistique (CHAMPAGNE Patrick, MARCHETTI Domonique, « L'information médiatique sous contrainte. A propos du "scandale du sang contaminé" », art.cit.).

* 2322 Les membres de l'IGSJ étaient Jérôme Géronimi, Patrick Henry-Bonnot et François Feltz. Les membres de l'IGAS étaient Aquilino Morelle, Thérèse Roquelle et Michel Vernerey. Toutes les citations sont extraites du rapport final (IGAS-IGSJ, Les collectes de sang en milieu pénitentiaire, Paris : I.G.S.J. (éditeur), Paris : I.G.A.S (éditeur), 1992/11, 190 p).

* 2323 Cette analyse des responsabilités fut cependant contestée, notamment par le Dr Michel Garretta, en raison de la partialité supposée de Michel Lucas qui était à l'époque chargé, en tant que Chef de l'IGAS, de contrôler la prise en charge sanitaire en prison. Le service d'inspection dont il a encore la charge en 1992 n'aurait pas du être chargé selon certains de ce rapport.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984