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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 36 : ENTRETIEN AVEC DANIEL GONIN

Daniel Gonin, psychiatre effectuant des psychothérapies de groupe en prison depuis 1962 puis exerçant en tant que généraliste à la M.A de Lyon de 1967 à 1989, membre du GMPQ. En retraite. Entretiens réalisés les 25/02/2008, 10/03/2008, 26/03/2008. Durées : 2H ; 2H ; 2H.

Ne sont cités ici que des extraits de l'entretien.

E.F : Comment avez-vous été amené à effectuer des psychographies de groupe en 1962 ?

D.G : Après ma psychiatrie, je cherchais les différents moyens thérapeutiques et j'ai travaillé à ce moment là avec Anzieu. C'est un psychanalyste qui avait fait un organisme qui était le CFAP qui avait fait des formations de groupe et puis qui avait fait ensuite des groupes de différentes natures, des groupes thérapeutiques, des groupes d'évaluation diagnostic, de sensibilisation à la prévention du suicide. Moi, donc, je m'étais formé là puis j'avais animé des groupes pendant assez longtemps. On travaillait souvent dans la banlieue parisienne. Et puis ensuite, j'ai fait différentes formations, dont une formation aux Etats-Unis avec quelqu'un qui était connu et qui faisait des rencontres de non-directivité. C'était accepter ce qui se passe dans le groupe et puis le refléter soit par la répétition d'une phrase qui sortait de la bouche de quelqu'un, soit de façon plus ramassée. Après j'ai été à Pao-Alto, un endroit mondialement connu parce que c'est là que sont nées les thérapies familiales. Tout ça, c'était centré sur le groupe.

E.F : À l'époque vous aviez quel statut ?

D.G : J'étais assistant ici des hôpitaux. J'avais été interne dans les différents hôpitaux psychiatriques lyonnais puis ensuite beaucoup au Pavillon « N » qui était le pavillon d'urgences, où on faisait de la neurologie, de la psychiatrie et, après, de la réanimation. Alors, dans le cadre de l'urgence on a reçu des détenus. Car le premier pavillon d'urgence qui a été fait en France, avec l'Hôtel Dieu à Paris, a été créé à [l'hôpital] Edouard Herriot par le Pr Roche qui était professeur de médecine légale et c'est ce qui a donné l'aspect médico-légal à l'urgence. Ce qui n'a pas toujours été repris mais... Pourquoi ? Parce qu'on avait à faire face à un certain nombre de suicides qui posent des problèmes médico-légaux, parce qu'on avait affaire à des toxicomanes qui posent aussi, entres autres, des problèmes médico-légaux ; qu'on avait affaire à des crises psychiatriques, donc là aussi avec des questions liées à l'internement psychiatrique. Après, on a eu tous les problèmes de mort en réanimation. Quand arrête t'on par exemple de traiter un coma dépassé ? Là aussi, c'est un problème médico-légal. On était donc assez bien placé par rapport aux autres pavillons d'accueil pour traiter les détenus. Et puis vous savez qu'à la prison, le Pr Colin, avec un praticien hospitalier, a créé l'Annexe psychiatrique. Ça a été, on pourrait dire, l'ancêtre de tous les SMPR.

E.F : Vous connaissez les conditions dans lesquelles il a été amené à s'intéresser à cela ?

D.G : Le Pr Colin a fait partie du mouvement de résistance « Témoignage chrétien ». Diffusion de journaux. C'était en 44. Il a connu Fully qui a été déporté à dix-sept ans qui était inspecteur général de l'Administration pénitentiaire. Colin et lui, et puis moi par la suite, nous avons milité au mouvement de résistance du FLN. Colin et Fully avaient été envoyés en mission dans les prisons algériennes pour constater les exactions. Du coup, ils ont été aussi voir les détenus FLN ou MNA qui étaient incarcérés à Saint-Paul. Ils étaient autour de 150 à ce moment là. Ils sont arrivés en prison au moment du conflit algérien. On ne peut pas dire qu'ils étaient pour le FLN mais ils n'étaient pas pour ceux qui maintenaient la présence française en Algérie. Donc il y a eu aussi des sympathisants ou des amis qui eux sympathisaient ou protégeaient le FLN. A ce moment là, on a vu, moi je n'y étais pas, on a vu l'état des prisons, en particulier lyonnaises. Fully qui était sensibilisé à la détention ne pouvait pas supporter l'état des prisons à ce moment là. Et ça a créé un mouvement ici de sympathie avec les détenus du FLN. Colin a vu l'état dans lequel se trouvaient les prisons, et en particulier la médecine somatique.

E.F : Et à ce moment là, Fully n'était pas médecin inspecteur ?

D.G : Non pas encore. Il n'était pas médecin légiste mais était intéressé par la médecine légale. Il n'a jamais fait d'autopsie. Il n'a pas eu la formation que nous avons tous eu, classique. Sa formation a plus été une formation psycho-sociale, politique aussi. Dans le sens de la gauche, résistant, voulant une démocratie active. Je ne crois pas qu'il était dans un parti. Ici, on était du côté des socialistes. On n'avait pas tous notre carte mais on était proches. Tous ceux qui sont venus étaient attirés à la fois par ce qu'on faisait à la prison, à l'hôpital et à la faculté, et... aussi par les idées de gauche.

E.F : Et les conditions dans lesquelles le Pr Colin a créé l'Annexe...

D.G : Il a demandé d'abord à un médecin de l'hôpital psychiatrique, le Dr Broussole, qui avait des sympathies avec nous et avec qui on travaillait un peu, s'il ne voulait pas faire des consultations... Alors on a obtenu de l'Administration, qu'il y ait des consultations et on peut dire que, petit à petit, ça s'est construit. Par exemple, après on a demandé à ce que des surveillants fassent des stages à l'hôpital psychiatrique. Parce que c'était difficile de sélectionner en somme dans un coin de la prison les gens qui avaient des troubles avec des surveillants qui ne connaissaient rien du tout en psychiatrie et avaient du mal, au niveau de la discipline par exemple, à faire le tri entre ce qui relevait d'un symptôme psychiatrique et ce qui était de l'ordre de la protestation. Et puis très vite, il est apparu que les consultations ne suffisaient pas. En particulier, qu'il y ait une petite unité médicale, notamment médicamenteuse. Il fallait une distribution. Comme il n'y avait aucune infirmière formée à la psychiatrie. Et puis, à ce moment là, les infirmières psychiatriques étaient formées dans les hôpitaux psychiatriques [...] Ces surveillants faisaient des stages de trois mois dans le service de Broussole. Tout cela était très difficile. Tout le temps bloqué, tout le temps gêné, des contraintes... Ces gens étaient obstinés. Ils avaient une croyance. C'étaient des chrétiens de gauche. Ils avaient à la fois une croyance religieuse et puis une croyance dans la société. Alors, au-dessus du bâtiment où il y avait l'infirmerie, il y avait le service psychiatrique. Broussole a fait venir un interne et ça s'est petit à petit construit comme ça. Et l'administration était bien sûr pas très contente mais ça ne lui coûtait rien... parce que c'étaient des services extérieurs. Tout était pris en charge par l'hôpital. Ça nous a bien servi d'ailleurs après, parce que l'Annexe psychiatrique s'est développée. Il y a eu un assistant, des internes qui venaient. Les infirmiers avaient une blouse blanche et puis petit à petit, l'Annexe a obtenu d'avoir quelques crédits de l'hôpital pour avoir un secrétariat, une assistante sociale. Ensuite, c'est là où nous avons fait des groupes, Mme Buffard étant la première.

E.F : Le fait que des surveillants puissent avoir des fonctions d'infirmier....

D.G : ...a posé d'énormes problèmes, en particulier avec les syndicats qui n'ont jamais accepté. Par exemple, par la suite quand j'ai voulu former un manipulateur pour l'appareil radio, le syndicat s'y est opposé. Le principe du syndicat, c'était que tous les surveillants devaient avoir le même rôle, les mêmes horaires, une espèce d'égalité dans le travail. Et c'est pour ça que ça a posé beaucoup de problèmes pour les surveillants qui ont fait leur travail en deux temps. Ça ne rimait à rien de leur faire faire des horaires comme tous les autres surveillants. Il fallait être là quand le médecin était là. Ca a été une grosse difficulté. Et comme j'avais pris le même cadre pour les surveillants de l'infirmerie, ça a posé beaucoup de problèmes. Les autres avaient déjà un peu creusé le sillon. C'étaient des gens qui aiment ce qu'ils faisaient. Et puis c'était plus intéressant pour eux au niveau des horaires parce qu'ils ne faisaient pas de nuit. En général, ils aimaient ça. Ils voyaient le psychiatre, les experts, etc. Et puis après ils avaient des contacts avec les infirmières.

E.F : Ils se sentaient plus surveillants ou plus infirmiers ?

D.G : Ils se sentaient très infirmiers. Ils savaient les médicaments, comment réagir en cas d'urgence... Ils savaient des trucs utiles. Il faut bien reconnaître qu'on les formait un peu sur le tas. Vous comprenez, le problème de la médecine c'est qu'une prison, c'est une cellule dans un étage, dans un quartier, dans un bâtiment, dans une prison. C'est une succession de prisons. Donc, la nuit les effectifs sont réduits et quand vous avez quelqu'un qui a une douleur, il tape à sa porte, parce qu'il n'y aucun moyen moderne, il n'y a pas de sonnette, alors il réveille en général son étage. Le surveillant demande. Il a interdiction d'ouvrir la porte à ce moment là. Il y a des consignes de sécurité qui sont importantes. Il faut qu'ils y aillent au moins à trois. Ensuite, ils vont voir la réalité. Ils vont demander au type ce qu'il a. Alors l'Administration voulait que le médecin se déplace aussi. On pouvait pas, étant donné les tarifs qui nous ont été donnés, c'était impossible d'aller en plus faire les urgences nocturnes. Donc c'était une association de médecins de quartiers qui y allait. En plus, on avait plus tard acquis une ambulance. Quand c'est une urgence qui est du genre un malaise diabétique, si quelqu'un voit les détenus il peut répondre, faire quelque chose si on lui dit comment faire par téléphone. Donc, il y avait toujours quelqu'un qui pouvait avoir accès aux fichiers médicaux. Autrement dit, dans la journée aussi, les surveillants dits infirmiers pouvaient intervenir pour l'urgence mais qui ne nécessitaient pas une extraction. En général, la nuit, on donnait les clefs de l'infirmerie à un premier surveillant à qui on disait : « Vous êtes astreint au secret professionnel ! ».

E.F : Et à ce moment là, la médecine somatique ça représentait quoi ?

D.G : La médecine somatique au début, ça représentait pas grand-chose. C'était une médecine de charité. C'étaient souvent des gens qui étaient là aussi engagés dans un processus religieux. C'était quelqu'un qui avait une croyance qui y allait. Ça faisait un peu pendant à la logique des visiteurs. Ils venaient pour voir, assister. Ils venaient avec leur propre matériel, leur marteau à réflexes. Ils distribuaient des médicaments classiques, comme l'aspirine. Quand je suis arrivé, deux médecins étaient déjà passés, il y a eu Hochmann qui exerçait en tant que généraliste, il y avait le Dr Pye qui était aussi psychiatre. Ce sont des médecins qui ne sont pas restés très longtemps car tout ce qu'ils faisaient allait contre la discipline. Ils voulaient des pièces pour être seuls avec leurs malades et la règle c'était : « Tout voir et tout entendre ». Ça a fait des clashes et moi, quand je suis arrivé, on voulait m'imposer, disait-on pour ma sécurité, la présence d'un surveillant. C'était inadmissible ! J'ai dit : « Non, non ». Alors, on m'a fait signé un document m'engageant à accepter d'avoir des gros dégâts. Je savais que c'était faux mais j'ai tout signé. Je ne vois pas pourquoi ils me sauteraient dessus. Je venais de l'hôpital psychiatrique, en plus, donc il y avait bien plus de raisons là bas pour que quelqu'un vous... Donc il n'y avait aucune raison que... D'autant plus que je savais bien que ce n'était pas pour moi. C'était pour que rien n'échappe à l'Administration. J'ai fait ça dès le début parce que sinon on m'aurait dit : « Mais vous l'avez bien fait pendant quelques temps, pourquoi.... ». Non. Alors, dès le début, j'ai demandé un appareil radio. Dès le début, j'ai demandé un tas d'examens qui ont été fabriqués. Plutôt que d'acheter un matériel, ils l'ont fabriqué avec des tubes qu'ils ont soudés. Rien ne pouvait être acheté dans un magasin pour un atelier médical.

E.F : Parce qu'en 1967, l'infirmerie ça représentait quoi ?

D.G : Ça représentait deux pièces. C'était le bâtiment H qui était le plus grand bâtiment. En face de l'entrée, vous avez le bâtiment H qui est avec des coursives. A gauche, au début, après les grilles d'entrée. Il y avait deux pièces. Une pièce pour les infirmières et une pièce pour le médecin. On avait enlevé la porte pour qu'on puisse tout entendre. J'avais demandé qu'on me donne un tensiomètre. Un truc minimaliste mais voilà quoi ! Et, il n'y avait pas, il n'y avait pas de chambre d'infirmerie. Alors quand quelqu'un n'allait pas bien, quelqu'un de contagieux par exemple, on avait mis une cellule qui était destiné à cela mais qui était à l'autre bout de la prison. Après, j'ai demandé à avoir plus de place. Par exemple pour faire les soins. On ne pouvait pas à la fois faire tout ce qui était administratif et puis faire les piqûres, pansements. Il y avait deux infirmières qui étaient braves mais qui étaient, elles aussi, dans le ronron de la prison. Elles n'avaient pas d'exigence. Par exemple, le surveillant venait, il voyait. Elle ne demandait pas de nouveaux médicaments aussi. Parce que le problème de la médecine pénitentiaire, c'est qu'elle était coupée du reste. A part nous, qui venions de l'extérieur. Mais quand les gens venaient dans une action charitable, ils n'avaient pas beaucoup d'exigences. Ils payaient de leur personne.

E.F : Et par contre, il y avait des spécialistes qui venaient ?

D.G : Ce qu'il faut dire, c'est qu'en même temps, il y avait un souterrain entre les deux prisons. Et, comme les communications étaient difficiles le temps que les gens passaient par les souterrains, il y a eu l'installation à Saint-Joseph d'un cabinet médical qui est toujours resté un petit cabinet médical. C'est là où était le Dr Mégard, qui lui était résistant. Il était résistant dans son coin. Résistant, à la pression de l'institution. Alors que les autres ont été expulsés. Ils sont tous partis soit d'eux-mêmes, soit parce qu'on faisait pression sur eux. Il y avait aussi un couple Vermorel qui a été à Grenoble. Hochmann est resté comme consultant psychiatrique et il a fait des groupes d'alcooliques.

E.F : Et les groupes de psychothérapie ?

D.G : Oui je suis rentré [en prison] parce que j'avais une expérience de groupes. Je suis arrivé à la fois parce que je cherchais ma voie, et Colin avec qui je travaillais déjà comme assistant à l'hôpital, me disait : « Ça serait bien que vous travaillez en prison ». J'ai commencé au début avec Mme Buffard. J'étais là pour voir comment ça se passait.

E.F : Quelles ont été les principales difficultés ?

D.G : Alors la principale difficulté a été que les détenus viennent régulièrement. Alors ça pouvait venir du détenu lui-même. Parce qu'avant de faire le groupe on rencontrait individuellement les détenus qui s'étaient présentés. Il expliquait ses motivations. Il acceptait mais parfois c'était contraignant. Ça venait alors qu'il avait un parloir. Ça pouvait venir du détenu dont la structure psychique empêchait l'engagement. Et puis l'Administration pénitentiaire qui disait : « Oui mais... Il est dangereux... Donc, on le re-convoque pas, on ne veut pas qu'il y aille... ». Il y avait le fait aussi que les groupes n'étaient pas très bien acceptées pour les raisons que je vous disais, à savoir : « Ça se fait dans le plus grand des secrets. On ne peut pas les voir, etc. ». Un jour... On avait donc une pièce, c'était une petite pièce. Et à l'Annexe, il y avait une pièce un peu plus grande mais le seul problème c'est que la porte était comme ça [indique la porte, assez massive de son bureau]. Enfin, plus solide que ça. Et, un jour on a eu la surprise de voir qu'ils avaient fait régulièrement des trous, comme pour un timbre, pour entendre et pour voir. Et c'était le groupe de Mme Buffard. Ça avait été à la fois pittoresque si vous voulez de trouer la porte, et c'était un signe aussi que c'était inaccepté. On a réussi à remettre la porte normalement. Ça a un aspect un peu burlesque tout cela.

E.F : Et l'Administration vous demandait des résultats ?

D.G : Oui, eux ce qu'ils voulaient en somme c'est que les agités le soient plus, que les violents le soient plus... En clair, que nous contribuions à la tranquillité de la prison ! La prison est contente quand il ne se passe rien ! Quand il n'y pas de mouvements, pas de cris, rien du tout... C'est l'idéal ! C'est pour cela que le médicament est très bien vu. Si on écoutait l'Administration pénitentiaire les psychotropes seraient... on assommerait tout le monde. C'est l'idéal.

E.F : Et comment ça se passait concrètement ? Vous aviez des réunions avec la direction de l'établissement ?

D.G : On avait dû présenter notre projet. Assurer qu'on avait bien les diplômes. Il fallait qu'on puisse se référer à des expériences qui avaient été faites ailleurs. Ensuite, il fallait qu'on ait des responsabilités. S'il se passait quelque chose avec les détenus. Il y avait entre sept et dix détenus. Moi, j'avais fait des groupes thérapeutiques avec des psychotiques, donc bon... Et puis surtout combien de temps ça durait, quels étaient les résultats espérés, etc. Et quand on disait que c'était des résultats sur la structuration de la personne, notamment au niveau de la loi... Ce qui était embêtant en prison c'est que la loi en prison n'est jamais respectée. Donc, il fallait les rassurer et donc on les revoyait régulièrement pour leur dire voilà comment... Alors bien sûr, on ne leur disait jamais rien de façon individuelle mais on disait globalement comment ça se passait. Voilà. « Combien de temps vous pensez continuer encore ? ». Alors, on était obligé de donner des délais parce que sinon on savait bien que... Alors que dans les groupes on peut être moins ric-rac sur les délais.

E.F : Des fois, vous aviez des questions plus précises sur des détenus ?

D.G : Ah oui, toujours, toujours, toujours ! « Mais lui, qu'est ce que vous en pensez ? Vous comprenez l'autre jour il a agressé son voisin alors qu'il revenait de son groupe... ». Alors de façon prudente ils nous disaient : « Est-ce que vous auriez pu prévoir ? Nous prévenir ? ». Alors, il m'est arrivé quand même de dire à certains chefs de bâtiment que je trouvais que untel était très énervé et qu'il fallait faire attention, mais attention à lui ou le changer de cellule. Pour donner un peu de grain à moudre... Mais dans la prudence quand même, jamais dans le constat d'une aggravation ou de la découverte d'une perversion. On a eu des directeurs très bien qui d'ailleurs changeaient l'atmosphère de la prison.

E.F : Vous utilisiez des dossiers médicaux ?

D.G : Non, avec les groupes je ne faisais aucune fiche. Je faisais pour moi des résumés des séances. On se contrôlait les uns les autres, avec Hochman, avec Buffard.

E.F : Vous consultiez par contre le dossier pénal des détenus ?

D.G : Non, je me suis toujours refusé à les consulter. Parce que je voulais voir le détenu comme il était. Parce que le dossier pénal, ça vous fait une espèce d'obstruction. Y en a qui m'étaient horriblement antipathiques. Quand ils ont été condamnés pour atteinte sur des enfants... Mais quand on a un regard préalable, on ne peut plus aller au-delà. L'alcoolique, le pédophile, le meurtrier à répétition... c'est des types, on ne va pas pouvoir en sortir [...] Donc mon principe, d'ailleurs comme pour les expertises, je vois le minimum de choses avant. Après quand j'ai élaboré des trucs je peux mieux lire ce qui a été fait.

E.F : Et par contre vous observiez quels effets sur les gens participant à cette psychothérapie de groupe ?

D.G : Ben souvent, ce que ça changeait c'était la vision de leur existence. Ça leur permettait une critique de leur passé et puis surtout, c'était une interrogation sur l'avenir. « Qu'est ce que je vais faire ? ». C'était souvent, ce qui était le rôle, c'était pas de leur dire qu'ils avaient mal fait mais : « Qu'est ce qu'il est possible de faire ? ».

E.F : Est-ce que des fois ils vous parlaient de considérations plus liées à la détention ?

D.G : Ah oui, au début c'est une protestation. C'est un temps de protestation tous azimuts. « Ce sont tous des salops ! La bouffe est dégueulasse ! ». Ce qui n'est pas vrai mais pas forcément faux. Cela montre bien qu'on est dans un état de révolte. C'est un temps où une révolte peut-être entendue ce qui n'est d'habitude jamais le cas en prison. Et puis vous avez la technique pour le comprendre. Ce qui permet à la fois de le dire et puis de le dire différemment, avec moins de cris, avec moins de violence verbale. Et puis dans un groupe, ce qui est intéressant, c'est qu'il y en a d'autres qui peuvent atténuer le constat ou qui peuvent avoir un autre regard.

E.F : Vous acceptiez d'en discuter avec eux ?

D.G : Ah oui, bien sûr ! Ça m'avait permis de faire l'expérience sur le temps. Parce qu'à l'époque il n'y avait pas de montres [...] « Vous nous gardez qu'une heure, etc. ». Je pense que la notion de temps est extrêmement difficile. Et j'avais fait l'expérience une fois. J'avais commencé à une heure et j'avais fini à six heures. Et ils ont constaté que... J'ai fait cette expérience avec eux qui était essentielle.

E.F : De ces différents aspects de la vie vous en discutiez après avec la direction de l'établissement ?

D.G : Oui. Par exemple, pour les douches... Alors, là les douches, ça a été... ça a été à partir du groupe et puis à partir des gens. Et l'Administration disait : « Oui, ils démontent les pommeaux de douches ! ». C'est vrai qu'il y a du vandalisme en prison comme ailleurs mais enfin, il y avait aussi des trucs dégueulasses. En général, les revendications c'était l'hygiène. Y avaient des quartiers où il y avait des W.C mais il y a des quartiers où vous aviez des tinettes que vous alliez vider. En 80, vous vous rendez compte, encore... Un lavabo pour quatre dans une cellule. L'hygiène, l'alimentation. Puisqu'on parle de Saint-Paul, c'est qu'on aurait pu dire que tous les services étaient à Saint-Joseph comme les cuisines et le lavage. Et alors, quand j'étais médecin de la Pénitentiaire, je devais faire un rapport sur les cuisines. Et c'étaient des horreurs ! Y avait un ascenseur dans les cuisines, y avait une telle humidité, que des champignons poussaient autour de l'ascenseur. C'était ahurissent. Il y avait des huiles qui venaient se réfugier dans le fond plafonds et il tombait des gouttes.... Grâce à ces rapports, il y avait de temps en temps une inspection dont les conclusions étaient les même que les miennes. Mais en gros, ça faisait pas grand-chose.

E.F : Et vous reportiez certaines revendications du groupe auprès de la direction de l'établissement ?

D.G : Bien sûr ! Bien sûr ! Puisqu'on en parlait. Je ne citais personne bien sûr. Et comme je faisais plusieurs groupes, ce n'était pas simplement l'expression de huit ou dix personnes mais disons d'une trentaine. Donc, c'étaient les soins, l'hygiène, la nourriture, le bruit, le chauffage. Dans les années soixante-dix, on avait souvent treize degrés. On ne gelait pas mais c'était pas beaucoup ! [...] Y a eu quelques améliorations mais.... C'était impossible. Y avaient des populations de rats dans les sous-sols. Y avaient des cellules dans les sous-sols de Saint-Paul qui étaient régulièrement inondées.

E.F : Et quand vous reportiez ces revendications, est ce que vous n'aviez pas l'impression d'outrepasser votre rôle de thérapeute ?

D.G : Si, si, j'avais l'impression. Mais je le faisais quand même. Parce que vous ne pouvez pas rester devant ce truc sans rien dire! Oui vous avez tout à fait raison. Je n'aurai jamais fait ça en dehors de la prison. Mais ce qui me donnait une justification, c'est qu'ils me disaient toujours qu'il fallait qu'il y ait des résultats et je leur disais : « Voilà ça se passe bien... mais entre parenthèses j'ai aussi appris que... ». Voilà. C'était un peu une négociation comme ça. Ce qu'ils attendaient toujours, c'est que le détenu soit... ils avaient l'impression que c'était une expression violente qui allait les expurger de toute leur violence, leur revendication, leur mauvais caractère...

E.F : Et ce n'était pas le cas ?

D.G : [soupir] Non, parce que... vous ne sanctionnez pas. Il est vrai que la violence prenait une autre forme. Ça prenait une forme moins violente. Je me rappelle des révoltes à la prison dans les années soixante-dix. Je me rappelle que certains avaient pu participer à nos groupes et avaient pu faire des revendications vraiment syndicales, qui n'étaient pas seulement pour dire les douches etc. mais pour dire aussi tous les rapports avec les magistrats. C'était la première fois que les magistrats étaient mis en cause... et avec juste raison [...] Alors, y a eu des revendications qui ont été beaucoup plus... élaborées. Plus en rapport avec la vie, pas seulement carcérale, mais avec la vie de celui qui était mis en examen. Et donc ils ont pu montrer que la prison leur paraissait une poubelle dans laquelle il n'y avait pas de communication avec l'extérieur.

E.F : Et vous pensez que la psychothérapie a pu aider à cela ?

D.G : Ah oui ! Elle permettait d'élaborer. Ça leur permettait, puisque la finalité au bout d'un moment n'était plus seulement d'exhaler la violence en eux, c'était aussi de poursuivre un travail de recherche sur qu'est ce qui n'allait pas. Donc, ils parlaient de leur famille, du sexe, du fait de ne plus voir leurs enfants. C'était cela le premier travail du groupe. Ça devenait une réflexion, une réflexion revendicative mais une réflexion... Et qui avait beaucoup plus de poids. Moi, j'avais été frappé par l'élaboration, au moment des révoltes, de gens qui étaient très... Je me rappelle j'allais les voir avec [Pierre] Truche et je me souviens d'un matin, on avait vu un papier et on s'était dit que c'était pas mal. C'était dans un style qui était tout à fait lisible, qui pouvait être entendu par un politique, par un Giscard d'Estaing qui était à côté de la plaque.

E.F : Et au fur et à mesure de la psychothérapie, au niveau comportemental...

D.G : Ils se respectaient plus les uns les autres par exemple. On pouvait constater qu'ils se coupaient moins la parole. Ou que l'intervention qui venait tenait davantage compte de ce qui avait été dit avant. C'est-à-dire que le propos était nourrit de ce qu'ils avaient entendu. Et ça, ça changeait assez vite [...]

E.F : Cette expérience recevait quel accueil des milieux criminologiques ?

D.G : Ben à ce moment là, on avait une position dominante en criminologie. Si vous voulez, c'était un de nos lieux d'exercice clinique. On s'est jamais autorisé à faire des exposés de cas sans les avoir vus. La majorité sont souvent démunis d'expérience clinique. Pourquoi on avait fait ces groupes de psychothérapie ? A cause de notre expérience en médecine légale, à cause de notre position à l'urgence, à l'hôpital psychiatrique et à la prison. C'était quelque chose d'original. On était tous experts. A tel point qu'on rencontrait souvent les mêmes personnages dans les différents lieux. On avait souvent un patient de la prison, qu'on revoyait à l'urgence quand il était sorti, pour un geste suicidaire par exemple. On pouvait aussi le rencontrer en psychiatrie. Et avec Colin, nous avions fondé un service pour les migrants. C'était la même chose après avec tous les services avec le FLN. Dans les années cinquante, au moment de la guerre d'Algérie, y avait un gros mouvement migratoire de main d'oeuvre. Y avait le début des Sonacotra mais ça restait insuffisant. Après, ils se sont multipliés et il y a eu un foyer important à la Part-Dieu dans les anciennes casernes du « PP » c'est-à-dire l'ancien régiment de cavalerie. Ça a son importance parce que ça occupait un très gros territoire dans ce quartier. Dans la caserne, ça a été un envahissement progressif et les autorités ont laissé faire. Et dans les écuries, on pouvait mettre des lits les uns en face des autres. Au début, on disait il y avait 1000 à 1500 travailleurs. Et ce que Colin avait vu, c'est que dans les consultations... l'urgence n'existait pas encore... On voyait dans les consultations hospitalières des gens avec des tuberculoses, des blessures par armes blanches et tous ces gens venaient de la Part-Dieu. Et il s'est dit : « Plutôt que de soigner à l'hôpital, il faudrait soigner sur place ». Donc, il a monté une infirmerie et il m'a demandé de faire des consultations, en plus, comme à la prison. Et on a travaillé dans ce caravansérail où devaient loger 3000 personnes. On a vu aussi que dans les foyers Sonacotra, il n'y avait pas de médecins. Donc on a essaimé comme ça. Et on a eu dans ce service jusqu'à douze dispensaires. Alors, après, on a été obligé de partir de la Part-Dieu et on s'est dit qu'il fallait qu'on trouve quelque chose dans le même quartier. J'ai pris la direction de cette structure qui était payée directement par la Sécurité sociale. Et il y a beaucoup de délinquants dans les transplantés et c'était un quartier uniquement de transplantés. Et qu'est qu'on a vu ? La délinquance qu'on voyait en prison. Donc, l'urgence, l'hôpital psychiatrique, la prison et puis le SMSTE. Donc ça formait un secteur technique, c'est-à-dire un secteur qui n'était pas défini par un territoire mais par ce qui s'y passait, par une marginalité et la délinquance, maladie mentale, toxicomanie, etc. C'étaient des relais. Moi, j'en ai connu beaucoup place du Pont [à Lyon], je les connais encore, qui me disaient : « Ah, si vous pouvez aller le visiter à la prison... ». J'allais à la prison, je le suivais à l'extérieur. J'ai fait des thérapies de couple à la sortie par exemple. Vous voyez, c'était un secteur comme ça, qui n'a jamais été officialisé.

E.F : Vous ressentiez ce besoin de sortir de l'hôpital ?

D.G : Oui. C'est pour cela que deux associations ont été créées. L'association pour l'urgence sociale. Parce qu'on s'est rendu compte que les gens venaient tout le temps. Et puis une association d'assistance aux adolescents, qui est en fait d'aide pour la toxicomanie. Puis, plus tard est venu un centre d'accompagnement en alcoologie. Tout cela, est venu du même endroit, de l'urgence [...] Cette idée, elle venait d'une constatation globale de gens qui travaillent. Tout le monde remarquait que c'était une impasse. Un marginal, il est plus que jamais dans l'urgence. Parce que les gens ne savent pas qu'en faire. Alors, la plupart des médecins étaient des psychiatres mais on a quand même étendu à des somaticiens.

E.F : Y avait un lien avec l'association de criminologie ?

D.G : Oui mais c'était ponctuel. Le groupe de criminologie, c'était l'urgence, la prison, le SMSTE et un peu l'hôpital psychiatrique ou certains de l'hôpital psychiatrique. On était un peu extensifs mais on ne monopolisait que ce qu'on créait. On a pas créé la prison mais on a créé toutes ces associations qui n'existaient pas avant. Y compris l'urgence qui n'existait pas avant.

E.F : Et Georges Fully avait été un soutien pour vous quand vous avez monté ces groupes de psychothérapie ?

D.G : Oui mais... Un soutien... Il était en butte à des tas de choses. Il était le premier au ministère. Il était exigeant. Jamais, le ministère de la Justice ne pensait qu'il aurait à s'occuper de la santé. Mais on était tous du ministère de la Justice et c'est ce à quoi on voulait échapper. On avait des relations assez amicales avec lui. Moi j'avais un passé qui était assez proche du sien. Et puis on avait un peu ce même côté social. Il nous a aidé, incontestablement mais il avait à fort à faire. Parce que je crois que c'était vraiment difficile pour lui.

E.F : Et vous aviez participé à ce congrès de 1963 ?

D.G : J'avais participé au départ à beaucoup de choses liées à l'Administration pénitentiaire. Parce qu'on avait de l'expérience et qu'on était plusieurs à travailler ensemble. On se supportait, je dirais, on entraînait les autres qui étaient tous seuls et qui avaient des difficultés. Nous, on était gâtés. Parce qu'on avait un groupe, on pouvait se référer les uns aux autres. Colin, Broussole ou moi, on était dans les mêmes actions. Alors, on a soutenu sans le vouloir beaucoup de médecins qui travaillaient isolément et qui avaient énormément de mal à résister aux pressions de l'Administration. On les a soutenu sans même le vouloir. Par exemple, en publiant. Ou en créant ces congrès de médecine pénitentiaire. Il faisait partie de nous, Fully, sans vraiment le dire et on l'a beaucoup soutenu. Et pour la première fois, les médecins pénitentiaires se sont vus et se sont rencontrés. Et même ça a été l'occasion de la création du syndicat des médecins pénitentiaires.

E.F : Et quel était le but de ce premier congrès ?

D.G : Ben le premier congrès, c'était de se faire exister. C'est-à-dire que jusqu'à présent il n'y avait pas la notion de « corps ». Les gens étaient recrutés individuellement, souvent c'était... Vous aviez quand vous faites des vacations comme ça, c'était que des vacations pratiquement. Il n'y avait pas de médecins titulaires. C'étaient des médecins isolés. Ce qui fait que la médecine pénitentiaire a commencé à exister du jour où tous ceux qui exerçaient en milieu pénitentiaire, officiellement, ont eu la possibilité de se retrouver dans ces congrès. Ça a permis de confronter nos expériences. Et pourquoi on a été à la tête de tout ça ? Parce qu'on était un groupe. Et puis un groupe qui étions universitaires. Moi, j'étais assistant puis j'étais maître de conférence par la suite. Colin était passé professeur. Hochmann restait avec nous mais avait eu un poste de psychiatre à l'hôpital. On pouvait être mis à la porte de la prison, ça n'aurait pas été une catastrophe pour nous. Moi, j'étais universitaire et praticien hospitalier à « P » et « N ».

E.F : Et ça ne vous intéressait pas de travailler à l'hôpital psychiatrique ?

D.G : Non, ça ne m'intéressait pas de travailler à l'hôpital psychiatrique. Moi, j'ai toujours vu la psychiatrie dans la vie. Autrement... C'est pour ça qu'après j'ai fait de la psychanalyse. Mais, par exemple, on m'avait demandé pourquoi j'avais pas passé les concours mais ça ne m'intéressait pas. Il faut dire que c'était avant la sectorisation parce que la sectorisation, c'était après 68. Donc, c'était encore l'hôpital fermé, avec des contraintes, avec des infirmiers qui étaient à part. Alors quand j'ai eu ma spécialisation de psychiatre, j'y ai été comme interne. J'ai vu à quoi ça ressemblait. Et je n'aurai pas aimé faire ma carrière là-bas. Je ne me voyais pas passer ma vie à ça. A la prison, je ne voulais pas y faire ma carrière non plus. Je faisais ça dans un but humanitaire. Y avait pas les ONG mais on a quand même fait un peu un travail d'ONG, notamment par rapport au FLN. Ça a été un regard sur. On peut pas dire : « La prison, on les met là-dedans et on s'en occupe plus ». Et puis en même temps, y avaient des gens qui étaient des soutiens du FLN et que nous connaissions. A ce moment là, Colin avait des amis qui étaient avocats et ces amis étaient pour la plupart de gauche. Ils faisaient beaucoup de choses ensemble. Ce qui fait que c'était tout un mouvement qui ne disait pas vraiment son nom mais c'était un mouvement de défense. On l'avait aussi avertit parce que l'urgence est né à ce moment par des exigences qui n'étaient pas prises en compte. C'étaient des blessures, des fractures, tous les traumatismes divers, les suicidants, les troubles psychiques. Donc y avait un besoin. On était... militants... Je sais pas si on peut dire ça comme ça, pour être honnête avec vous, mais y avait quand même une dimension militante dans ce qu'on faisait.

E.F : Vous avez eu des appartenances syndicales ou politiques ?

D.G : Non. Je connais tous les responsables du PS mais je n'ai jamais pris ma carte. Alors quand j'étais jeune, j'étais à la JEC, enfin, des trucs dans ce goût là. Mais c'est peut-être le moment le plus engagé. C'était après la Libération... j'étais opposé aux communistes. J'ai fait médecine dans cette idée, dans une optique un peu militante. Ce sont des idées généreuses qu'on a à l'adolescence. Mais ce qui m'intéressait, c'était plus tout ce qui était mental, tout ce qui était de l'homme. Alors, la psychiatrie ne m'a jamais beaucoup intéressé. Elle m'a permis d'aller vers autre chose. Alors bon, j'ai fait de la psychiatrie dans l'urgence mais... C'est pour cela que la psychanalyse m'a beaucoup intéressé et notamment lacanienne parce que j'y ai retrouvé beaucoup de choses modernes, utiles. Alors, ça c'est fait à la fin... J'ai été au séminaire de Lacan à partir de 1959 et j'avais déjà suivi les cours d'Anzieu.

E.F : Y avait une dimension militante pour vous aussi à travers la psychanalyse ?

D.G : Oui y avait une dimension militante, une espèce de volonté d'abord de mettre au service du plus grand nombre et puis ce besoin de sortir d'une espèce d'élitisme. Et puis également de voir comment pouvait s'articuler l'analyse à quelque chose de plus humaniste, plus chrétien. C'était quelque chose qui était plus partagé par Colin mais moins par Hochman. Mme Buffard était socialiste et très laïque, je dirais. On était pas tous si vous voulez dans le même bain mais on était tous dans un humanisme, si ce mot veut dire quelque chose. On n'avait jamais de fortes oppositions. Autour de ce noyau, beaucoup de gens gravitaient. Roche était pas opposé. Il avait le sens de nous protéger grâce à ses appuis nationaux et quand on était menacé, il nous défendait. Par exemple, si on nous menaçait de nous retirer l'entrée à la prison. On a eu comme ça des protections, c'était obligatoire [...] Mme Ezratty nous a bien soutenue.

SECOND ENTRETIEN

E.F : A un moment dans votre thèse [consacrée aux groupes de parole] vous parlez de la phase de maturité et vous évoquez une tentative d'élaboration des actions collectives notamment une tentative de grève....

D.G : Oui c'était au moment de la prise de conscience d'un groupe qui pouvait faire quelque chose quoi ! Qui pouvait faire une revendication d'ensemble pour un intérêt commun... Ce qui est rare chez les détenus quoi ! Parce que la plupart du temps, les détenus peuvent beaucoup parler de leurs projets ou bien se prendre comme complices, mais souvent ce n'est pas une notion de groupe, avec des personnages à égalité qui défendent un projet de groupe et non pas un détenu qui impose son idée aux autres. C'était un vrai progrès. Et puis ça transformait un peu l'ambiance des cellules, où un des membres du groupe résidait. Y avait un autre discours, un autre regard sur la détention. C'est pour ça qu'on a pensé... C'était une sorte de socialisation possible. Ça combat un peu la désocialisation.

E.F : Et la direction de l'établissement n'avait pas pris peur quand ils avaient vu émerger une action collective ?

D.G : Alors oui. Ça a même été un obstacle. Parce que c'est comme quand il y a eu les révoltes à Saint-Paul. Ils avaient des revendications du type syndicaliste, ce qui était très étonnant. Moi, j'y ai vu un progrès important. Puisqu'il y avait un groupe, une communauté et puis il n'y avait pas simplement des revendications matérielles mais des revendications beaucoup plus larges sur le procès, la considération que les avocats, le juge d'instruction, le service médical pouvaient avoir pour les détenus. Y avaient des exigences qui n'auraient pas eu lieu avant. Qui étaient liées à la dignité humaine. Je ne dis pas que c'était le groupe qui a fait ça. Mais c'était la conjonction de plusieurs choses.

E.F : Et est-ce que l'existence de ces groupes a été menacée ?

D.G : Ah oui de façon récurrente. Soit parce que les détenus n'étaient pas prévenus. Soit parce que certains ne venaient plus car ils n'étaient plus libres ou parce que le groupe exaltait leurs revendications. Parce que notre but était de voir ce qui était possible de faire. Ce n'était pas magique le groupe. Alors, au bout de quelques séances la surveillance aurait voulue, mais sincèrement quoi, que l'attitude des détenus soit changée. Alors pour certains ça commençait très tôt mais la majorité il fallait plusieurs mois [...]

E.F : Et à l'époque vous avez beaucoup publié sur cette question...

D.G : Oui parce que nous étions les premiers. Il y avait le Dr Mathé à Melun. C'étaient des choses proches. C'était une nouveauté en France. Chacun avait des méthodes plus ou moins en rapport avec ce qu'il faisait avant. Ça pouvait être des groupes très classiques ou avec un apport psychanalytique plus ou moins important. On se réunissait à la société des prisons qui se réunissait à la chambre de cassation trois ou quatre fois par an. Il y avait beaucoup de magistrats, des travailleurs sociaux... Mais il y a beaucoup de magistrats qui s'intéressaient à qu'est ce qu'on peut faire pour que le détenu puisse changer. C'est pour ça que la société des prisons nous soutenait pour les groupes. Alors il y avait le Dr Hivert qui était membre de cette commission. Je ne pense pas qu'il ait fait des psychothérapies de groupes. Je ne pense pas. Je crois, mais c'est toujours... je crois qu'il était moins engagé dans les thérapies, dans tout ce qui était thérapeutique. Il me semble comme ça, sans le trahir, qu'il était moins engagé. Qu'il était plus traditionaliste.

E.F : Parce que son Annexe était l'une des principales avec Lyon. Il y avait des échanges ?

D.G : On a eu beaucoup de contacts avec La Santé. On avait des relations avec Antoine Lazarus au niveau de la société de médecine pénitentiaire. Hivert était ouvert à beaucoup de choses... Peut-être que... Il était ouvert à beaucoup de choses, il permettait à ce que beaucoup d'influences s'expriment comme ça. Mais il était peut-être moins engagé dans tout ce qui était psychothérapie. On avait, nous, une forme d'engagement qui était quasi-politique. Au même moment, on travaillait en psychanalyse. C'étaient des petites choses à l'époque puisque c'étaient des vacations. C'est sûr que c'est à La Santé que s'est préfiguré un service médical. C'est eux qui ont eu des internes bien avant nous. Ce sont des internes qui n'avaient pas passé de concours bien entendu. Et c'étaient des transplantés qui avaient comme bénéfice d'avoir à la prison un domicile et leur nourriture. Ça a quand même donné quelque chose de particulier. Alors certains internes ont continué et sont devenus médecins. Mais ils n'ont fait tout le temps de leur médecine, ils ont été logés et nourris à la Santé. Alors, ça donnait quelque chose de particulier parce qu'ils étaient tout le temps là bas. Ça donnait à son service une certaine sécurité et l'Administration était satisfaite de toujours pouvoir avoir quelqu'un sous la main. On nous a toujours reproché de ne pas intervenir la nuit.

E.F : Mais il y a eu un système d'internes qui a été adopté à Lyon ?

D.G : Oui. Ils avaient un peu le statut de l'internat régional. Ceux qui avaient envie de rester à Lyon, parce que c'était ce type de motivation, ceux qui avaient une orientation un peu psychiatrique venaient et on les sélectionnait comme ça quoi. Ils ne faisaient pas les nuits et ne faisaient qu'une partie de la journée. Là, c'était autre chose. C'est comme s'ils s'étaient inscrits à l'internat régional. C'était pas du tout comme les premiers modèles d'internes à La Santé qui acceptaient de vivre à la prison. En général, c'est ceux que ça arrangeait parce qu'ils n'avaient pas de chambre à payer, pas de nourriture... C'était souvent sans rémunération mais ça en arrangeait pas mal qui étaient étrangers.

E.F : Le Dr Hivert était quelqu'un pour une autonomisation de la psychiatrie par rapport à la médecine somatique ?

D.G : Je crois qu'il était plutôt pour la séparation. Je crois que moi, aussi, j'étais pour la séparation. J'ai fait les deux. Si nous avons été dans la médecine pénitentiaire, c'est parce qu'on pouvait le faire car on avait un poste à l'extérieur et parce qu'on voulait faire quelque chose pour les détenus. On voulait que ce soit à la fois une vraie médecine et à la fois une médecine humaine, qui tenait compte du malade qui était souffrant dans toutes ses composantes.

E.F : Et qu'est ce qui justifiait cette séparation à vous yeux ?

D.G : C'était parce qu'on savait bien qu'il n'y aurait pas beaucoup de psychiatres qui feraient de la médecine générale et qu'il n'y aurait pas beaucoup de médecins généralistes qui pourraient faire de la psychiatrie. Et si on voulait donner un modèle médical, il fallait reproduire le modèle médical à l'extérieur, à savoir.... On a aussi un peu reproduit le modèle qu'on était en train d'établir à l'extérieur, à savoir les services d'urgence. Le service d'urgence a très vite comporté... En fait avant même de les ouvrir, on s'est rendu compte que l'urgence ne pourrait pas se passer de psychiatres. En fait aujourd'hui certains s'en passent mais c'est s'en passer avec difficulté. Alors, on avait vu que ça pouvait coexister au sein d'une même institution. Certes avec des difficultés mais on ne pouvait pas aller l'un sans l'autre. Celui qui est en petite réanimation, on y va mais avec l'accord de celui qui s'en occupe sur le plan somatique. Donc on avait à la fois ce modèle d'une configuration où on pouvait échanger les uns avec les autres, mais en même temps une séparation. Et puis après, l'hôpital psychiatrique ayant pris en charge les CMPR, on pouvait dire : « Ben voilà, y a déjà en prison, un service public qui est installé ». Puisque les médecins des hôpitaux psychiatriques gardent leur statut de l'hôpital psychiatrique.

E.F : Avant que les CMPR existent, y avaient des liens entre psychiatres ?

D.G : Nous on y allait bénévolement. Les groupes de psychothérapie collective qu'on a fait, c'était bénévole. Buffard, elle, avait un statut. C'était l'un des premiers statuts de psychologue à la prison. Et la direction avait accepté qu'il y ait une psychologue. C'était une révolution parce qu'à l'époque, ça va vous paraître bizarre, mais il n'y avait même pas de psychologue à l'hôpital. Alors qu'aujourd'hui il y en a dans tous les services. On ne savait pas cependant comment la rémunérer. Et finalement, on l'a payé avec l'indice qui correspondait au jardinier. Parce qu'à Lyon sur le béton on n'en avait pas besoin. Et donc ça l'amusait d'être considérée comme jardinière [tires] Autrement personne n'était payé. C'est bien d'ailleurs ce qui nous a permis de faire des choses. Si on avait dû attendre d'avoir des subventions. La Société des prisons participait aux charges mais c'était plus pour les frais que pour la rémunération des séances.

E.F : Et par contre comment ces groupes de psychothérapie ont disparu ?

D.G : Ils ont disparu parce qu'on a manqué de nouveaux psychothérapeutes. Parce que vous faites ça quelques années, comme je vous le disais gratuitement. C'est pas tellement la gratuité, mais on a tous acquis des charges d'enseignement ou hospitalières. Donc, ça devenait de plus en plus difficile. Pour moi, quand j'ai pris la médecine pénitentiaire, j'ai fini les groupes et voilà. Et étant donné qu'il n'y jamais vraiment eu d'officialisation, ça n'a pas créé des postes. Les psycho, à part Buffard, ne rentraient pas en prison. Il n'y avait pas encore de SMPR. Donc on a eu des succès d'estime en France comme à l'étranger. On a donc donné nos résultats au 5ème congrès de criminologie et ça a été l'acmé et presque la fin. Parce que ça s'épuise. Surtout en fonction de nos activités respectives [...] Et puis ça n'a jamais été entériné. Tout ce qui est psychothérapie n'est pas reconnu en prison. Les SMPR se sont organisés parce qu'ils sont dans la tradition de ce qui se fait en psychiatrie. Ils ont donné beaucoup de médicaments, à mon avis trop [rires] mais à l'hôpital psychiatrique, c'est pareil. A partir de ce moment là, les médicaments rendent les gens calmes, silencieux et ça arrange tout le monde. Alors que la psychothérapie... Parce qu'il n'y pas en prison cette volonté de faciliter le fonctionnement psychique. J'ai eu des difficultés inouïes à essayer de faire rentrer un psychanalyste en prison pour poursuivre une psychothérapie qui avait été commencée à l'extérieur. Moi, mon credo a toujours été de dire : « Certes la prison on ne peut pas en sortir mais tout le monde peut y rentrer ! ».

E.F : Et à ce moment là, j'imagine que G. Fully devait vous appuyer ?

D.G : Oui. On était pas toujours d'accord avec lui mais quand il y avait des activités entre guillemets révolutionnaires pour le milieu carcéral, il était d'accord. Et puis Fully c'était une révolution de résistances. On avait, nous aussi, cet esprit là. 62, la guerre d'Algérie. Personne n'était pour y rester. On était plutôt pour le FLN avec des partis de gauche qui avaient été emprisonnés pour soutien au FLN. Et puis progressivement cet esprit de résistance qui nous animait tous s'est considérablement émoussé.

E.F : Et quelle était la position de Solange Troisier à l'égard de ces psychothérapies ?

D.G : Elle était pas contre mais elle était ni contre, ni pour... Troisier, si ça flattait son ego c'est bien. On peut pas dire qu'elle ait été contre. Non. D'ailleurs elle venait souvent. Ça faisait pour elle un lieu d'action intéressant. Mais c'était plus politique. C'est plus la même chose que d'y croire et d'y participer. Elle, elle n'y participait pas. Elle n'avait jamais fait de choses semblables. Elle a pas été contre. On peut pas dire qu'elle nous a brimé mais elle a été d'une certaine façon dans le même sens que Fully mais c'était très politique. Ce qui a arrêté les choses, c'est le SMPR. Parce qu'à partir de ce moment là, c'était sous l'autorité d'un chef de service qui avait autorité sur tout ce qui se faisait. Ce qui changeait tout. On était pas contre. On n'avait pas pensé que ce qu'on avait fait ça serait comme l'Annexe mais on avait pensé que ça pourrait être une inclusion des services psychiatriques [...] Le recours au médicament, pour moi, ça n'est que ponctuel. On le voit bien d'ailleurs. Si vous devez prendre des médicaments toute votre détention, est ce que vous devez prendre des médicaments à votre libération ? Pour l'anecdote, lorsqu'au Vinatier, il y avait encore une sorte de ferme qui était une forme de sociothérapie [...] Y avait la récolte des choux, les gens étaient prêts de la nature, y avait cette idée que la nature était bonne. Et les cochons, on avait remarqué qu'ils dormaient toute la journée. Car on les nourrissait avec les déchets des cuisines où les malades jetaient leurs traitements [rires]

E.F : En tant que généraliste, vous étiez confronté à une demande importante de médicaments de la part des détenus?

D.G : Oui mais ça dépend comment vous les recevez. S'ils sentent que vous êtes réticent, non pas pour les brimer mais parce que vous les considérez autrement, vous avez une autre considération de l'homme... Alors bien sûr, la détention n'est pas forcement bonne mais passez sa détention dans un état semi-comateux n'est pas forcément bon non plus. Alors quand vous êtes comme ça et que vous prenez du temps à les recevoir et que vous leur expliquez : « Je peux vous prescrire un somnifère mais ça va vous aliéner si vous le prenez trop longtemps ». Ça, ça se gère. Sachant bien quand même, qu'à partir du moment où il y avait un SMPR, la plupart des prescriptions étaient effectuées par eux. Moi en médecine, j'avais plutôt des gens qui.... Leur délit est un symptôme. C'est parce que leur délit est une socio-pathie... En partie du moins. Mais je limitais beaucoup les prescriptions. Comme je le faisais en même temps en urgence.

E.F : Et il vous arrivait de refuser les demandes de psychotropes ?

D.G : Ah oui. On retrouve ces demandes ailleurs par la suite. Les psychotropes majeurs, les neuroleptiques majeurs... Ah non, bien sûr. Mais bon à mon sens, c'est le médecin qui en décide avec l'accord du malade mais c'est pas le patient qui en décide, avec l'accord du médecin. On avait des réunions entre généralistes avec les infirmières et puis les gens du SMPR. Il faut dire qu'on est toujours à peu près entendu avec les médecins [Hésitant]. Ce qui était un peu gênant, c'était notre ancienneté en prison, ce qui nous rendait peut-être un peu plus orgueilleux. On s'y connaissait mieux qu'eux. Et puis ils étaient un peu les héritiers de ce qu'on avait fait donc c'était pas toujours simple... C'était des jalousies qui étaient larvées mais qui étaient pas toujours simples. Finalement, à la prison on avait pas simplement une relation médecins généralistes, en plus j'étais un faux médecin généraliste, et psychiatres mais il y avait un truc ancien... Alors ça c'est organisé mais ça n'a pas toujours été facile.

E.F : Parce que concrètement, ça c'est traduit par quoi la création du CMPR ?

D.G : Ça c'est traduit par un changement de personnel. C'est Colin qui avait choisi parmi les médecins des hôpitaux psychiatriques, le Dr Lamothe qui était à Bourg qui voulait venir à Lyon. Et c'est Colin qui lui a demandé. Il est venu à partir des CMPR. Tous ceux qui étaient là avant n'étaient pas payés pour cela. Et puis, il est apparu des infirmières psychiatriques, plus les surveillants... Donc y a eu toute organisation. En plus l'Administration leur a fournit les locaux mais tout le reste était de l'hôpital psychiatrique. La matériel, le secrétariat, tout ça était fourni par l'hôpital psychiatrique. Il a fallu que Lamothe et son équipe fasse son trou parce qu'à la fois ils participent de l'hôpital et ils n'y sont pas beaucoup. Donc il a fallu qu'ils arrivent à se faire reconnaître dans cette sorte de spécialité qu'ils n'ont pas pris comme une surspécialisté. C'était toujours de la psychiatrie mais dans un milieu particulier.

E.F : Si j'ai bien compris, ce n'était pas pour vous une spécialité ?

D.G : Non. Non. Il y a eu la politique de secteur. La sectorisation a permis de sortir de l'hôpital psychiatrique. Il y a eu beaucoup de choses comme ça. En même temps d'ailleurs, les psychiatres voulaient venir dans les services d'urgence. C'est là où avec nous ça n'a pas très bien marché. Parce qu'on était là, on était installé. Et nous, nous étions payés par les hospices civiles, nous ne dépendions pas du tout de l'hôpital psychiatrique. En leur disant tout de même que l'urgence psychiatrique était une spécialité. Tout ça pour vous dire que l'Annexe psychiatrique n'est pas apparue comme quelque chose d'exorbitant du fait de ce mouvement de sectorisation qui a fait qu'un grand nombre, je ne dirais pas tous, il y a eu un mouvement d'extériorisation. Ce qui fait que celui qui avait un service à l'extérieur n'apparaissait pas... La seule chose c'est que ça n'était pas sectorisé.

E.F : Et vous, en tant que médecin généraliste quels pouvaient être les points de désaccord que vous pouviez avoir avec les psychiatres du CMPR ?

D.G : Ben c'était en gros, la thérapie que je supportais mal... Enfin aussi importante. Je pense qu'il y avait surdosage à cause de la condition pénitentiaire. Sur ça, on n'était pas d'accord. Parce que je trouvais... Surtout je recevais des gens qui étaient traités par le CMPR et je voyais qu'avant c'était un peu moins. Et puis je constatais des troubles dus à ces excès. Et puis je pensais qu'on ratait des choses. J'avais aussi ce passé des groupes, donc voilà ! A la fois, je trouvais que c'était une avancée mais que j'avais espérée que ça aurait fait évoluer la prison. Je peux dire que ça a rien changé. J'espérais que ça humaniserait plus la prison. Alors ça n'a pas été seulement le fait de ceux qui sont venus, c'est aussi qu'ils ont été littéralement assaillis par la demande, par le nombre de malades à suivre. Et puis par une psychiatrisation de la prison. [...]

E.F : Au niveau de la préservation du secret médical, le CMPR...

D.G : Pour eux c'était plus simple. Et puis c'est par comme la médecine générale parce que pour eux, il n'y pas d'urgence. Tandis que pour la médecine générale, on peut nous dire : « Oui mais si on a besoin, il faut qu'on sache tout sur lui ! ». C'étaient pour des tas de raisons comme ça. En fait, il ne peut pas y avoir de secret pour les autorités pénitentiaires. Il faut que tout soit connu tout le temps. C'est un des principes, contre lequel j'ai résisté bien évidemment. Je crois que la psychiatrie avait moins de raisons que le secret soit pas respecté. Là, l'avantage à Lyon c'est qu'on était un groupe.

E.F : Et c'était quelle forme de résistance ?

D.G : Ou le secret a été le plus difficile a respecté, ça a été avec Barbie. Ça a été très difficile. Bon, Barbie a sans doute été le personnage le plus marqué. Donc tout ce qui était de lui, ce qui était dans son dossier médical attirait. Ça pouvait se vendre... Donc, je m'étais dis que si je le laissais parmi les dossiers des autres, on allait pouvoir forcer une serrure ou avoir une clé... Et comme on me disait en même temps qu'il fallait le suivre la nuit, parce qu'il fallait absolument le garder en vie... J'ai passé une convention avec la direction qui faisait que son dossier était placé dans un carré avec une vitre. Ce qui faisait qu'on devait casser la vitre si on devait y avoir accès en urgence, ce qui serait justifié par un médecin de SOS Médecins.... Ce qui fait qu'on n'a jamais cassé la vitre ! Je vous dis ça parce que ça schématise bien la place du secret médical en prison. Alors pour la nuit on avait élaboré un système mais si quelque chose s'ébruitait. On leur faisait signer un papier comme quoi ils étaient, en tant qu'auxiliaires de santé, soumis au secret professionnel. Ce qui est exact. Souvent c'étaient des gars célèbres. C'était pas pour savoir. C'était pour vendre aux journalistes. Mais c'est un problème qui est intéressant qui montre bien que quand vous êtes détenu, vous n'avez plus rien à vous.

E.F : Et au niveau de l'épidémie de VIH, ça a dû prendre une dimension...

D.G : Alors là, c'était justifié pour la protection des surveillants. Y a eu des peurs incroyables. A tel point... Y a eu des gendarmes qui devaient emmener en Cour d'assises un détenu. Ils n'ont jamais voulu. A tel point que j'ai organisé des conférences et des films où on voit le virus au microscope électronique. Souvent je venais ou quelqu'un de l'infirmerie pour venir répondre aux questions. Puis par la suite qu'un du service du Pr Trepos est venu à la prison. Ça a été assez bien parce qu'on a pris leur demande en considération. On a d'autant moins rigolé qu'on était pas sûr de savoir comment ça se passait. Ce qui m'avait permis de demander des préservatifs et ça a été des réactions du genre : « Comment ! Vous pouvez penser qu'il y a de l'homosexualité dans la prison ! » [...] Alors ça a été aigu parce que ça ouvrait sur les pratiques et sur les abus sexuels entre détenus. Ce qui fait que j'ai eu des préservatifs par des laboratoires et par des associations de lutte contre le VIH. Ça a été extrêmement difficile. C'était pourtant une lutte.

E.F : Et par contre en cas d'agression d'un surveillant par un détenu...

D.G : Ah oui c'était souvent ça. Alors, c'est vrai que pour le surveillant c'est extrêmement angoissant [baisse la voix] Il vous donnait un coup de fourchette. C'était une petite blessure mais... Alors bon avec analyses, attendre trois mois... ça a été très très difficile. Ça a été une période très difficile le VIH [...] Et puis, il a fallu les traiter. A un moment où on avait pas de trithérapie. C'était l'interféron. Il a fallu s'accorder avec les laboratoires. Alors c'était aussi pratique parce que ça permettait de savoir mais on a eu aucune, aucune subvention pour faire des études. Oui ça permettait aux laboratoires de savoir. Par exemple avec l'Interféron, ça leur permettait de savoir quels étaient les résultats. C'était intéressant mais les laboratoires voulaient savoir leur efficacité. Or, on avait aucun moyen de faire puisque tout argent nous était refusé. Alors les laboratoires voulaient bien payer mais ils disaient : « Il faut que ce soit quelqu'un de chez nous qui y aille ». Et le résultat, c'est que je me suis entendu... avec un laboratoire d'ici, pour qu'ils analysent. Mais on a fait ça dans la plus grande irrégularité. C'est-à-dire qu'on a fait des prélèvements sanguins, etc. Qu'on a envoyés au labo... ce qui était quand même. Donc on a été obligé de faire des analyses qui intéressaient les laboratoires universitaires parce que ça leur permettait de publier et la prison c'était quand même l'essentiel parce qu'on voyait quand même beaucoup de détenus, de par leur vie antérieure, leur toxicomanie notamment... On risquait de trouver plus de VIH qu'ailleurs.

E.F : Mais ces traitement vous étaient offerts ?

D.G : C'étaient des traitements qui nous étaient offerts. Mais c'était pas gratuitement. C'était offert pour l'expérimentation. Alors, c'était pas une expérimentation qui risquait de mettre la santé de l'individu. Au pire, ça risque de ne rien faire. Et au départ, ça a été comme ça. Mais il fallait que nous sachions, si ça modifiait quelque chose. C'était très tôt tout cela. Parce que ça a été un problème aigu. C'était inimaginable [...]

E.F : Ça se manifestait comment dans l'atmosphère de la détention ?

D.G : C'était devenu une crainte pour tout le monde. C'était en santé que c'était le moins aigu parce qu'on avait quand même tous été dans des conférences. Moi, j'ai été très vite chez les infectiologues à quoi ça ressemblait. Ça nous a permis d'informer les infirmières et puis ça nous a servi à rassurer les surveillants qui étaient toujours là à nous demander. Et là vient le problème du secret : est ce qu'on peut ne pas dire ceux qui sont atteints du VIH ? Difficile. Et le directeur avait affaire à des mouvements syndicalistes disant : « On ne peut pas y aller si on ne sait pas ! ». Alors, il y a eu des compromis. Mais ça a été une grosse attitude qui était bien plus importante en prison qu'à l'extérieur. Parce que les conditions de vie et les moeurs favorisaient la transmission. Heureusement, ça ne s'est pas passé comme ça. Y a eu moins de cas qu'on pensait. Quand on demandait un médicament qui n'était pas autorisé, si on justifiait bien, l'administration acceptait. On peut pas dire que la prison ait refusé les médicaments. Ce qu'ils ont refusé, au début, c'est la détection, les tests de dépistage parce que ça faisait beaucoup d'argent. En plus, y avait la question de savoir si on pouvait imposer le test. Parce que quand on leur demandait presque tous refusaient. On se disait quand même que ça pouvait faire courir de gros risques. Mais ça soulevait de gros problèmes éthiques [...]

E.F : Et ces premiers cas, est ce que ces détenus ont été isolés ?

D.G : La majorité a été isolée au départ. Seulement la prison a toujours manqué de places. Alors ça devenait des problèmes un peu difficile parce que ça faisait qu'on concentrait un peu les autres détenus. Donc ça a quand même posé beaucoup de problèmes justement. Ça a duré quelques mois. Tant qu'il n'y en a pas eu trop. Mais encore une fois on pensait qu'il y allait en avoir beaucoup plus. Les laboratoires nous disaient : « Vous allez être le lieu idéal pour l'étudier puisque vous avez forcément des toxicomanes ». Alors, notre connaissance à l'urgence nous a bien aidé aussi. C'était une période très... pionnière quoi. C'est pour ça quand on parle du sang contaminé, moi je me dis quand même qu'on ne savait pas bien. Moi, j'avais comme politique d'être extrême, ne sachant pas, il valait mieux isoler, il valait mieux se servir d'instruments qui ne seraient que pour eux. C'est pour ça que ça faisait un peu médecine de brousse. Et puis avec une administration qui avait de la peine à suivre. On avait un dépistage de la syphilis, on avait des vacations d'infirmières pour ça, alors qu'on en trouver un cas qui le plus souvent était archi-connu. Tandis qu'on ne pouvait pas avoir un dépistage systématique, ou tout au moins en faire un certain nombre. Parce que rien n'était prévu. Et là c'était vraiment la prison qui rame. Parce que quand elle devait s'adapter.

E.F : Vous vous rappelez quand les dépistages ont été proposés ?

D.G : Ben ils ont été proposés au moins trois ans après. C'était le service du Pr Trépos. Il s'occupait des hépatites et donc il avait tous les toxicomanes. Donc il s'est occupé des gens qui avaient le VIH. Donc est venu quelqu'un qui s'occupait des détenus. Il ne dépendait pas de la Pénitentiaire ce qui était positif. Il s'y connaissait plus que nous, il avait avec lui un service hospitalier qui était celui qui s'y connaissait le mieux. Et puis il pouvait répondre à nos besoins de traitement. Le Dr Barlet avait beaucoup oeuvré avec les laboratoires. Mais c'était toujours dans cette espèce d'expérimentation.

E.F : Et ça n'a pas été trop difficile d'obtenir l'intervention de son service ?

D.G : Non, ça, ça a été plutôt facile. Parce que ça les dédouanait. A partir de ce moment là, ça ne relevait plus de l'Administration pénitentiaire. Le service du Dr Trépos est intervenu facilement aussi. Ça les intéressait. A tel point que celui qui venait s'est intéressé à la médecine pénitentiaire un peu. Il dirige maintenant le service de médecine pénitentiaire de Lyon Sud. Par ce biais là, il est rentré en prison, il a continué à avoir des liens avec le service de médecine pénitentiaire et il a pris la suite de Barlet. Son expérience était très centré sur l'infectiologie mais comme le service de médecine pénitentiaire est un service de médecine... Bien qu'on ait voulu en faire plus que ça ! Barlet était aussi psychiatre donc ça nous apparaissait de voir les gens qui ont des troubles en même temps. Ou quelles sont les conséquences d'une maladie grave en prison. C'est un trouble, ça, qui est difficile. Donc il nous semblait plus intéressant qu'il y ait un côté psychiatrique. Et moi, je n'ai pas été enthousiaste quand il a pris la suite de Barlet. Mais on ne pouvait plus trouver de psychiatre acceptant de faire de la médecine générale. Mais on aurait aimé qu'il ait une composante plus « psy » [...]

E.F : Et au niveau du service du Pr Trepos, vous me disiez qu'il avait été assez favorable ?

D.G : Oui parce qu'à ce moment là on pensait que le milieu pénitentiaire serait un milieu infecté. Trépos qui est spécialiste de tous ces trucs a été conduit... Il était dans tout ce qui était hépatites, et il a été conduit à s'intéresser au VIH et donc logiquement, c'est nous qui avons été le trouver bien sûr c'est pas lui qui... On lui en a parlé et il été un peu comme nous. Mais je vous dis bien on a sans doute extrapolé, ça n'a pas été aussi grave qu'on pouvait le penser. Parce qu'au début ça s'est traduit par de l'affolement. Les détenus ne voulaient plus intervenir. On leur disait : « Ils sont peut-être contagieux mais on ne peut pas le détecter. Même s'ils sont négatifs aujourd'hui, ils seront peut-être positifs dans trois mois ». Donc à l'époque c'était intolérable.

E.F : À l'époque vous parliez de contagion ?

D.G : Ben oui. « Il sont contagieux. Il ne faut surtout pas les approcher » [...] Souvent quand même quand y avait un risque pour... Ben on disait : « Y a un risque pour le surveillant ! » [baisse le ton] On était bien obligé. On pouvait pas.... A partir du moment... Votre secret est levé à partir du moment où ça concerne quelqu'un d'autre. Si c'était simplement pour savoir qu'un tel est contaminé. Tandis que si vous faites courir un risque à quelqu'un d'autre... Personne ne vous soutiendrait dans la défense du secret médical. Le secret doit toujours profiter à celui qui en est porteur et à ceux qui en auraient les conséquences. Moi dans les expertises, j'en ai quand même beaucoup vu qui avaient le VIH parce qu'ils avaient des rapports sexuels sans protection... Ils ont contaminé toute une série de femmes. J'ai eu toute une série de cas comme cela. Alors l'expertise, vous savez, elle est partielle mais tout ce qui peut... Même si ça concerne autre chose. Là, quand vous voyez que quelqu'un n'a aucun contrôle de lui et qu'il s'en fout, vous le mettez, même si ça n'a aucun rapport avec ce pourquoi il est condamnable. Le secret médical il faut s'en servir de façon intelligente. Ce n'est pas un secret dans l'absolu.

TROISIEME ENTRETIEN

E.F : Vous m'aviez parlé du passé du Dr Fully et vous m'aviez dit que vous aviez des points communs ?

D.G : On avait des points communs parce que, comme je vous le disais, pendant la guerre j'avais fait des liaisons comme ça mais je n'ai jamais été arrêté. On avait des idées communes. Il avait des idées de gauche et ce qui se manifestait assez nettement quand le FLN a pris du poids en Algérie et c'est pour ça qu'il avait milité, enfin d'une façon... sans provocations, il avait essayé de défendre les droits de l'homme pendant le FLN. Je crois que Marcel Colin était un chrétien militant. Il avait toujours milité aussi dans les associations étudiantes, pendant sa médecine, il avait gardé des liens avec d'autres étudiants en droit en particulier. Je sais qu'il a beaucoup participé à la distribution de ce journal qui n'était pas autorisé [Témoignage Chrétien] [...] Fully était un gaulliste de gauche. Il était gaulliste et dans le fond, il aurait était gaulliste même pour l'Algérie. Il était persuadé que l'indépendance était nécessaire et de toute façon inévitable. Fully était gaulliste parce qu'il était résistant. Il aurait en effet être pu FTP ou communiste. Moi, j'étais peu gaulliste par rapport à lui mais bon [...]

E.F : On avait commencé à parler du premier congrès de 1963 où était apparue cette idée de médecine pénitentiaire ?

D.G : Oui parce que la médecine pénitentiaire, c'était une médecine qui n'était pas connue. Elle n'était pas connue des médecins en particulier. C'était souvent des individualités qui faisaient des actions charitables, qui étaient parfois chrétiens. Ça faisait partie de la visite aux prisons. La plupart du temps, c'était gratuit. C'était une tradition soit familiale, soit dans un groupement idéologique ou religieux. On peut dire que c'est au moment où il y a eu tous ces emprisonnements après la guerre... Il y a eu des réflexions importantes des médecins et magistrats qui étaient entrés en prison [...] Amor a beaucoup dit ce que c'était la prison, ce que c'était que l'enfermement, qu'on ne pouvait pas récupérer des criminels en les traitant comme ça. Y a eu tout un rapport sur les conditions et matérielle et morales des prisons. Et notamment au niveau de la prise en charge médicale. Pendant la guerre ça a été lamentable. Les médecins signaient souvent des certificats de décès. Et ça a révélé cet état. Il a fallu quinze ans ou dix ans pour que ça se révèle, que des gens dans la hiérarchie judiciaire ont pu faire connaître leur lutte.

E.F : Et en 63 ?

D.G : Alors en 63, déjà il y a quelqu'un qui avait été nommé au ministère pour s'occuper... Parce qu'avant c'étaient des contrats locaux. Vous étiez engagé par la prison mais si vous aviez dit travailler pour le ministère de la Justice, ça aurait paru abusif pratiquement. Et vous étiez forcément isolé dans la prison. Ce qu'il y a de particulier, c'est qu'il y avait un peu dans toutes les grandes villes un médecin sur ce mode là, avec des statuts différents. Certains avaient des indemnités, certains avaient de l'importance. Il y avait des contrats entre prisons et hôpital par exemple. Il y avait une diversité des situations médicales très importante et, surtout, aucune connaissance des uns des autres. Personne... Moi, ce qui m'avait frappé, en 63, j'avais pas encore exercé en tant que médecin pénitentiaire, mais ce qui m'avait frappé c'est que personne ne s'était bien intéressé au travail de l'autre. Y a toujours eu un travail individualisé. Y avaient toujours des réticences à passer ses dossiers médicaux à d'autres. On était très individualiste. Alors en 63, ça a été un début. Mais on a vu qu'il y a des gens qui existaient et qui étaient archi-contents de trouver qu'il y en avait d'autres qui existaient, auxquels ils n'avaient jamais pensé, et surtout quand on a exposé nos situations... Alors, c'était pas scientifique. C'était du genre, je m'en rappellerai toujours : « Moi j'ai pas une pièce où je peux examiner quelqu'un parce que je suis obligé d'ouvrir la porte pour que la table d'examen puisse être mise ». Il avait les pieds dans le couloir [Rires] C'était des trucs comme ça. Et puis beaucoup disaient : « Comment les examiner alors qu'on a un surveillant à côté de soi ». etc., etc. Alors ça montrait aussi des non-exigences de la part de médecins qui acceptaient cette médiocrité pénitentiaire. Le mobilier qui était lamentable. Ils acceptaient aussi de distribuer un peu d'aspirine. Les revendications étaient quand même peu importantes [...]

E.F : Et ils vous semblaient résignés ces médecins ?

D.G : Résignés... J'ai eu l'impression qu'à ce moment là, ils pouvaient être un peu dans la révolte. Parce qu'ils en voyaient d'autres qui étaient comme ça et qui disaient : « C'est plus possible ! ». Si à Lyon on a été à la pointe, c'est parce qu'on avait nos offices ailleurs et qu'en même temps on était un groupe. Et puis, surtout, on faisait de la médecine légale. Alors vous avez toutes sortes de spécialités dans la médecine légale, vous avez de la médecine interne, anatomopathologiste et vous avez des psychiatres. Et à Lyon, ce qui a beaucoup aidé notre dynamique, c'est que pendant très longtemps, il y a eu une articulation entre la médecine légale et la médecine du travail. La médecine légale au 19ème siècle était liée à la psychiatrie puis la médecine du travail est née et elle a pris de l'importance et elle est devenue une spécialité plus recherchée que la médecine légale. Et il y avait deux élèves qui étaient possiblement professeurs de médecine légale et de médecine du travail, puis on a séparé les deux chaires et le Professeur Roche qui espérait avoir la chaire de médecine du travail n'a eu que la médecine légale. Et il a, à ce moment là, pris ça à bras le corps en disant : « On va faire revivre la médecine légale ! ». La médecine légale, il l'a non seulement fait revivre à Lyon mais aussi au niveau national. Il a ressuscité la Société de médecine légale, il a fait des élèves. Ce sont des choses un peu...commerciales. Et puis surtout ce qui a été fondamental, au moins ici et un peu ailleurs, c'est qu'il s'est dit que pour que la médecine légale soit vivante, il ne pouvait pas rester uniquement dans l'institut de médecine légale qui est réputé... faire des autopsies quoi ! Donc c'est une médecine de la mort ! Lui, était pour sortir tandis que d'autres étaient pour rester, notamment à Lille il y en avait un qui défendait cette idée que la médecine légale se fait dans l'Institut médico-légal. Alors que Roche disait : « Mais les expertises se font de plus en plus sur le vivant ». Et surtout ce qu'il est apparu, c'est qu'il y avait beaucoup de problèmes médico-légaux. Et ces problèmes se voyaient où ? Et bien chez les gens qui venaient en urgence en particulier. Et c'est comme ça qu'est venue l'idée d'appuyer l'urgence qui existait mais... A Lyon par exemple c'était la porte « A » d'Edouard Herriot, c'était la porte d'entrée. On appelle ça la « porte » d'ailleurs. Et il y avait de tout. Aussi bien les urgences chirurgicales, la psychiatrie, la médecine interne. Tout était là. J'y avais un peu participé. C'était une médecine quasi-militaire ! Vous choisissiez vos patients ! « Ça c'est pour moi ! » Y avait tout un travail qui était fait. Donc le premier service d'urgence a été fait au pavillon « P » à l'Hôtel Dieu, ils avaient moins cette approche mais ils l'ont pris un peu. Et ça a donné une vie particulière à la médecine légale. Mais très vite aussi Roche a insisté sur l'urgence psychiatrique parce qu'il y avait, comme Colin par exemple, des gens qui étaient de formation psychiatrique et il s'est rendu compte qu'on recevait beaucoup de malades psychiatriques. C'étaient toux ceux qui déliraient pour la première fois. C'était aussi, bien sûr, le suicide. Et puis c'était le moment de l'éclosion de la drogue [...] Ça aussi, ça demandait à la fois des réanimateurs et des psychiatres pour accéder à leurs problèmes. Et tout ça, ça constituait en plus des délits et la police nous les emmenait. Et tout ça a fait une médecine légale vivante. Et Roche, en plus, disait : « Comment on va faire une expertise si on est isolé ? Il faut qu'on soit proche de l'hôpital ». Et l'avantage d'Edouard Herriot, c'est qu'il y avait tout ce qu'il pouvait y avoir à l'hôpital à ce moment là. Il y avait un plateau technique extrêmement développé. Ce qui fait qu'il disait : « On ne peut être médecin légiste que si l'on est à la fois au sein d'une structure qui nous reconnaisse dans nos compétences, mais aussi dans nos grades universitaires et donc qu'on soit praticien hospitalier ». On pourrait dire qu'il a, à Lyon, intégré la médecine pénitentiaire parce que tous ceux qui allaient en prison étaient passés par-là. Colin avait beaucoup recruté. Mais Roche n'avait pas scindé la médecine pénitentiaire du reste. Il voyait la médecine pénitentiaire comme une expansion, comme une antenne de l'urgence médicale, au sens de « vous voyez, au final, les mêmes gens ». Et je pense qu'on a bénéficié de ce dynamisme.

E.F : Et Georges Fully avait un peu la même conception de la médecine pénitentiaire ?

D.G : Oui [hésitant] mais il en a fait très vite quelque chose d'un peu à part. Il en a fait quelque chose d'un peu à part. Et puis surtout, c'est pas une crique, mais il voulait marquer son travail. C'est logique. Il a bénéficié de notre appui. C'est nous qui contactions les médecins. En même temps s'est constitué un syndicat des médecins pénitentiaire autour de plusieurs médecins parisiens. Alors, eux, ils étaient plus concernés. C'étaient des praticiens qui se sentaient plus engagés dans la médecine pénitentiaire. Alors il y a eu tout un travail administratif pour que les médecins soient recrutés par le ministère, qu'ils soient payés sur le même tarif. Le but de ce syndicat était de se structurer, d'avoir des exigences dans la qualité, la spécialisation des médecins. On pensait déjà à faire une spécialité de médecine pénitentiaire. Dans ce syndicat, ça a plutôt été des parisiens. Parce que c'était à Paris que ça se passait. Y avait Fresnes, la Santé. Après y a eu Fleury-Mérogis. Ils voulaient qu'on soit plus représentatif. Parce que jusqu'à présent c'étaient tous ceux qui avaient bien voulu y être. Il fallait être docteur en médecine mais après il n'y avait pas de spécificité. Et le syndicat disait : « Il faut monter la qualité pour être payé en fonction de notre spécialité ». Et on veut un statut. On voulait être reconnu comme une spécialité avec un statut reconnu par le ministère. Peut être pas un recrutement sur titres. Plutôt que ce soit un concours [...] Donc c'était une espèce de valorisation de la profession. C'est pour ça qu'on essayait à ce moment là d'organiser des congrès, de faire des publications, pour souligner le sérieux de notre truc. Et on a intégré dans le Syndicat les médecins mais aussi les pharmaciens des prisons. C'étaient des médecins d'officine qui avaient une succursale [...] Il y avait eu une idée ici parce que Roche était un type qui aimait beaucoup les publications et il a lancé plusieurs revues. Une revue de droit médical, de criminologie et puis il avait fait une sorte de maison d'édition pour éditer les gens du groupe. Il était favorable à ce qu'on publie des articles sur les prisons mais il n'a jamais été question de faire une revue spécifiquement là-dessus. Roche fédérait un peu au niveau de la France.

E.F : Et cette ouverture de la médecine légale, c'était, j'imagine, en prévision de la réforme des études médicale ?

D.G : Il a beaucoup travaillé dans la spécialisation. Ce qu'il y avait d'intéressant c'est que la médecine légale ouvrait à l'hôpital. Nous, on était tous praticiens hospitaliers parce qu'on avait tous été avant cette réforme mais ce qui pouvait être intéressant pour ceux qui arrivaient en médecine légale, c'est qu'ils pouvaient avoir un poste de praticien hospitalier. Ou chefs de clinique ou assistants. Il y avait toute une filière pour la spécialisation. Alors le problème a été de savoir où on mettait la médecine légale. On a dit : « Il faut garder la spécialité de base ». Parce que tous les médecins légistes avaient une première spécialisation. On n'est dit qu'on ne pouvait faire de la médecine légale qu'une sur-spécialisation. C'est-à-dire qu'on va faire un ans ou deux après les quatre ans de psychiatrie, d'anatomopathologie. Autrement dit, on a gardé cet esprit là. On ne pensait pas faire une médecine légale juste après la fac de médecine. C'est très dur d'être médecin légiste sans avoir une spécialité. Vous voyez bien que pour accepter de faire un an ou deux en plus de ces autres années, il faut être motivé et il fallait bien aussi qu'on puisse avoir des postes hospitaliers. C'est-à-dire qu'on voulait intégrer la médecine légale dans la médecine tout court. C'était pas une médecine à part et surtout pas une médecine des morts. La philosophie c'était quand même de rester dans la médecine active parce que vous ne pouvez pas être médecin sans suivre le progrès !

E.F : J'imagine que là où il n'y a pas eu ce dispositif, la médecine légale a été plus affaiblie...

D.G : Oui, ils ont eu beaucoup de difficulté. A partir du moment aussi où les magistrats se sont rendus compte qu'il pouvait y avait un modèle dynamique. Ce que Roche a aussi beaucoup fait, ce qu'on ne faisait pas partout, c'est les liens avec les magistrats. Pas seulement des causettes comme ça. Par exemple, Roche faisait régulièrement des journées de médecine légale. Pour attirer un peu les magistrats, on les faisait en Provence, parce que c'est pas loin. On invitait les magistrats et on les invitait à parler. Et on vivait ensemble pendant deux trois jours. Et ça structurait, ça faisait des liens avec les magistrats. C'étaient les chefs de cour, parquet général, souvent les premiers présidents. Y a toujours eu des juges d'instruction. Y a toujours eu des Présidents d'Assises. Et ça créait des liens et c'était d'autant plus intéressant que les magistrats bougent beaucoup. Ils se retrouvent dans toute la France et ça diffusait un peu nos idées. C'est comme ça que j'ai bien connu Truche qui est devenu premier président de la Cour de Cassation. Mais ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Lyon, en plus, étant une grande ville, ça nous a permit de diffuser l'importance de la médecine légale et aussi de la médecine pénitentiaire dont il était souvent question durant ces congrès. Y avait la peine de mort, les effets de la peine. Souvent y avait une demi-journée sur la médecine pénitentiaire. Ça a été très dynamique [...] On avait beaucoup infiltré la médecine pénitentiaire dans l'enseignement criminologique. L'école des commissaires venait une fois par semaine pour une formation en criminologie clinique et pendant très longtemps les commissaires de police venaient. Vous voyez, on a toujours été comme ça, dans d'autres instances judiciaires. Il y avait aussi des journées italo-franco-suisses de médecine légale qui regroupaient ce qui était francophone et ça se faisait chaque année. On sollicitait un peu les gens qui avaient les mêmes idées que nous. Et puis il y avait des journées de criminologie italo-canadiennes qu'on faisait tous les deux ans. Et puis l'équipe lyonnaise s'est inscrite dans beaucoup de congrès. On avait un effort de diffusion de ce qu'on faisait ici.

E.F : Et le professeur Roche avait aussi des relations au niveau national avec la Chancellerie ?

D.G : Oui beaucoup. Beaucoup avec la Chancellerie. Il était d'ailleurs souvent consulté. Et il avait des relations internationales aussi. Par exemple, il avait des grandes relations avec le responsable de l'unité de médecine légale de New-York qui venait beaucoup ici. Il aimait beaucoup faire des liens. Il invitait par exemple beaucoup chez lui. Il avait une grosse villa sur le bord du parc de la Tête d'or. C'était un gros truc et, par exemple, il invitait beaucoup de monde le soir entre 7 et 10H. C'était souvent des gens différents. C'était une sorte de cocktail où des gens prenaient la parole. C'était relativement peu mondain. Il faisait beaucoup parler par exemple les gens des assurances, du genre AXA, Le Gan. Parfois, il s'en servait pour mettre ça dans une revue. C'était souvent local mais parfois c'était un peu plus que local.

E.F : La médecine pénitentiaire pour lui c'était une autre sur-spécialisation ?

D.G : Il pensait que ça serait difficile d'en faire une spécialité. Et moi aussi ! Je pensais que ça ne devait pas ... Au début, tout au début, il y avait l'idée que ça devait être une spécialité. On se découvrait. On ne se connaissait pas et on se découvrait. Mais après pour moi, pour moi, et c'est ce qui est arrivé, c'est que la médecine et toute la médecine, avec ses composantes modernes, rentre dans les prisons. Je ne voyais pas pourquoi ça serait une spécialisation. Médecine pénitentiaire ? Pourquoi ? Pour moi ça devait être un service public dans la prison, de même que l'hôpital psychiatrique avait mis en place les SMPR.

E.F : Mais en termes de rattachement universitaire, vous aviez une certaine conception, médecine légale ou urgentiste ?

D.G : Plutôt une conception de médecine légale. Il se trouve que l'urgence, on peut l'assurer mais ce qui m'apparaissait important, c'est qu'il y ait une compétence médico-légale. Parce qu'il y a quand même des situations médicales qui ont des liens étroits avec ce qui a été fait, les délits, les condamnations. Y a des gens qui décompensent parce qu'ils ont eu six ans de prison ! S'ils avaient eu six mois ils n'auraient pas décompensé. Y a quand même quelque chose qui relève de la médecine légale, du délit ou des crimes. Faut que vous sachiez aussi ce que vos clients risquent. Il faut quand même connaître le système des prisons. Il faut aussi s'assurer que le juge d'instruction ne fasse pas n'importe quoi, il ne tient souvent pas compte de la médecine pénitentiaire. Je me rappelle avoir eu beaucoup de difficulté à faire opérer un type qui avait une rétine qui se décollait. J'avais obtenu, parce que c'est une chirurgie très précise... Là aussi, l'intérêt c'est que j'étais à l'hôpital. J'avais été les voir, leur expliquer. J'avais obtenu ça et quelques jours auparavant, hop ! On me dit qu'il a été transféré parce que le juge... C'est absolument impossible ! Il faut connaître, se faire connaître des magistrats. Il faut pouvoir collaborer pour que les magistrats n'aient pas seulement l'impression que vous leur mettez des bâtons dans les roues mais que vous faites un travail médical qui est un travail aussi judiciaire.

E.F : Et avec les magistrats au quotidien vous aviez des relations très fréquentes ?

D.G : Assez fréquentes mais surtout circonstancielles. Par exemple, à propos d'un malade comme ça ou par exemple, il m'est arrivé au niveau des mineurs... Ils étaient à Saint Paul dans un service qui était quand même très.... Parce que le travail du médecin pénitentiaire, c'était aussi d'aller faire des inspections... Les fils étaient dénudés, les cuvettes de WC étaient cassées. C'était des trucs où on pouvait se faire mal et comme ils se battent parfois. Quand j'avais vu ça quoi, j'avais été au parquet pour leur dire de venir et ils m'avaient accompagné. C'est des trucs comme ça. C'était souvent sur des cas individuels. Il m'est arrivé très souvent d'écrire au juge d'instruction pour leur dire d'aller le voir, en leur disant qu'untel était susceptible de se tuer quoi ! Ils me connaissaient, au moins, les magistrats. J'étais pas aimé de tout le monde mais j'étais connu [...]

[un peu plus tard, au sujet des congrès]

E.F : Et la question de la dilution était un sujet de controverse ?

D.G : Ah, ça a été LA [Insiste fortement] question ! Y a eu d'ailleurs, je crois à Dijon, une pharmacienne de l'Hôpital de Fresnes qui a fait un test. Ça m'avait frappé. Par exemple, elle disait les gélules flottent. Et elle disait, c'est une aberration de mélanger tout ça. On écrasait des dragées dont justement l'entourage était fait pour que ça ne s'ouvre pas à ce moment, que ça s'ouvre dans l'intestin. Les gélules, pareil. Les fioles, ça a été la grande bataille parce que ça annulait les propriétés médicamenteuses ! [...] Ceux qui étaient diabétiques et insulinodépendants, ils avaient leur piqûre. On ne les autorisait pas à se la faire. Il fallait qu'ils viennent à l'infirmerie. Alors bon, d'accord. Mais ceux qui sont diabétiques non insulinodépendants avec des sulfamides hypoglycémiants, bon, c'était distribué à n'importe quelle heure. Or, il faut que ça soit distribué en rapport avec votre alimentation sinon ça n'a pas de sens. Par exemple, si c'est distribué trop tôt, vous allez augmenter l'hypoglycémie avec un risque de coma ! Enfin des trucs comme ça. En plus il n'y avait aucun respect de la posologie. Pour eux, c'était matin et soir. Ça ne pouvait pas être trois fois par jour. Alors souvent on négociait au cas par cas. Ça prenait un temps fou ! On épuisait une énergie folle. Après, j'étais prudent. Les régimes par exemple, c'était ahurissant. Je comprends que certains régimes spécifiques soient difficiles mais par exemple quand vous décidez un régime sans sel. On peut faire des pâtes sans sel. Parce qu'en général y avaient plusieurs régimes sans sel dans la prison. On pouvait faire une casserole à part. Et ben non ! Alors les diabétiques calculaient leurs doses et j'avais demandé au diabétologue de me faire des menus, simples, ça n'a jamais été possible. Il fallait peser alors on ma disait : « Vous imaginez ». S'il y avait eu 700 types à peser, je comprendrais mais il y en avait quatre ou cinq au maximum. « On n'a pas de balance ! ». C'était pas prévu ! C'est pour vous dire, c'est que des trucs comme ça. Il fallait être menaçant : « Bon ben, coma glycémique et bien voilà ! ». Quand vous êtes hypo, ben ça va bien, vous lui donnez du sucre mais quand vous êtes hyper... Qu'est ce que vous faites ? Là, ça marchait mais c'était épuisant. Et vous pouvez difficilement abandonner parce que vous vous dites : « Ben s'il y a un problème, c'est moi qui ait tort ». Parce qu'en cas de problème, c'est simple pour le directeur de dire : « Ben le médecin n'a rien vu, le médecin n'a pas fait son travail ».

E.F : Vous avez peur que votre responsabilité médicale soit impliquée ?

D.G : Oui. Par exemple, les morts subites à la prison, je n'ai jamais signé de certificats de décès ! Parce que je me disais : « C'est trop facile ! On va te dire que tu n'as pas fait ton boulot. Tu n'as pas vu un cardiaque. Tu as négligé un diabétique, etc ». Donc à chaque fois je téléphonais au SAMU en leur demandant de faire le certificat de décès. Beaucoup faisaient comme moi. Mais il y en a qui se sont fait avoir comme ça. Le problème, c'est de faire de la médecine pénitentiaire comme on fait à l'extérieur. Pareil, pour les suicides. Jamais je n'ai... De toute façon si je signais un certificat de décès, je le mettais en mort violente. Parce que de toute façon quand il y avait une urgence, il m'est arrivé de signer comme ça et je signais mort médico-légale. Ça s'est appelé mort naturelle ou mort médico légale quand on veut savoir que ce que c'est. Ça veut dire que quelque chose est suspect. L'important c'est que cette mort on ne pouvait pas en prendre la responsabilité comme une mort qui ne posait pas de problème judiciaire [...] Et les suicides, jamais je n'ai signé un mort naturel. Et puis surtout je voulais qu'il y ait des enquêtes [...]

E.F : Et quelle était la position de Fully au sujet des fioles ?

D.G : Il était très ambigu. Les fioles, c'était un principe de sécurité. Alors il disait [souffle] : « Si on a des suicides, ce sera pire ! ». C'était très difficile parce qu'on n'avait pas le personnel à disposition. Sa position a été ambiguë. Je comprenais que ce soit ambigu. Parce qu'il disait : « Ça sert quand même ! ». Il était pas contre, il était pas pour [...] Il était souvent en porte à faux... mais il avait une représentativité quoi ! Il avait ce statut du déporté ! Il avait cette honorabilité là et on était encore pas très loin des témoins de la guerre. Ça a beaucoup joué. C'était quelqu'un qui était écouté et je crois que sa position plus nuancée que j'aurais voulu... Je crois que c'était très difficile quand même pour lui. Si on m'avait proposé son poste, je ne l'aurai jamais accepté. Je crois qu'il voulait être utile. C'est un type qui aimait le risque [...]

E.F : Fully et Troisier étaient assez différents en terme de personnalité ?

D.G : Ah oui, elle a une personnalité très narcissique. C'est moins qu'on puisse dire. Je ne dirai pas qu'elle faisait rien mais elle aimait quand il y avait un peu de flonflon autour d'elle. Elle avait ses têtes. Mais elle a fait des choses. Moi, je l'ai toujours senti dans le risque d'être utilisée. Si vous aviez compris ses besoins narcissiques [...] Je pense que c'était un peu politique. Elle était quand même très engagée. C'est comme souvent, c'est monté en épingle et après vous ne pouvez plus vous en sortir. Mais, elle, je crois, qu'elle a été abusée. C'est une conviction [...]

E.F : Est-ce qu'il y avait des internes qui participaient aux congrès ?

D.G : Alors dans les premiers congrès, il n'y avait pas d'internes. Y en a qui y venaient après, de plus en plus. Certains étaient très virulents. Ce qui était intéressant c'est que ça renouvelait la sève des contestataires. On s'affadit forcément dans une lutte qu'on pense sans grands espoirs. Parce que le changement en prison a tellement été lent, qu'on ne l'a jamais bien vu. Alors que les internes qui découvraient l'univers carcéral, ça faisait un choc. La plupart du temps, ils ont été plutôt revendicateurs et nous trouvant insuffisamment protestataires [...]

E.F : Cette période de révolte, au début des années soixante-dix, vous l'avez vécue comment?

D.G : Ben moi, j'étais assez satisfait qu'il y ait des révoltes. Non pas pour la violence que ça a déclenché. J'avais aussi assez peur pour les détenus quand je les voyais sur les toits. Mais j'étais satisfait parce que je trouvais quand même qu'il y avait une conscience collective de l'injustice. Ce n'était pas sur un fait en plus, de discipline, c'était sur... Les revendications n'étaient pas ponctuelles, c'était dans une conscience qu'ils étaient des hommes et qu'on ne pouvait pas les traiter comme ça. Les juges d'instruction les mettaient en détention et ne les revoyaient pas pendant plus de six mois. Entre parenthèses, c'est incroyable. Je pensais que c'était une prise de conscience et ce n'étaient pas des revendications faciles de quelqu'un qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. C'était une revendication pour une vraie justice et ça j'avais beaucoup apprécié. Il y a eu à Toul aussi. Je me souviens de ce discours. Ça m'avait beaucoup intéressé parce que ce n'était pas tellement fréquent. Là j'avais appris des choses avec elle. Je n'avais pas la même expérience. Dans chaque congrès on apprenait des choses. Chaque prison pouvait avoir son propre règlement et c'est le directeur qui faisait le règlement.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams