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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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La mise sur agenda, un phénomène immergé dans le secteur administratif 

Interpellée par la DAP, la DGS refuse de s'associer à l'organisation du congrès. Le ministre de la Santé est cependant représenté par Guy Nicolas, vice-président du Haut comité de la santé publique (HCSP). L'objectif de ce colloque était d'arriver à capter l'attention des acteurs administratifs ou politiques, notamment par une bonne couverture médiatique. Pourtant, les organisateurs auraient évité délibérément la venue de toute personnalité politique en choisissant d'organiser cet évènement durant la période de transition entre le gouvernement d'Edith Cresson et celui de Pierre Bérégovoy suite aux élections régionales et cantonales de mars 19921861(*). C'est ce que rapporte le vice-président du Haut comité :

« Et c'est justement parce qu'on avait ce changement de ministre, provoquant un vide de trois ou quatre jours, qu'on a organisé ce colloque. Bruno Durieux ne pouvait pas prendre la parole car il n'était plus responsable, et Bernard Kouchner ne l'était pas encore »1862(*).

Cette tentative de tenir à distance délibérément les acteurs politiques peut être interprétée, comme on en fait l'hypothèse, comme la tentative de porter la réforme par un biais purement administratif en évitant ainsi qu'un ministre puisse tenter de s'approprier la réforme. Ce choix traduirait alors une stratégie de « non politisation » de la question de l'organisation des soins en prison. Les organisateurs de ce congrès souhaitaient capter l'attention des acteurs politiques, et par ce biais les services du ministère de la Santé, sans les laisser s'approprier cette réforme. « Il fallait culpabiliser les pouvoirs publics et les affoler ! "Soigner autrement" ! Démontrer ce qu'il en était et le mettre sur la place publique », observe Alain Blanc, sous-directeur de la DAP, qui avait laissé carte-blanche à Michèle Colin dans l'organisation de ce congrès.

Cette stratégie semble avoir fonctionné puisque la DGS manifeste aussitôt son intérêt. Le 4 avril au soir, Jean-François Girard contacte Jean-Paul Jean, Conseiller technique au cabinet du garde des Sceaux, Michel Vauzelle, à la demande du nouveau ministre de la Santé : « Je me souviens très bien que le soir du colloque, j'ai reçu un coup de fil à la maison de Jean-François Girard qui me dit : "On m'a dit beaucoup beaucoup de bien de ce colloque". Visiblement, il avait eu un message de Kouchner. "Il faut faire quelque chose. Moi, je suis prêt à faire un truc, etc. »1863(*). Par ailleurs, Guy Nicolas prend rendez-vous avec Didier Tabuteau, directeur de cabinet de Bernard Kouchner, qu'il avait connu auparavant au cabinet de Claude Evin.

Une première réunion a lieu entre le Directeur Général de la Santé et le Directeur de l'Administration pénitentiaire le 30 avril 1992 au terme de laquelle une collaboration entre services est jugée préférable au transfert de responsabilité de la prise en charge sanitaire des détenus1864(*). La prudence de la DGS s'explique alors par des raisons essentiellement économiques. Une note de la DGS élaborée en vue de la rencontre du 30 avril souligne que « le premier problème [des mesures envisagées] reste celui de leur coût »1865(*). Si la question économique prend tant d'importance, c'est parce que l'affiliation des détenus à l'Assurance maladie est lors de la réunion du 30 avril « considérée comme devant être examinée ultérieurement compte-tenu de sa complexité et des enjeux qu'elle représenterait en termes aussi bien économiques que politiques »1866(*). Faute d'accord sur la question budgétaire, tout transfert apparaît impossible : la démarche administrative, en l'absence de décision politique, ne peut aboutir qu'à une impasse.

Un groupe de travail Santé/Justice créé au lendemain du colloque du 4 avril 1992 aboutit également à une impasse. Le groupe se heurte à la difficulté de définir la mission qui lui a été confiée, en l'absence de demande officielle provenant des ministres1867(*). Initialement absente des débats, la question du coût de la prise en charge des détenus s'avère finalement être l'un des principaux enjeux des réunions. Conscients des attentes des professionnels de santé intervenant en détention, en termes de revalorisation de leur rémunération ainsi que de leurs équipements, les représentants de la DGS envisagent, en l'absence de nouveau financement, un échec d'une éventuelle réforme1868(*). L'opposition entre les deux directions est clairement résumée dans ce compte-rendu de réunion :

«  L'Administration pénitentiaire veut séparer la question du transfert de tutelle (vers la Santé) et celle de la protection sociale (financement des dépenses de santé des détenus par l'assurance maladie) [...] La dimension budgétaire apparaît ici centrale dans l'opportunité d'un transfert ou d'un partage de la tutelle de l'organisation des soins en prison [...] Il convient de refuser de dissocier ce problème de tutelle de celui du financement »1869(*).

Si elle refuse l'éventualité d'un transfert à court-terme, la DGS propose néanmoins en contrepartie des mesures plus modestes, susceptibles d'amorcer un rapprochement entre les deux administrations1870(*). Le ministère de la Santé écarte ainsi toute réforme globale à court terme mais propose quelques mesures coûteuses mais également symboliques à une époque où la lutte contre le sida apparaît comme la principale priorité de la politique de santé. Cette solution de demi-mesure s'explique par la délicate position dans laquelle se situe le ministère de la Santé. Il lui est, en effet, difficile d'opter en faveur d'un statu quo sur la question de la santé des détenus, labellisée comme un « problème de santé publique »1871(*). Ainsi la formulation de propositions constructives au ministère de la Justice permet à la DGS d'écarter, au moins pour un temps, la question du transfert de tutelle.

Les réunions du groupe Santé/Justice laissent clairement apparaître la difficulté à concilier les objectifs de chaque service ministériel. L'Administration pénitentiaire oriente les discussions en faveur d'un transfert de tutelle sans que la question de la protection sociale des détenus soit posée. Cette occultation de la dimension budgétaire contribue à accroître les inquiétudes de la DGS. Celle-ci tente de concilier la volonté, apparue clairement lors du congrès d'avril 1992, de faire progresser l'état de santé des détenus avec sa crainte de s'engager dans une démarche aux conséquences imprévisibles. Ce blocage est, d'après nous, essentiellement lié au mode de saisine et de traitement du projet de réforme, jusque-là immergé dans le secteur administratif. Les services de la Santé et de la Justice collaborent cependant dans des perspectives différentes puisque tandis que les premiers souhaitent amorcer une collaboration, les seconds souhaitent aboutir à un transfert de tutelle. Cette perspective dépasse la marge de manoeuvre dont dispose les cadres de l'avenue de Ségur. Faute de commande politique claire, les services administratifs peinent à trouver un terrain d'entente. Seul le recours aux décideurs politiques, via leur cabinet ministériel, peut permettre de dépasser cette impasse.

* 1861 Bernard Kouchner, Secrétaire d'État chargé de l'Action humanitaire dans le précédent gouvernement est nommé le 4 avril ministre de la Santé et de l'Action humanitaire mais il n'effectue sa prise de fonction que le lundi 6 avril, de même que Michel Vauzelle, nommé Garde des Sceaux.

* 1862 Guy Nicolas, ancien vice-président du Haut Comité à la Santé Publique et Conseiller technique auprès de la Direction des Hôpitaux. Entretien réalisé le 15/06/2005 à Paris. Durée : 2h20.

* 1863 Jean-Paul Jean, magistrat, Conseiller technique des ministres de la Justice Henri Nallet puis Michel Vauzelle de mai 1991 à avril 1992. Entretien réalisé le 6/07/2005 à Paris. Durée : 2h00.

* 1864 DGS/SDOS, « Compte rendu de la réunion du 30 avril 1992 entre le Directeur général de la santé et le Directeur de l'administration pénitentiaire », . Archives internes DGS.

* 1865 DGS/SDOS, « Note pour Monsieur le Directeur Général de la Santé sur la situation actuelle des soins en milieu carcéral », 27/04/1992. Archives internes DGS

* 1866 DGS/SDOS, « Compte rendu de la réunion du 30 avril 1992 entre le Directeur général de la santé et le Directeur de l'administration pénitentiaire », . Archives internes DGS.

* 1867 Les divergences de vue entre la DGS et la DAP aboutissent à la rédaction de deux procès-verbaux. Dans une note du 14 juin, la DGS relate au directeur de cabinet Santé cette incompréhension : « Il se confirme que les services de la Chancellerie (direction de l'administration pénitentiaire) voient dans l'exercice en cours entre le Ministère de la Santé et de la Justice avant tout l'occasion de faire admettre et annoncer publiquement par les deux ministres, le principe d'un transfert progressif de tutelle ou au moins d'une tutelle partagée. Il en résulte une divergence sur la formulation du mandat du groupe de travail Santé-Justice » (Note DH-DGS du 14/06/1992 de Mme Khodoss (DGS/3S/57) du 14 juin 1992 à l'attention de M. Tabuteau).

* 1868 Note DH-DGS de Mme Khodoss (DGS/3S) à Didier Tabuteau datée du 14/06/1992. Archives internes DGS.

* 1869 DGS/ bureau « 3S »/ Mme Khodoss, « Note de problématique. Santé en milieu pénitentiaire. Question du « transfert de tutelle » », 18/05/1992, p.3.

* 1870 DGS/SDOS « Note à destination de M. Tabuteau, directeur de cabinet du ministre de la santé », 3/06/1992.

* 1871 En atteste cette note de la DGS : « Il ne parait pas raisonnable d'accepter la charge d'un problème peu gérable en opérant un transfert de tutelle, ou même en l'envisageant pour le long terme et de façon progressive [...] En revanche il ne parait pas possible de refuser toute responsabilité sur cette question, qui est un vrai problème de santé publique » (DH-DGS/3S/57, « Note à destination de M. Tabuteau, directeur de cabinet du ministre de la santé », 14/06/1992).

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld