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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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Seconde hypothèse : la loi du 18 janvier 1994 comme réforme majeure dans la politique de « décloisonnement » de l'institution carcérale menée par des magistrats-militants

On décrit souvent la loi du 18 janvier 1994 comme la réforme statutaire de la médecine pénitentiaire51(*). Si cela est exact, cette présentation tend en revanche à minorer la seconde disposition de cette réforme qui assure à toute personne incarcérée le bénéfice de la protection sociale dont elle était jusque-là exclue52(*). Le transfert des détenus auprès du dispositif de droit commun fut justifié à partir du « principe d'équivalence » selon lequel les détenus bénéficieraient, mis à part leur perte de liberté, de droits équivalents à n'importe quel autre citoyen. Ce principe, promu aujourd'hui au plan international53(*), est présenté comme étant à l'origine de loi italienne de réorganisation des soins en prison. L'article 1er du décret n°230 du 22 juin 1999 affirme ainsi le respect du principe d'équivalence entre la médecine « du dedans » et la médecine « du dehors » à travers un « droit égal » à la santé.

Ce principe d'équivalence dépasse largement la seule question sanitaire. Ainsi, la réorganisation des soins en prison ne peut être comprise que si elle est restituée dans le cadre plus global des transformations qui ont affectées la prison. La réforme de 1994 est d'ailleurs fréquemment citée comme l'un des meilleurs exemples du processus de « normalisation » ou de « décloisonnement » des prisons qui consisterait, comme le souligne Jean-Charles Froment, à ouvrir les établissements carcéraux à de nouveaux intervenants (instituteurs, associations, partenaires privés, etc.) mais surtout à promouvoir, sur un plan plus formel, l'idée de « droits » des détenus54(*). L'intervention de Praticiens hospitaliers mais surtout l'affiliation des détenus auprès de la Sécurité sociale, unanimement salués comme la reconnaissance d'un droit aux soins, voire à la santé, permettent ainsi d'analyser la loi du 18 janvier 1994 en tant que « réforme pénitentiaire », cette dénomination renvoyant à la tentative maintes fois répétée de modifier en profondeur les logiques de fonctionnement de l'institution carcérale55(*). Certains médecins partisans du nouveau dispositif, tel qu'Olivier Obrecht, voient ainsi dans la réforme de 1994, la « Réforme » susceptible de transformer en profondeur les logiques de l'institution pénitentiaire56(*).

Considérer que la loi du 18 janvier 1994 est une réforme pénitentiaire implique de la réinscrire dans l'historicité des politiques carcérales. La « nomalisation » ou le « décloisonnement » progressif des prisons, souvent illustré là aussi par un processus assez linéaire de reconnaissance de droits aux détenus57(*), amène à s'interroger sur la dimension cognitive de la politique carcérale. Quelles sont les croyances qui orientent la politique pénitentiaire ? Pourquoi plusieurs magistrats voient-ils dans la loi du 18 janvier 1994 l'aboutissement d'une politique de « décloisonnement » et quelle signification attribuent-t'ils à ce terme ?58(*)

On est ainsi amené à s'interroger sur le rôle des membres du ministère de la Justice dans l'adoption de cette réforme. Si on comprend aisément pourquoi certains médecins se mobilisèrent en faveur de leur rattachement au ministère de la Santé, il apparaît en revanche moins évident de comprendre pourquoi certains magistrats acquiescent à cette critique de la médecine pénitentiaire placée sous la tutelle du ministère de la Justice. D'où la formulation d'une seconde hypothèse.

Si la revendication des médecins favorables à un transfert de l'organisation des soins a abouti, c'est parce qu'elle s'inscrivait dans le cadre de la transformation de l'institution carcérale en faveur de laquelle militaient certains magistrats hauts placés. Arrivés au pouvoir au cours des années quatre-vingt, ces magistrats-militants, tous issus du Syndicat de la magistrature, ont vu dans la réforme de l'organisation des soins une réforme essentielle de l'institution carcérale. Les enjeux spécifiques au secteur de la médecine, entre les partisans et les détracteurs d'une médecine pénitentiaire, n'ont ainsi pu être intelligibles pour les décideurs du ministère de la Justice que parce qu'ils faisaient sens au regard de leur propre questionnement quant à la politique carcérale.

La loi du 18 janvier 1994 est ainsi née de la rencontre entre les partisans d'une médecine autonome de l'Administration pénitentiaire et les magistrats-militants du Syndicat de la magistrature oeuvrant pour une nouvelle conception de l'institution carcérale.

Souvent réduite à la seule logique sanitaire, la réforme de 1994 soulève par conséquent des questions relatives au secteur médical ou encore aux politiques carcérales dont on ne peut rendre compte qu'au terme d'un travail de déconstruction historique dont il s'agit de souligner l'approche théorique.

* 51 L'expression de « médecine pénitentiaire » sera désormais utilisée, sans guillemets, pour se référer exclusivement à l'organisation des soins en prison telle qu'elle était en vigueur avant la loi du 18 janvier 1994.

* 52 L'article 3 de la loi du 18 janvier 1994 vient modifier l'article L. 381-30 du Code de la sécurité sociale dans les termes suivants : « Les détenus sont affiliés obligatoirement aux assurances maladie et maternité du régime général à compter de la date de leur incarcération ».

* 53 Ce principe fait l'objet d'une large promotion de la part des organisations internationales telles que l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ou le Conseil de l'Europe au sujet de l'accès des détenus aux soins comme en attestent par exemple les actes d'une conférence internationale (OMS, Prisons, drogues et société, Strasbourg, Ed. du conseil de l'Europe, 2002, p.64).

* 54 FROMENT Jean-Charles, « Introduction », Revue française d'administration publique, n°99, dossier « Administration et politiques pénitentiaires », 07/09-2002, pp.390-391.

* 55 On pense par exemple à la réforme Amor, du nom de son principal auteur, réalisée en 1944 ou encore à la réforme de 1975. Pour une analyse de la réforme pénitentiaire, on peut se reporter au texte de SEYLIER Monique, « La banalisation pénitentiaire ou le voeu d'une réforme impossible », Déviance et société, vol. 4, n°2, 1980, pp. 131-147.

* 56 OBRECHT Olivier, « La réforme des soins en milieu pénitentiaire de 1994...», art.cit., p.240.

* 57 Citons le droit à l'information (marqué par l'entrée successive dans les prisons des journaux en 1971, de la radio en 1974 et de la télévision en 1985), le droit aux relations avec l'extérieur (liberté de correspondance, parloirs sans séparation en 1983), le droit au travail (qui cesse en 1987 d'être une obligation) ou encore, de manière contemporaine, le droit à maintenir des relations familiales et sexuelles.

* 58 C'est ainsi qu'un ancien magistrat de la DAP rend compte de la réforme : BLANC Alain, « Santé en prison : la nécessaire poursuite du décloisonnement », La documentation française, Actualité et dossier en santé publique, n°44, 09/2003 pp.46-47.

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