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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 10 : LES MOUVEMENTS DE REMISE EN CAUSE DE LA PSYCHIATRIE INSTITUTIONNELLE DEPUIS LA LIBERATION

Au cours des années soixante et soixante-dix s'opère un vaste mouvement de redéfinition de ce qui est considéré comme normal et comme pathologique à tel point qu'il est rare de désigner quelqu'un de « fou » sans utiliser de guillemets2044(*). Outre la philosophie et la psychanalyse, ce mouvement affecte considérablement la psychiatrie notamment asilaire. La « révolution psychiatrique de 1945 », à savoir la réflexion critique qui émerge au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, demeure selon Marcel Jaeger théorique et se conclut par la création d'unités pour « malades difficiles » semblables à l'institution carcérale2045(*). D'autres considèrent à l'inverse qu'elle permit une certaine « humanisation » des hôpitaux psychiatriques : la circulaire 148 du 21/08/1952 permet aux femmes de déroger à la robe de bure jusque-là obligatoire et de garder leur alliance. Elle préconise de rendre les lieux de vie attrayants notamment grâce à la radio et la télévision et supprime pour les infirmiers l'uniforme de gardien. Malgré ces améliorations, « l'hôpital psychiatrique est considéré comme une annexe de la prison », rappelle Jean Ayme qui deviendra président du syndicat des psychiatres des hôpitaux2046(*).

Un mouvement interne à la profession psychiatrique visant à rompre l' « enfermement » des aliénés aboutit à la fin des années cinquante à la politique dite « de secteur », dont le principe essentiel est, selon la circulaire du 15 mars 1960, « de séparer le moins possible le malade de sa famille et de son milieu »2047(*). La nouvelle législation produit cependant peu d'effets : le régime d'exception demeure en vigueur tandis que les structures psychiatriques sont surencombrées. « Quant à la politique de secteur, elle reste, dix ans après sa définition, toujours à l'état de projet », observe Marcel Jaeger dans son histoire de la psychiatrie2048(*). Ce psychiatre alors étudiant dans les années soixante atteste des conditions de vie qui caractérisent alors certains hôpitaux psychiatriques :

« Je fais partie de la dernière génération des médecins qui ont connu les fous enchaînés dans les hôpitaux. Ma première garde d'externe, j'avais dix-huit ans. C'était à la Timone. On m'a appelé dans une cellule dans laquelle il y avait de la paille par terre. Un type était en train de se vider de son sang et il est mort d'ailleurs. Moi, j'ai connu l'infirmerie qui était une grande salle commune avec les lits aliénés, le plancher, une rigole et tous les infirmières qui passaient au jet parce que des types s'étaient chiés dessus toute la nuit... C'était en train de changer mais ça existait encore »2049(*).

C'est dans ce contexte que se développe le courant de l'antipsychiatrie qui trouve ses origines dans des travaux américains (Thomas Szaas) mais surtout anglais (David Cooper et Ronald D. Laing) et italiens (Franco Basaglia) dont les ouvrages sont traduits en France au début des années soixante-dix2050(*). Les thèses de l'antipsychiatrie rencontrent un vif succès auprès des jeunes psychiatres2051(*) mais surtout au sein des groupes se rattachant au mouvement communautaire. De nombreuses réflexions, dont les professionnels de la santé mentale sont parfois parties prenantes, émergent alors quant à la participation des psychiatres à un ordre institutionnel de nature répressive dont l'internement d'opposants politiques au régime soviétique devient le symbole2052(*).

La subordination administrative des professionnels de santé est débattue à l'occasion du licenciement d'un psychiatre, Guy Caro, travaillant dans un hôpital dont la direction désapprouve les méthodes : « Dans un établissement psychiatrique, la priorité doit-elle être accordée à l'administration ou à la médecine ? », s'interroge un journaliste à l'occasion de l'« affaire Caro »2053(*). La liberté de parole à l'égard de la hiérarchie apparaît alors comme une condition de reconnaissance de la psychiatrie en institution fermée. Des professionnels de la santé mentale prennent la parole publiquement afin d'incriminer le rôle de l'institution asilaire. Un jeune psychiatre très politisé publie ainsi après quelques années d'expérience un pamphlet dans lequel il condamne la psychiatrie asilaire, comparant l'hôpital du Vinatier de Lyon à un « camp de concentration »2054(*). Des infirmiers des hôpitaux psychiatriques se regroupent en 1973 au sein de l'Association pour l'étude du rôle et le la formation de l'infirmier psychiatrique (AERLIP) afin de réfléchir à « la fonction sociale de la psychiatrie ». Les témoignages individuels d'infirmiers se multiplient2055(*). La critique la plus radicale provient alors des « psychiatrisés » eux-mêmes rassemblés au sein du Groupe information asiles (GIA)2056(*). Connu initialement pour sa dénonciation des internements et du « scandale des asiles », le GIA s'organise progressivement à Paris sous la forme de « contre-secteurs », sorte de « groupes d'auto-défense » des ex-internés. A la différence des autres mouvements, c'est donc l'ensemble du savoir psychiatrique que condamne le GIA.

Quelqu'en soient les formes, le secteur psychiatrique est traversé depuis le début des années soixante par un mouvement de remise en cause extrêmement critique à l'égard des institutions, rendant ainsi d'autant plus probable le refus de l'autorité exercée par l'Administration pénitentiaire. La réflexion, souvent politisée, développée à l'égard de l'hôpital psychiatrique est facilement transposable à la prison, rendant d'autant plus probable sa contestation. En attestent les propos de ce psychologue :

« Il y a donc au coeur même de l'antipsychiatrie une prise de conscience politique selon laquelle le fou est un exclu, un marginal, un tenu à l'écart moins pour des raisons d'histoire personnelle ou institutionnelle (argument psy classique) que pour des raisons qui tiennent avant tout à l'organisation de telle ou telle société ; le fond du problème est politique. S'il ya des fous à l'asile dans des conditions de violence et de répression c'est que la société est elle-même violente et répressive : cette violence exprime le rapport de force qu'elle a établi entre elle et ses fous par le biais de la lutte des classes. Les hôpitaux psychiatriques représentent dans ce cas là des milieu d'incarcération et de répression psychiatriques ; ses personnels soignants ne sont que le relais de cette mise au pas du malade mental, en somme des gardiens de prison qui se parent de la fonction médicale pour justifier leur présence »2057(*).

On fait l'hypothèse que l'émergence de cette culture protestataire au sein du secteur psychiatrique apparue lors de la remise en cause de l'institution asilaire a favorisé une plus grande autonomie des psychiatres pénitentiaires à l'égard de la DAP.

* 2044 MATTONTI Frédérique, « Les nouvelles frontières du normal et du pathologique » in DAMAMME Dominique, GOBILLE Boris, MATONTI Frédérique, PUDAL Bernard, Mai-Juin 68, Éditions de l'Atelier, 2008, p. 158-171.

* 2045 JAEGER Marcel, Le désordre psychiatrique. Des politiques de la santé mentale en France, Paris, Payot, 1981, p.114.

* 2046 AYME Jean, « Les rapports historiques de la psychiatrie et de la médecine légale, de l'hôpital psychiatrique et de la prison » art.cit. p.30.

* 2047 Ibidem, p.151.

* 2048 Ibidem, p.179.

* 2049 Cyril, interne en psychiatrie aux Baumettes de 1971 à 1973. Entretien réalisé le 23/02/2006. Durée : 2H00.

* 2050 DE FREMIVILLE Bernard, « Les mouvements de remise en cause », Autrement, hiver 1975, pp.78-83.

* 2051 Le Syndicat national des psychiatres en formation crée ainsi Psychiatrie d'aujourd'hui. Cf. le numéro spécial de La nef (n°42, 1971), consacrée à l'antipsychiatrie.

* 2052 Cf. « L'internement psychiatrique arbitraire en Russie », Economie et humanisme, 05-06/1971, pp.33-36 ;« Les hôpitaux-prisons », Esprit, 01/1972, pp.59 et suiv.

* 2053 « L'affaire Caro », Le Nouvel Observateur, n°360, 4-10/10/1971.

* 2054 HOF Gérard, Je ne serai plus psychiatre, Paris, Stock, collection Témoignages, 1976.

* 2055 AERLIP, Des infirmiers psychiatriques prennent la parole, Copédith, Paris, 1974 ; BERNARD Paul, Manuel de l'infirmier en psychiatrie, Masson, 1974; REOUMIEUX André, Je travaille à l'asile d'aliénés, Editions Champ libre, 1974.

* 2056 JAUBERT Alain, Guide de la France des luttes, Paris, Stock 2, 1974, p.370.

* 2057 RICHARD Michel, « Violence et psychiatrie », Chronique sociale de France, Cahier 1, février 1972, p36.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein