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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 11 : LES EFFETS DE MAI 68 SUR LES ÉTUDIANTS DE MÉDECINE FRANÇAIS

Bien que rarement évoquée dans les descriptions des événements de Mai 68, la mobilisation des étudiants de médecine à Paris se caractérise tout d'abord par sa longueur : bien que commencée tardivement par l'occupation de la Faculté de médecine rue des Saint-Père le 13 mai, la mobilisation s'achève en septembre et peut se décomposer en trois temps2058(*). Tout d'abord se met en place un important dispositif constitué d'un Comité d'action (C.A) élu dès le 17 mai ainsi que de quatorze commissions de travail et qui s'achève le 12 juin par la levée des barricades ; dans une seconde période, le mouvement perd en dynamisme, même s'il demeure capable de mobiliser 1.500 personnes le 8 août à la Pitié sur le thème de la répression, et ce parce que les étudiants de médecine sont contraints, en raison de leurs stages, de rester à Paris pendant l'été. Cette seconde période qui s'achève fin août est celle où le C.A tente de mettre en place une stratégie afin de réformer les études médicales, en multipliant notamment les contacts avec le ministre de l'Education nationale, Edgar Faure. Enfin, la troisième période de la mobilisation, jusqu'à mi-septembre, est celle de l'affrontement à travers le boycott des examens.

Outre sa durée, la mobilisation des étudiants de médecine est inédite par la forte saillance des enjeux politiques qu'elle revêt. Comme il ressort d'une étude coordonnée par Jean-Claude Passeron en 1964, les étudiants de médecine sont nettement moins politisés que ceux de sciences humaines2059(*). Selon cette enquête par questionnaire, 2,7% des étudiants de 1ère et 2ème année de médecine parisiens militeraient et 8, 3% seraient adhérents à un parti politique alors qu'on compte à la même époque en Faculté de lettres 21% de militants et 55% d'adhérents. Passeron souligne la grande docilité dont font preuve les étudiants de médecine (« Dans leur ensemble, ils ne semblent pas sérieusement contester l'enseignement qu'ils reçoivent ») en dépit de certains « rituels désuets » qui sont encore en vigueur comme le port de la cravate aux T.P d'anatomie, celui des boutons de manchettes à certains oraux ou encore l'interdiction faite aux étudiants d'utiliser l'ascenseur2060(*).

La Faculté de médecine a cependant connu une certaine politisation à la fin des années cinquante qui s'est traduite par un renversement de tendance syndicale. L'unique syndicat, l'Association générale des étudiants en médecine de Paris (AGEMP), auquel adhérent 90% des étudiants en raison de son caractère obligatoire pour accéder aux polycopiés, passe de 1956 à 1964 des « majos » aux « minos ». Ces derniers, moins corporatistes, se situent au croisement du catholicisme de gauche, du PSU et de l'Union des étudiants communistes (UEC) et sont élus sur la base de leur refus de l'Algérie française. Leurs revendications très proches de la réforme Debré de 1958, qui vise par la création des CHU à rapprocher recherche, enseignement et soins, leur valent cependant d'être accusés par les « majos » de défendre la nationalisation du système de santé ce qui les conduit à perdre le contrôle de l'AGEMP en 1964. Les événements de Mai marquent à cet égard une rupture puisqu'ils contribuent à raviver l'engagement politique des étudiants en médecine qui avait fortement décrue depuis quelques années. En renouant avec l'esprit critique développé par les « minos », Mai 68 participe ainsi à la remise en cause de la médecine telle qu'elle était définie jusqu'alors.

La réforme des études médicales de 1958 est demeurée jusqu'alors sans grands effets en raison de l'opposition des grands patrons. Ces derniers, détenteurs d'un savoir clinique qui ne peut être remis en cause, voient d'un mauvais oeil la modernisation de la médecine susceptible de briser la relation pyramidale qui s'était établi dans les hôpitaux. Cette rigidité des études médicales s'exprime à travers le peu de place qui est accordée aux nouveaux venus du fait de la massification de l'enseignement universitaire. La faculté de médecine rue des Saint-Père reçoit en 1968 12.000 étudiants dans des locaux construits pour en accueillir 3.000 ou 4.000. La sélection y est draconienne puisque seuls 40% des étudiants de 2ème année sont admis à être « externes » et donc pouvoir avoir une relation clinique avec les patients, les 60% de stagiaires étant condamnés à demeurer dans une position d'observateur tout en subissant de nombreuses humiliations : « Dans les meilleurs services, il arrive parfois que les patrons convoquent les parents de l'externe ! », souligne J-P. Aubert2061(*).

Au vu des nombreux archaïsmes qui caractérisent les études médicales à cette époque, on comprend qu'a posteriori les principaux acteurs des événements de Mai considèrent que l'apport majeur de 68 à l'égard de la médecine ne réside pas tant dans la réforme des études médicales que dans la révolution culturelle qu'elle a rendue possible. Telle est la position du Pr Jean-Philippe Derenne, cofondateur du Centre national des jeunes médecins en 1965 et leader du C.A :

« La faculté de médecine est celle où le mouvement était le plus profond, car il avait atteint les étudiants de plein fouet. Tout le reste, Livre blanc, réforme des études, organisation de la faculté, étaient tout à fait secondaires. C'étaient des sous produits possibles à court terme. Mais, ce qui permettait ces sous-produits, était un mouvement de fond [...] Médecine a fait un mouvement de 180 degrés [...] Ce qui était révolutionnaire est que les étudiants en médecine ont été prêts à tout entendre, y compris les propos les plus extrémistes... Il était venu des milliers d'étudiants qui étaient beaucoup plus favorables à l'aspect le plus dur, le plus avancé, le plus politisé des propos qu'ils ne l'avaient jamais été auparavant à des propos cent fois plus anodins [...] Ce qui a permis que les choses changent, c'est qu'en mai 68, toute une génération a fait une expérimentation politique. Elle s'est retrouvée en opposition, ou tout simplement, en discussion avec ce qui était naturel de penser »2062(*).

L'impact de cette remise en cause des formes traditionnelles de la médecine s'exprime à différents degrés : elle semble, même si elle est rejetée par ses fondateurs, avoir participé à la naissance de la médecine humanitaire2063(*) : Bernard Kouchner, membre de l'UEC au milieu des années soixante et ayant participé aux réunions du C.A, publie à son retour du Biafra une tribune dans Le Monde, et ce en contradiction avec les principes de neutralité du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui l'avait envoyé en mission, qui préfigure la création du Groupe d'intervention médico-chirurgical d'urgence (GIMCU) puis de Médecins sans frontières (MSF)2064(*). Cette défiance à l'égard des autorités établies s'exprime, d'autre part, à travers la contestation du Conseil de l'Ordre des médecins auquel certains médecins refusent de cotiser.

Un autre effet de Mai 68 sur la médecine est le soutien du Groupe d'information santé (GIS) au Mouvement de libération des femmes en faveur de l'abrogation de la loi de 1920 sur l'avortement. Créé en 1972, le GIS rassemble quelques centaines de jeunes médecins maoïstes, dont beaucoup d'étudiants, qui mirent en oeuvre une méthode d'avortement par aspiration en tant qu' « acte médical banal »2065(*). En février 1973, ils publient un manifeste, en complément à celui « des 343 », dans lequel 331 médecins reconnaissent avoir pratiqué des avortements et, en avril 1973, ils effectuent un avortement en public à l'hôpital Saint-Antoine à Paris. Ils contestent ainsi non seulement la position du Conseil de l'Ordre mais également le monopole moral défendu par le reste du corps médical sur cette question, qualifiant pour cela l'avortement d' « acte simple »2066(*). C'est cette remise en cause des formes d'autorité, observable également en matière de médecine du travail, dont témoignent les trajectoires de certains jeunes médecins pénitentiaires.

* 2058 On s'appuie ici sur deux thèses de médecine : AUBERT Jean-Pierre, Contribution à l'étude du mouvement de Mai 68 dans les facultés de médecine parisiennes, thèse de médecine, Paris 5 Necker, 1983; BEN MERABET BELOUIZDAD Zahia, Mai 68 dans le milieu hospitalo-universitaire parisien, thèse de médecine, Paris 12 Créteil, 2004.

* 2059 PASSERON J.C (dir.), Enquête sur les étudiants en médecine, Paris, EHESS, Centre de sociologie européenne, 1964.

* 2060 AUBERT Jean-Pierre, Contribution à l'étude du mouvement de Mai 68..., op.cit., p.18.

* 2061 Idem, p.20.

* 2062 Cité in BEN MERABET BELOUIZDAD Zahia, Mai 68 dans le milieu hospitalo.., op.cit, p.132-133.

* 2063 A l'occasion des quarante ans de Mai 68, B. Kouchner récuse cette filiation soixante-huitarde, se réclamant avant tout de celle de l'urgentisme et déclarant : « L'événement marquant de l'année 1968 fut pour moi le Printemps de Prague [...] L'indifférence de la révolte française à ce qui se passait à Prague était le signe d'une indifférence plus générale à l'égard du monde, indifférence à vrai dire insupportable et dangereuse » (« Sous les pavés, le sans-frontiérisme ? », Le Quotidien du Médecin, 29/04/2008).

* 2064 GUILLEMOLES Alain, Bernard Kouchner, la biographie, Bayard, Paris, 2002.

* 2065 GARCIA Sandrine, « Expertise scientifique et capital militant. Le rôle des médecins dans la lutte pour la légalisation de l'avortement », Actes de la recherche en sciences sociales, n°158, 2005, pp.96-115 ; GAUDILLIERRE Jean-Paul, « Intellectuels engagés et experts : biologistes et médecins dans la bataille de l'avortement », Natures Sciences Sociétés, 2006, n°14, pp.239-248.

* 2066 GARCIA Sandrine, « Expertise scientifique et capital militant », art.cit., p.108. 

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld