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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 17 : LES HOSPITALISATIONS CIVILES : CAUSE ET OBSTACLE AU « DÉCLOISONNEMENT TOTAL » DE LA MÉDECINE PÉNITENTIAIRE

Les hospitalisations ont depuis longtemps posé de nombreuses difficultés à l'Administration pénitentiaire. C'est néanmoins au début des années soixante, dans le cadre de la guerre d'Algérie, que ce phénomène prend davantage d'ampleur avec les évasions d'« activistes » hospitalisés, comme en atteste une circulaire adressée le 6 octobre 1961 aux préfets et aux Directeurs régionaux des services pénitentiaires (DRSP) : « Plusieurs détenus incarcérés pour des faits d'atteinte à la sûreté de l'Etat ont réussi à s'évader au cours de leur hospitalisation [...] L'hospitalisation, c'est à dire l'envoi d'un détenu dans un service hospitalier non pénitentiaire, ne doit donc être que tout à fait exceptionnelle [...] Les extractions pour consultation ou soins dans un service hospitalier non pénitentiaires doivent également être réduites dans toute la mesure du possible »2124(*). Pour lutter contre les « hospitalisations abusives », des rappels à l'ordre sont adressés aux directeurs d'établissement, seuls aptes à habiliter ces « extractions »2125(*). Constatant le « nombre élevé » d'hospitalisations à la M.A de Châlons-sur-Marne, le responsable du Bureau de la détention enjoint le DRSP de Lille d'« appeler l'attention du médecin sur les inconvénients à procéder à des hospitalisations qui ne seraient pas absolument indispensables »2126(*).

En cas de blocage persistant, la situation est portée à la connaissance du directeur de l'Administration pénitentiaire, témoignant ainsi de l'importance accordée à ce problème. Le Bureau de l'application des peines alerte ainsi dans une note du 16 janvier 1962 le DAP au sujet d'« hospitalisations abusives de détenus activistes » à la M.A de Bayonne : « Je croyais devoir appeler à nouveau votre attention sur la situation qui se prolonge et s'amplifie à un point tel qu'elle devient dangereuse, et qu'elle constitue en tous cas un scandale. Je ne suis pas médecin mais je peux affirmer que, pour qu'un détenu soit hospitalisé à Bayonne, il faut et il suffit qu'il s'agisse d'un activiste »2127(*). Pour limiter les hospitalisations coûteuses, le ministère de la Justice privilégie les procédures d'admission à l'Hôpital de Fresnes2128(*). Ces dernières ne sont cependant pas sans poser problèmes, du fait de son encombrement mais surtout des distances à parcourir. Lors du premier congrès de médecine pénitentiaires, les praticiens estiment ainsi « plus intéressant de créer des quartiers pénitentiaires dans les hôpitaux régionaux disposant de toute l'infrastructure technique d'un hôpital moderne »2129(*).

Le problème devient plus aigu au milieu des années soixante-dix. Outre les problèmes de garde, les « hospitalisations civiles », qui représentent en 1977 60% des hospitalisations de détenus (le reste étant réalisé dans les « hôpitaux pénitentiaires » de Fresnes et des Baumettes), soit environ 3.000 par an, présentent l'inconvénient d'être coûteuses pour le ministère de la Justice2130(*). L'attitude de l'Administration pénitentiaire à l'égard des praticiens se durcit, notamment sous l'action de Solange Troisier désireuse de faire assimiler les contraintes pénitentiaires aux médecins placés sous sa responsabilité. Lors du congrès de 1975, elle déclare, en s'adressant à un représentant du ministère de l'Intérieur, « [s]'engager, dans la mesure de nos possibilités, à restreindre nos hospitalisations en milieu ouvert en favorisant celles-ci en milieu pénitentiaire » : « Naturellement, hospitalisation implique surveillante et sécurité. Et nous avons à l'heure actuelle, un peu dans tous ces hôpitaux de la région parisienne, des détenus envoyés sans discrimination autre qu'un "copinage" ou qu'une place vacante. Dès qu'un détenu est hospitalisé, cela implique au minimum 6 agents de police mobilisés dans des conditions désagréables pour eux et pour le personnel médical. Et je sais, Monsieur le préfet, que, comme tous vos collègues, vous ne nous aimez guère avec nos détenus envahissants »2131(*).

Son activité de recherche et d'enseignement lui permettent de rappeler aux praticiens les exigences de l'Administration pénitentiaire. Une thèse soutenue sous sa direction rappelle ainsi que « l'hospitalisation en milieu libre ne peut être que l'exception et n'a lieu qu'en cas de nécessité absolue [...] Ne pas hospitaliser en milieu civil, c'est éviter la friction entre police et médecins, c'est respecter la santé du détenu tout en évitant les problèmes de sécurité et de la garde à vue »2132(*).

Les inspections de Solange Troisier sont également l'occasion de noter la bonne observance des médecins du règlement en la matière. Dans un rapport sur la M.A de Nice, elle se félicite de l'attitude du médecin-chef dont elle propose l'augmentation : « Les hospitalisations ont diminué de ¾. Le Dr X est en effet un excellent praticien, conscient et responsable »2133(*). A l'inverse elle demande le licenciement du médecin de la M.A de Bastia accusé de trop prescrire d'hospitalisation du fait de l'absence de cabinet dentaire et d'appareil de radioscopie2134(*). « Il ne fait que des stupidités. J'avais demandé son remplacement et c'est vraiment urgent », demande Solange Troisier à la responsable du Bureau du personnel2135(*). Les efforts du Médecin-inspecteur semblent porter leurs fruits comme en témoigne la baisse du nombre d'hospitalisations, observée par exemple à Clermont-Ferrand, due principalement à une plus grande orientation des détenus vers l'Hôpital de Fresnes2136(*).

Ainsi, si le coût et les contraintes en matière d'hospitalisations constituent l'un des arguments évoqués en faveur du « décloisonnement » de la médecine pénitentiaire, ils représentent également l'une des raisons pour lesquelles l'Administration pénitentiaire demeure désireuse de conserver le contrôle en matière de santé, repoussant le projet d'un « décloisonnement total ».

* 2124 Circulaire Justice, Intérieur, Armées, Santé du 6/10/1961 sur l'« hospitalisation et conduite à une consultation dans un service hospitalier des détenus de la catégorie A » (CAC. 19960279. Art.121. Dossier M.404 : « Mesures en vue d'éviter les abus d'hospitalisation »).

* 2125 Les « extractions » désignent d'après le Code de procédure pénale le fait d'escorter le détenu à l'extérieur de l'établissement, soit pour les besoins de l'instruction judiciaire, soit pour des examens médicaux. Du fait de l'importante charge de travail que cela représente, les extractions ont toujours été un sujet litigieux entre la police qui en a la charge et l'Administration pénitentiaire. Cette dernière s'est vue confiée cette mission depuis la Loppsi 2 votée en 2010.

* 2126 Note du 27/10/1962 adressée par le responsable du Bureau de la détention au Directeur régional des services pénitentiaires de Lille (CAC. 19960136. Art.123. Dossier M.456 « Hospitalisations civiles »).

* 2127 Note du 16/01/1962 du Bureau de l'application des peines au DAP au sujet d'« hospitalisations abusives de détenus activistes » à la M.A de Bayonne (CAC. 19960279. Art.121. Dossier M.404).

* 2128 En 1971, le prix d'une journée en chirurgie générale dans un hôpital civil était de 212 francs contre 40 francs à l'hôpital de Fresnes (DAP, Rapport d'exercice 1971, p.69).

* 2129 DAP, Le service médical en milieu pénitentiaire, op.cit., p.32.

* 2130 « La médecine en milieu pénitentiaire », cours de l'ENAP, 22/11/1978, pp.22-23. Archives internes DAP.

* 2131 DAP, Deuxièmes journées européennes de médecine pénitentiaire, op.cit., pp.18-19.

* 2132 LALONDRELLE Joël, Travail de l'interne à la maison d'arrêt de la Santé et aspects de la médecine en milieu carcéral, thèse de médecine, Paris Cochin Port-Royal, 1981, p.43.

* 2133 Compte rendu de visite de Solange Troisier à la M.A de Nice du 28 /09/1977, document 2 pages daté du 6/10/1977 (CAC. 19940511. Art.87.)

* 2134 Lettre du chef de la M.A de Bastia au DRSP de Marseille datée du 11/02/1979 (CAC. 19830701. Art.482).

* 2135 Lettre de Solange Troisier à Mme Lalle datée du 9/05/1979 (CAC. 19830701. Art.482).

* 2136 GUION Pascale, L'hospitalisation des détenus : législation et aspect médical, thèse de médecine, Faculté de Lyon, 1983, p.112.

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