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Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

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par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

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3.3 L'horizon d'un humanisme de la diversité

L'observation de l'analyse qui précède révèle que, malgré la pertinence des théories élaborées jusqu'ici pour assurer un traitement de la diversité, la promotion de celle-ci n'est pas encore au rendez-vous. À partir de ce constat, il urge de penser encore la diversité à travers une autre approche libérale. En effet, à partir de l'existence réelle de différences culturelles, une nouvelle vision de la société démocratique s'impose : celle-là qui fait de la diversité un creuset du lien social au point que la nouvelle société qui pourrait en résulter soit fondée, d'après l'heureuse formule de Mesure et Renaut, sur « la conviction qu'une telle diversité doit absolument être érigée en valeur168 ».

C'est à la lumière de cette nouvelle exigence démocratique que Renaut conçoit sa troisième voie libérale dont il résume la préoccupation centrale en ces termes-ci :

Jusqu'où le discours identitaire et celui de l'appartenance à une culture ou à un groupe quelconque peut-il se déployer au sein des démocraties modernes sans assigner aux individus des identités semblables à celles qui caractérisaient les sociétés traditionnelles et sans le risque d'un « ré-enracinement » en des lieux et en des histoires dont ils voudraient, en tant qu'individus, s'arracher ? À quelles conditions pouvons-nous rendre compatibles les droits universels de l'humanisme abstrait avec certaines revendications du droit à la différence culturelle, religieuse ou sexuelle et à la différence de l'âge, avec des références historiques et politiques particulières, sans courir le risque d'un impérialisme culturel ?169

3.3.1 D'un humanisme de la diversité à une éthique de la diversité

Ce nouveau projet de l'humanisme oriente vers deux pistes essentielles de réflexion. Notons d'abord que dans la logique d'un approfondissement de la

167 D. Lochack, Les droits de l'homme, Paris, La Découverte, 2009, p. 88.

168 S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux, op. cit., p. 38.

169 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p.54.

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dynamique démocratique, le libéralisme dans une perspective classique avait considéré l'individu comme un être débarrassé de toute subordination extérieure. Cet être est celui dont l'autonomie, l'indépendance et la liberté de choix étaient affirmées. Mais la prise de conscience d'une nouvelle forme d'injustice, relative aux communautés culturelles, va générer dans le courant de la démocratie libérale, une nouvelle vision. Celle-ci repose essentiellement sur l'attachement manifeste de l'humain à un groupe quelconque. Dans la logique de cette nouvelle vision défendue essentiellement par le multiculturalisme, il s'agira pour la démocratie libérale de procéder à une reconnaissance institutionnelle des identités particulières sans toutefois courir le risque d'« une résingularisation proprement différentialiste des groupes, consistant à opposer à l'universalisme formel des droits de l'homme le particularisme de valeurs spécifiques à certaines cultures170 ». Ainsi, au-delà des débats entre libéraux et communautariens, Renaut envisage un traitement à la fois « politique » et « éthique » de la diversité en distinguant entre responsabilité liée à l'État et responsabilité liée à l'individu.

Au plan politique, il s'agit de faire porter l'interrogation sur la justice distributive fondée sur le principe : « à chacun ce qui lui revient selon ses mérites ou ses besoins171 ». Dans l'optique de cette justice en effet, s'est affirmée une conception de l'égalité se fermant aux différences réelles entre les hommes. Le pire, dans le cadre de cette justice distributive, ayant consisté à discriminer certains individus non point sur la base du « mérite » et du « talent » mais sur la base de certains critères tels que l'appartenance à une communauté (ethnique, raciale, culturelle) distincte. Faisant suite à ce que de nombreuses personnes ont subi comme injustice liée aux paramètres172 de la diversité, il devient impérieux de repenser la justice de façon à y inclure l'extension de l'égalité au domaine de la société. Reste alors à penser l'articulation de cette idée nouvelle d'égalité sans recourir à une pure et simple revalorisation des droits communautaires : comment concevoir l'égalité des

170 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 273.

171 A. Renaut, Égalité et discriminations, op. cit., p. 121.

172 Les paramètres de la diversité regroupent l'ensemble des dix-huit critères possibles de discrimination que sont : « l'origine, le sexe, les moeurs, l'orientation sexuelle, l'âge, la situation familiale, les caractéristiques génétiques, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l'apparence physique, le patronyme, le handicap, l'état de santé, l'état de grossesse », A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 71.

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chances, en y intégrant le sort des plus défavorisés, sans se fonder sur la politique des différences ethniques par exemple ?

C'est pour répondre à cette interrogation que Renaut, dont les positions sur ce point restent en étroite relation avec le tournant libéral de la pensée rawlsienne, publie son ouvrage Égalité et discriminations. Il y apporte son innovation à travers l'idée de « justice compensatrice », qui se présente comme une « justice correctrice » (en suivant en ce sens la terminologie aristotélicienne), ou encore une « justice réparatrice ». À travers cette justice, qu'il conçoit à côté de la justice distributive, il est question de corriger les discriminations relatives aux appartenances communautaires. Il pose comme principe fondamental de cette nouvelle justice : « à chacun ce qui lui revient en fonction de ce dont il a été privé ou spolié173 ».

On peut en outre se demander si cette nécessité de réparer des injustices commises au nom de l'abstraction des différences culturelles, par exemple, ne rend pas crédible aux yeux Renaut la « politique de la différence ». Perspective contraire, on en conviendra sans réticence, à l'esprit du nouveau penseur libéral qui s'élève contre toute tentative à l'instauration d'une « citoyenneté différenciée » ou « citoyenneté multiculturelle » laquelle compromet de toute évidence l'idéal de cohésion démocratique. C'est dans cette logique qu'il rejette la politique des quotas telle qu'elle s'est pratiquée dans le contexte américain. En effet, en raison de leur histoire qui découle de l'immigration, les États-Unis ont très tôt senti la nécessité de mettre en place un mécanisme de gestion de la diversité. Preuve en est, la théorie de l' « affirmative action » dont l'expression la plus accomplie est sa transposition au plan politique et juridique. Mise en place à partir de la fin des années soixante-dix, l' « affirmative action » avait pour soubassement la politique des quotas. Tournée essentiellement vers les « minorités raciales », ladite théorie visait à compenser les inégalités de fait résultant des discriminations précédentes. La difficulté d'accès des Noirs aux Universités américaines offre un repérage illustratif des circonstances présidant à l'émergence de l' « affirmative action ». Comme tel, dans le contexte américain, elle repose sur deux principes fondamentaux que retrace Semprini :

173 A. Renaut, Égalité et discriminations, op. cit., p. 121.

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Le premier est que les minorités - et notamment les Noirs - qui ont été tenues à l'écart de l'Université par une politique de discrimination méritent une compensation à cette injustice. Le second est la conviction que l'accès à l'instruction supérieure, en ouvrant la voie à la mobilité sociale, représente le meilleur moyen pour accélérer l'intégration des groupes marginalisés174.

Toutefois, cette gestion de la diversité à l'américaine ne voile pas les dommages causés au lien social. L' « affirmative action » plutôt que d'être source d'une intégration effective a contribué à maintenir chaque identité culturelle dans son système de valeurs. Elle a ainsi contribué à former des « assemblages de ghettos culturels », repris par Renaut sous le label de « juxtaposition de cultures ». Plus encore, cette politique, en ayant recours aux quotas ethniques, engendrait des injustices à l'égard des individus appartenant depuis longtemps à des groupes ethniques favorisés dans l'accès aux universités, parce qu'avec la politique des quotas certains parmi ces étudiants voient leur dossier rejetés malgré leurs qualités parfois supérieures aux dossiers retenus. Considérant sur ce point l'ensemble des controverses suscitées par la gestion politique des quotas, Renaut précise que la justice compensatrice consiste à ouvrir les candidatures aux emplois, l'accès aux universités à tous les étudiants sans aucune distinction que celle fondée sur le mérite et le talent. En mettant à l'écart la politique des quotas, il souscrit volontiers aux politiques préférentielles ; lesquelles considèrent que « pour un temps, la loi devait favoriser ou privilégier les représentants de groupes qui, jusqu'alors, avaient vu leurs membres souvent exclus de certaines carrières ou études pour d'autres considérations que celle de leurs talents175 ».

Au plan éthique, il faut dire que l'orientation qu'il donne à la gestion de la diversité résulte de ses lectures critiques des penseurs libéraux et communautariens. Pour rendre sa thèse plausible, deux arguments fondamentaux sont à considérer. Le premier argument est celui procédant à une rectification de la trajectoire libérale classique qui considérait l'individu comme un « moi désengagé176 », c'est-à-dire un moi privé de toute filiation communautaire. Contre ce modèle libéral classique, Renaut souligne le risque inhérent à cette forme d'extrême individualisation en

174 A. Semprini, op. cit., p. 33.

175 A. Renaut, Égalité et discriminations, op. cit., p. 15.

176 L'expression est de M. Sandel et est reprise par S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 84.

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évoquant la dispersion plus forte des choix normatifs effectués au nom de la liberté. Dans ce cadre, il rejette toute « situation d'extrême individualisation des choix effectués par les uns et par les autres, comme s'ils ne pouvaient être libres qu'en s'affirmant comme irréductiblement différents177 ». Le second argument de la position défendue par Renaut, dans le même temps, insiste sur la place prépondérante de l'individu dans l'adhésion aux valeurs communes afin d'éviter de remettre en cause la cohabitation entre les personnes et le respect de leurs inévitables divergences sur de quelconques valeurs. La conscience individuelle devient ce cadre privilégié où se joue l'essentiel de la promotion de la diversité. De la sorte, il reproche au multiculturalisme d'avoir assujetti l'individu à son groupe d'appartenance en réduisant l'identité de ce dernier à l'ensemble des interactions entre les membres de son groupe. Face aux critiques adressées à ces deux tendances, Renaut précise l'orientation de sa nouvelle piste de réflexion :

le type de fondation de l'éthique que je pratique et que je mets ici en oeuvre sous la forme particularisée d'une éthique appliquée à la diversité, ne consiste certes pas à réarmer la postulation purement métaphysique d'une pure autonomie du sujet moral, décidant souverainement des fins de ses actions à partir de lui-même, sans autre source de ses valeurs que sa volonté d'agir par devoir : simplement m'apparaît-il indispensable de distinguer la genèse de l'éthique, où le rôle de l'extériorité est indispensable, et sa fondation proprement dite, qui engage un moment où je suis l'auteur de mes actes et des choix qui y président178.

De cette affirmation découle l'urgence de mettre au clair la part importante de la conscience individuelle comme lieu où doit se jouer désormais la promotion de la diversité. Prise donc au pied de la lettre, la perspective renautienne de l'éthique met au centre de ses préoccupations, l'individu, dans sa relation avec les autres comme celui devant manifester une propension à l'ouverture vers la diversité des visions du monde. Même si une part de responsabilité devrait revenir au politique, dont l'essence se résume à l'organisation de la société dans le sens du vivre-ensemble harmonieux, à travers le choix des contenus d'enseignements par exemple, cela pour autant ne suffirait pas pour traiter de la diversité sous l'angle purement politique. Encore faudrait-il préciser que l'adoption par le politique d'un modèle éducatif favorisant l'ouverture à la diversité ne vise in fine que la responsabilisation de

177 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 26.

178 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 428.

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l'individu dans les relations interpersonnelles. Conçue comme responsabilisation de l'individu, la perspective éthique incarnée par Renaut, une fois parvenue à son paroxysme chez l'individu porteur d'une culture spécifique, favoriserait l'ouverture entre les cultures. De là découle la compréhension de l'éthique de la diversité comme une « éthique de la relation179 » laquelle génère de nouvelles valeurs en partant d'une construction dialectique entre les valeurs composant les différentes communautés culturelles.

Dans ce sens, l'éthique de la diversité qui s'appuie chez Renaut sur les « identités ouvertes » consiste donc à mettre en dialogue les différents groupes culturels pour asseoir un minimum de valeurs collégialement partagées. Faisant en ce sens appel à une « quête de compromis social », l'éthique de la diversité de Renaut tire sa justification de la « querelle des valeurs180 » qui mine les démocraties contemporaines à partir du moment où l'irruption de l'individu comme valeur des valeurs consacre l'impossibilité de recourir à une quelconque tradition ou sagesse comme devant servir de référence normative à la conscience collective. Dans ces conditions, la nécessité de trouver l' « éthique susceptible de faire surgir, dans un monde de pluralisme et de liberté, la possibilité d'accords eux-mêmes libres, mais néanmoins assez convergents et consistants pour fournir les conditions de possibilité d'un véritable vivre-ensemble (...)181 », amène Renaut à s'inspirer du modèle de

l' « éthique publique minimale182 » dont l'importance se révèle dans un univers où le « polythéisme des valeurs » dégénère en des conflits. Ce modèle éthique que l'on rencontre au Québec engage les interrogations relatives au vivre-ensemble ainsi qu'aux conditions devant favoriser un vivre-ensemble harmonieux. Pour résumer tout en une seule formule :

L'éthique publique surgirait ainsi au point de croisement de « valeurs différentes parfois conflictuelles : intérêt public et bien commun ; respect des droits et des libertés des individus ;

179 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 343.

180 Nous rejoignons en ce sens, Mesure et Renaut qui ont approfondi cette idée à partir de la métaphore wébérienne de la « guerre des dieux » induite par le « polythéisme des valeurs ». Voir donc, S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux, op. cit., p. 41.

181 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 27.

182 Elle trouve sa traduction concrète au Québec avec les travaux réalisés par la commission Bouchard-Taylor dont la préoccupation, à travers les débats, était de « déterminer jusqu'où une personne peut aller pour faire accepter aux autres les expressions et conséquences publiques de ses convictions culturelles ou religieuses », in Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 70.

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respect de la pluralité sociale, de la diversité culturelle et des particularismes moraux ; équité et justice »183.

Pour assurer le passage de la diversité comme « un fait » à cette nouvelle compréhension de la diversité comme « une valeur » sans toutefois conduire à une dégénérescence des droits en simple consécration des désirs, Renaut évoque la nécessité d'une « décolonisation des identités » comme une pierre angulaire de son nouveau modèle d'humanisme.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery