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Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

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par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

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3.3.2 Humanisme de la diversité et décolonisation des identités

La décolonisation est une notion historique, politique et juridique. Mais lorsque Renaut en fait un fondement de sa pensée, il met aussi en évidence l'aspect humain de la décolonisation, c'est-à-dire l'aspect lié à la conscience de l'individu. Ainsi dit, la décolonisation sous sa bannière ne sera pas simplement ce processus ayant conduit à la libération des identités nationales avec pour effet immédiat la résurgence du droit des minorités à disposer d'elles-mêmes. Bien plus, il s'agira d'une activité de la conscience consistant, au plan individuel et collectif, à se départir de ce qui semble constituer un obstacle à l'ouverture au nom du repli sur soi. Pour en percevoir la signification avec plus de clarté, il importe de commencer par dire un mot à propos de l'identité. En ce sens, rappelons d'abord que la notion de l' « identité », qui se laisse appréhender d'un point de vue étymologique comme ce qui est « le même », est un « Concept polymorphe184 ». On parle en effet d'une « identité individuelle », d'une « identité collective », d'une « identité sociale », d'une « identité nationale ». La liste reste ouverte quand on vient aux « identités » dites « meurtrières ». Au fond, qu'est-ce que l'identité ?

Considérant le sens étymologique et tous les réseaux conceptuels auxquels elle peut être associée, l'identité peut être considérée comme le trait référentiel qui distingue un individu d'un autre (identité individuelle) ou qui caractérise un groupe par rapport à un autre (identité collective) ou encore comme le référentiel commun à toute l'humanité (identité générique). Définie comme telle, la notion de l' « identité »

183 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 69.

184 G. Ferréol & G. Jucquois, Dictionnaire de l'altérité et des relations interculturelles, Paris, Armand Colin, 2003, p. 155.

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draine toute une problématique dont une mise au clair s'avère indispensable pour la compréhension de la décolonisation chez Renaut.

En effet, avec l'avènement de la modernité fondée sur une égale considération de tous les êtres humains, on passe d'une société hiérarchisée à une société égalitaire. Ainsi assiste-t-on, aux premières heures de la modernité, à l'émergence d'un nouveau concept, celui de la « dignité de l'être humain ». La dignité de l'être humain apparaît désormais au coeur de la politique libérale ; laquelle en voulant supprimer les classes sociales antérieures à son avènement s'appuie sur le principe de l' « égale dignité » de tous les individus en tant que jouissant des mêmes droits universellement reconnus. De ce point de vue, la conception antique de l'identité, assimilée à la position sociale occupée par l'individu, sera repensée dans le nouveau contexte de la modernité en rapport avec la dignité de l'être humain. Ainsi, en se fondant sur le nouveau concept de la « dignité humaine », telle que développée chez Rousseau et chez Kant, la tendance moderne a tiré prétexte d'une égalité naturelle entre les hommes pour affirmer l'identité de l'espèce humaine, une identité « essentialisante ». On passe ainsi d'une identité « tronquée » à une identité « reconnue ». À en croire Mesure et Renaut : « avec la naissance des sociétés modernes et à travers leur devenir, nous sommes passés de la méconnaissance de l'autre comme étant lui aussi un « moi », au même titre et avec les mêmes droits que moi, à sa reconnaissance comme tel sous le régime de l'identité185 ».

Mais, à nouveau, cette reconnaissance de l'autre comme un « moi » semble elle aussi s'être déplacée en raison de l'obligation qu'elle implique en termes de valorisation de l' « autre » dans sa différence, c'est-à-dire dans son altérité. Le difficile « entrelacement du même et de l'autre », qu'analysent avec lucidité Mesure et Renaut, attire l'attention au sujet d'un éventuel « paradoxe de l'identité démocratique ». Puisque, en réalité, la démocratie moderne avait pris pour acquis un paramètre d'égalité qui neutralisait toutes les différences. Or, à l'analyse, on découvre, à partir des revendications inhérentes à la catégorisation de l'individu, que l'identification de l' « autre » ne saurait se passer de la reconnaissance de sa différence. Toute la difficulté tient à cette possibilité d'articuler la reconnaissance

185 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 43.

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des individus en tant qu'êtres humains situés hors de toute appartenance avec leur reconnaissance comme des êtres humains appartenant à des groupes spécifiques. Sous cet angle, l'identité devient le spectre d'un large questionnement : comment un individu ou un groupe parvient-il à la conscience de son identité ? L'identité résulte-t-elle d'une construction monologique ou d'une construction dialogique ?

Ces questions indiquent déjà qu'une parfaite appréhension de la problématique identitaire nécessite une analyse systématique de diverses questions : l'une d'elles met en avant la conscience individuelle comme source de construction de l'identité et l'autre privilégie la culture comme cadre de construction des identités personnelle et collective. Le traitement intellectuel de la problématique de l'identité est donc assuré par deux tendances que présente plus amplement Ballong :

La première tendance s'oriente vers la subjectivité comme fondement de toute identité personnelle en mettant l'accent sur le sujet. La seconde qui est plus globalisante que la première, enrôle la culture en tant qu'elle détermine à la fois l'identité collective aussi bien que l'identité individuelle186.

De par les orientations induites par ces deux tendances, on peut en déduire une tension entre identité individuelle et identité collective ; une tension dont la meilleure compréhension exige que soit analysée de façon explicite la question posée par Mesure et Renaut dans l'élaboration de quelques réflexions sur les représentations modernes de l'identité : « Qui suis-je ?187 ». Signalons que cette question, que l'on pourrait adresser à tout individu, mobilise à elle seule trois types de réponses correspondant chacune à trois types d'identité. Ainsi, à cette question que l'on pourrait adresser à Taylor par exemple, trois styles de réponses correspondant à trois types d'identités peuvent être mobilisés. Ce dernier peut dans sa tentative de réponse mettre en valeur son individualité, c'est-à-dire ce qui fait de lui un être humain distinct de tous les autres êtres de la même espèce. En apportant à cette question la réponse de type « Je suis Charles Taylor », il mettrait ainsi en exergue ce qu'il a d'authentiquement unique ; donc son « ipséité ». Cette première réponse correspond à ce que Mesure et Renaut ont désigné par « l'identité distinctive ».

186 I. B. Ballong, « Essai sur la crise de l'identité culturelle », Échanges, Vol. 1, N° 001, Lomé, 2013, p. 97.

187 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 9.

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Aussi faut-il ajouter qu'une seconde réponse, différente de la première, peut être apportée à la même interrogation : « Je suis québécois ». Cette seconde réponse paraît revêtir l'identification de l'individu à un groupe, fût-il ethnique, clanique, tribal ou encore culturel. À ce niveau, la définition de l'identité prend en compte l'héritage culturel en assurant une nette distinction entre les différents groupes identitaires. Cette seconde réponse renvoie à « l'identité commune » chez Mesure et Renaut. En raison de la prégnance de la communauté sur l'individu, dans le contexte africain, toute la difficulté tient à la distinction possible entre ces deux niveaux de l'identité. Ceci au point que la citoyenneté, entendue comme la transcendance de la communauté au plan individuel, se trouve mise en branle. Une telle difficulté n'est pas étrangère à Mesure et Renaut qui la rattachent fondamentalement aux paradoxes de l'identité : « notre identité s'affirme ainsi comme le produit énigmatique de deux dynamiques potentiellement antagoniques, en vertu desquelles chacun ne peut dire « je » qu'en pensant et en disant « nous »188 ».

Enfin, cette même interrogation (« Qui suis-je ? ») peut générer une troisième réponse différente des deux précédentes. Et sur ce point, il s'agira de prendre en compte la dimension universelle de l'humanité dans la définition du singulier que représente par exemple Taylor. Ceci en identifiant les traits communs caractéristiques à tous les êtres humains. On pourra alors évoquer la réponse du personnage de Térence telle qu'elle nous a été rapportée par Mesure et Renaut : « Je suis homme, et je ne considère rien de ce qui est humain comme m'étant étranger189 ».

Au point de vue philosophique, le traitement de l'identité a souvent eu pour référence la théorie de la reconnaissance et celle de la différence telle que préconisée par Taylor. Toutefois, une difficulté subsiste toujours à l'analyse esquissée par ce dernier : jusqu'où peut-on consentir à l'affirmation des identités sans compromettre l'idéal de cohésion incarné par la démocratie ? Au-delà de Taylor et Kymlicka qui ont tous plaidé pour la reconnaissance politique et juridique des différentes identités, il revient à Renaut le mérite d'avoir insisté sur la « décolonisation des identités ».

188 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 12.

189 Ibid., p. 9.

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Mais alors, une interrogation reste ouverte : comment la décolonisation se laisse-t-elle appréhender pour ce philosophe contemporain ?

D'entrée de jeu, soulignons que la décolonisation est une notion historique, en parfaite relation avec la colonisation qui se présente comme une période au cours de laquelle plusieurs individus sont parvenus à la prise de conscience de leur identité en raison de la mauvaise image de soi que véhiculait le colon. Elle reste politique, puisqu'au lendemain de la guerre froide qui avait mis face-à-face le bloc libéral et le bloc communiste, la victoire du premier sur le second a consacré la libération des identités nationales et des minorités qui y étaient enfouies. Ces dernières trouvaient à partir de ces moments la justification de leur lutte pour l'indépendance et l'expression de ce qui en elles-mêmes marquaient leur singularité. La décolonisation reste aussi une notion juridique puisqu'à partir des années 1940, « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » consacre, « le droit des minorités à disposer d'elles-mêmes ». De ce point de vue, la décolonisation a favorisé la libération des peuples autrefois soumis au joug du colon. En octroyant ainsi la liberté à ces peuples, ceux-ci acquièrent « leur droit à la présence au monde190 ». En se référant à cette notion à la fois historique, politique et juridique, Renaut va distinguer trois grands moments dans la décolonisation :

la voie de l'indépendance totale acquise par les pays anciennement colonisés, celle de l'autonomie par intégration au sein d'une communauté rassemblant des États membres et l'ancienne métropole, ou encore la démarche aboutissant à l'assimilation d'anciennes colonies à la structure politique et l'ancien État colonisateur191.

Tout en insistant sur la troisième phase de la décolonisation, en raison de son rapport étroit avec la diversité des nations devant à la suite intégrer des ensembles régionaux à l'image de la politique métropolitaine, Renaut assigne à cette notion une originalité en ce qui concerne la diversité culturelle et la diversité sexuelle où la différenciation des rôles entre les sexes (masculin et féminin) avalise la thèse de l'identité comme relevant du construit. Lorsqu'on parcourt Un humanisme de la diversité, l'interprétation qui s'est néanmoins imposée comme la plus globale est celle qui s'appuie sur la conviction que « la relativité historique et sociale des rôles

190 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 314.

191 Ibid., p. 145.

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et des représentations génériques est le signe que le genre relève plus du « construit » que du « donné »192 ».

En faisant appel à la « décolonisation » dans les deux domaines de la culture et du genre, l'originalité de son apport réside dans sa tentative de lui accorder une activité essentiellement mentale, c'est-à-dire qu'il ne s'agit plus d'une perspective politique de la décolonisation en tant que cette perspective met l'accent sur la responsabilité des États dans le processus de libération des identités. Contrairement à cette perception de la décolonisation devenue « classique », l'essentiel de son apport se jouera dans la conscience des individus ainsi que dans les imaginaires collectifs auxquels se réfèrent toujours les individus au nom de valeurs collégialement partagées. Sur cette lancée, la décolonisation aura pour synonyme la « déconstruction » impliquant en amont un processus de construction des identités. Et c'est justement pourquoi sa référence à la culture et au sexisme se révèle significative.

En réalité, accentuées par la colonisation (qui procède, du point de vue genre, par une sorte de « domestication193 » des rôles de la femme en Afrique noire et, du point de vue culturel, par la diffusion de la conviction d'après laquelle la culture occidentale était le modèle parfait de progrès), les différences culturelles et sexuelles ont conduit à la construction des imaginaires sociaux portant sur une domination naturelle du sexe masculin vis-à-vis du sexe féminin et sur la conviction largement répandue d'après laquelle certaines cultures étaient supérieures aux autres. À travers la décolonisation, qui n'est qu'une autre désignation de la « déconstruction », il s'agit de se défaire de tous ces préjugés hypothéquant le vivre-ensemble des différentes identités construites par l'intermédiaire de la colonisation.

De ce fait, il existe un lien indéniable entre colonisation et décolonisation. En réalité, la colonisation en réduisant tout le « divers » à l'unique horizon de la culture occidentale a engendré le mépris des autres ou encore leur méconnaissance. Or, cette méconnaissance qui s'opère à travers l'abstraction des différences sera revisitée au début des années quatre-vingt-dix avec la fin de la guerre froide consacrant

192 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 259.

193 Ibid., p. 354.

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l'émergence des identités, notamment les identités nationales. À partir de cette période au cours de laquelle commencent à émerger différentes identités, c'est leur reconnaissance qui annonce l'avènement d'un nouveau monde : celui-là qui envisage la reconnaissance des identités comme un impératif pour la conscience démocratique. Mais ce nouvel impératif s'accompagne toutefois d'un risque, celui de voir les différentes identités se refermer sur leurs propres valeurs.

C'est en prenant conscience de cet éventuel risque que le penseur du concept de l' « humanisme de la diversité » accorde une place importante à la décolonisation à partir de laquelle pointe désormais une nouvelle compréhension de l'identité : en tant qu'une caractéristique fondamentale propre à un individu ou à un groupe, l'identité sera désormais comprise comme « Relation », comme ouverture et non plus comme fermeture sur soi, fermeture de soi aux autres. En témoigne, le passage, dans l'argumentation de Renaut, de la « créolité », concept « fixiste et immobile », à la « créolisation » entendue comme « processus vers », c'est-à-dire vers l'altérité. D'où découle sa formule profondément révélatrice de sa pensée : « ce sont les plantes, non les hommes, qui tiennent à leurs racines (...)194 ».

Il faut ajouter par ailleurs que la décolonisation des identités va de pair avec l'ouverture à la diversité. Développant, au nom de la promotion de la diversité, la reconnaissance des identités, Renaut précise que le passage de la notion d'« identité » à celle de la « diversité » n'est qu'un changement de lexique. Mais plus important qu'un simple changement de lexique, la notion contemporaine de la « diversité » engage une véritable politique mettant en exergue l'ouverture à la diversité comme valeur. Cette ouverture à la diversité des identités, qui se veut essentiellement critique chez Renaut, situe le différentialisme radical et l'universalisme dogmatique en deçà de la décolonisation étant donné que l'affirmation contemporaine de la différence culturelle comme objet du droit a conduit, contrairement à l'universalisme abstrait, à un différentialisme radical avec pour corollaire la construction des identités fermées les unes aux autres. L'histoire du multiculturalisme qui ne reconnaît des cultures, aux États-Unis, que par leur juxtaposition confirme bien cette idée.

194 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 439.

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Dans cette disposition d'esprit, la première exigence d'un universalisme ouvert consisterait selon Renaut en une « décolonisation des identités ». À travers ce nouveau modèle de l'universalisme, il est donc question de promouvoir un nouveau monde censé composer avec les différentes identités qui le composent. Aussi est-il question de penser aux conditions devant permettre d' « apprivoiser la panthère identitaire ». C'est pourquoi son « humanisme de la diversité » qui procède par une « déconstruction des identités » passe aussi pour une « éthique de la diversité » en raison de l'esprit d'ouverture et celui de la relation qui y prévalent :

(...) il est vrai qu'un autre espace, celui de l'éthique, demeure ouvert pour que chacun se saisisse de l'exigence de procéder en la matière, celle de la diversité culturelle comme d'autres figures de la diversité, à des choix de valeurs induits par la déconstruction de l'universalisme assimilationniste et du différentialisme se fermant à l'universel195.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle