WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

( Télécharger le fichier original )
par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1.3 Le « ghetto » ethnique, obstacle à l'émergence d'une conscience nationale

Il n'y a jamais d'État qui n'ait fait de l'unité nationale, la valeur cardinale ou encore la valeur des valeurs. Ce constat s'illustre à plus d'un niveau dans l'univers

49 J.-P. Chrétien, « Hutu et Tutsi au Rwanda et au Burundi », in J.-L. Amselle, E. M'bokolo, op. cit., p. 138

50 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, Paris, Buchet/Chastel, 2011, p. 50.

32

politique moderne. Le processus de création des identités nationales en Europe51 est un exemple phare. Tout comme l'Europe, l'Afrique ne déroge pas au constat. En Afrique en effet, la valeur de l'unité nationale s'est affirmée contre toute tendance à l'expression des particularismes ethno-régionaux. Ainsi, aux lendemains de la colonisation, l'idée de construire la nation au sein de chaque État africain sera fondée sur des mythes entretenus autour des « pères de la nation ». Ces derniers, en vertu des prérogatives qui leur étaient dévolues se révélèrent hostiles à toute tendance visant l'expression des particularismes ethniques ou régionaux : « L'unité nationale veut dire qu'il n'y a sur le chantier de la construction nationale ni Ewondo, ni Douala, ni Bamileké, ni Boulou, ni Foulbé, ni Bassaã, etc., mais partout des Camerounais52 », déclarait Ahidjo, premier président du Cameroun.

Notons en sus que dans le sillage de cette compréhension de l'unité nationale furent entreprises des démarches historiques dont l'enjeu était de faire accéder l'ensemble des populations hétérogènes, circonscrites dans les frontières de l'État moderne en Afrique, à la véritable histoire de leur passé. L'histoire étant considérée comme source de la fraternité, les historiens africains vont procéder à la définition d'une « personnalité collective nationale » tout en réifiant la population nationale dans les limites d'une identité unique et en dépassant l'hétérogénéité et les contradictions internes afférentes aux États postcoloniaux d'Afrique noire. Ceci à partir d'un recul historique qui permet à des peuples « différents à l'origine de finir par se considérer comme membres indissociables d'une même nation53 ». Avec pareilles démarches historiques, on ne comprendrait pas pourquoi l'idée de « ghetto ethnique » est encore évoquée ici comme un obstacle à l'émergence d'une conscience nationale. Si l'on a le désir de comprendre, il faudrait, à l'évidence, analyser de plus près la notion même de « nation ».

En partant du vocable romain « Natio » qui désignait la déesse de la naissance et de la provenance, la nation a d'abord fait référence à des « peuples (...) qui n'ont pas

51 Pour une documentation bien fournie, nous renvoyons au très éclairant ouvrage d'A.-M. Thiesse, La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2001.

52 Cité par E. Mbuyinga, Tribalisme et problème national en Afrique. Le cas du Kamerun, Paris, L'Harmattan, 1989, p. 29.

53 N. Gayibor, « Des défis de l'écriture d'une histoire nationale en Afrique : l'exemple du Togo », in N. A. Goeh-Akue & N. L. Gayibor (dir.), Histoires nationales et/ ou identités ethniques. Un dilemme pour les historiens africains ?, Paris, L'Harmattan, 2010, p. 28.

33

encore acquis la forme organisée de l'unité politique54 ». En s'inscrivant dans cette tradition, le mot « nation » correspondait à une situation prépolitique des hommes unis pour autant par des liens de sang. Ce premier sens incarné par la tradition romaine sera répandu à travers l'histoire du Moyen Âge jusqu'au début des Temps modernes. Mais avec les Temps modernes, cette unité sémantique sera éclatée : nation sera alors comprise comme « protagoniste de la souveraineté55 », la souveraineté du peuple à l'égard du roi. À ce point, le modèle de la nation française, advenue historiquement à la suite de la Révolution, est un exemple fécond. À partir de cette Révolution, lorsqu'on analyse le climat politique ambiant dans la modernité, la simple évocation du mot « nation » invite à le considérer soit comme une communauté d'origine soit comme une communauté résultant de l'artifice humain basé sur le schème contractualiste. Mieux dit, la nation aura deux implications : l'une valorisant l'aspect culturel (la théorie du « jus sanguinis ») et l'autre prenant en compte l'aspect politique (la théorie du « jus soli »). À ce titre, les travaux de Herder et Renan sur cette question suggèrent clairement que le mot « nation » comporte bel et bien une dimension objective, c'est-à-dire culturelle, et une dimension subjective, c'est-à-dire politique.

Sous le couvert de cette distinction opérée par ces deux auteurs, la « nation objective » défendue par Herder donnera lieu au nationalisme culturel. Cette conception de la nation privilégie les liens de sang, la langue, la coutume, bref la culture. Cette conception, dont les racines remontent à Blyden dans le contexte africain, est présentée par Jeffers, dans ses travaux consacrés à Wiredu, comme « une idéologie et/ou un mouvement social cherchant à établir et protéger l'autonomie d'un peuple en l'encourageant à préserver et cultiver sa culture dans ce qu'elle a de singulier56 ». Dans le cadre de ce nationalisme se comprennent le mouvement de la « négritude » prônée par Senghor, le « communalisme » de Nyerere et l' « idéologie de l'authenticité » mise en avant par Mobutu. Ces figures historiques que l'on vient d'évoquer, préconisaient chacune à son niveau le retour aux valeurs de la civilisation du monde noir en tant que condition d'émergence de ce continent. Conçu comme tel,

54 J. Habermas, op. cit., p. 70.

55 Id.

56 C. Jeffers, « Kwasi Wiredu et la question du nationalisme culturel », Philosopher en Afrique, LXVII, n° 771-772, Brazzaville, août-septembre 2011, p. 640.

34

on ne peut certes nier que ce nationalisme correspond à un sentiment d'appartenir à une communauté culturelle dont il s'agit de préserver les valeurs ; on ne peut non plus nier qu'il est l'expression d'un retour aux sources. Mais, dans une certaine mesure, ce nationalisme tel que proclamé par ces trois figures participait d'une hostilité à l'égard des valeurs occidentales. Or, quand on prend du recul, tout nous indique clairement que l'histoire de l'Europe occidentale ayant dominé largement celle du reste du monde, les valeurs accompagnant cette domination doivent plutôt être perçues comme un héritage dont on ne pourrait totalement s'en débarrasser et avec lequel il faudrait composer.

En ce qui concerne la « nation subjective », elle trouve son porte-parole le plus brillant chez Renan dont le propos suivant a fini par avoir force de slogan : « L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de la vie57 ». Par ce propos, Renan mettait en évidence l'idéal de la nation comme un désir de vouloir vivre-ensemble, comme une quête permanente et non achevée. Ce propos témoigne en faveur de la transcendance des liens culturels (ethniques, identitaires) comme fondement de la nation moderne. Au-delà du fait que la position défendue ici par Renan se situait dans le cadre de la controverse franco-allemande sur l'Alsace-Lorraine, dont la formule de Renan permettait à la France de récupérer les Alsaciens-Lorrains chez les Allemands, ce penseur offrait à la démocratie moderne son assise théorique. Cette dernière est apparue historiquement comme transcendance des liens sociaux primaires avec pour fondement, une forme de citoyenneté axée sur le modèle contractuel de la société. En tant que « source du lien social58 », la citoyenneté, dans le monde moderne, traduit ce vivre-ensemble au sein des mêmes institutions politiques et sociales ; un vivre-ensemble fondé sur l'égale dignité de tous. C'est cette citoyenneté qui caractérise la démocratie moderne.

En effet, contre une forme antique de démocratie, la démocratie moderne a révélé ses prouesses à travers la place prépondérante accordée à l'individu dans la sphère politique. Ce dernier, dans la jouissance de ses droits et devoirs de citoyen,

57 E. Renan, Qu'est-ce qu'une nation ? Et autres écrits politiques, Paris, Imprimerie nationale, 1996, p. 241.

58 D. Schnapper, Qu'est-ce que la citoyenneté ?, Paris, Gallimard, 2000, p. 11.

35

prend part à la vie politique de son État, en désignant lui-même ses propres gouvernants au moyen d'élections libres. L'élection étant elle-même définie comme « l'instrument de désignation des gouvernants59 », elle permet la participation des citoyens à la gestion de la chose publique. De ce fait, l'élection devient un repérage saisissant lorsqu'on ambitionne de distinguer la démocratie moderne de la démocratie antique où avait lieu par exemple la pratique du tirage au sort, au hasard ou prédictions des oracles, à l'hérédité ou à la cooptation.

Cet écart entre démocratie moderne et démocratie antique se renforce avec l'apparition des partis politiques rassemblant des hommes unis pour favoriser, par leurs efforts communs, l'intérêt national. Pour reprendre l'Article 51 de la Constitution congolaise en date du 20 janvier 2002, « Le parti politique est une association dotée de personnalité morale, qui rassemble des citoyens pour la conquête et la gestion pacifiques du pouvoir autour d'un projet de société démocratique dicté par le souci de réaliser l'intérêt général ». Le parti politique est le lieu de débats contradictoires, le lieu de discussions idéologiques, le lieu où s'offrent des instruments d'analyse prospective des projets concurrentiels ou alternatifs. Il est à rappeler également que, dans l'esprit démocratique, l'adhésion à un parti politique quelconque se fait sur la base des idées défendues ou sur la base du programme de société promu par le parti politique en question. Conformément à l'idéal démocratique moderne considérant l'individu comme « un moi non encombré60 », le parti politique ne saurait s'identifier à une ethnie, encore moins à un département, à une religion ou à une secte. Là réside la difficulté d'un ancrage de la démocratie en Afrique noire depuis les processus de démocratisation datant des années quatre-vingt-dix.

Contrairement à cet idéal démocratique, la réflexion sur la démocratie en Afrique noire se complexifie parce qu'elle prend en compte des facteurs subjectifs que sont les sentiments d'appartenance, les identités ethniques, ou plus encore, les intérêts des élites dirigeantes. Ainsi, à l'inverse de l'individualisme posé comme fondement de la démocratie moderne, c'est l'appartenance ethnique qui devient

59 D. Kokoroko, « Les élections disputées : réussites et échecs », Pouvoirs, n° 129, Paris, 2009, p. 115.

60 Nous reprenons la formule de M. Sandel, citée par S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 84.

36

synonyme de compétition électorale dans la plupart des pays en Afrique noire. Sans être excessif dans les propos, soulignons que la compétition électorale devient non pas la confrontation pacifique des projets de société concurrentiels mais l'exhibition de la représentativité ethnique. Dans une approche récente, Mazrui écrit :

Il importe de se rappeler qu'en Afrique, à l'ère postcoloniale, la représentativité se mesure souvent selon des critères ethniques et non pas électoraux. L'arithmétique de la représentation ethnique contribue souvent à rassurer les membres des différents groupes ethniques, qu'ils fassent ou non réellement partie des agents et des bénéficiaires du régime politique. Les gouvernements sont considérés comme plus ou moins représentatifs, selon que leur composition ethnique reflète plus ou moins celle de la population61.

Dans la logique de cette affirmation, il est aisé de souligner qu'en Afrique la composition même des partis politiques est aussi le lieu d'une expression du sentiment d'appartenance à une ethnie. C'est ce qui fait que l' « imposture ethnocentriste », en prenant le dessus sur l'intérêt supérieur de la nation, occasionne toute sorte d'intrigues politiciennes. Ce qui, notons-le immédiatement, met à mal la préservation du bien public, c'est-à-dire le bien commun. Ceci met à rude épreuve la possibilité d'envisager l'intérêt général dans la participation de la vie collective de la nation, nation au sens bien entendu de Renan. Ainsi par exemple, se trouvant seul face à l'urne dans un isoloir, ce n'est point comme citoyen détenteur du destin politique de son État qu'il élit tel ou tel autre candidat. Son choix reste motivé par son appartenance à une communauté dont l'absence de représentativité dans la gestion des affaires publiques est perçue par lui comme une source d'enlisement de sa communauté dans la misère. En retour, cette tendance illustre la difficulté à intégrer les intérêts des membres appartenant à d'autres communautés et à avoir, par le biais d'une démarche critique, un profond respect pour la chose publique. Plus loin, tout porte à considérer que ce que l'on désigne par « bien public » n'est que la propriété de la communauté ethnique hissée au devant de la scène politique62.

61 Repris par B. A. Davakan, Citoyenneté et identités comme enjeux d'une « démocratisation ancrée » en Afrique noire : illustration par les trois villes autonomes du Bénin, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université du Québec à Montréal, Mars 2009, p. 23.

62 En développant cette idée, nous nous référons au travail réalisé par E.-M. Mbonda au sujet de l'État camerounais, in « La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 24 sq.

37

De là résultent multiples crises, entraînant une crise de la citoyenneté ; citoyenneté sans laquelle on ne parvient pas à agir en fonction de l'intérêt général. Ce manque de lucidité dans la poursuite de l'intérêt national fait que dans beaucoup de pays d'Afrique noire, la composition des différents partis politiques fait état d'une imposture ethnocentriste. À ce premier élément, s'ajoute la persistance de la tradition de l'enrichissement par le pouvoir politique63. Ce dernier trait témoigne en faveur de l'ethnicité comme production, comme stratégie politique diffusant dans la mémoire collective des préjugés tenaces. Bowao l'a bien démontré, en s'inspirant de la réalité congolaise, lorsqu'il laissait entendre :

Le Congo a été dirigé successivement par les Kongo, les Lari, les Kouyou, les Mbochi, les N'zébi noyés dans le « NiBoLek ». Les ethnies qui ont accompagné les autres ethnies au pouvoir jusque-là, attendent, à leur tour, qu'un enfant téméraire du terroir réussisse à se frayer le chemin d'un destin national pour honorer les siens64.

Ce visage politique au Congo nous donne déjà un aperçu sur le terme « ghetto65 » et son rapport à la conscience nationale. Il est souhaitable, en ce sens, de commencer par définir la « conscience nationale ». Par conscience nationale en effet, nous entendons ici la formation de la conscience individuelle et collective qui présuppose une appropriation du vivre-ensemble dans le sens d'une participation à la construction de l'unité politique malgré nos différences ethniques. La conscience nationale, telle que définie, est en liaison étroite avec la nation politique qui s'articule autour d'un idéal de projet de société. Mais que dire du « ghetto » ? Employé étymologiquement pour désigner les quartiers juifs des grandes villes, le terme « ghetto » par extension désignait un milieu refermé sur lui-même. Ce qui est frappant à travers l'usage de ce terme, c'est la difficulté d'accès ou la marginalisation de certains milieux au sein d'un même État. C'est ainsi que, lorsque ce terme apparaît dans le rapport de l'Institut Montaigne, il désigne « Ces quartiers que la

63 Confère à ce propos J.-F. Bayart, L'État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 2006 [1989], p. 288-296.

64 C. Z. Bowao, L'imposture ethnocentriste. Plaidoyer pour une argumentation éthique du politique, Brazzaville, les Éditions Hemar, 2014, p. 38-39.

65 Le ghetto désigne au Moyen Âge les quartiers dans lesquels les juifs étaient tenus de résider en Italie. Par extension, il a ensuite désigné les quartiers juifs des grandes villes. Puis le ghetto est devenu la configuration classique de l'habitat des Noirs américains pendant plus de 80 ans. La plupart des définitions insistent sur la tendance à l'uniformité socio-ethnique de ces territoires et sur l'existence de multiples barrières rendant la sortie du ghetto difficile. Confer le rapport de l'Institut Montaigne, Les oubliés de l'égalité des chances, 2004, p. 154.

38

France appelle pudiquement des Zones Urbaines Sensibles (ZUS) (...) des quartiers à part66 ». Mais, lorsque nous l'employons dans ce travail il ne caractérise pas la condition de groupes ethniques refermés sur eux-mêmes au nom d'une pureté ou homogénéité parfaite, puisqu'à travers des pratiques courantes comme les mariages interethniques, il est impossible de parler aujourd'hui d'une « pureté ethnique ». Par « ghetto », nous voulons affirmer cette incapacité des africains à transcender les liens ethniques dans l'optique de faire porter le débat démocratique autour du véritable projet de société.

Pour attester l'assise scientifique de cette idée, tâchons de recourir à la réalité politique au Togo. Au plan politique en effet, l'opposition entre Nord-Sud, que le commun des hommes réduit à tort à une opposition entre l'ethnie « Ewé » (que l'on identifie volontiers à tout le Sud du Togo) et l'ethnie « Kabiyè » (à laquelle on résume toute la diversité ethnique qui compose le Nord), se reflète à travers la composition des partis politiques et les résultats issus des urnes. Ainsi par exemple, lors des législatives de 2007, l'obtention des sièges par les trois grands partis politiques que sont le Rassemblement du peuple togolais (RPT), l'Union des Forces du Changement (UFC) et le Comité d'action pour le renouveau (CAR) faisait état d'un primat de l'appartenance ethnique sur le sentiment national. En raison des provenances ethniques qui s'identifient au régionalisme au Togo, le Sud vote majoritairement pour le parti dont les membres étaient majoritairement du Sud tandis que le Nord manifeste sa préférence au parti dont le fondateur est du Nord. À ce titre, les résultats des législatives de 2007 au Togo nous en donne une ébauche d'analyse :

En effet, sur 81 sièges à pourvoir, le Rassemblement du peuple togolais (RPT) a obtenu 50 députés soit la majorité absolue. Mais surtout, sur les 38 sièges disponibles au Nord, il enleva 37, un seul siège, celui de Sokodé ville lui ayant échappé. Les 13 autres sièges ont été obtenus notamment dans les circonscriptions où les ethnies Kabiyè, lamba et nawdba sont importantes. Les scores des autres partis confirment ce vote ethnique. L'Union des forces du changement (UFC) dont les cadres sont majoritairement éwé a obtenu 27 sièges dont un seulement au Nord. Il remporta la totalité des sièges dans les Lacs, le Zio, l'Avé, le Golfe et 4 sièges sur les 5 de Lomé-commune. L'aire culturelle « éwé » est donc dominée par l'UFC. Le Comité d'action pour le renouveau (CAR) a gagné les 3 sièges de Yoto et 1 dans le Vo. Ces deux préfectures

66 Institut Montaigne, Les oubliés de l'égalité des chances, Paris, 2004, p. 153-154.

39

sont majoritairement peuplées par les Ouatchi, ethnie de Maître Y. Agboyibo, alors premier ministre et président du CAR67.

À partir de ces résultats, le constat qui s'impose à toute analyse est celui d'après lequel les électeurs se trouvent moins concernés par les programmes politiques ou par les projets de sociétés que par l'appartenance ethnique des candidats. Une telle prédisposition de l'imaginaire collectif des populations africaines est de nature à favoriser la logique mobilisatrice et calculatrice des identités ethniques. Plus encore, elle illustre aussi la difficulté à se départir de ses liens ethniques pour penser le bien commun dans un univers composé d'une diversité ethnique. Dans cette logique, l'expression « ghetto ethnique », qui tire ainsi sa pertinence, se laisse appréhender comme une entrave à l'émergence d'une conscience nationale ; cette dernière ayant été définie comme l'articulation des différentes aspirations autour d'un projet de société. Précisons en outre, que cette évocation ne se comprendrait parfaitement que si deux arguments sont pris en considération :

Le premier argument repose sur la conviction que, le repli sur la sphère ethnique est une sorte de subconscience vécue individuellement et/ou collectivement. C'est d'ailleurs ce qui rend possible les manoeuvres politiciennes et la personnalisation du pouvoir malgré la vague de dirigeants se succédant au pouvoir depuis les indépendances. En réalité, si le repli sur la sphère ethnique ne justifiait pas ce type de subconscience vécue au plan individuel et collectif, comment saurions-nous prouver la logique instrumentale de l'appareil d'État ? On découvre dans une certaine mesure que, la conception la plus répandue, celle-là qui attribue l'usage des leviers ethniques aux seuls gouvernants demande néanmoins à être réexaminée et peut-être nuancée. Puisque dans ce que l'on a identifié comme génocide sur le continent noir, les différents facteurs ayant engendré ces différents affrontements ont souvent mis en exergue la part active des populations elles-mêmes dans le renforcement des clivages ethniques à travers l'éducation familiale68.

67 E. Batchana, « Le Togo face au défi de la construction nationale : comment l'ethnie et la région déterminent-elles le comportement des électeurs togolais (1958-2007) », Journal de la Recherche scientifique de l'Université de Lomé, Vol. 1, N° 3, 2013, p. 16.

68 Pour une remarquable analyse des différents facteurs éducatifs engendrant les guerres au sein des États africains, voir J.-P. Chrétien (dir), Rwanda : les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995.

40

Le second argument nous invite à considérer ce que Renaut, en analysant le multiculturalisme américain, désignait par l'absence d'un « interchange des ethnies69 ». En effet, perçus comme « une société multiethnique », les États-Unis dans la perspective d'assurer un traitement convenable de leur diversité ont débouché, d'après les termes propres à Renaut, sur une pure et simple « juxtaposition » ethnique. Symétriquement, une telle juxtaposition peut être mobilisée pour refouler l'apparent brassage interethnique des africains ; lequel brassage porte d'ordinaire à affirmer un parfait métissage desdites populations. En ce point de la réflexion, refouler le brassage interethnique qui pourrait être interprété comme l'indice de cohésion des populations africaines revient à penser au véritable moteur d'un dialogue interethnique. La recherche de cet élan vers l'autre, centrée sur la nécessité d'un principe fédérateur, serait un fondement incontournable du vivre-ensemble à partir duquel les États africains pourraient se soustraire de l'emprise des différentes guerres ethniques. Car :

Lorsque des identités peuvent tout au plus coexister parce qu'il n'y a rien qui puisse les motiver à étendre, leur partialité ou leurs préférences sympathiques à des identités autres, cela les prédispose à une dangereuse juxtaposition qui risque de déboucher sur la guerre, tant leurs appétits ne sont pas régulés par un principe à la fois transcendant et fédérateur (...)70.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway