WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

( Télécharger le fichier original )
par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.2.2 « Justice ethnique » et refondation des nations africaines : enjeux et apories conceptuelles

Dans un lien significatif avec la première position dominante, la deuxième position théorique est celle qui plaide ouvertement en faveur d'une institutionnalisation de l'ethnicité en Afrique. Cette position est l'aboutissement des réflexions de maints auteurs dont Mbonda qui présente son modèle de « justice ethnique » comme le fondement de la paix dans les sociétés multiethniques d'Afrique. Son plaidoyer en faveur de la prise en compte institutionnelle105 de l'ethnicité met l'accent sur la politique des quotas, la décentralisation et la représentativité. Et ce point mérite d'être clarifié : il engage à la fois la justice sociale et la justice politique.

Du point de vue de la répartition équitable des ressources et avantages sociaux en vue d'épargner les hommes d'un état de misère incompatible avec le sentiment de leur dignité (justice sociale) il est question pour Mbonda de mettre en place des mécanismes assurant la répartition égalitaire des ressources entre les différents groupes ethniques. Sous cet angle, il fait appel à la politique des quotas ethniques comme une solution propice : « la pratique des quotas dans les représentations des

105 Nous reviendrons dans la seconde partie, sur ce point, avec Kymlicka qui, à travers cette idée d' « institutionnalisation » distingue trois droits spécifiques sur lesquels il n'est nul besoin de s'attarder pour l'heure.

56

groupes peuvent, à cet égard, si elles sont appliquées en toute équité, constituer une solution efficace106 ». Sans reprendre déjà dans une tournure critique cette idée, reconnaissons aussi que la bonne application des principes démocratiques modernes est aussi facteur de stabilité. En ce qui concerne la justice politique, il s'agit de promouvoir la participation des différents groupes à la vie collective de l'État. Les partisans de cette approche considèrent, au regard des revendications communautaires, qu'il importe de créer un cadre politique favorable à la poursuite de l'intérêt général et des intérêts particuliers. Dans ce sens, si l'on tente de cerner la logique qui a pu conduire Mbonda à épouser l'institutionnalisation de l'ethnicité, il apparaît clairement que son plaidoyer tire constat, en fait, de l'approche clientéliste de l'ethnicité qui a occasionné des génocides :

Comme on le voit, les « circonstances (historiques) de la justice » sont plutôt celles où l'on a vu se mettre en place des structures d'iniquité qui à certains endroits, ont occasionné des génocides et ailleurs, font effectivement planer le spectre d'une « explosion ethnique nucléaire »107.

Ainsi apparaît-il en toute clarté que Mbonda avait pour objectif, en associant, dans la démocratie, la justice ethnique et l'unité nationale, une prise en compte consciente de l'ethnicité qui se traduirait dans la politique des quotas, la décentralisation et la représentation. Respectivement, chacune de ces trois sphères a pour avantage d'assurer un équilibre du pouvoir en termes de pourcentage ethnique, de promouvoir la participation des citoyens au niveau d'une administration locale de proximité puis de donner la possibilité à chaque groupe ethnique d'avoir des représentants dans les institutions étatiques. Ainsi admettra-t-on volontiers, avec lui, que cette manière de concevoir l'ethnicité dans la gestion des affaires publiques « répond sans doute à un besoin vital de reconnaissance des identités et de participation qui aujourd'hui s'affirme avec plus de force en Afrique et ailleurs108 ».

106 E.-M. Mbonda, «Crises politiques et refondation du lien social : quelques pistes philosophiques», Texte non publié d'une conférence prononcée à l'Université catholique de l'Afrique centrale, Centre d'études et de recherches sur la justice sociale, 2003, p. 18.

107 E.-M. Mbonda, «La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 27.

108 Ibid., p. 41.

57

Ainsi faut-il inscrire à la gloire du philosophe camerounais le fait d'avoir pensé la prise en compte des différences ethniques comme gage d'une réponse aux multiples demandes de reconnaissance. L'exigence de reconnaissance étant de nos jours un besoin humain vital, la justice ethnique comprise comme gestion rationnelle des différences ethniques participerait à l'instauration de la paix et au renforcement de la cohésion sociale. En réalité, ce qu'il y a de remarquable dans ce contexte précis de revalorisation de la différence ethnique, c'est que les analyses auxquelles se livrent les adjuvants de cette revalorisation sont rapportées par eux, de manière insistante, aux bénéfices qu'ils trouvent à concevoir la paix et la cohésion nationale à partir de l'inclusion des différences. Ainsi soutiennent-ils, par exemple, que la « ré-ethnisation » de l'espace politique en Afrique pourrait aider à dissiper les violences issues de l'exploitation clientéliste des référents ethniques.

Mais plus important encore que cet apparent avantage est la difficulté réelle qui s'attache à cette politique de la différence fondée sur les quotas, la décentralisation et la représentation ethnique. Force est donc, dans cette nouvelle dimension, de considérer les choses de plus près. À considérer la version politique des quotas telle qu'elle est pratiquée actuellement dans certains États, on se rend compte qu'elle porte préjudice à une politique de la différence dans l'État démocratique. L'exemple qui s'impose le plus à la réflexion est celui de l'État camerounais dont les dispositions, en matière d'accès à la Fonction publique, prévoyait une répartition des places par « province d'origine » : « Au Cameroun, un décret (No 75/496) du 3 juillet 1975, modifié et complété par un autre en 1982 (No 82/407 du 7 septembre) fixe les quotas de places par « province d'origine » des parents des candidats dans toutes les écoles de l'administration civile et militaire109 ».

Dans le sillage de ce décret, nul ne saurait méconnaître les limites de la gestion des quotas à partir des difficultés qui ont fait écho. Dans ce contexte, la gestion politique fondée sur les quotas s'est révélée inefficace. Pour le comprendre, il suffit de ressasser la difficulté dans la définition même de « province d'origine » et des conditions d'appartenance à telle ou telle autre province. Elle a occasionné une répartition arbitraire et absolue des postes. Pour en percevoir davantage de limites,

109 E.-M. Mbonda, «La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 36.

58

tâchons d'opérer un rapprochement entre Mbonda et Taylor. On pourrait établir ce rapprochement en se fondant sur la notion de « justice ethnique » que le premier envisage comme « une prise en compte des différences ethniques110 ». Pour sa part, Taylor plaide pour une reconnaissance politique des identités culturelles à partir de son ouvrage Multiculturalisme, différence et démocratie. Conscient au demeurant de la difficulté qui entourait sa nouvelle politique, il écrit : « La variante hospitalière que je préfère - tout comme les formes les plus rigides - doit savoir où s'arrêter111 ».

De ce côté réside justement l'ambiguïté qui s'attache aux solutions préconisant la reconnaissance des identités culturelles et l'institutionnalisation de l'ethnicité : jusqu'où l'exigence de s'arrêter comme l'affirme bien Taylor peut-elle se situer ? En réalité, Taylor tout en évoquant les préjugés racistes comme limitation à tout projet de reconnaissance ne nous dévoile pas pour autant toute l'ambiguïté du problème. Le constat de cette part d'ombre inscrite dans l'ouvrage de ce penseur de la reconnaissance culturelle soulève en vérité une impressionnante série d'interrogations : jusqu'où la valorisation de la différence fondée sur l'appartenance à une culture peut-elle se justifier sans porter atteinte à l'intégrité de l'individu ? Jusqu'où cette valorisation culturelle peut-elle se légitimer sans porter atteinte à la cohésion entre les différentes communautés culturelles réunies au sein d'un même espace social ? On sera d'emblée conduit à douter, pour peu du moins que l'on reconnaisse du crédit à ce modèle de reconnaissance, de sa pertinence en matière de recomposition du lien social et politique. Ceci donne du relief à la conclusion sans cesse renouvelée de Cahen :

l'important est de trouver le biais permettant pleinement de tenir compte politiquement de l'ethnicité ; sans lui donner institutionnellement des pouvoirs qui eux, forcément, auraient tendance à figer les groupes dont les élites voudraient ainsi s'autoreproduire112.

110 E.-M. Mbonda, «La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 48.

111 C. Taylor, op. cit., p. 86.

112 Cité par O. N. Broohm, « L'intellectuel, la modernité politique et l'alibi ethnique », Repères, Vol. 2, n° 1, Abidjan, 2000, p. 136.

59

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand