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Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

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par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

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2.2 Fonder l'État-nation africain sur la politique des identités ethniques ?

Pendant longtemps, la démocratie en Afrique noire a été décriée sous tous les cieux parce que ne correspondant à aucune réalité africaine ; une Afrique dont la posture traditionnelle témoignait de l'entière subordination de l'individu à la communauté. Et de ce fait, l'horizon nouveau qui pointe à l'avènement de la démocratie (c'est-à-dire l'affirmation des droits individuels) a été battu en brèche. Ainsi, pour les détracteurs de la démocratie en Afrique, seul le retour aux sources purement africaines est condition de l'unité politique nationale. À bon escient, ils présentent la démocratie en Afrique comme une réalité exogène, comme un « mal qui répand la terreur » et dont la cause fondamentale, d'après Tshiyembe, est inhérente à « l'inadaptabilité du modèle étranger de l'Etat-nation aux logiques internes des sociétés africaines plurinationales99 ».

Forts de leur grille d'analyse, ces détracteurs de la démocratie en Afrique noire proposent à leur tour la valorisation institutionnelle des ethnies comme condition unique de reconstruction du lien politique dans les États africains. Dans ce registre, deux positions dominantes sont actuellement aux prises dans le sens d'une reformulation de la démocratie en contexte africain, et aucune d'elle n'échappe à des objections de fond ou ne se trouve exempte de limites.

98 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 252.

99 M. Tshiyembe, Etat multinational et démocratie Africaine. Sociologie de la renaissance politique, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 235.

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2.2.1 L' « État multinational » comme condition de renaissance politique de l'Afrique : une lecture critique

L'exigence d'un État multinational en Afrique que développe Tshiyembe et que l'on présente comme la première position théorique se déduit de l'histoire même du continent africain. En Afrique noire, la question de l'identité collective nationale en politique est toujours pensée, par référence à l'idée de diversité, en fonction des raisons intellectuelles de fond et des causes proprement historiques. Raisons intellectuelles de fond : l'Afrique noire, comme l'ont clamé les écrivains au lendemain des indépendances, est le lieu d'une socialisation de l'individu. Ainsi donc, le recentrage de l'individu sur lui-même, caractéristique de la démocratie moderne, semble s'inscrire hors de la réalité africaine. Causes historiques, parce que la réalité politique actuelle est tributaire de l'histoire coloniale à l'issue de laquelle différentes « nations précoloniales » se retrouvent au sein des mêmes frontières étatiques. Le regroupement de ces nations précoloniales, considérées comme des réalités « purement » africaines, au sein des mêmes entités politiques a été interprété par certains auteurs comme source de l'échec de la démocratisation des États africains.

Ainsi en est-il de Tshiyembe qui évoque le caractère multinational des États africains pour y justifier l'échec de la démocratie. En définissant la nationalité et la citoyenneté respectivement comme « le lien et le statut d'appartenance à une communauté de caractères » et comme « lien et le statut d'appartenance à un Etat100 », il propose l'État multinational comme condition de renaissance politique de l'Afrique. Pour lui, l'État multinational serait le plus approprié à la réalité africaine parce qu' « il est l'union sacrée des nations et des citoyens (Etat fédéral) et des Etats (Etat confédéral), ancrée dans le sol par les terroirs, à la fois lieux des mémoires et d'activités unissant dans le même destin, les morts et les vivants101 ».

Pour rendre sa thèse crédible, deux considérations importantes sont à souligner à travers ses analyses : contrairement à l'idéal démocratique hostile à la filiation des individus à certaines appartenances préétablies la première est celle qui insiste sur

100 M. Tshiyembe, op. cit., p. 249.

101 Ibid., p. 252.

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l'attachement réel de l'individu à un lien social préalable. Car, comme il a eu l'occasion de le rappeler, « s'il est possible en théorie de postuler l'existence d'hommes détachés de tout lien social préalable, dans la réalité des choses ne se présentent pas de la sorte102 ». La seconde met en exergue les avantages liés à l'institution de ce type nouveau d'État en Afrique. Ainsi soutient-il que l'État multinational est l'expression du pluriel des sociétés africaines. La pertinence de son nouveau modèle d'État réside dans la volonté de concilier légitimité traditionnelle avec la légitimité moderne en mettant ensemble la diversité des appartenances avec l'unité de la loi. On peut lire la pertinence de son nouveau modèle d'État à travers son désir de rapprocher la gestion des affaires publiques des citoyens et des communautés ethniques : « le bon sens oblige que les nations puissent participer à l'activité politique, en élisant leurs propres représentants, dans des collèges spécifiques103 ».

Certes, il est vrai, Tshiyembe en bien de ces points d'analyse suscite intérêt et attention de la part du chercheur en quête de légitimité du politique en Afrique. Toutefois, en affirmant la nécessité d'une traduction institutionnelle des appartenances ethniques, considérées par lui comme des nations sociologiques, l'État multinational comme condition d'une renaissance politique de l'Afrique, ne met pas cette première position théorique à l'abri de critiques.

Dire, en effet, que l'État africain est multinational et tenir l'échec de la démocratie en Afrique pour un corollaire porte à considérer les États occidentaux, démocratiquement avancés, comme étant culturellement homogènes. Conception erronée d'autant puisque l'histoire des sociétés humaines, depuis l'Antiquité marquée par l'apparition des Cités jusqu'à l'époque moderne caractérisée par l'émergence des États-nations, témoigne de la cohabitation de différentes ethnies ou cultures au sein d'un même espace public. De surcroît, survaloriser l'ethnie en Afrique comme expression parfaite d'entrave à l'émergence d'un sentiment national, revient à présenter le fait ethnique en lui-même comme étant culturellement homogène. Ce que ne confirme pas la division des Bantous en neuf « ethnies » territorialisées par les bantoustans ; division portant la marque d'une diversité de

102 M. Tshiyembe, op. cit., p. 248.

103 Ibid., p. 254.

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pratiques culturelles non identiques. Pour tout dire en une seule formule, disons qu'« En Afrique comme ailleurs, le tableau actuel des identités et des ethnies n'est que la conclusion provisoire d'un long cheminement : leur architecture sans cesse recomposée cumule legs ancestraux, découpes coloniales, et manipulation du temps présent104 ».

Aussi pourrions-nous justifier le rejet de l'État multinational à partir de la persistance des crises dans le contexte européen où l'on a vu s'édifier l'État-nation. En réalité, en s'appuyant sur les revendications du peuple « Ogoni » dans le Delta du Niger et bien d'autres revendications du genre, Tshiyembe considérait l'État-nation comme une réalité exogène à l'Afrique et écartait, par contrecoup, ce modèle d'État de la réalité politique africaine. Il est vrai, l'État-nation a eu pour principal mérite de penser l'unité dans la diversité. Mais, au moment où l'on s'accorde à voir en cette invention moderne l'expression d'une intégration des différences, l'actualité en Occident ne plaide pas pour une adhésion naïve à cette position. Preuves en sont les revendications des Kurdes en Irak et en Turquie, des Basques en Espagne, des Tamouls en Inde. S'il importe de le rappeler, c'est que par une sorte d'illusion rétrospective, on aurait tendance à garder toujours à l'esprit cet idéal d'intégration ayant conduit à l'émergence de l'État-nation alors que, des pressions internes et externes qui le secouent nous suggèrent l'idée d'une « mondialisation » de la crise de l'État-nation. Crise à partir de laquelle on pourra s'inscrire en porte-à-faux avec la position défendue par Tshiyembe.

De ces différentes critiques, il s'ensuit que l'exigence d'un État multinational en Afrique noire s'exclut du débat. Car, le problème étant de déterminer ce qui peut unir politiquement les Africains plutôt que d'insister sur ce qui les divise « ethniquement », un tel État se présente en opposition à la recherche de l'unité nécessaire pour une identité civique. Cet appel à une revalorisation des appartenances ethniques au sein de l'État en Afrique pourrait certes, trouver sa justification dans la persistance des liens sociaux mécaniques dans le psychisme collectif ou encore dans la forte socialisation africaine laissant peu de place ou même pas du tout à l'individualisme. À l'analyse cependant, cette « réappropriation » de

104 J.-C. Bruneau, « Les ethnies ont une origine précoloniale », in G. Courade (dir.), op. cit., p. 137.

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l'État démocratique par les Africains relève d'une impertinence. Et ceci pour au moins deux raisons : d'un côté en effet, sauf à mobiliser une forte conscience de l'individu, il est aisé de se convaincre qu'une telle réappropriation donnerait lieu à des manoeuvres politiciennes lesquelles seraient à la faveur de quelques-uns ; de l'autre côté, absence des liens primaires dérogeant ici au constat, il serait tentant pour une ethnie d'exclure les autres de l'espace public (si cet espace en venait à exister). Exclusion qu'on pourrait prévoir à travers les tentatives des dirigeants à renforcer les liens ethniques. Ces deux raisons, éventuelle expression d'une désaffection citoyenne et politique, nous invitent à une lecture critique de l'État multinational qui présente les ethnies comme des nations à part entière. Par conséquent, il s'agit de montrer que l'ethnie ne saurait être « fétichisée » dans le processus de refondation de la nation démocratique africaine.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe