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L'effectivité du droit des investissements direct étranger au Cameroun


par Loïc MESSELA
Université Catholique d''Afrique Centrale - Master 2 en Contentieux et Arbitrage des Affaires 2018
  

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Paragraphe 2: L'insécurité judiciaire dans l'espace OHADA

A côté de la sécurité juridique, la sécurité judiciaire était l'un des objectifs affichés par les fondateurs de l'OHADA. Il est essentiel d'avoir des juridictions capables d'implémenter les dispositions des actes uniformes. Cette nécessité qui a conduit à la création de la CCJA. Nous ne reviendrons pas sur ses fonctions et ses prérogatives. L'article 20 du traité OHADA dispose : « reçoivent sur le territoire de chacun des Etats parties, une exécution forcée, dans les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales ». Ce texte ne concerne cependant que les arrêts rendus par la CCJA. Au niveau des juridictions internes des Etats-parties, on retrouve une absence ou une faible coopération horizontale. Il est difficile pour un justiciable de faire exécuter la décision de justice qu'il aurait obtenu dans un autre Etat qui est par ailleurs membre de l'espace OHADA.

La libre circulation des décisions est la possibilité pour chaque titre de circuler ou de produire des effets dans les Etats requis sans procédures intermédiaires, ou en l'absence de reconnaissance ou d'exécution181. Hormis à l'article 20 du traité OHADA précité, le législateur OHADA n'a pas organisé la circulation des décisions de justice rendues par les

180 Ibid p.92

181 C.V. NGONO, Réflexion sur l'espace judiciaire OHADA, Revue de l'ERSUMA : Droit des affaires - Pratique Professionnelle, n°6 - Janvier 2016, www.ohada.org, consulté le 05 novembre 2018 à 14 : 30

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juridictions nationales des Etats parties à l'OHADA. De fait l'on peut affirmer que l'espace judiciaire OHADA est perceptible mais loin d'être réalisé. Le premier frein à la circulation des décisions de justice est l'absence de coopération entre les systèmes judiciaires des Etats parties (A). A cela il faut ajouter l'absence de circulation des titres exécutoires (B).

A) L'absence de la libre circulation des décisions de justices au sein des Etats-membres

Aucune disposition n'est consacrée en ce qui concerne la circulation des décisions rendues par les juridictions de fonds des pays membres de l'OHADA. Elles sont donc soumises au droit commun de l'Etat de la circulation des décisions de justice182. Or il serait nécessaire d'harmoniser les procédures judiciaires au sein des Etats-membres de l'OHADA. Toutefois, cela soulève de nombreuses difficultés techniques. Etant entendu que les questions processuelles relèvent de la souveraineté des Etats, il est dès lors difficile d'amener un Etat à renoncer à son pouvoir aussi facilement. Après avoir abordé cette première difficulté, un autre problème se pose qui est celui de savoir ce qu'il faut harmoniser ? Est-ce l'organisation judiciaire interne des Etats parties ? Ou les règles de compétence des juridictions et les procédures civiles et commerciales des Etats-parties ? Cela conduirait à examiner et à harmoniser l'ensemble des codes de procédures civiles et commerciales des Etats-parties. Ce qui s'avère être un travail fastidieux et difficilement réalisable.

En dépit des difficultés matérielles qui concourent à la difficile harmonisation d'une carte judiciaire du droit OHADA, celle-ci est tout de même nécessaire. La disparité des formes et procédures judiciaires dans l'espace judiciaire OHADA est l'une des faiblesses de ce droit uniforme. Et cela constitue une insécurité judiciaire pour le justiciable qui a obtenu une décision favorable dans un Etat mais voudrait l'exécuter dans un autre. En l'état actuel, chaque Etat partie a sa propre procédure en matière d'exéquatur et de reconnaissance des décisions de justice. L'une des conditions pour qu'une décision de justice soit exéquaturée est la non-contrariété à l'ordre public interne de l'Etat où l'exécution est poursuivie. Pour qu'un jugement soit contraire à l'ordre public d'un Etat, il faudrait que la loi appliquée au fond par la juridiction soit contraire à l'ordre public de l'Etat requis. Rationnellement, cette situation est impensable en ce qui concerne le contentieux des affaires dans l'espace OHADA. Les actes uniformes régissent l'essentiel du droit des affaires des Etats membres. De ce fait la

182 FOMETEU (J), L'OHADA : l'idéologie et le système, p. 315, POUGOUE (P.G) (Mélanges en l'honneur de), De l'esprit du Droit Africain, Wolters Kluwer, 2014

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législation appliquée au fond est la même quel que soit le pays dans lequel on se trouve183. Un auteur affirme à cet effet que : « la domestication de la formule exécutoire est injustifiée dans un espace où le pouvoir de juger est communautarisé et les voies d'exécution uniformisées »184. Cette pratique est préjudiciable au bénéficiaire d'une décision de justice qui aurait vocation à être exécuté dans plusieurs pays. Il serait dès lors soumis au préalable de l'apposition de la formule exécutoire dans tous ces pays. Une procédure de plus qui est de nature à décourager le justiciable en raison des coûts et de la durée de la procédure. Le fait que l'OHADA ait laissé le soin aux législateurs nationaux de règlementer les procédures de reconnaissance et d'exécution crée une diversité de régime de circulation. Les régimes n'étant pas identiques. C'est ainsi qu'une ordonnance d'injonction de payer rendue au Cameroun et soumise au juge gabonais pour exéquatur, ce dernier appliquera la convention de Tananarive donc les conditions sont plus rigides que celles appliquées au Cameroun185.

B) L'absence de coopération entre les juridictions nationales des Etats-parties au traité OHADA

La coopération dont il est question ici est la coopération horizontale. C'est-à-dire celle entre les juridictions de même degré. Elle est différente de la coopération verticale qui concerne les relations entretenues par les juridictions nationales et la CCJA. Il existe de nombreuses divergences dans l'organisation judiciaire des Etats-parties. Certains Etats ont créé des juridictions commerciales. C'est le cas du Tchad, de la République Centrafricaine, du Mali, de la République Démocratique du Congo et enfin de la République Islamique des Comores. D'autres ont créé des chambres commerciales au sein de leurs tribunaux de première instance. C'est le cas du Sénégal et du Niger. En ce qui concerne le Cameroun, il n'existe ni tribunal de commerce ni de chambre commerciale. L'investisseur étranger se retrouverait ainsi devant une disparité d'organisations judiciaires. Ce qui serait de nature à créer une situation d'insécurité judiciaire auprès de ce dernier.

De plus il n'existe pas de convention judiciaire ou un quelconque autre instrument pouvant favoriser la coopération judiciaire entre les juges nationaux. La seule qui est appliquée est la convention signée à Tananarive en 1961 entre les pays de l'ex-OCAM186. Les

183 MEYER (P), « La sécurité juridique et judiciaire dans l'espace OHADA », Penant n°855, p. 151, Ohadata D06-50, 2006

184 J.M TCHAKOUA, « L'exécution des sentences arbitrales dans l'espace OHADA : regard sur une construction inachevée à partir du cadre camerounais », RASJ, vol VI, n°1, 2009, p. 12

185 NGONO (C.V), Op cit.

186 Organisation pour la coopération Africaine et Malgache

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juges nationaux n'échangent aucune information entre eux, en outre aucune rencontre de travail entre les acteurs de la justice n'est organisée187.

C) Propositions pour l'instauration d'une libre circulation des décisions de justice

La réalisation de la libre circulation des décisions de justice est envisageable. Il convient d'instaurer un climat de coopération entre les juridictions nationales (1), et également d'organiser les conditions d'une libre circulation des décisions de justices et des titres exécutoires (2).

1) L'instauration d'une coopération des juridictions nationales des Etats parties

Dans le cadre juridique européen, il existe de nombreuses conventions de coopération judiciaire civile. Il en est ainsi de la convention de Bruxelles adoptée en 1968 fixant les règles en matière de compétence, de reconnaissance et d'exécution des jugements en matière civile et commerciale, la convention relative aux procédures d'insolvabilité, à la compétence, la reconnaissance, l'exécution des jugements en matière matrimoniale et enfin la convention sur la notification des actes.

Il serait donc important d'instaurer des rencontres entre les acteurs judiciaires des Etats membres et adopter un instrument qui faciliterait la circulation des décisions de justice et autres actes authentiques188.

De plus le législateur camerounais pourrait créer des tribunaux de commerce spécialisés pour connaître des questions du droit commercial et particulièrement du droit OHADA. Plusieurs autres pays africains.

En l'Etat actuel, la justice camerounaise est l'une des moins rapides en termes de procédures judiciaires. D'après le classement « doing business » de 2017, il fallait attendre environ huit cent jours et débourser 46,6% du montant de la créance en frais de procédure pour pouvoir la recouvrer. L'indicateur « doing business » classe le Cameroun 162 sur 190 pays en matière d'exécution des contrats et enregistre un score de 41,76 sur 100. Pourtant en

187 Il s'agit ici des juges, des greffiers, des avocats et des huissiers

188 D'après M. CABRILLAC, l'ordre judiciaire est « l'ensemble des juridictions, placées sous le contrôle de la Cour de cassation et compétents pour connaître des litiges entre personnes privées, ainsi que du contentieux répressif ».

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Côte d'Ivoire les délais sont de cinq cent vingt-cinq jours et les coûts de procédure ne représentent que 41,7% du montant de la créance189.

Cette réforme sera de nature à promouvoir la célérité des procédures et par la même occasion, la réduction des coûts. Hormis le raccourcissement des délais de procédures, l'autre avantage notable est la spécialisation du personnel judiciaire190. Des juges spécialisés des questions de droit des affaires OHADA pourront rendre de meilleures décisions de justices191.

Le législateur communautaire gagnerait également à adopter un instrument communautaire pour favoriser la coopération des tribunaux nationaux. Dans le cadre européen, de nombreux instruments concourent à cette coopération parmi lesquels la convention de Bruxelles de 1968 fixant les règles en matière de compétence, de reconnaissance et d'exécution des jugements en matière civile et commerciale192, la convention relative aux procédures d'insolvabilité, de compétence ,de reconnaissance et d'exécution des jugements en matière civile et commerciale. Et enfin la coopération judiciaire dans l'obtention des preuves civiles193. Lorsque le juge d'un Etat de l'union européen est saisi d'un litige qui nécessite la collecte d'un élément de preuve sur le territoire d'un autre Etat membre, le juge saisi peut s'adresser directement au juge du lieu de situation de l'élément recherché afin d'exercer son instruction.

A la différence des règles de fonds qui ont été uniformisées, l'instrument de communautaire de coopération judiciaire quant à lui pourrait consister en une harmonisation de différentes règles de procédures. Son régime pourrait porter sur l'accès au juge, la durée du procès raisonnable, le régime d'administration judiciaire de la preuve, les modes d'introduction d'instance et la preuve. Le document aurait la forme d'une charte de procédure OHADA. Les législateurs nationaux conserveraient donc la possibilité de transposer le contenue dans leurs droits processuels internes. Les conseils des investisseurs auront une meilleure visibilité en ce qui concerne le champ procédural. Chose qui contribuerait à

189 J. DIFFO TCHUNKAM, « Doing Business in Africa analyse des performances du Cameroun sur les dix dernières années (2008-2017) », Op cit., p. 126

190 Magistrats et greffiers.

191 C.V NGONO, Op cit. A ce sujet, l'auteure souligne que l'absence de spécialisation des juges en matière du contentieux commercial peut être un handicap dans la bonne interprétation et application des dispositions du droit OHADA ; M. Renaud BEAUCHARD affirme à cet effet que de nombreux fonctionnaires, comptables, officiers publics et magistrats demeure théorique dans leur pratique des mesures de l'OHADA au quotidien.

192 Devenu depuis le traité d'Amsterdam, le règlement UE n°1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012

193 Règlement (CE) n°1206/2001 du conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile ou commerciale

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promouvoir sécurité judiciaire et par la même occasion rassurer les potentiels investisseurs étrangers.

Il serait également nécessaire d'organiser la circulation des titres exécutoires dans les Etats membres de l'OHADA.

2) L'instauration d'une libre circulation des titres exécutoires

Le titre exécutoire est un : « titre revêtu de la formule exécutoire. Titre qui permet de recourir au recouvrement forcé de la dette, c'est-à-dire aux poursuites, si le débiteur ne s'en acquitte pas spontanément »194. Il est prévu à l'article 33 l'acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement et de voix d'exécution une liste de titres exécutoires195. La libre circulation ici sera donc la possibilité pour chaque titre exécutoire de produire des effets dans les Etats requis sans procédures intermédiaires196. Etant donné que les Etats-membres de l'OHADA sont dans un espace juridique commun197, les décisions rendues dans un Etat partie doivent automatiquement produire des effets dans les autres Etats.

L'instauration de cette libre circulation peut se faire selon le procédé de l'Union européenne. Premièrement, en matière d'injonction de payer, de délivrer ou de restituer, l'ordonnance rendue par le juge devrait être directement exécutoire sur l'ensemble des Etats-parties à l'OHADA. Le législateur OHADA devrait de ce fait supprimer l'exéquatur préalable et admettre la possibilité d'exécution immédiate une fois que le titre serait passé en force de chose jugée. Il convient de rappeler que l'exéquatur n'a pas pour vocation de réviser le jugement au fond mais plutôt d'examiner si la décision a été rendue dans le respect des droits de la défense, si elle est conforme à l'ordre public communautaire.

194 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Op.cit., p. 1025

195 L'article 33 dispose : « Constitue des titres exécutoire :

1) les décisions juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute;

2) les actes et décisions juridictionnelles étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision juridictionnelle, non susceptibles de recours suspensif d'exécution, de l'État dans lequel ce titre est invoqué;

3) les procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties;

4) les actes notariés revêtus de la formule exécutoire;

5) les décisions auxquelles la loi nationale de chaque État partie attache les effets d'une décision judiciaire

196 Procédure de reconnaissance ou d'exéquatur

197 A notion d'espace renvoie à : une « aire géographique interétatique au sein de laquelle se développe sous certains rapports une collaboration des autorités inspirée par une politique commune ». Définition tirée du vocabulaire juridique Cornu (G) Op cit., p. 414. Les pays membres de l'OHADA ont abandonné leurs frontières juridiques en matière de droit des affaires.

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Deuxièmement, Si la décision est issue de débats contradictoires et que le droit OHADA a été appliquée, la décision peut être revêtue automatiquement de l'autorité de la chose jugée et par la suite de la force exécutoire après être passée en force de chose jugée.

Depuis l'arrêt Munzer198, l'exequatur n'a plus pour vocation de vérifier que le juge d'origine a bien apprécié les faits et bien appliqué le droit au litige. Son office se limite à l'examen des conditions de la régularité internationale qu'une décision de justice doit épouser. Sachant qu'une décision rendue sur la base du droit OHADA ne pourrait pas être contraire à l'ordre public d'un autre Etats-membre en raison du fait que ce sont les mêmes dispositions qui y sont appliquées. Ainsi, Le détenteur du titre exécutoire pourra en lieu et place de la procédure d'exéquatur, produire à l'huissier ou à l'agent chargé de l'exécution une copie de l'originale de l'assignation à comparaître, la notification de la décision, un certificat de non-appel et enfin un document attestant que la décision est exécutoire dans son pays d'origine. Tous ces documents devront être annexés au procès-verbal de saisie. Nous avons la conviction que la suppression de l'exéquatur sera de nature à augmenter la célérité dans l'exécution des décisions de justice rendues en application du droit OHADA et à exécuter dans un des Etats-membres de l'espace OHADA.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld