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Pragmatique, narrativité, illocutoire et délocutivité généralisées.

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par Jean Robert RAKOTOMALALA
Université de Toliara - Doctorat 2004
  

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10.2. DU PROTOLANGAGE AU LANGAGE EN PASSANT PAR LA PRAGMATIQUE

Rappelons pour mémoire que, selon la perspective communément admise et suivant en cela Charles MORRIS, dans le domaine de la linguistique, il faut distinguer trois cas : la sémantique qui est l'étude du rapport du signe avec le monde ; la syntaxe, l'étude du rapport du signe entre eux et la pragmatique, l'étude du rapport des signes à leurs interprètes (MORRIS, 1971, p. 21)

Cette présentation peut être appelée une théorie additionnelle dans laquelle la pragmatique vient s'ajouter à la sémantique et à la syntaxe ; les trois branches de la linguistique sont ainsi chacune autonome. Ce n'est pas ainsi pourtant que Rudolf CARNAP conçoit les choses quand il dit que La pragmatique est la base de tout pour la linguistique

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(CARNAP, 1942, p. 13). Voici comment Pierre BANGE nous présente cette orientation de CARNAP sur la question de la pragmatique :

« C'est en fait une conception radicalement différente qui est suggérée : la présentation de CARNAP introduit à l'analyse fonctionnelle du langage dans laquelle les structures linguistiques sont considérées comme des moyens commandés et guidés par des buts pragmatiques et permettant de les réaliser. » (BANGE, 1992, p. 9)

On peut étayer cette intuition de CARNAP à partir d'autres recherches qui tentent de remonter les origines du langage sur le plan phylogénétique. Ainsi, l'hypothèse du goulot d'étranglement dans le parcours de l'hominisation de l'espèce aurait conduit à un saut qualitatif du langage.

Ce qu'il est convenu d'appeler avec le linguiste Dereck BICKERTON « protolangage » peut être compris comme un langage sans grammaire mais suffisamment efficace pour une communication qui s'opère aux sens - présence simultanée des locuteurs et du référent - à l'instar du langage enfantin qui, le plus souvent, n'est qu'une vocalisation du geste déictique. En effet, l'évidence première dans le geste déictique est l'impérative présence simultanée de celui qui montre, de l'objet montré et de celui à qui on le montre. De cette manière, la situation d'énonciation supplée à la carence de grammaire.

Remarquons que le protolangage ne se réduit pas seulement à l'histoire de l'espèce ou au langage enfantin sur le plan ontogénétique, il est formalisé de diverses manières, dans l'arbitrage des sports collectifs, par exemple, à cause de son efficacité dans le cas où arbitres et joueurs ne parlent pas la même langue ; ce qui arrive très souvent dans les sports de haut niveau. Il est également à l'oeuvre dans les panneaux de signalisation routiers ; il interfère même dans la communication quotidienne sous forme de gestuelle acquise par répétition de la même situation.

Mais l'inconvénient majeur du protolangage est qu'il est incapable de narration, c'est-à-dire, incapable de parler d'un événement du passé et encore moins de faire une projection dans le futur. Autrement dit, le protolangage ne permet pas la mise en place d'une mémoire collective dont l'avantage indiscutable se présente actuellement dans la notion de République comprise comme la soumission de l'intérêt individuel à l'intérêt collectif.

De la même manière que dans une République, il faut que cet intérêt collectif soit consigné matériellement dans ce que l'on appelle « Constitution » comme faisant l'unanimité du plus grand nombre et sur laquelle s'appuie toute forme de pouvoir : l'exécutif, le législatif et le juridique ; il fallut à nos ancêtres un moyen de publication de l'intérêt collectif : la narration. C'est ce qui aurait abouti à la complexification du protolangage, l'amenant à basculer dans le langage. En effet :

« Raconter une histoire, c'est le plus souvent s'extraire de la situation présente pour introduire un autre cadre spatio-temporel, y faire surgir des personnages réels ou imaginaires, les faire vivre, agir, penser, parler sur une espèce de « scène verbale » que l'on dresse devant son auditoire, en déroulant, plus ou moins vite selon les besoins, le fil d'une temporalité que l'on maîtrise entièrement et que l'on met au

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service de la dynamique des événements qui se succèdent sur cette scène, qui peut elle-même, à son tour, se déplacer pour suivre un acteur, une intrigue, jusqu'au bout du monde s'il le faut. » (DESSALES, PIQ, & VICTORRI, 2006)

Mais pour conforter la position annoncée supra de CARNAP, il nous faut encore expliquer pourquoi il est nécessaire de raconter. Pour reprendre le parallélisme évoqué à l'instant, on peut dire que s'il est impératif d'analyser la constitutionnalité des actions ou décisions des pouvoirs, c'est afin de préserver l'ordre public, de prévenir un déferlement de violence provoqué par un sentiment d'injustice. Pareillement, dans l'hominisation de l'espèce :

« Faire partie d'une société humaine, c'est adhérer, le plus souvent sans réserve, à des histoires qui racontent l'origine du groupe social et qui définissent du même coup les comportements qui scellent l'appartenance à ce groupe. Tous les mythes et religions fondent les interdits sur des récits mettant en scène des personnages sacrés (ancêtres ou dieux) qui violent précisément ces interdits » (ibid.).

On voit très bien que raconter une histoire de la sorte est guidé par un but pragmatique : empêcher la violation d'un interdit qui désorganiserait l'ordre social :

« Une étape importante dans ce processus peut avoir consisté à ritualiser le comportement narratif : au lieu d'attendre qu'une crise éclate, il est en effet plus efficace d'organiser des manifestations régulières pour évoquer ces scènes ancestrales et les actes à prohiber. C'est tout au long de cette évolution du comportement social que les techniques narratives auraient progressé, se seraient affinées et complexifiées, en devenant aussi de plus en plus conventionnelles. La langue mère, munie de toutes ses propriétés syntaxiques et sémantiques qui caractérisent le langage humain, serait l'aboutissement de ce processus. » (ibid.)

S'il est donc admis que la coordination présentielle d'actions telle que la chasse aux gros gibiers comme les mammouths ne requiert pas un langage sophistiqué dans la mesure où gibiers et chasseurs sont présents en même temps, il s'ensuit donc une sémiotique du monde naturel interprétée de manière immédiate plus ou moins de la même façon à cause de leur répétition.

En revanche, communiquer sur un objet absent de manière à dresser un spectacle linguistique, nécessite de la grammaire, notamment la récursivité et ce que la grammaire traditionnelle appelle « aspect », à côté des anaphores et des indicateurs spatiotemporels. Bref, une spectacularisation discursive à la source de la théorie actancielle initiée par la grammaire puissancielle de TESNIÈRE ( [1959] 1982) et prolongée par GREIMAS (GREIMAS, [1966] 1982).

Cependant, il ne faut pas croire que l'idée d'une absence symbolisée est complètement hors de portée du protolangage. Le protolangage participe déjà d'une logique narrative en opposant les propriétés du passé et du futur (avant vs après) dans la fabrication du premier outil : le silex biface. C'est ce que nous apprend Robert LAFONT dans le passage suivant :

« L'hominisation de l'espèce commence lorsque l'individu se sert d'un objet pour en modifier un autre en vue d'une action que ce second assume : lorsque le chasseur

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modifie la forme d'un caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel : il faut bien dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible" nécessaire au travail est prise en charge par la représentation. » (LAFONT, 1978, p. 19)

Il est curieux de remarquer que LAFONT parle également d'hominisation de l'espèce dans la fabrication d'un outil. Ceci n'est pas pour nous étonner car ce père de la praxématique considère l'unité de la première articulation, non pas comme doué de sens, mais comme un outil de production du sens :

« Il (le praxème) n'est pas « doué d'un sens ». Il est l'unité pratique de production de sens, ce qui est fort différent ; comme l'acte produit par l'outil, lui-même produit par le travail, ne se confond pas avec l'outil, même si la forme de l'outil lui donne déjà une forme » (LAFONT, 1978, p. 29)

Ce que LAFONT attache à l'unité de la première articulation, la pragmatique le confie à l'énonciation en termes d'actes de langage et dans la mesure où Umberto ECO (1985, p. 138) opère une généralisation de la narrativité à toute énonciation, nous pouvons conclure avec la voix de B. VICTORRI cette identité entre la fonction narrative et la dimension pragmatique du langage :

« Notre thèse peut alors se résumer de la manière suivante. Pour échapper aux crises récurrentes qui déréglaient l'organisation sociale, nos ancêtres ont inventé un mode inédit d'expression au sein du groupe : la narration. C'est en évoquant par la parole les crises passées qu'ils ont réussi à empêcher qu'elles se renouvellent. Le langage humain s'est forgé progressivement au cours de ce processus, pour répondre aux besoins nouveaux créés par la fonction narrative, et son premier usage a consisté à établir les lois fondatrices qui régissent l'organisation sociale de tous les groupes humains. » (VICTORRI, 2002)

Comme parmi ces lois fondatrices, il y a l'interdit de l'inceste, nous pouvons donc maintenant traiter notre objectif final, à savoir la censure et la postulation du corps féminin. Or, il faut reconnaître que ces lois fondatrices se présentent, bien entendu, de manière narrative avec toutes les ressources encore insoupçonnées de la narrativité, mais prennent la forme d'un mythe.

Le problème du mythe est qu'il se dote de fabuleux, c'est-à-dire, la deixis am phantasma de Karl BULHER mise à la mode par Claude CALAME (2004) par opposition à la deixis demontratio oculo , respectivement, une référence interne et une référence externe au discours qui atteste comme le dit BOUDOT que le recours à la fiction est encore une analyse du réel :

« Nous appelons ici « fiction » la tentative de constituer par le discours et en lui un monde différent du monde réel : la volonté balzacienne de « faire concurrence à l'état civil » en serait une illustration. C'est dans le cas de la fiction que tout se passe comme si on avait affaire à un autre réel. Mais la fiction se distingue de l'énoncé irréel précisément parce qu'elle ne s'annonce pas comme irréelle ; elle ne comporte pas de présupposition d'irréalité, elle met au contraire tout en oeuvre pour se faire admettre comme réalité. L'énoncé irréel s'exprime en recourant au conditionnel. Il se situe ainsi

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de lui-même par rapport au réel ; il manifeste sa finalité qui n'est pas de décrire une autre réalité, mais de servir par un moyen détourné à l'analyse de la réalité. « Une théorie féconde du réel exige la pensée de l'irréel » écrit M. Boudot. » (PARIENTE, 1982, p. 43)

Ce qui veut dire que les mythes sont une analyse du réel et qu'ils sont les premières expressions d'une intelligence programmatique dont l'élaboration vise une culture anthropologique. Cette dernière remarque est de nous permettre de traiter notre problème à partir d'une littérature universelle : le mythe dans la Bible.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery