Quête bigmaniaque et légitimation politique locale des élites urbaines au Cameroun. Cas de l'arrondissement de Zoétélé.par Julio Herman Assomo Université de Yaoundé 2 - Master en Sciences politiques 2013 |
PREMIERE PARTIE :TRAJECTOIRES DE DEPLOIEMENT DU BIGMANISME ET MOBILISATION DU CAPITAL SOCIAL DANS L'ARRONDISSEMENT DE ZOETELEL'activité politique en Afrique et notamment au Cameroun est constituée d'un certain nombre de réalités qui lui sont inhérentes. Loin d'être seulement ce que Jean François Bayart75(*) décrit comme étant la politique du ventre, il est opportun de souligner la place importante qu'occupe cet aspect du phénomène en ce qui concerne le processus de légitimation politique des différents acteurs. Dans le cas de l'arrondissement de Zoétélé, les trajectoires de légitimation politique reposent sur la mobilisation de leur capital social par les élites urbaines ; mieux encore, cette mobilisation est davantage consolidée par le caractère concurrentiel que revêt l'activité politique dans cette aire qui est un espace de confrontation concrète de ces élites en interaction autours d'enjeux communs76(*). Dans cette première partie, nous nous proposons de mettre en contexte la recherche du capital social par les élites urbaines (chapitre I) dans le but d'analyser les différentes luttes factionnelles liées à la recherche de légitimité politique dans l'arrondissement de Zoétélé (chapitreII). CHAPITRE 1 :QUETE BIGMANIAQUE ET RECHERCHE DU CAPITAL SOCIAL PAR LES ELITES URBAINES DE ZOETELEPour Pierre Bourdieu77(*), le capital social s'entretient, quel que soit le domaine où il s'acquière et/ou sert. Il est un élément incontournable pour les acteurs en ce qui concerne la vie politique. Exister pour un acteur politique, c'est d'abord jouir d'une réputation favorable à un positionnement stratégique sur l'échiquier politique convoité. La recherche du capital social constitue de ce fait une quête permanente ; quête qui se structure de diverses manières selon le domaine socioprofessionnel d'origine de l'acteur politique en question78(*). Des plus nantis aux moins bien lotis, la construction d'une réputation est un souci permanent ici. Tous types de moyens sont alors mobilisés pour engranger des points. C'est dans cette optique que la redistribution, entre autres, sous diverses formes apparaît comme une ponctuation incessamment activée et dont les répercussions sont assez palpables dans la plupart des cas. Dans le contexte africain et celui camerounais plus précisément, la construction et la mobilisation du capital social en politique par les acteurs ne fait pas exception ; d'autant plus que ladite construction se base d'abord et surtout sur la redistribution ; une redistribution qui aurait tendance à s'accentuer en période électorale. Le but pour les acteurs politiques étant de raviver la sympathie des populations en leur faveur ou bien de mieux se faire connaître. L'arrondissement de Zoétélé est sans déroger à cette réalité. Comme ailleurs, l'entretien du capital social en vue d'une conquête de l'espace politique est une effective. Pour être plus précis, jouissent d'une certaine popularité, ceux des membres de la communauté dont les activités profitent à cette dernière. De la capacité à entretenir des factions et des courtiers79(*) dépend la qualité du capital social des hommes ou femmes engagés en politique. La mise en commun des initiatives individuelles porteuses de profits devient de ce fait une nécessité de la part de cette catégorie d'individus leur ouvrant ainsi les portes du bigmanisme. Dans le cadre de la présente étude, il est question, concernant le présent chapitre, de tester la pertinence de la redistribution comme étant un vecteur de relèvement du capital social des élites urbaines, dont les entrepreneurs économiques et les élites bureaucratiques. En d'autres termes, nous nous attarderons sur la recherche du capital social par les élites bureaucratiques d'une part, et par les entrepreneurs économiques d'autre part. En ce qui concerne ces derniers, il serait opportun de nous attarder sur quelques cas précis, tirés sur le volet, et englobant dans une certaine mesure les éléments de recherche de capital social sus mentionnés, afin de tester la pertinence de cette hypothèse. De ce fait, nous mobiliserons les approches réputationnelles, décisionnelles, positionnelle80(*) et surtout l'approche par l'activité sociale qui nous permettra de mesurer leur niveau de participation au développement de la localité en tant qu'élites. SECTION I : RECHERCHE DU CAPITAL SOCIAL PAR LES ELITES BUREAUCRATIQUES.L'arrondissement de Zoétélé se situe dans un espace socioculturel dans lequel la reconnaissance de « la valeur » d'un individu dépend de ses « preuves ». Il y a lieu de souligner ici l'aspect stratégique de cette redistribution au-delà de celui purement affectif lié à l'appartenance à la localité. Max Weber81(*) met en exergue l'idée selon laquelle l'activité politique, pour être bien menée, fait appel à de nombreux moyens matériels; notamment des moyens financiers et logistique politique, entre autres, permettant aux acteurs engagés dans ce secteur de garantir le fonctionnement structurel et organisationnel de leur entreprise politique. Dans le contexte Africain et, plus précisément de l'arrondissement de Zoétélé, cette réalité parait incontournable ; d'autant plus qu'il s'agît d'une aire socioculturelle où exister véritablement en tant qu'élite c'est aussi redistribuer ; redistribuer pour entretenir et maintenir toujours relevé sa notoriété ; ladite notoriété étant garantie par la communauté (constituée entre autres des populations de la localité dont le clan originaire des acteurs, les autorités traditionnelles et des fois étatiques, des connaissances et courtiers de tous bords) qui profite des retombées liées à la relation de dépendance à laquelle conduit le souci des élites à se construire un capital social mobilisable en politique. Il s'agît bien là d'un pan d'une relation de type «dépendance-obligation» telle que décrite par Laurent P.J.82(*) Dans le cadre de cette section, nous structurons les élites bureaucratiques en deux catégories. D'une part les élites politico administratives, soit les hauts fonctionnaires et commis d'Etat en poste, et d'autre part, les élites bureaucratiques complètement reconverties en politique, dont des anciens directeurs et des fonctionnaires à la retraite pour la plupart. Paragraphe I : Les élites politico administrativesLors de nos enquêtes de terrain, la plupart des personnes interrogées affirmaient qu'elles attendaient beaucoup des élites de la localité, surtout des élites urbaine dont à l'observation, la notoriété et la reconnaissance par la communauté dépendaient de leur capacité et de leur propension à redistribuer. C'est par les réalisations effectuées par ces élites que les populations jugent du degré d'attachement de ces dernières à la localité. Il en est de même pour l'accès à la légitimité politique produisant des profits (accès à plus de voix pour eux ou pour leur parti, accès à de divers postes électifs, accès à la notoriété politique, etc.). Il y a lieux de comprendre, l'accentuation de l'aspect redistributif qui entoure les campagnes lors des périodes électorales. Sous diverses formes, on peut observer de multiples réalisations matérielles et symboliques faites par des élites politico administratives ici. Cette course à la redistribution est aussi due à une double réalité politique et économique. La réalité politique, à l'observation, nous a amené à faire le constat selon lequel les élites urbaines sont dans l'obligation de présenter leurs réalisations à la communauté pour gagner une clientèle politique soit pour eux même, soit pour leur parti ou encore pour un candidat qu'ils soutiennent. La réalité économique quant à elle renvoie aux difficultés de la localité en termes d'infrastructures sociales, entre autres. Carence structurelle liée aux difficultés de l'Etat à assurer tout seul le développement de l'arrondissement. De ce fait, la redistribution des élites serait aussi motivée par le souci de contribuer au développement de la localité par simple évergétisme. Cet état des faits est à l'origine des diverses réalisations et investissements faits dans la localité par les élites urbaines. Réalisations et investissements à but lucratif ou à caractère purement social, au profit de la localité. Dans cet ordre d'idées, de nombreuses initiatives telles que la promotion des infrastructures et matériels scolaires sont réalisées par des élites. La construction dans son village (Meyila) d'un collège d'enseignement secondaire par Polycarpe AbahAbah et le soutien aux élèves promus à des examens officiels par l'octroi de bourses d'études en est un exemple. Chaque fin d'années scolaire depuis 2002, le directeur général (1998-2004) des impôts puis ministre des finances(2004-2007) organisait des cérémonies de remises de lauriers audits élèves (ceci jusqu'en 2007, année de son arrestation par les autorités judiciaires). Nous avons aussi le tournoi de football organisé par Jean Jacques NDOUDOUMOU chaque vacances scolaire depuis une dizaine d'années et qui contribue à l'épanouissement de la jeunesse de cette localité. En marge de ce tournoi sont organisées des campagnes de sensibilisations contre les infections sexuellement transmissibles, ainsi que des conférences débat avec des thèmes axés sur la responsabilisation de ladite jeunesse et son implication au développement local, etc. Par ailleurs, on compte des investissements telles que des plantations, des menuiseries entres autres, mises en places par ces élites bureaucratiques et offrant des emplois aux jeunes (ruraux pour la plupart) tel que le montre la présente illustration : Tableau de quelques investissements des élites urbaines dans la localité de Zoétélé :
(Source : enquêtes) Ce tableaux faut-il le notifier ne prétend pas restituer de manière exhaustive les différents investissements des élites bureaucratiques dans l'arrondissement de Zoétélé. Il s'agit là des élites urbaines les plus en vue en termes d'investissements. De ce point de vue, il appert que la plupart des élites politico-administratives de la localité de Zoétélé investissent au terroir. L'une des raisons de ces investissements se justifie, d'après la plupart des personnes interrogées lors de nos entretiens, par le souci des différents promoteurs de démontrer leur capacité à investir dans la localité, à créer des emplois ou encore à influencer le développement de la localité ; Toutes choses qui dénotent du souci de création et de consolidation d'un capital social et politique dans la sphère locale. * 75BAYART J.F. 1989, Op. Cit. * 76 NOUEMBISSI KOM ; 2007, Op. Cit. Citant Olivier de SARDAN * 77 BOURDIEU P. 1980.Op. Cit. * 78 MOUICHE I. 2004. Op. Cit. * 79LAURENT P.J. 2000. Op. Cit. * 80 BIRNBAUM P. 1973. Le pouvoir local : de la décision au système. In: Revue française de sociologie, 14-3 ; pp. 336-351 * 81 WEBER M.Le savant et le politique. Op.cit. p. 137. * 82 LAURENT P. J.« Le « big-man » local ou la « gestion coup d'Etat » de l'espace public ». Politique africaine 4/2000 (N° 80), p. 169-191. OP. Cit. |
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