Quête bigmaniaque et légitimation politique locale des élites urbaines au Cameroun. Cas de l'arrondissement de Zoétélé.par Julio Herman Assomo Université de Yaoundé 2 - Master en Sciences politiques 2013 |
SECTION 2 : CONCURRENCE POLITIQUE ET LUTTES FACTIONNELLESD'après Luc SINDJOUN, « on ne peut pas envisager la démocratisation indépendamment de la domination ».116(*) En effet, la dimension liée à l'aspect de la domination constitue l'un des catalyseurs des dynamiques politico-bigmaniaquesinhérentes à la démocratie, surtout dans sa dimension concurrentielle des sphères politiques abstraites. La concurrence politique suscitée par la quête de légitimité basée sur le bigmanisme est de nature à multiplier les niveaux de compétitions et à mettre en situation de concurrence les différents acteurs engagés. Comme dans toute société consacrant le libre accès à l'activité politique, les entrepreneurs politiques mobilisent tous les moyens à leur portée pour non seulement s'imposer face aux adversaires, mais aussi pour rendre pérenne leur domination dans le champ politique donné. En ce qui concerne les différentes luttes factionnelles liées au jeu politique, force est de constater que celles-ci ont lieu à des niveaux multiples et dépendent généralement des enjeux sociopolitiques, économiques et culturels des espaces politiques concernés. Une constante demeure certaine, les entrepreneurs de la chose politique se livrent des batailles directes ou latentes visant à se positionner au mieux, voire au détriment des autres. De ce fait, l'idée du souci de s'ériger en figure dominante écrasant toutes concurrences117(*) conduit les élites urbaines, dans le cas de l'arrondissement de Zoétélé à demeurer dans une dynamique de compétition constante, mettant en exergue leur capital social et symbolique. Tant en période électorale qu'en période non électorale. En période électorale, nos analyses s'attarderont non seulement sur les élections locales, mais aussi sur les élections présidentielles. Concernant la période ordinaire, il s'agira de mettre en exergue d'autres niveau d'affrontements entre les différentes factions et notamment leurs leaders. Paragraphe 1 : En période électoraleLes périodes électorales sont particulièrement houleuses à Zoétélé. Les différents acteurs mobilisent tous les moyens à leur portée pour s'imposer. Il en est ainsi des logiques dites bigmaniaques qui caractérisent les comportements politiques de la plupart des acteurs impliqués. Dans un environnement politique animé par des concurrences de factions, de constantes rancoeurs politiques, il règne une atmosphère concurrentielle quasi incessante. Le positionnement politique pour les élites urbaines et les grands hommes n'est pas une aubaine offerte. Les luttes de factions se caractérisent généralement par l'importation dans le champ politique des querelles et rivalités souvent nées sous d'autres auspices. Lesdites luttes factionnelles constituent de véritables pierres d'achoppement pour de nombreuses élites. A titre d'illustration, évoquons les dernières élections municipales du 30 septembres 2013 ayant opposé deux listes du RDPC dont les têtes de listes furent Mmes Pauline MENGUE NKILI, maire sortant d'une part, et Odile NGBWA d'autre part. Ces deux candidates se sont livré une concurrence farouche, soutenues par leurs différentes factions. La première, comptant dans ses rangs certains chefs traditionnels et des membres du clergé. Tandis que la seconde était alliée à certaines élites urbaines dont MEBE NGO'O alors ministre de la défense, entre autres. En fait, tel que le soulignait Léopold Clovis Noudjio : « Alain MebeNgo'o nourrirait l'ambition de placer ses affidés politiques comme candidats investis du RDPC et compte sur son poids gouvernemental [...] pour atteindre son objectif. Contrairement à l'autre camp où l'actuel maire MengueNkili [dont] la conviction s'appuie non seulement sur les populations, mais aussi [sur le soutien du] pasteur Ngomo Simon Pierre ».118(*) Cette ponctuation électorale ayant vu la défaite de MENGUE NKILI, elle aura néanmoins été l'apogée d'une concurrence locale de longues dates entre ces différents belligérants.119(*) A côté de ces municipales, d'autres luttes de factions seront enregistrées lors du renouvellement des bureaux des organes de base du RDPC dans le même arrondissement entre le premier aout et le 10 décembre 2015. Lesdites luttes seront marquées du sceau d'une violence particulière et inédite dans cette localité avant et après le scrutin. Avant le scrutin, l'arrondissement a été frappé par de nombreuses contestations et crises. A propos des contestations, nous avons par exemple le cas de Mme EBANGA Isabelle, dont le nom a été insidieusement retiré de la liste dont elle faisait partie sans explications aucune. En effet, cette dernière, jusqu'à lors secrétaire de la sous section OFRDPC de Zoétélé-ville aura démissionné de son poste pour en briguer un autre au bureau de la section OFRDPC. Grande sera sa surprise de constater quelques temps avant le scrutin qu'elle ne faisait plus partie de la liste collective qui pourtant se voulait consensuelle. Plus grave encore, elle verra s'ajouter à la liste trois nouvelles candidates en situation irrégulière. Mme EBANGA saisira ainsi M. EVINA OBAM Richard, président de la commission électorale de section Dja et Lobo 2 (Zoétélé) en ces termes : « Je viens de constater sur la liste le cumul de deux militantes qui occupent des places dans leurs sous-section d'origine. Il s'agit de Avezo'oAmougou qui occupe un poste dans son Comité de base à Ngolbang, Mbengono Cécile même chose. Or les dispositions du règlement interne de notre parti interdisent les cas de cumul »120(*) Face à cette requête, le président de la commission reportera le scrutin initialement prévu au 14 Novembre 2015 à une date ultérieure, afin d'éclaircir la situation. A propos des noms additifs ayant remplacé celui de Mme EBANGA et faisant objet de contestations, il y a Mme MBENGONO Cécile, délégué aux conflits et aux organisations spécialisées à la sous section de Mekak-ngougoumou ; Mme AVEZO'O AMOUGOU délégué à la communication du comité de base OFRDPC de Ngolbang ; Mme MEYABEME ZANG, présidente de la cellule OFRDPC d'Elang. Ces dernières étaient en même temps candidates à leurs propres successions dans les listes de leurs sous bureaux respectifs et candidates sur la liste collective de la section OFRDPC Dja et Lobo 2. Mme EBANGA soulignait par ailleurs le fait que tous les clans de la localité n'étaient pas représentés sur la liste querellée, notamment son clan, les MvogZomo, conformément auxindications du comité central du RDPC qui voudrait qu'il soit tenu compte d'un équilibre clanique au niveau de chaque liste. Au demeurant, la liste querellée sera élue avec à sa tête Mme EKOTTO Adeline, et comme vice présidente, Mme NGBWA Odile (par ailleurs maire de Zoétélé et membre de la commission électorale liée à ces élections). Certains militants interrogés diront que cette dernière, de connivence avec la présidente élue, serait à l'origine des tripatouillages de la liste ayant conduit à l'exclusion de Mme EBANGA, avec qui elle ne serait pas en harmonie du fait de sa sympathie à une certaine période avec Mme MENGUE NKILI, d'autres par contre affirmeront le contraire. Mme NGBWA d'après ces derniers serait celle qui aurait suggéré à la candidate malheureuse de briguer un poste à la section, au regard de son dynamisme.121(*) A l'observation, il ne s'agit là que des points de vus de sympathisants de l'une ou de l'autre faction. Quant aux tensions post électorales, notons qu'une vague de violence a traversé l'arrondissement de Zoétélé après la publication des résultats renouvellement des organes de base du RDPC. En exemple, nous avons le cas de Mistral Geogien ZOMO, ancien conseillé municipal et candidat malheureux à ces élections dont la concession a été assaillie par des inconnus armés de machettes la nuit du 9 au 10 février 2016. Ne l'ayant pas trouvé, ils ont menacé sa famille avant de disparaitre, promettant de revenir. A coté de ce cas, il ya celui de ELONG ABESSOLO, proche de Marc ESSAMA, candidat malheureux à la présidence de la section OJRDPC122(*), qui déposera une plainte à la brigade de gendarmerie de Zoétélé le 18 novembre 2015 pour agression à son domicile à 02 heures du matin dans la nuit du 15 au 16 novembre par deux inconnus cagoulés. D'autres cas de violence seront enregistrés après ces élections, dénotant du degré d'adversité ambiant suscité par des concurrences politiques à Zoétélé. Ces différentes situations contribuent ainsi à entretenir des rancoeurs entre certaines élites urbaines, mais aussi entre leurs factions. Les luttes de positionnement, fruits de désillusions, entre les entrepreneurs politiques dans l'arrondissement de Zoétélé se traduisent aussi en période électorale par des consignes et contre-consignes de votes123(*) que s'opposent les différentes élites urbaines pendant les campagnes électorales. Il s'agit d'une forme de déstabilisation des concurrents sous forme de dénonciation, d'incitation de l'électorat à accepter les dons et cadeaux électoraux desdits concurrents, comme étant une restitution légitime de ce qu'il aurait dû recevoir depuis. Ce faisant, les concurrents incitent ledit électorat à voter non pas pour leur adversaire, mais contre ce dernier en guise de sanction.124(*) * 116 Luc SINDJOUN, « Science politique réflexive et savoirs sur les pratiques politiques en Afrique noire ». Op.cit., p. 26. * 117 DALLOZ J.P. «le souci [des big men] de s'ériger en figure politique dominante, écrasant toute concurrence [...] ». Cité par MOUICHE Ibrahim, in cours d'anthropologie politique, Master 2, science politique, université de Yaoundé 2-SOA, avril 2014. Op. Cit. * 118Léopold Clovis Noudjio. « Cameroun/Zoétélé-MebeNgo'o et MengueNkili: La guerre ne fait que commencer ». In Journal L'Epervier du 09 juillet 2013. * 119 La version des faits de l'ancien maire MengueNkili concordera avec celle de Léopold Clovis Noudjio du journal L'Epervier, notamment en ce qui concerne la lutte de factions l'ayant opposée à l'actuel maire (Odile Ngbwa), soutenue par Le ministre MebeNgo'o qui « avait juré » selon ses propos de la faire partir de la mairie de Zoétélé après qu'ils se soient brouillés quelques années plus tôt. « il ne supporte pas qu'on s'oppose à lui de quelque manière que ce soit, il faut soutenir « sa cause » même si elle est injuste ; et comme moi je suis intègre il a fait de moi son adversaire ». Elle précisera cependant que le pasteur cité dans l'article n'était qu'un ami de longue date qui l'a certes beaucoup soutenue par la prière, et non un allié politique, et qu'il subissait malgré lui les effets d'une adversité avec laquelle il n'avait rien à voir, apolitique qu'il est. * 120 Extrait de la requête adressée au président de la commission communale de renouvellement des bureaux des organes de base du secteur politique Dja et Lobo 2. * 121Madame EBANGA nous dira que certains fils du terroir, hauts cadres de la République et membres influents du RDPC n'apprécient pas son dynamisme politique au sein de la localité. Elle n'en dira pas davantage. * 122 Organisation des jeunes du rassemblement démocratique du peuple camerounais. * 123 SOCPA Antoine, « Les dons et contre dons dans le jeu électoral au Cameroun », Cahier d'études africaines [En ligne], 157| 2000, mis en ligne le 20 novembre 2013, consulté le 10 décembre 2013. http://etudesafricaines.revue.org/5 * 124.SOCPA Antoine. 2000. ibid. |
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