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La constitution tchadienne du 04 mai 2018 et la consolidation de l'état de droit.


par Keumaye Tchiakika
Université de Dschang Cameroun - Master 2 en droit public 2020
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ DE DSCHANG

UNIVERSITY OF DSCHANG

ÉCOLE DOCTORALE

POST GRADUATE SCHOOL

UNITE DE FORMATION ET DE RECHERCHE
TRAINING AND RESEARCH UNIT
DSCHANG SCHOOL OF LAW AND POLITICAL SCIENCE

LA CONSTITUTION TCHADIENNE DU 04 MAI 2018 ET LA CONSOLIDATION DE L'ÉTAT DE DROIT

Mémoire soutenu pour l'obtention du diplôme de Master

Filière : Droit Public

Option : Recherche

Réalisé par :

TCHIAKIKA KEUMAYE

Maitrise en Droit Public

CM-UDS-18SJP0485

Sous la direction de :

Monsieur WANDJI KEMAJOU Axel
Docteur en Droit Public

Chargé de cours à l'Université de Dschang

Août 2020

AVERTISSEMENT

La Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Université de Dschang n'entend donner aucune approbation, ni improbation aux opinions émises dans ce Mémoire. Celles-ci doivent être considérées comme propres à leur auteur qui en assume l'entière responsabilité.

DÉDICACE

II

À ma Maman et à mon défunt père.

III

REMERCIEMENTS

Nos remerciements vont à tous ceux et celles qui ont rendu possible la présente réflexion et qui nous ont soutenu durant son élaboration.

Nous tenons tout d'abord à adresser notre profonde gratitude à notre Directeur de mémoire, Docteur WANDJI KEMAJOU Axel qui, malgré ses immenses charges, a accepté sans aucune réserve, de diriger ce mémoire. Ses directives, remarques et suggestions nous ont été importantes pour l'aboutissement de ce travail.

Notre reconnaissance est adressée aux enseignants et personnels administratifs de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Universités de Dschang, pour la qualité de la formation reçue.

Nos remerciements vont également à tous nos frères et soeurs et particulièrement à ZUSANNE Augustin, YAKBA Pauline, GUEPELBE René, GABHINGONNE BAYZOUMMY, BIAKSOUBO KADJERE, pour leur soutien financier et moral dans le cadre de cette recherche. Nous leur serons à jamais reconnaissant pour cette abnégation.

Nous remercions du fond du coeur tous les membres de notre grande famille KEUDEU MAO (parents, oncles, tantes, frères, soeurs, cousins, cousines) sans distinction aucune, pour l'éducation et le soutien multiforme.

Que soient aussi vivement remerciés tous nos condisciples notamment FOTSO Alain Blaise, KOURALEING David, OLEMEM ALYO Maxime, ZENFACK NANGUE Naomie Flore, ABDOULAYE MANGSOUNA MADOUKA, POUANGAM James, NDOUM Mathieu, Béni ADIBANG, HINANSOU NASSOUR MAHAMAT, DJIINGAR NGAROUBA Hyacinthe et tous ceux dont leurs noms n'ont pas été cité, qu'ils reçoivent nos sincères remerciement pour leur soutien. Nous remercions nos ainés académiques tels que DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, FANDEBNE TAMSOU et TCHINENBA Armand pour les sacrifices consentis.

iv

RÉSUMÉ

Deux décennies après la Constitution du 31 mars 1996, il a été constaté que certaines institutions qui en sont issues ne répondaient plus convenablement aux exigences actuelles des États modernes et que l'arrimage du Tchad aux nouvelles donnes paraissait nécessaire. C'est ainsi que des réformes ont été entreprises pour aboutir à l'adoption de la Constitution du 04 mai 2018. Sa contribution à la consolidation de l'État de droit, objet de cette étude, s'est avérée mitigé. D'une part, la Constitution tchadienne participe à la consolidation de l'État de droit à travers la mise en place des mécanismes juridictionnels de protection des droits fondamentaux des citoyens. Ces mécanismes sont mis en oeuvre grâce au juge constitutionnel qui joue un rôle principal et les juges ordinaires, qui jouent un rôle accessoire. En plus, le pouvoir exécutif se trouve limité, car soumis au contrôle parlementaire renforcé. D'autre part, la Constitution de 2018 présente des obstacles persistants qui entravent l'émergence d'un véritable État de droit au Tchad. Ces obstacles sont l'indépendance incertaine des juges dans l'exercice de leurs fonctions. Le juge constitutionnel et le juge ordinaire ne semblent pas être dans une bonne position pour jouer normalement leur rôle. Il y a également la protection non juridictionnelle des droits fondamentaux qui est limitée. Il convient donc de corriger ces obstacles pour un bon encrage de l'État de droit au Tchad.

Mots clés : Constitution, Droits fondamentaux, État de droit, État moderne, juge constitutionnel.

V

ABSTRACT

Two decades after the Constitution of march 31, 1996, it has been found that certain institutions resulting from this Constitution no longer adequately meet the current requirements of modern States and that the tying down of Chad to the new deal appeared necessary. This is how reforms were undertaken to lead to the adoption of the Constitution of 04 may 2018. His contribution to the consolidation, object of this study, is show mitigate. On the one hand, the Chadian Constitution participates in the consolidation of the rule of law through the establishment of jurisdictional mechanisms to protect the constitutionally enshrined fundamental rights of citizens. And these mechanisms are implemented seriously in the work of the constitutional judge who plays a leading role and the ordinary judges who play an incidental role. In addition, the executive authority is limited because it's submitted at enhance parliamentary control. On the other hand, the 2018 Constitution presents persistent obstacles that hinder the emergence of a true rule of law. These obstacles are the uncertain independence of judges in the exercise of their functions. The constitutional judge and ordinary judge do not seem to be in a good position to play their role normally. There is also limited non-judicial protection of fundamental rights. These obstacles should therefore be corrected in order to anchor the rule of law in Chad.

Keywords: Constitution, fundamental rights, State of law, Modern state, constitutional judge.

vi

SIGLES ET PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

AN : Assemblée Nationale.

ANS : Agence Nationale de Sécurité.

CA : Chambre Administrative.

CADHP : Charte Africaine de Droits de l'Homme et des Peuples.

CC: Conseil Constitutionnel.

CE : Conseil d'État.

CERAD: Centre d'Étude et de Recherche Administratives et de Droit.

CF: Confère.

CNDH: Commission Nationale de Droits de l'Homme.

CNS: Conférence Nationale Souveraine.

CS : Cour Suprême.

CSJN: Cour Suprême de la Justice Nationale.

CSM: Conseil Supérieur de la Magistrature.

DEA: Diplôme d'Étude approfondie.

DUDH: Déclaration Universelle de Droits de l'Homme.

FNI: Forum National Inclusif.

FSJP: Faculté des Sciences Juridiques et Politiques.

HAMA: Haute Autorité des Médias et de l'Audiovisuel.

HCCACT: Haut Conseil des Collectivité Autonomes et des Chefferies Traditionnelles

HCRI: Haut Conseil des Réformes Institutionnelles.

Ibidem: Même ouvrage.

LGDJ: Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence.

OPJ: Officier de Police Judiciaire.

PUF: Presse Universitaire Française.

RDP: Revue de Droit Public et des Sciences Politiques en France et à l'étranger.

RFDC: Revue Française de Droit Constitutionnel.

SC: Section Contentieuse.

SMT: Syndicat des Magistrat du Tchad.

Vol: Volume.

VII

SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

PREMIÈRE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES AVANCÉES

PERCÉPTIBLES DE L'ÉTAT DE DROIT AU TCHAD. 19

CHAPITRE 1 : LA GARANTIE GRADUELLE DES DROITS FONDAMENTAUX

DANS LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 21

SECTION 1 : LA GARANTIE PRINCIPALE DES DROITS FONDAMENTAUX PAR

LE JUGE CONSTITUTIONNEL 22

SECTION 2 : LES GARANTIES SUBSIDIAIRES DES DROITS FONDAMENTAUX

ASSURÉES PAR LES AUTRES JUGES 31

CHAPITRE 2 : LA LIMITATION CONSTITUTIONNELLE DE LA PUISSANCE DU

POUVOIR EXÉCUTIF 41

SECTION 1 : LE CONTRÔLE DE L'EXÉCUTIF PAR LE PARLEMENT 42

SECTION 2 : LA CONSÉCRATION DE LA RESPONSABILITE DES MEMBRES DU

GOUVERNEMENT 50

SECONDE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES OBSTACLES PERSISTANTS A L'ÉMERGENCE D'UN VÉRITABLE ÉTAT DE DROIT AU

TCHAD 63

CHAPITRE 1 : L'INDÉPENDANCE DISCUTABLE DU JUGE DANS LA GARANTIE

DES DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD 64

SECTION 1 : L'INDÉPENDANCE CONTESTABLE DU JUGE CONSTITUTIONNEL

TCHADIEN 65

SECTION 2 : LES MENACES PORTÉES A L'INDÉPENDANCE DES AUTRES

JUGES DANS LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 74

CHAPITRE 2 : LA PROTECTION LIMITÉE DES DROITS FONDAMENTAUX AU

TCHAD. 83

SECTION 1 : LA PROTECTION NON JURIDICTIONNELLE DES DROITS

FONDAMENTAUX LIMITÉE. 83

SECTION 2 : LES AUTRES OBSTACLES RELATIFS A LA PROTECTION DES

DROITS FONDAMENTAUX 90

CONCLUSION GENERALE 100

1

INTRODUCTION GÉNÉRALE

2

Les changements politiques intervenus depuis 1990 ont donné, au sujet de la gouvernance en Afrique, une dimension renouvelée en raison essentiellement des mutations juridiques touchant l'intégrité de la Constitution1. L'histoire constitutionnelle des États africains indépendants a été particulièrement mouvementée et ressemble à un parcours difficile et tortueux. C'est dans un contexte social, culturel, économique et politique diversifié que le constitutionnalisme africain a été confronté à la problématique de son émergence, de son élaboration, de sa réactualisation et de sa légitimation2. L'idée de mettre sur pied une Constitution était au coeur du fonctionnement des systèmes démocratiques qui suppose non seulement, dans chaque État, l'adoption d'une Constitution placée au sommet de la pyramide des normes, mais aussi la mise en place des dispositifs institutionnels garantissant le respect de cette Constitution. Cette Constitution apparait, par sa stabilité et son caractère solennel, comme la meilleure protection contre les décisions arbitraires et excessives des gouvernants, en même temps elle promeut un ordre légitime universel.

Vers les années 1990, sous la poussée multiforme des changements sociaux, des crises économiques et culturelles, des revendications politiques nationales, les sociétés africaines ont basculé dans la démocratie représentative d'inspiration occidentale, comme témoigne l'actuel Préambule de l'Union Africaine3 (UA). L'idéologie nouvelle impose désormais à chaque État africain de se conformer aux nouvelles donnes, qui sont la souveraineté électorale du peuple, le multipartisme, le respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens, la reconnaissance des droits de l'opposition politique. Mais la pratique constitutionnelle montre bien que la rigidité de la norme suprême proclamée par la Constitution elle-même ne suffit pas pour garantir sa stabilité. C'est pourquoi, en Afrique, nous assistons à une modification constante de la Constitution au détriment des pouvoirs en place. Nous ne pouvons dire qu'une Constitution remplie ses fonctions en raison des modifications rares ou multiples qu'elle a subies. Les vingt-quatre modifications4 apportées à la Constitution française de 1958 et les différentes modifications apportées à la Constitution tchadienne de 1996 n'en font pas moins une norme fondamentale qui, selon la doctrine française5 et tchadienne, remplit sa fonction.

1 NGUELÉ ABADA Marcelin, « L'indépendance des juridictions constitutionnelles dans le constitutionnalisme des États Francophones post guerre froide : exemple du Conseil Constitutionnel camerounais », Revue de la Fondation Raponda-walker pour la science et la culture, 2010, p.1.

2 ZOGO NKADA Simon-pierre, « Le nouveau constitutionnalisme africain et la garantie des droits socioculturels des citoyens : cas du Cameroun et du Sénégal », RFDC, N°92/2012, p.5.

3 NYAMSI Franklin, L'État de droit ou le plus grand défi de la civilisation politique africaine du 21e siècle, Paris, Edition du net, 2018, p.1.

4 Mélin-souscramanien, Constitution de la République française de 1958, Paris, Dalloz, 2008, pp. 102-104.

5 WALINE Joël, « Les révisions de la constitution de 1958 », in droit et politique à la croisée des cultures, Mélanges en honneur de Philipe ardant, Paris, LGDJ, 1999, pp. 235-249 ; VERPEAUX Michel, La révision

3

En clair, les multiples révisions constitutionnelles n'ont pas donné aux Constitutions une garantie de leur stabilité. C'est avec les exigences théoriques intégrées dans les Constitutions africaines que certains ont pu penser que nous assistons au retour du droit constitutionnel et au rêve d'une ère de discipline politique et de la judiciarisation de la vie politique. Et pourtant, ces révisions constitutionnelles à répétition s'inscrivent en réalité dans une perspective d'entrave au nouveau constitutionnalisme africain6. Ces révisions ne favorisent non plus la consolidation de l'État de droit, même si une nuance doit être faite concernant certains amendements qui viennent à point nommé renforcer, dans une certaine mesure, la démocratie. C'est dans cette logique que le Professeur AIVO Frédéric Joël affirmait que : « la forme constitutionnelle se fragilise par la sensibilité des amendements qui lui sont apportés. Cette thèse défendue tant de fois par tant de voix et de forte belle manière, se ramène à une idée clé : les révisions constitutionnelles africaines, pour la plupart, se particularisent par leur objet peu licite et controversé. La doctrine a déjà relevé de façon convaincante que les modifications apportées depuis 1996 aux constitutions africaines sont peu fortifiantes pour l'État de droit. »7. Le constat est clair en Afrique, quand il y a révision constitutionnelle dans un pays, cette mutation est souvent accompagnée de soulèvements de la part des gouvernés qui sont assoiffés de la démocratie. Le cas du Tchad en est une parfaite illustration lorsqu'en 2017, le Haut Comité pour les Réformes Institutionnelles (HCRI) entame ses travaux pour déboucher, en mars 2018, sur la convocation d'un forum national inclusif. Ces réformes ont été boycottées par l'opposition et la Société Civile.

Comme dans tous les pays d'Afrique noire francophone, l'histoire constitutionnelle du Tchad est accompagnée de l'évolution des régimes politiques qui se sont succédés. Chaque fois qu'un régime nouveau prend la tête du pouvoir, généralement, intervient la révision ou la modification de la Constitution. En effet, les réformes politiques, institutionnelles ou constitutionnelles sont inhérentes à la vie démocratique d'un pays8. En 2016, le Président tchadien a entamé des réformes. Cette volonté de réformer les institutions s'est traduite par le décret n°681/PR/PM/2016 du 26 octobre 2016 instituant le Haut Comité Chargé des Réformes Institutionnelles. Après le Forum National Inclusif tenu du 19 au 29 mars 2018, l'Assemblée

constitutionnelle à l'arracher, in révision de la Constitution : la Vème République rénovée ? À propos de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, n°31-35, pp. 16-21.

6 HOLO Théodore, « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les constitutions du renouveau démocratique dans les États de l'espace francophone africain: régime juridique et système politique », RBSJA, 2006, n° 16, pp. 31-39.

7 AIVO Frédéric Joël, « La crise de la normativité de la constitution en Afrique », RDP, Décembre 2012, n°1, p.141.

8 Rapport alternatif des organisations de la société civile tchadienne, Les réformes institutionnelles au Tchad : entre ambitions partisanes et unité nationale, Ndjamena, octobre 2017, p.51.

4

Nationale a adopté le projet de loi constitutionnelle le 30 mars 20189. Ce qui a conduit le Président de la République à promulguer la nouvelle Constitution le 04 mai 2018.

Cette Constitution procède à des réaménagements tant sur le plan institutionnel qu'organisationnel. Ainsi, ces aménagements nous amènent à nous atteler sur l'apport de la nouvelle Constitution dans le renforcement de la démocratie au Tchad. Alors, il apparait donc important pour nous de porter un regard critique sur l'évolution de la démocratie et de l'État de droit à l'aune de la nouvelle Constitution.

Il conviendrait donc de mettre, dans un premier temps, en évidence son cadre théorique (I), avant d'explorer son cadre opératoire (II), dans son second temps.

I - LE CADRE THÉORIQUE DE L'ÉTUDE

Il convient d'aborder ici, le contexte de l'étude (A), la définition des concepts clés du sujet (B) et la délimitation de l'étude (C).

A - LE CONTEXTE DE L'ÉTUDE

La présente étude est abordée dans des contexte historique (1) et juridico-politique (2) bien précis.

1 - Contexte historique

Devenu République en 1958, le Tchad acquiert son indépendance le 11 Août 1960. Après la proclamation de la République, les élections de 1959 ont été remportées par le Parti Progressiste Tchadien (PPT). Son leader TOMBALBAYE François a été désigné Premier Ministre10 puis Président de la République à l'indépendance de 196011. Mais la gestion du pouvoir va être très vite critiquée. Ces critiques vont conduire une partie importante des populations du Nord et du Centre à se révolter. Cette révolte est à l'origine de la création du premier mouvement rebelle au Tchad, le Front de Libération Nationale du Tchad, (FROLINAT)12. Depuis 1963, le pays est entré dans un cercle infernal de guerres13. Après la

9 François Albert-Stauder, « Tchad : une nouvelle République sans État de droit ? », Fondation pour la recherche stratégique, 12 juin 2018, p.1.

10 DINGAMADJI Arnauld, Les gouvernements du Tchad. De Gabriel LISSETE à IDRISS DEBY ITNO 1957-2010, Paris, L'Harmattan, 2011, p.70.

11 DINGAMADJI Arnauld, NGARTA TOMBALBAYE : Parcours et rôle dans la vie politique du Tchad, 19591975, Paris, L'Harmattan, 2007, p.44.

12 BUIJTENHUIJS Robert, Le Frolinat et les guerres civiles du Tchad (1977-1984): la révolution introuvable, Paris, Karthala, p.47.

5

chute de TOMBALBAYE, le 13 avril 1975, et la prise du pouvoir par le général Félix MALLOUM en avril 1975, le pouvoir passe aux mains des leaders de FROLINAT, GOUKOUNI WEDDEY en 1978 puis HISSEIN HABRE le 07 Juin 1982. Ce dernier instaure une dictature avec son parti unique, Union Nationale pour l'Indépendance et la Révolution (UNIR) et sa police politique, la tristement célèbre Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS). HABRE a été chassé du pouvoir par IDRISS DEBY le 01 décembre 1990.

La prise du pouvoir d'IDRISS DEBY a coïncidé avec le vent de la démocratie qui soufflait sur le continent africain. Ne pouvant échapper à cette logique de démocratisation de l'espace politique, une Conférence Nationale Souveraine (CNS) fut organisée en 1993 pour arrimer le pays à la vague du processus démocratique. La CNS a jeté les bases d'un nouvel ordre constitutionnel. Une période de transition a été observée jusqu'à l'adoption de la loi fondamentale du 31 Mars 1996. Elle prit fin avec les premières élections de la même année.

La vie politique semble retrouver alors une relative tranquillité mais qui ne sera que de courte durée. Car, dès 2005, une réforme constitutionnelle est intervenue et a fait sauter le verrou constitutionnel de limitation du nombre de mandat présidentiel. Ainsi, le FNI a été organisé pour aboutir à l'adoption de la nouvelle Constitution.

2 - Contexte juridico-politique

Au niveau du contexte juridico-politique, le climat s'est dégradé avec une succession de boycott du processus électoral par une partie importante de la classe politique : celui du recensement électoral de 2005, du référendum constitutionnel de juin 2005, puis des élections présidentielles de mai 2006 et 2011. La crise née du boycott de l'élection présidentielle de 2006 va conduire les acteurs politiques à entamer des négociations qui vont déboucher sur la signature de l'accord politique du 13 août 2007 en vue du renforcement du processus électoral et la consolidation de la démocratie au Tchad. C'est donc dans un contexte difficile que le Président de la République IDRISS DEBY ITNO, décide de traduire en acte le volet institutionnel de ses promesses électorales.

En effet, le constituant tchadien a voulu rompre avec le « système semi-présidentiel » à la française instauré par la Constitution de 1996 et effacer la dualité de l'Exécutif en supprimant le poste du Premier Ministre. Les diverses raisons ayant conduit le constituant à entamer cette réforme n'ont pas convaincu la majorité des citoyens tchadiens. De l'organisation du FNI à l'adoption de la nouvelle constitution, la société civile tchadienne et

13 ERLEMARI NEBARDOUM, Le labyrinthe de l'instabilité politique au Tchad, Paris, L'harmattan, 1998, p.141.

6

une partie de l'opposition ont exprimé leurs mécontentements à travers le processus de réforme. Malgré tout ceci, à l'issue du FNI, la Constitution le 04 mai 2018 a été promulguée.

B - DÉFINITION DES CONCEPTS

Comme le recommande DURKHEIM Emile, le chercheur doit pour toute étude, définir au préalable les termes afin que l'on sache bien de quoi il est question14. Partant de cette exigence, il s'avère judicieux de définir tour à tour la Constitution (1), la consolidation (2) et l'État de droit (3).

1 - La Constitution

La Constitution, du latin constituo qui est dérivé du verbe constituere, qui veut dire « établir,... », est l'ensemble des règles fondamentales qui régissent l'organisation et les rapports des pouvoirs publics et fixent les grands principes du Droit Public d'un État15. A côté de cette définition, la Constitution peut être définie du point de vue matériel et du point de vue formel.

Du point de vue matériel, la Constitution est l'ensemble des règles qui déterminent les conditions d'acquisition et d'exercice du pouvoir politique. Elle est définie également en fonction de ses règles et de son contenu. C'est le sens du contenu de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution »16

Du point de vue formel, la Constitution est l'ensemble des règles, qu'elles soient ou non contenues dans un document unique, qui ont été adoptées selon une procédure spécialement prévue à cet effet. La Constitution est un acte juridique, le plus souvent concrétisé par un ou plusieurs documents écrits nouveaux. Cet acte se situe au sommet de l'ordre juridique et tout autre norme juridique de rang inférieur doit être conforme à ses prescriptions. Ainsi, selon la théorie de la hiérarchie des normes17, la Constitution se trouve être la loi fondamentale qui légitime toutes les normes inférieures. Cette théorie est complétée par le principe de

14 DURKHEIM Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 7ème édition, 1993, p.31.

15 CAPITANT Henri, Vocabulaire juridique, 4ème édition, 1930, p.162.

16 Article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

17 Théorie développée notamment par Hans KELSEN où chaque règle de droit est légitimée par une règle de droit supérieure et à laquelle elle doit être conforme. Par exemple, le règlement est inférieur à la loi, elle-même inférieure aux traités qui, sont inférieurs à la constitution.

7

constitutionnalité18, qui indique que la Constitution est le principe suprême du droit d'un État et que son respect obligatoire et nécessaire, est assuré par une Cour Constitutionnelle, un Conseil Constitutionnel ou une Cour Suprême selon l'organisation institutionnelle d'un État.

Dans la logique de la doctrine constitutionnaliste, la fonction centrale de toute Constitution est la garantie des droits fondamentaux de la personne humaine. En aménageant la garantie des droits, la séparation des pouvoirs ainsi qu'une représentation politique des citoyens, la Constitution établit un système de garanties de la liberté19. D'après la définition empruntée à PRELOT Marcel et BOULOUIS Jean, la Constitution fixe les règles juridiques « suivant lesquelles s'établit, s'exerce et se transmet le pouvoir politique »20. La plupart des Constitutions des États démocratiques fondent leur organisation institutionnelle et politique sur les principes de pluralisme d'expression des opinions, de liberté de choix des gouvernants, et d'effectivité de la séparation des pouvoirs, et garantissent, tout en les mentionnant explicitement, les droits sociaux et culturels des peuples qui vivent sous leur protection juridique21. En d'autre terme, la Constitution est la norme fondamentale, le pilier dont l'organisation politique et institutionnelle d'un État est assise.

La Constitution, selon JACQUE Pierre, est la loi que s'est donné le peuple afin de régir tant les modalités de dévolution et d'exercice du pouvoir que les rapports entre gouvernants et gouvernés22. A l'analyse de cette définition, il faut noter que la Constitution, selon JACQUE, est un instrument juridique qui organise les modalités d'exercice du pouvoir ainsi que les rapports entre les détenteurs du pouvoir politique et les citoyens.

La notion de la Constitution cohabite avec les notions voisines comme la convention de Constitution et la loi constitutionnelle. La convention de Constitution est une règle non écrite précisant l'exercice de pouvoirs juridiques. En Grande Bretagne, le roi ne refuse jamais, depuis le début du XVIIème siècle, d'accorder sa sanction à tout bill (texte de loi) adopté par le Parlement, bien qu'aucune règle juridique ne lui en impose l'obligation23. La loi

18 Principe de constitutionnalité ou le constitutionnalisme est le principe en vertu duquel la constitution d'un État est la norme suprême au sein de son ordre juridique. Ce principe a pour conséquence la constitutionnalisation progressive du droit.

19 GERKRATH Jorg, « Signification et fonction d'une constitution », Verfasungs révision, Paris, Mai 2009, p.23.

20 PRELOT Marcel et BOULOUIS Jean, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 10ème édition Coll. « précis », 1987, p.80.

21 ZOGO NKADA Simon-Pierre, « Le nouveau constitutionnalisme africain et la garantie des droits socioculturels du citoyen : cas du Cameroun et du Sénégal », op. cit., p.1.

22 JACQUE Pierre, Droit constitutionnel et institutions politiques, Memento, Dalloz, 4e édition, 2000, p. 58.

23 AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique du droit constitutionnel, PUF, 4ème édition, 2008, p. 37.

8

constitutionnelle est une loi adoptée selon la procédure spéciale prévue par la Constitution pour sa révision au titre du pouvoir constituant dérivé24.

In fine, la Constitution est la norme fondamentale qui détermine les conditions d'acquisition d'un pouvoir politique et celles de la gestion des institutions de l'État.

2 - La consolidation

La consolidation, selon le Dictionnaire français LAROUSSE, vient du verbe consolider, qui veut dire rendre plus solide, raffermir davantage. Elle est également la réunion de l'usufruit à la nue-propriété.

Ce concept est accompagné des notions voisines telles que la contribution, la préservation, la promotion et la protection. La préservation vient du verbe préserver qui veut dire garantir quelque chose d'un mal qui pourrait lui arriver25. La contribution désigne tout un ensemble des efforts ou des apports faits à une chose pour la rendre plus solide.

La promotion est également une notion voisine à la consolidation. Elle désigne l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour promouvoir un bien, un service ou un évènement. Tandis que la protection, du latin protecio, qui est une action de protéger, de défendre quelqu'un contre un danger, un mal, un risque26. Exemple : réclamer la protection des lois.

Durant ce travail, la définition qui sera retenue de la consolidation est le fait de rendre plus solide.

3 - État de droit

Tout État se réclamant l'étiquette démocratique et libérale aménage son pouvoir pour une finalité principale, notamment la mise en place d'un État de droit à l'effet de s'insurger contre l'arbitraire des gouvernants27. D'origine allemande (Rechtsstaat), l'État de droit apparait dans les travaux de certains auteurs comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Il a été défini au début du vingtième siècle par le juriste autrichien HANS Kelsen comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s'en trouve limitée. L'État de droit est un État dont les autorités politiques et administratives (centrales et locales) agissent en se conformant

24 AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique du droit constitutionnel, op. cit., p. 88.

25 www.wikipédia.com, consulté le 25 juillet 2020.

26 www.Larousse.fr, consulté le 25 juillet 2020.

27 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement à l'État de droit au Tchad, Mémoire de Master, Université de Dschang, 2018, p.12.

9

aux règles de droit, et dans lequel tous les individus bénéficient également de droits et de libertés fondamentaux. Supposant notamment l'indépendance de la justice, l'État de droit subordonne le principe de légitimité au principe de légalité et protège contre l'arbitraire du politique28. Ainsi, la théorie de l'État de droit connait aujourd'hui des nouvelles configurations29. Elle met en relief le sens du terme de l'État de droit du point de vue formel et du point de vue substantiel.

D'un point de vue formel, l'État de droit s'entend de tout État qui est limité par le droit, et qui n'est habilité et légitimé à agir que dans le cadre de celui-ci30. Cette conception formelle repose donc sur l'idée du respect de la norme juridique ou du respect de la règle de droit. Elle se forge autour du principe de légalité et s'appuie sur une structure juridique ordonnée et sur le postulat de la séparation équilibrée des pouvoirs31. Elle renvoie à la définition que les auteurs allemands ont donné à la notion d'État de droit. Seulement, cette conception formaliste semble quelque peu insuffisante pour rendre compte de la substance même de l'État de droit. Le Professeur KAMTO Maurice relève que si l'État de droit c'est le respect de la norme, alors dans le régime totalitaire, il y'a État de droit dans la mesure où l'on respecte les lois mêmes si elles sont tyranniques32. Cette remarque favorise l'importance d'une conception substantielle.

Du point de vue substantiel, l'État de droit est un État qui est limité par le droit. Il s'agit pour l'État de se soumettre à un droit porteur des valeurs libérales et démocratiques. La conception substantielle repose essentiellement sur la sécurité juridique, les droits et les libertés fondamentaux.

28 ABDELKERIM Marcelin, « La présidentialisation du système parlementaire tchadien », Paris, Edilivre, 2016, pp. 8-9.

29 CHEVALLIER Jacques, L'État de droit, 6ème édition, Paris, LGDJ, 2017, p.160. L'auteur fait observer que de la conception purement formelle, reposant sur l'idée de la hiérarchie des normes, le défi des régimes totalitaires a conduit au dépassement de cette conception de l'État de droit au profit d'une conception matérielle, substantielle qui privilégie la protection des droits fondamentaux par rapport aux risques d'arbitraire du pouvoir.

30 SOKENG DONFACK Léopold, « A la recherche de l'État de droit, notion, acception, application », communication au colloque de la CIB, Yaoundé, Palais de congrès, 2016, p.1.

31 L'indépendance de la justice se trouve au coeur du système de l'État de droit. Elle est sous-jacente au régime de la séparation des pouvoirs et est au service de la sauvegarde des droits et libertés. Conçue à l'origine pour combattre l'absolutisme qui caractérisait les monarchies de droit divins, la séparation des pouvoirs a pour but ultime de protéger la personne humaine contre la tyrannie que peut porter toute forme de souveraineté, y compris la souveraineté populaire. Si l'office du juge n'est pas l'objet immédiat de la théorie de LOCKE et de MONTESQUIEU, KANT posa quant à lui expressément le principe d'une séparation équilibrée des pouvoirs avant d'en déduire l'exigence d'indépendance de la justice. Pour plus de détails, voir LOCKE John, Traité du gouvernement civil, Traduction de David MAZEL, Paris, Flammarion, 1992, p.251 ; MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Paris, Flammarion, 1979, pp. 294 et suivant ; KANT Emmanuel, Métaphysique des moeurs, Doctrine du droit, Doctrine de la vertu, Traduction de RENAUT Alain, Paris, Flammarion, Tome 2, 1994, pp.48 et suivant.

32 NGATTI Etienne, La contribution du Conseil Constitutionnel à la consolidation de l'État de droit au Cameroun, Mémoire de Master, Université de Dschang, 2018, p 13.

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Selon MPUTU Jean-Pierre, l'État de droit dans son sens objectif serait celui qui fonctionne sur la base des règles de conduite, justes équitables, consensuelles et préalablement édictées et sanctionnées par ce qu'on a coutume d'appeler « le pouvoir », en vue de régir les relations entre les citoyens33.

Conçu dans l'intérêt des citoyens, l'État de droit a pour but de le prémunir et de le défendre contre l'arbitraire étatique. Cela se traduit par un pouvoir d'agir devant une autorité juridictionnelle à l'effet d'obtenir l'annulation, la reformation ou, en tout cas, la non application des actes administratifs qui auraient porté atteinte aux droits de l'individu. C'est dans ces objectifs que CONAC Gérard affirme que l'État de Droit, c'est l'existence des « magistrats capables de juger l'État, qu'il s'agisse des actes administratifs (ce qui est le cas du Conseil d'État...) ou qu'il s'agisse des actes et abus possibles du législateur, c'est le rôle du Conseil Constitutionnel »34. C'est dire que « ...l'État ne crée pas la loi pour d'autres, mais bien pour tous y compris lui-même. Il ne pourrait appeler avec succès au respect de la loi s'il ne la respecte pas lui-même »35.

Nous pouvons, avec le Professeur VUNDUAWE, rappeler que l'État de droit implique trois (3) choses : que les actes des autorités publiques soient soumis au droit et à des règles préétablies, que tous les actes des autorités administratives et autres soient soumis au contrôle d'un juge compétent et indépendant, que son système politique soit démocratique36.

Le terme État de droit est en connexité avec l'expression État légal. Selon Toupictionnaire, le dictionnaire de politique, l'expression « État légal » désigne un système politique dans lequel l'État est soumis au principe de la légalité. La loi est alors considérée comme la seule expression de la volonté générale voulue par le peuple souverain par l'intermédiaire de ses représentants au Parlement37.

Alors, l'État de droit est un mécanisme visant le raffermissement des principes démocratiques à travers la mise en commun des critères donnés à la notion de l'État de droit dont on a notamment le respect des normes juridiques, selon la hiérarchie, dans un pays.

33 MPUTU Jean Pierre, « L'étude du caractère d'État de droit de la RDC : coquille vide ou réalité ? », Annales de l'Université de Kinshasa, 2011, P.24.

34 CONAC Gérard. (Dir), L'Afrique en transition vers le pluralisme, Paris, Economica, 1993, p.79.

35 KAMTO Maurice, L'urgence de la Pensée, réflexions sur une précondition du développement en Afrique, Yaoundé, Mandara, 1993, p.104.

36MPUTU Jean Pierre, « L'étude du caractère d'État de droit de la RDC : coquille vide ou réalité ? », op., cit., 2011, p.35.

37 Voir www.Toupictionnaire.org, consulté le 25 juillet 2020.

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Ainsi, l'État tchadien, dans sa quête perpétuelle de l'État de droit, a toujours semblé enclin à satisfaire à ces exigences. C'est pourquoi la Constitution tchadienne du 04 mai 2018, tout en réitérant le principe de la primauté38 du droit, a pris en compte les réformes institutionnelles permettant de garantir une bonne démocratie.

La définition des termes clés nous conduit à la délimitation de l'étude.

C - LA DÉLIMITATION DE L'ÉTUDE

La délimitation de l'étude consiste à circonscrire celle-ci dans un cadre bien précis. Ainsi, il est judicieux que soient délimités le cadre temporel (1), le champ spatial (2) et matériel (3) de cette étude.

1 - La délimitation temporelle

L'étude de la Constitution tchadienne de 2018 s'inscrit dans un cadre temporel qu'il convient de relever.

Les réformes constitutionnelles ont permis aux gouvernants de mettre sur pieds des nouvelles règles qui vont conduire la vie institutionnelle d'un État. Ainsi, l'étude de la nouvelle Constitution tchadienne couvre la période de 2018 jusqu'à nos jours. Toutefois, il ne sera pas exclu de remonter le temps, ceci dans l'ultime optique de faire de simple démonstrations. Cependant, la délimitation de cette étude dans le temps ne suffit pas, encore faudrait-il la situer dans l'espace.

2 - La délimitation spatiale

Le Tchad est un pays d'Afrique Centrale avec une superficie de 1.284.000 Km2 sur laquelle vit une population d'environ 12.000.000 d'habitants39. Il est le berceau de l'humanité40. Il est enclavé et partage ses frontières au Nord avec la Libye, à l'Est, avec le Soudan, au Sud, avec la République Centrafricaine et à l'Ouest, avec le Cameroun, le Nigeria et le Niger.

N'Djamena est sa capitale et les langues officielles sont le Français et l'Arabe. La population est estimée à 11,04 millions d'habitants pour une densité de 8,6 habitants par Km2 selon les résultats du recensement général de la population et de l'habitat réalisé en 2009. Les résultats de ce recensement indiquent que 78% de la population tchadienne résidaient en

38 Article 1 de la Constitution de 1996.

39 Rapport de l'institut de statistique et démographique sur le recensement général de la population de 2011.

40 À travers la découverte par MICHEL BRUNOT, du crâne de TOUMAI dans le désert de DJOURAB, en 2001.

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milieu rural et seulement 22% en milieu urbain. Selon une projection démographique, cette population atteindra les 19,34 millions d'habitants en 2025 et serait de 44,21 millions en 205041.

Cela étant, l'étude aura comme domaine spatial l'ensemble du territoire national tchadien. Il faut, cependant, procéder à la délimitation matérielle de l'étude.

3 - La délimitation matérielle

La délimitation matérielle de l'étude commande qu'on apporte des éclairages sur les différentes réformes apportées dans la nouvelle constitution tchadienne ayant des impacts sur l'organisation générale de l'État. Tout spécifiquement, l'étude portera essentiellement sur la Constitution tchadienne de 2018 avec deux éléments de l'État de droit. Ces éléments sont la protection des droits fondamentaux et la soumission de l'État au droit.

II - CADRE OPÉRATOIRE DE L'ÉTUDE

Le mémoire doit respecter les codes et canons en vigueurs dans le champ scientifique. Comme le disait FRAGNIERE Jean Pierre, le mémoire est élaboré « dans une perspective qui s'efforce de tenir compte des règles de l'activité scientifique »42.

En effet, la méthode constitue le substrat même de toute oeuvre scientifique. Seront successivement mis en relief, les intérêts du sujet (A), la problématique et l'hypothèse (B), les méthodes et techniques de recherche (C) et, enfin, la démarche (D).

A - INTÉRÊTS DU SUJET

Étymologiquement, l'intérêt vient du latin interest, qui signifie important. Selon le Dictionnaire Larousse, l'intérêt désigne ce qui importe, ce qui vient en quelque manière que ce soit, à l'utilité, à l'avantage d'une personne ou d'une collectivité. A cet effet, il importe de dire que l'intérêt du sujet est appréhendé au regard de son originalité, sa qualité et son utilité. Cela dit, le chercheur doit être capable d'apporter les arguments qui militent en faveur de l'option d'analyse d'un tel sujet plutôt que d'un autre. Ainsi, CASSIN René relève que l'intérêt consiste à « démontrer que le sujet est important tant du point de vue théorique que

41 Institut National de la Statistique, des Études Économiques et Démographiques : « Projections démographiques régionales 2009-2050 ».

42 FRAGNIERE Jean-Pierre, Comment réussir un mémoire, Paris, Dunod, 1986, p.65

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pratique »43. Suivant cette affirmation, notre sujet présente un double intérêt : théorique (1) et pratique (2).

1-Intérêt théorique

Une étude n'a de valeur qu'au regard de l'avantage qu'elle procure44. Sur le plan théorique, l'étude de cette thématique présente divers intérêts. Elle nous offre tout d'abord l'occasion d'expliquer et d'analyser profondément la Constitution tchadienne, et au-delà, elle nous permet d'apporter notre modeste contribution à l'édification du droit constitutionnel tchadien. Pour ce faire, cette présente étude contribue à enrichir la littérature existante.

Par ailleurs, cette thématique s'inscrit dans une perspective plus globale de la recherche de l'État de droit. Ainsi, la présente étude vise à démontrer l'apport de la Constitution tchadienne à la consolidation de l'État de droit et assure par-là une meilleure sécurité juridique. Cette dernière selon FAVOREU Louis, est « la propriété d'un système juridique de procurer à tous les destinataires un cadre normatif relativement déterminé et permettant ainsi une orientation précise de ses choix à un moment déterminé »45. Cette sécurité juridique est une garantie pour les investissements et l'essor économique d'un pays. Il n'est de meilleur gage que la garantie des droits constitutionnellement admise pour permettre un développement économique. A ce propos, le Professeur GADJI Abraham note que « la projection vers le développement économique auquel aspire l'ensemble de ces États (d'Afrique francophone) exige un ordre constitutionnel dynamique »46. Ce besoin de sécurité apparait également dans le domaine administratif, pénal, civil, etc.

2- Intérêt pratique

Sur le plan pratique, l'intérêt de cette étude est indéniable car elle permet au pouvoir public de voir la portée réelle des réformes entreprises sur le fonctionnement de l'État. Cela permet également au Gouvernement tchadien et aux Gouvernements des autres États, qui emprunteront la même voix, de jauger le niveau de leur action dans le processus de la consolidation de l'État de droit. A cet effet, la présente étude permettra au Gouvernement

43 CASSIN Robert, Méthodologie de la thèse de doctorat en droit, cité par ALLANGOMBAYE NDONAYE KOINGAR, La carrière du fonctionnaire au Tchad, Mémoire de Master, Université de Dschang, 2019, p.23.

44 DJIEPMOU Bertrand, Le juge constitutionnel camerounais et la régulation du processus démocratique, Mémoire de Master, Université de Dschang, février 2016, p.18.

45 FAVOREU Louis, GAIA Paul et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2016, p.94.

46 GADJA Abraham, « L'économie dans les nouvelles constitutions des États d'Afrique francophone », in AIVO Frédéric Joel (coord.), La constitution béninoise du décembre 1990 : un modèle pour l'Afrique ? Mélanges en honneur de Maurice Ahanhanzo Glèlè, Paris, l'harmattan, 2014, p.790.

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tchadien d'apporter des correctifs aux égarements contenus dans la Constitution du 04 mai 2018. La présente étude peut être aussi utile pour le juge constitutionnel pour cerner l'immensité de sa tâche dans la régulation de l'État de droit.

B - PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE

Pour comprendre l'hypothèse (2), il faut chercher à poser d'abord la problématique (1) que soulève le thème.

1 - La problématique

La problématique selon BEAUD Michel est « l'ensemble construit autour d'une question principale, des hypothèses et des lignes d'analyse qui permettront de traiter le sujet choisi. Elle est une composante essentielle dans le travail de préparation de la thèse »47. En termes différents, explique le Professeur ONDOA Magloire, la problématique est « l'objet de la recherche, mais un objet construit autour d'une question fondamentale qui éclaire la démonstration et la guide »48. Il est donc à préciser que la problématique apparait comme l'axe principal de recherche ou encore le fil conducteur. Elle se présente comme l'approche théorique que nous décidons d'apporter afin de résoudre un problème posé par l'idée générale dans une étude. La problématique est évidemment l'écart qui existe entre ce que nous savons et ce que nous voudrions savoir à propos d'un problème donné.

En effet, l'État de droit est un élément indéniable pour la vie d'un pays. Il faut donc le consolider à travers divers mécanismes dont le plus important est le respect des règles juridiques contenues dans la Constitution. Or, l'adoption de la nouvelle Constitution suscite autant de débats tant par la doctrine que par les citoyens et les hommes politiques. Alors se pose donc le problème de sa contribution à la consolidation de l'État de droit. Fort de ce constat, la question qui se pose est la suivante: quel est l'apport de la Constitution du 04 mai 2018 dans la consolidation de l'État de droit au Tchad ?

Pour répondre à ce questionnement, la formulation d'hypothèse s'avère nécessaire

2 - L'hypothèse

VERGEZ et HUISMAN définissent l'hypothèse comme ce qui est sous la thèse, le fondement d'une proposition49. Et JAILLARDON Edith et ROUSSILLON Dominique

47 BEAUD Michel, L'art de la thèse, Paris, Édition la Découverte, 2006, p.55.

48 ONDOA Magloire, Méthodologie de la recherche, op. cit., p. 23, inédit.

49 VERGEZ André et HUISMAN Denis, Nouveau « cours de philo », Paris, Fernand Nathan, 1981, p.236.

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retiennent que « l'hypothèse permet de sélectionner les éléments à prendre en compte, de les interpréter, de leur donner un sens, ce qui facilitera la compréhension de l'institution ou du mécanisme juridique étudié et éventuellement contribuera à l'élaboration d'une théorie (...), propositions de réponses à des questions bien posées 50 ».

L'hypothèse s'analyse en une réponse provisoire à la problématique et constitue ainsi un élément incontournable d'un travail scientifique. L'hypothèse tend à formuler une relation entre les faits significatifs. Ainsi, l'apport de la Constitution tchadienne du 04 mai 2018 à la consolidation de l'État de droit au Tchad est ambivalent.

Pour vérifier cela, l'usage des méthodes et techniques de recherche apparait obligatoire.

C - MÉTHODES ET TECHNIQUES DE RECHERCHE

Dans tout travail scientifique, c'est la méthode qui permet d'aboutir au résultat escompté. Ainsi, il convient de choisir et de préciser les méthodes (1) et les techniques (2) de recherche qui serviront à l'analyse.

1 - Les méthodes de recherche

Les méthodes de recherche s'apparentent à l'ensemble des opérations intellectuelles. Elles traduisent la manière de conduire sa pensée, de penser, de dire ou de faire quelque chose suivant certains principes et avec certain ordre51. Son importance est mise en exergue par le Professeur MERLE Michel lorsqu'il affirmait que, « sans un minimum d'outillages conceptuels, le chercheur se trouve en face d'une masse indistincte de faits dont il est hors d'état de s'en servir »52. C'est à ce titre que le Doyen KAMTO Maurice affirme que : « elle est au coeur de toute oeuvre scientifique en ce sens qu'elle éclaire les hypothèses et permet de déterminer les conclusions. Elle est la démarche ordonnée que doit suivre l'esprit pour arriver à un but »53. La principale méthode utilisée dans cette étude est la méthode juridique. Mais en raison des objectifs poursuivis et les contraintes particulières de notre recherche touchant au droit constitutionnel tchadien, au droit administratif tchadien et les pratiques

50 JAILLARDON Edith et ROUSSILLON Dominique, Outils pour la recherche juridique, Paris, Éditions Archives contemporaines, 2007, p.104.

51 Le dictionnaire Larousse, op.cit., p. 540.

52 MERLE Marcel, Sociologie des relations internationales, 4ème édition Paris, Dalloz, 1988, p.119.

53 KAMTO Maurice, Pouvoir et droit en Afrique noire, essai sur le fondement du constitutionnalisme dans les États d'Afrique noire francophone, cité par KEUDJEU DE KEUDJEU John Richard, Recherche sur l'autonomie des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse de Doctorat, Université de Douala, 2012, p.10.

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politiques dans la société, il était donc nécessaire d'avoir recours au droit comparé, à la méthode socio-politique.

La méthode juridique est composée de l'exégèse et de la casuistique. Celles-ci sont basées sur l'interprétation et l'explication des règles de droits, tout particulièrement celles contenues dans les lois et la jurisprudence. Alors, ce travail s'oriente sur les documents mais aussi sur les mécanismes de fonctionnement des institutions de l'État. Cette méthode a permis, dans la présente étude, d'interpréter et d'apprécier les textes régissant les institutions et les décisions de justice.

Le droit comparé en tant que discipline juridique est d'une très grande utilité dans l'appréhension et la démonstration de l'hypothèse de travail. Comparer, c'est en termes simple, comme le souligne DOGAN Mattei et PELASSY Dominique, « établir des analogies ou des différences »54 ou mieux, « assimiler et différencier par rapport à un critère »55. Dans cette étude, la méthode de droit comparé a permis de convoquer les pratiques constitutionnelles dans certains pays pour les comparer avec celles au Tchad.

La méthodes socio-politique n'a pas été occultée. Elle a toute sa raison d'être dans cette étude car c'est une méthode qui se veut pragmatique. C'est une approche qui se distingue nettement de celle du juriste positiviste en ce sens qu'elle s'intéresse beaucoup moins à la lettre des textes qu'aux pratiques concrètes et aux jeux des forces sociales et politiques qui les produisent.

2 - Les techniques de recherche

Concernant les techniques de recherche, elles permettent, dans une approche qualitative, la collecte des faits et informations56. À cet effet, nous avons essentiellement utilisé la technique documentaire.

La doctrine a été d'une grande utilité dans ce travail, en ce sens que « la doctrine elle-même qui contribue substantiellement à l'élaboration du corpus documentaire, est d'ailleurs, enseigne-ton, source du droit »57. L'apport de ladite doctrine est attesté par la lecture des articles publiés dans les revues tant nationales qu'internationales. Cette documentation nous a permis de rassembler plus ou moins de la documentation relative au sujet dans les différentes

54 Voir Mattei Dogan et Dominique Pelassy, sociologie politique comparative : Problèmes et perspectives, Economia, 1881, P.111.

55 Voir G. Sartori, cité par Mamadou Gozibo, « La démarche comparative binaire : éléments méthodologiques à partir d'une analyse de trajectoire contrastées de démonstration », Revue Internationale de politique comparée, vol. 9, 2002, p. 433.

56 MONGEAU Pierre, Réaliser son mémoire ou sa thèse, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2009, p. 37.

57 YANN TANGUY, La recherche documentaire en droit, Paris, PUF, 1991, p.17.

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bibliothèques, à savoir la Bibliothèque centrale de l'Université de Dschang, la Bibliothèque doctorale de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP) de l'Université de Dschang et la Bibliothèque du Centre d'Étude et de Formation au Développement (CEFOD). On y a consulté des documents relatifs au droit constitutionnel, tels que les ouvrages, les lois et règlements, les thèses, les mémoires, les rapports, etc. Aussi, on a eu recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), notamment, l'internet, qui ont constitué la source d'information virtuelle.

D - DÉMARCHE

La démarche est la partie de l'introduction qui donne une ouverture sur le corps du travail58. Au regard de notre problématique et hypothèse ci-dessus formulées, il est important d'apporter des réponses à cette question en organisant le travail en deux grandes parties. Ainsi, nous démontrons la Constitution du 04 mai 2018 et les avancées perceptibles de l'État de droit (première partie) puis les obstacles persistants à l'émergence d'un véritable État de droit (seconde partie).

58 DJAMTO Galy, Les compétences des Collectivités Autonomes en matière de préservation de l'environnement au Tchad, Mémoire de Master, Université de Dschang, 2019, p.21.

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PREMIÈRE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI
2018 ET LES AVANCÉES PERCÉPTIBLES DE L'ÉTAT
DE DROIT AU TCHAD

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L'avènement de la nouvelle Constitution au Tchad marque une étape importante vers l'émergence d'un véritable constitutionnalisme, avec les retombées juridiques remarquables.

Le constitutionnalisme en Afrique de manière générale et au Tchad en particulier a connu un progrès indéniable. Il faut d'abord souligner que le Tchad, après les indépendances, a connu une évolution institutionnelle et constitutionnelle mouvementée. Des années de dictature et de parti unique ont empêché l'éclosion de toute culture démocratique59. Les tchadiens, ont décidé de tourner cette page sombre pour entrer dans une nouvelle ère. Celle-ci a été consacré d'abord dans la Constitution du 31 mars 1996 révisée en 2005 et 2013 puis celle du 04 mai 2018.

L'étude de la Constitution tchadienne s'inscrit dans l'optique de consolidation de l'État de droit tant voulu par le constituant. En effet, il ne suffit pas de mettre sur place tout un arsenal juridique pour affirmer qu'il y a État de droit. De plus, la République n'est donc pas seulement la forme neutre de l'organisation du pouvoir public. Elle affirme l'idée selon laquelle la loi est l'expression de la volonté générale du peuple, mais que celle-ci ne peut trouver son fondement juridique que dans un texte qui lui est antérieur60. Ce texte est la Constitution.

La Constitution tchadienne de 2018, à l'analyse, présente une étape vers la préservation de l'État de droit. Les auteurs comme CHEVALLIER Jacques61, DESWARTE Marie-Pauline62 et autres donnent une liste des critères de l'État de droit. Ces critères se résument, dans cette partie, en deux points. Il s'agit de la garantie graduelle des droits fondamentaux (Chapitre 1) et la limitation de la puissance du pouvoir exécutif (Chapitre 2) consacrés par la Constitution du 04 mai 2018.

59 Préambule de la Constitution du 04 mai 2018.

60 TRIMUA Christian Eninam, « L'idée républicaine de la Constitution en Afrique francophone », Afrilex, RDP, Janvier 2015, p. 6.

61 CHEVALLIER Jacques, L'État de droit, 6e édition, Paris, Dalloz, 2017, p. 27.

62 DESWARTE Marie-Pauline, Droits sociaux et État de droit, RDP,1995, p. 51.

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CHAPITRE 1 : LA GARANTIE GRADUELLE DES DROITS
FONDAMENTAUX DANS LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018

Le droit constitutionnel moderne est marqué par l'idée de la réalisation de l'État de droit. La réalisation passe notamment par le rôle joué par les juges qui est un rôle protecteur des droits fondamentaux.

Les droits fondamentaux sont un concept fréquemment utilisé par la doctrine. Le concept n'est pas aisé à définir, car il semble être justiciable de plusieurs acceptions. La notion des droits fondamentaux fait penser à des termes voisins tels « droit de l'homme et libertés publiques »63. Elle cohabite ainsi avec des concepts souvent assimilés, tels que celui de « libertés fondamentales » si bien que l'utilisation de l'une ou l'autre prête parfois à équivoque.

En dépit de la polysémie du terme64, voire le caractère changeant de sa terminologie, l'envol des droits fondamentaux dans le système juridique tchadien sous l'égide de sa consécration constitutionnelle est visible.

En effet, si l'État de droit traduit un modèle d'organisation politique, le transit par le droit reste toujours un élément objectif de ces significations65. Il devient dès lors moins surprenant que l'État de droit trouve une relation avec ceux qui ont la charge de dire le droit. Alors, le système juridique tchadien est donc marqué par une poignante montée en puissance de la place accordée au juge au sein de l'ordre juridique interne. Cette forte ascension du juge conduit à une « judiciarisation » de plus en plus étendue de la vie sociale. La concrétisation de

63 Les droits de l'homme, qui sont des droits naturels tenant à l'essence même de l'être humain, constituent des prérogatives gouvernées par des règles que la personne détient en propre dans ses relations avec d'autres personnes ou avec le pouvoir. Quant aux libertés publiques, elles désignent une consécration juridique des droits de l'homme et bénéficient de la protection de la loi. Dans la plupart des cas, c'est la jurisprudence qui s'avère plus protectrice des droits et libertés des individus, car la Constitution, étendue lato sensu, ne garantit pas simplement des standards minimums de protection. RIVIER Maurice, « Les divergences de jurisprudence », Publication de l'Université Saint-Etienne, 2003, p. 203.

64 La notion des droits fondamentaux est éminemment problématique, les incertitudes portent tant sur le critère de la fondamentalité que sur la substance et le régime juridique de ce droit. PICARD Etienne, « Droits fondamentaux » in ALLANT Dénis et STEPHANE Rials, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, pp. 244-249.

65 CHEVALLIER Jacques, « La mondialisation de l'État de droit », in droit et politique à la croisée des cultures, Mélanges ARDANT Philipe, L.G.D.J., p. 325.

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l'État de droit est fortement marquée par la présence et l'épanouissement du juge constitutionnel qui assure la garantie principienne des droits fondamentaux (Section 1), le juge ordinaire intervient subsidiairement dans la garantie de ces droits fondamentaux (Section 2).

Le rôle joué par la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH) ne sera pas développé dans ce chapitre du simple fait qu'il s'agit, ici, uniquement de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux des citoyens.

SECTION 1 : LA GARANTIE PRINCIPIENNE DES DROITS
FONDAMENTAUX PAR LE JUGE CONSTITUTIONNEL

La notion du juge constitutionnel est la réunion du mot « juge » et de l'adjectif « constitutionnel »66. De manière générale, le juge est « tout organe doté d'un pouvoir juridictionnel, c'est-à-dire du pouvoir de dire le droit et trancher un litige »67. Il est dit juge constitutionnel parce qu'il a ce pouvoir de dire le droit qui se rapporte à la Constitution et de trancher les litiges en fonction de ce droit constitutionnel. Ainsi, on considère généralement que seuls les juges de la Chambre constitutionnelle sont des juges constitutionnels au Tchad. Ils détiennent principalement la charge d'assurer le respect de la Constitution à travers leur office.

L'avènement de la justice constitutionnelle tchadienne est le fruit de la loi constitutionnelle du 31 mars 1996 modifiée par la loi constitutionnelle N°08/PR/2005 du 15 juillet 2005. Devenue une Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême, la justice constitutionnelle au Tchad à d'importants pouvoirs68. Outre ses missions constitutionnelles, l'ordonnance n°015/PR/2018 portant attribution, organisation, fonctionnement et règles de procédure devant la Cour Suprême est venue compléter ses missions. Ainsi, au terme de l'article 60 de l'ordonnance précitée, la justice constitutionnelle voit son domaine de compétence s'étendre69.

De ce fait, il devient indéniable que toute ossature de l'État de droit durable et stable dépend en grande partie de l'effectivité du contrôle de constitutionnalité. Ce contrôle de constitutionnalité traduit le prolongement logique, naturel et nécessaire de l'exigence de l'État

66 L'adjectif « constitutionnel » est dérivé du mot Constitution.

67 CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, 7ème édition, Paris, PUF, p.472.

68 Article 157 alinéa 1 de la Constitution.

69 Il en résulte de cette disposition que : « La chambre constitutionnelle est juge de la constitutionnalité des lois, des traités et accords internationaux. La chambre constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques et des lois sur les libertés publiques et les droits de l'homme avant leur promulgation, du règlement intérieur de l'Assemblée Nationale et de ceux d'autres institutions prévu par la constitution avant leur application ».

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de droit, stimulé par le développement de l'emprise des droits et libertés fondamentaux sur le système juridique70. Alors, ce contrôle est mis en oeuvre par le juge constitutionnel (paragraphe1) selon un mécanisme précis et ayant une portée indéniable (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La mise en oeuvre du contrôle de constitutionnalité

Le contrôle de constitutionnalité, selon le Lexique de droit constitutionnel, est « l'ensemble des moyens juridiques mis en place en vue d'assurer la régularité interne et externe des normes juridiques par rapport à la Constitution »71. En dépit des apparences techniques, le contrôle de constitutionnalité revêt un caractère inévitablement politique72. Cela s'explique par le fait que la mise en oeuvre du contrôle pose un problème complexe concernant notamment la détermination des personnes qui sont habilitées à saisir le juge constitutionnel. Pourtant l'intérêt accordé à la justice constitutionnelle par sa mise en place dans les régimes démocratiques revêt toute son importance. C'est d'ailleurs ce qui amène le Professeur HOLO Théodore à dire que « la justice constitutionnelle est consubstantielle au constitutionnalisme triomphant à nouveau sur le continent africain depuis l'effondrement dans la dernière décennie du XXe siècle des différents régimes autoritaires qui avaient fleuri au lendemain de la décolonisation »73. Ce nouveau statut fonde certains changements dans la fonction du juge constitutionnel.

La fonction première du juge constitutionnel tchadien est le contrôle de constitutionnalité des lois. Ce contrôle participe à la garantie des droits fondamentaux. La mise en oeuvre de ce contrôle implique la saisine du juge constitutionnel (A) et la définition des modes de contrôle (B).

A - La saisine du juge constitutionnel tchadien

La saisine du juge constitutionnel est strictement limitée en droit tchadien. Les textes limitent l'accès au juge constitutionnel à une catégorie des requérants74 mais nous ne devons

70 MATHIEU Bertrand et VERPEAUX Michel, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, Paris, 2002, LGDJ, p. 117.

71 MATHIEU Bertrand et VERPEAUX Michel, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, Paris, 2002, LGDJ, p, 117.

72 CHANTBOUT Bernard, Droit constitutionnel, Université, 13ème édition, p.44. Cité par ALLAH-ADOUMBEYE Djimadoumngar, « Le contrôle de la constitutionnalité des lois au Tchad », Centre d'Étude et des Recherches administratives et Politiques (CERAP) Paris 13, p. 6.

73 HOLO Théodore, « L'émergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, N°129, 2009, p.101.

74 Article 61 de l'ordonnance n°015/PR/2018 portant attributions, organisation, fonctionnement et règles de procédure devant la Cour Suprême : « La chambre Constitutionnelle, à la demande du Président de la République, du Président de l'Assemblée Nationale ou d'au moins un dixième (1/10) des membres de l'Assemblée Nationale, se prononce sur la constitutionnalité d'une loi avant sa promulgation ».

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pas perdre de vue le rôle des particuliers devant la juridiction constitutionnelle. Ils ont un accès indirect75 au juge constitutionnel. Ainsi, ce recours indirect se fait au moyen du principe d'exception d'inconstitutionnalité76. Dans certains pays comme l'Allemagne77, le Bénin78, le Gabon79, le juge constitutionnel peut être directement saisi par voie d'action. JACQUÉ Jean Paul le qualifie d'un procès objectif fait à la loi80. A cet égard, il faut souligner que cette saisine conduit au contrôle par voie d'action qui est le véritable procès intenté à l'encontre d'une loi dont il est demandé l'anéantissement pour l'inconstitutionnalité. L'objet principal est l'annulation de la loi. Ce contrôle est abstrait81 dans la mesure où il porte sur la conformité de la loi aux normes qui composent le bloc de la constitutionnalité.

Ce type de contrôle produit des effets. Il débouche, si la loi est jugée inconstitutionnelle, sur son annulation. Une telle loi ne saurait être promulguée car elle est frappée d'une nullité absolue. La loi ainsi sanctionnée est réputée n'avoir jamais existé. La déclaration d'inconstitutionnalité est investie de l'autorité absolue de la chose jugée.

Ensuite, il y a la saisine par voix d'exception82. Ici, la loi a été promulguée sans être soumise au contrôle de constitutionnalité ; et, elle est entrée en vigueur, elle ne peut plus faire l'objet du recours par voie d'action83 ; toutefois, elle reste soumise à une forme de contrôle qui est l'exception d'inconstitutionnalité. L'exception d'inconstitutionnalité selon Michel de

75 Article 62 de l'ordonnance précitée : « tout citoyen peut soulever l'exception d'inconstitutionnalité devant une juridiction dans une affaire qui le concerne. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisi le Conseil Constitutionnel qui doit prendre une décision dans un délai maximum de quarante-cinq (45) jours ».

76 C'est un incident de procédure dans le cadre d'un procès à l'occasion duquel un justiciable met en cause la conformité d'une loi à la Constitution. Le juge saisi sursoit à statuer et saisit le Conseil ou la Cour Constitutionnel (le) pour le contrôle de conformité. Aux USA, le juge saisi au fond est le juge de l'exception. Voir AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique des termes constitutionnels, PUF, 4ème édition, p. 62.

77 FAVOREU Louis, Droit constitutionnel, Dalloz, 18ème édition, 2016, p. 287.

78 AIVO Frédéric Joël « Contribution à l'étude de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux : retour sur vingt ans de jurisprudence (active) au Bénin », Afrilex, Mai 2016, p.9. Voir également article 3 alinéa 3 de la loi n°90/32 du 11 décembre 1990 portant Constitution du Bénin qui dispose que « tout citoyen a le droit de pourvoir devant la Cour Constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ».

79 Article 86 de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991.

80 JACQUE Jean Paul, Droit constitutionnel et institutions politiques, Mémentos Dalloz, 7ème édition, 2008, p. 59.

81 Il y a contrôle abstrait des normes dans la mesure où les litiges soumis aux juridictions constitutionnelles ne présentent pas une confrontation classique entre deux parties et ne suppose pas la résolution d'un litige particulier antérieur. Lire à cet égard FAVOREU Louis, Droit constitutionnel, Dalloz, 13ème édition, 2010, p. 246.

82 Le contrôle par voie d'exception est né et s'est développé aux USA au XIXe siècle. Dans une décision Marbury contre Madison (1803), la Cour suprême américaine a considéré que le juge ordinaire avait le pouvoir de faire un tel contrôle. La Cour a estimé que ce contrôle était inhérent à la fonction de juger. Car le juge doit toujours faire prévaloir la norme supérieure sur la norme inférieure ; ici, la Constitution sur la loi. En cas de contradiction, il ne fera pas application de la loi. www.droitconstitutionnel.net/constitution-cours.htm consulté le 29 avril 2020.

83 C'est le cas de la requête du député MBAIREMTAR Prosper et vingt-et-un autres en inconstitutionnalité d'un projet de loi tendant à la modification de la loi n°008/PR/2007 du 9 mai 2007 portant réglementation de l'exercice du droit de grève dans les services publics.

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VILIER, est « une technique procédurale par laquelle une partie à un procès oppose à son adversaire la non-conformité à la Constitution de la loi invoquée contre lui. Si le juge admet l'exception, la loi n'est pas invalidée mais déclarée inapplicable à l'espèce »84. Autrement dit, lorsque le citoyen soulève l'exception d'inconstitutionnalité devant le juge administratif ou judiciaire, celui-ci doit sursoir à statuer jusqu'à la décision du juge constitutionnel. Dans ce cas, le juge ordinaire s'exécute sans pouvoir d'appréciation de l'exception ni de son caractère abusif. Il subit, pour ainsi dire, l'exception d'inconstitutionnalité, quelle que soit l'intention dissimulée ou manifeste du requérant85. C'est en cela que l'article 157 alinéa 486 de la Constitution et l'article 62 de l'ordonnance n°015/PR/2018 portant attributions, organisation, fonctionnement et règles de procédure devant la Cour suprême précisent que : « tout citoyen peut soulever l'exception d'inconstitutionnalité devant une juridiction dans une affaire qui le concerne. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit le Chambre Constitutionnelle qui doit prendre une décision dans un délai maximum de quarante-cinq (45) jours ». Alors, l'expression " tout citoyen" ne doit pas être entendue au sens large. Il s'agit d'un citoyen mis en cause dans une affaire devant le juge. En revanche, lorsque l'ordonnance parle de " la juridiction", elle exclue que la transmission puisse être faite par des organisme qui ne sont pas réellement des juridictions ou qui ne sont pas habilités à le faire. L'exception d'inconstitutionnalité transmise par la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de N'Djamena, dans une affaire, est une parfaite illustration. Ainsi, la Cour ordonnant le renvoi de la demande des conseils des parties civiles au Conseil Constitutionnel aux fins de se prononcer sur l'exception d'inconstitutionnalité de l'ordonnance N°004/PR/MJ/93 du 27 février 1993 soulevée par ceux-ci87.

Lorsque la Chambre constate qu'il y a violation de la loi fondamentale par un texte interne ou international à lui soumise, elle peut la soulever d'office. L'article 267 de l'ordonnance n°015/PR/2018 dispose en substance que : « si la Chambre constitutionnelle, dans la loi contestée ou l'engagement international soumis à son examen, constate une violation de la Constitution qui n'a pas été invoquée, elle doit la soulever d'office ». Ainsi, le

84 DE VILIER Michel, Dictionnaire de droit constitutionnel, 3ème édition, Paris, Armand Colin, 2001, p. 106.

85 AIVO Frédéric Joël, « Contribution à l'étude de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux : retour sur vingt ans de jurisprudence constitutionnelle au Bénin », Afrilex, 2010, p. 10.

86 Article 157 alinéa 3 de la Constitution « La Cour statue sur l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par tous citoyen devant une juridiction dans une affaire qui le concerne. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit la Cour Suprême qui doit prendre une décision dans un délai maximum de quarante-cinq (45) jours ».

87 Cf. décision N°002/PCC/SG/001 sur l'exception d'inconstitutionnalité par les victimes de crimes et répressions politiques relative au dossier pénal ouvert contre les agents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) de Monsieur HISSEIN HABRÉ précité.

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juge constitutionnel tchadien dispose d'un pouvoir étendu. Dès qu'il est saisi de l'affaire, il procède au contrôle suivant les modes appropriés.

B - Les modes de contrôle

Le contrôle de constitutionnalité est exercé soit par un tribunal constitutionnel88, soit par le tribunal supérieur89 qui est le seul habilité à déclarer l'inconstitutionnalité d'une loi. C'est le contrôle exercé par le tribunal constitutionnel qui nous intéresse dans cette étude. Selon EISENMANN Charles, ce modèle permet la création d'une instance unique qui présente essentiellement un double avantage : celui d'éviter les divergences d'interprétations constitutionnelles susceptibles de naître du travail des juridictions diverses ; une juridiction unique permet de donner immédiatement une « vérité constitutionnelles » et assure l'unité jurisprudentielle90.C'est ce modèle européen que le Tchad a hérité

Parlant justement des modes du contrôle, il convient d'évoquer le contrôle qui intervient avant la promulgation de la loi ou après la promulgation de celle-ci. Il s'agit du contrôle a priori et le contrôle a posteriori.

Le contrôle de constitutionnalité a priori de la loi est effectué par le juge constitutionnel sur saisine des autorités habilitées à le faire. Il revient au Président de la République, au président de l'AN et à un dixième (1/10e) des députés de saisir la Chambre constitutionnelle d'un recours en inconstitutionnalité d'une loi non encore promulguée91. La Chambre constitutionnelle dispose un délai bien précis pour rendre sa décision92. Sa décision ne peut être remise en cause.

Ce contrôle a priori a pour avantage d'éviter la naissance de tout grief lié à l'inconstitutionnalité de la loi. Les éléments contraires à la Constitution sont supprimés du

88 C'est notamment le cas du Tchad, du Bénin, du Togo, du Sénégal etc.

89 Tel est le cas de l'Argentine dotée d'une Cour Suprême de Justice de la Nation (CSNJ). C'est à elle que revient le dernier contrôle de constitutionnalité de la loi. Cité par ALLAH-ADOUMBEYE, « Contrôle de constitutionnalité des lois au Tchad », op., cit., p. 12.

90 EISENMANN Charles, La justice constitutionnelle et la haute cour d'Autriche, 1928, Réédité, Paris, Economica, 1986, p. 291. Cité par KALUBA DIBWA Dieudonné, Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle, Thèse de doctorat, Université de Kinshasa, 2010, p. 93.

91 Article 61 de l'ordonnance précitée.

92 Article 266 de l'ordonnance n°015/PR/2018, « En matière du contrôle de constitutionnalité des engagements internationnaux et des lois, la chambre constitutionnelle, saisit d'un texte, statue dans quinze (15) jours.

Toutefois, à la demande du Gouvernement, et en cas d'urgence, ce délai est ramené à huit (8) jours. Dans ce cas, la saisine de la chambre constitutionnelle suspend le délai de promulgation ».

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texte avant même d'avoir pu porter atteinte à un justiciable. L'inconstitutionnalité est neutralisée. Ainsi, VERDUSSEN Marc affirme que :« le rôle d'une Cour Constitutionnelle, qui entend assurer pleinement son rôle de contre-pouvoir, est d'écouter et, s'il échait de protéger ceux dont leurs intérêts ont été délaissés dans les hémicycles parlementaires et les cénacles gouvernementaux »93.

Le contrôle a posteriori s'effectue sur renvoie des juridictions ordinaires. Ici, la loi est entrée en vigueur. La décision du Conseil Constitutionnel n°002/PCC/SG/001 sur l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par les victimes des crimes et répression relative au dossier pénal ouvert contre les agents de la Direction de la Documentation et de Sécurité (DDS) de l'ex Président HISSEIN HABRÉ précitée est révélatrice du contrôle a posteriori.

Malgré la volonté du législateur tchadien d'accorder une marge d'intervention au citoyen dans la mise en mouvement du contrôle de constitutionnalité, les dispositions législatives précitées ne nous permettent pas de faire une observation favorable en terme d'avancée démocratique de la saisine directe du juge constitutionnel par les citoyens tchadiens comme c'est le cas au Bénin94.

Le contrôle exercé par le juge constitutionnel tchadien a une portée indéniable.

Paragraphe 2 : La portée du contrôle de constitutionnalité

CONAC Gérard affirmait que : « la suprématie constitutionnelle est le trait le plus évident des régimes qui ont réussi à se consolider »95. Le respect du principe de la hiérarchie des normes se trouve être le principal enjeu de la mise en oeuvre de l'État de droit. Le contrôle de constitutionnalité est apparu comme nécessaire ou du moins utile à la consolidation de l'État de droit. Dans son ouvrage classique, HAURIOU Maurice expliquait l'importance qu'il fallait accorder au principe de la soumission de l'État au droit. Pour lui, ce principe contribue à la réalisation de l'État de droit, car la rédaction d'un statut constitutionnel entraîne la distinction des lois constitutionnelles et des lois ordinaires, la subordination de ces dernières et, par-là, la subordination du droit gouvernemental au statut96. Aujourd'hui, le contrôle de

93 VERDUSSEN Marc, « Les douze juges, la légitimité de la justice constitutionnelle », Bruxelles, Édition Labor, 2004, p. 11. Cité par ALLAH-ADOUMBEYE, « Contrôle de constitutionnalité des lois au Tchad », op. cit., p. 13.

94 AIVO Frédéric Joël, « Contribution à l'étude de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux : retour sur vingt ans de jurisprudence constitutionnelle au Bénin », Afrilex, 2010, p.7.

95 CONAC Gérard, « portrait du Chef de l'État », Pouvoir, 1983, N°25, p.125.

96 HAURIOU Maurice, Principe de droit public, 2ème édition, 1916, Paris, Sirey, p.165. Cité par DIALLO Fatimata, Le juge constitutionnel dans la construction de l'État de droit au Sénégal, Mémoire de maîtrise, Université GASTON Berger de Saint-Louis, 2007, p. 44.

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constitutionnalité est devenu le critérium des démocraties modernes au même titre que la séparation des pouvoirs, l'indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme des partis politiques et la liberté d'expression97.

Ainsi, le contrôle de constitutionnalité participe de la garantie des droits fondamentaux (A) et à l'ajustement de l'ordre juridique interne (B).

A - La garantie des droits fondamentaux

La fonction essentielle du juge constitutionnel est la protection des droits fondamentaux contre le législateur ; essentielle, non seulement par l'intérêt qu'elle présente pour les citoyens mais aussi pour la réalisation de l'État de droit98.

Si, dans d'autres pays comme le Bénin, on ne peut pas nier les prérogatives de la Cour Constitutionnelle béninoise en matière de la protection des droits fondamentaux99, il en va autrement pour le Tchad. Ni la Constitution ni l'ordonnance n°015/PR/2018 donnent expressément attribution au juge constitutionnel tchadien le droit de protéger les droits fondamentaux des citoyens consacrés constitutionnellement. La Chambre constitutionnelle, dans sa décision n°003/CS/CC/2018100, s'est déclarée incompétente pour statuer sur la censure des réseaux sociaux par l'État tchadien (liberté d'expression et d'opinion). Toutefois, quoiqu'on dise sur cette grossièreté, la Constitution tchadienne aborde la question dans sa globalité et en donne compétence à la haute juridiction de contrôler la constitutionnalité des lois avant leur promulgation. Cette technique de contrôle permet de vérifier que la loi votée est conforme à la Constitution et donc ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux de l'homme. De même lorsque l'inconstitutionnalité échappe à la loupe du juge constitutionnel, elle pourra être rattrapée sur le terrain de son application par le procédé du contrôle a

97 DIALLO Fatimata, Le juge constitutionnel dans la construction de l'État de droit au Sénégal, op. cit. ; p. 45.

98 ROUSSILLON Henry, Le Conseil Constitutionnel, Dalloz, 6ème édition, 2008, p. 51.

99 Ainsi que le rappelle chaque fois la Cour Constitutionnelle béninoise, selon l'article 3 al.3 de la Constitution, « toute loi, tout texte règlementaire et tout acte administratif contraire à ces dispositions sont non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour Constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ». C'est à la suite de ce texte que l'article 117 al. 1 tiret 1.3 dispose qu'elle : « statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois et des actes règlementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et, en général, sur la violation des droits de la personne humaine »

100 La chambre constitutionnelle de la Cour Suprême s'est déclarée, dans sa décision du 11 décembre 2018, incompétente à statuer sur la censure des réseaux sociaux par l'État tchadien. Elle a rendu sa décision suite à sa saisine par une requête introduite par des organisations de la société civile pour atteinte aux libertés d'opinion et d'expression (article 28 de la constitution). Cette requête de la société civile tchadienne reçue au greffe le 27 novembre 2018, visait à mettre un terme au préjudices liées aux libertés d'opinion et d'expression, droits constitutionnels prévus et protégés.

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posteriori reconnu aux citoyens et consacré par l'article 61 de l'ordonnance n°015/PR/2018 précitée.

Le contrôle de constitutionnalité des lois se trouve au coeur de la matière des droits et libertés des individus. D'après FAVOREU Louis, « ce contrôle, quelles que soient la forme ou la procédure utilisée, est peu fait pour donner satisfaction directement aux individus. Sa justification et donc sa légitimité, consiste surtout à remplir un certain nombre de fonctions à caractère général absolument indispensable pour le fonctionnement des institutions dans un État moderne et assurer la promotion et la protection des droits fondamentaux »101.

Au regard de cette conception, les juges constitutionnels africains, à l'instar des juges constitutionnels américains et européens, rendent des décisions assez importantes visant à protéger les droits fondamentaux de l'homme. Mais au Tchad en particulier, le juge constitutionnel n'a rendu aucune décision spécifique, à notre connaissance, en matière de protection des droits fondamentaux. Néanmoins, sa décision n°010/CC/SG/2014 sur la requête du député KEBZABO Saleh et 28 autres relative au projet de loi portant code pastoral en République du Tchad est importante bien des égards. Cette décision est transversale car elle concerne non seulement l'inconstitutionnalité dudit code, mais elle intègre également le principe d'égalité des citoyens devant la loi102 et la sacralisation de la propriété privée103. Dans cette affaire, les requérants demandent au CC de déclarer non conforme à la Constitution la loi portant code pastoral en République du Tchad votée à l'AN le 11 novembre 2014 au motif que « la loi portant code pastoral consacre la rupture de l'égalité des citoyens devant la loi, le principe de l'inviolabilité de la propriété privée consacré par l'article 41(ancien) de la Constitution est violé... ». Après avoir jugé la requête recevable, le CC constate la violation de la Constitution et déclare anticonstitutionnel le projet de loi portant code pastoral en République du Tchad. Par l'exercice de ce contrôle de constitutionnalité, le juge constitutionnel était amené à apporter la précision sur la portée de certains droits constitutionnellement consacrés, en particulier le principe d'égalité, le principe de l'inviolabilité de la propriété privée et le droit de fixer librement son domicile ou sa résidence en un lieu quelconque du territoire national reconnu aux tchadiens. Certaines de ces libertés font partie des conventions ratifiées par le Tchad. Ces conventions font partie du bloc de

101 FAVOREU Louis, Cours constitutionnelles, Coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 1992, p.27.

102 L'article 13 de la Constitution dispose que « Les tchadiens de deux sexes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi ».

103 Article 45 de la Constitution : « la propriété privée est inviolable et sacrée. Nul ne peut être déposséder que pour cause d'utilité publique dument constatée et moyennant une juste et préalable indemnisation ».

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constitutionnalité. Il s'agit de la Déclaration Universelle de Droits de l'Homme et la Charte Africaine des Droits de l'Homme et du Peuple

Le contrôle de constitutionnalité ne participe pas seulement de la préservation des droits fondamentaux des citoyens mais, il concourt également à l'ajustement de l'ordre juridique interne.

B - L'ajustement de l'ordre juridique interne

La fonction de la Constitution est d'assurer sa prééminence sur les autres normes au plan national. Elle le fait notamment à travers le contrôle de la conformité des lois, des actes règlementaires104 exercé par la Chambre constitutionnelle. Autrement dit, l'ordre juridique est un ensemble hiérarchisé des normes qui s'appuie sur un principe de concrétisation du droit par degrés ; chaque norme est en ce sens et à la fois application d'une norme supérieure et création pour les normes de degrés inférieurs105. C'est justement avec l'arme du contrôle de constitutionnalité que la justice constitutionnelle est en mesure de s'assurer que la Constitution, en tant que norme suprême fondant la validité de toutes les autres normes du système, sera respectée.

Il convient donc de préciser que l'intérêt du contrôle de l'ajustement des normes juridiques se situe à trois niveaux.

Premièrement, nous l'avons déjà dit, le rôle principal de la Chambre constitutionnelle est de veiller à la conformité des lois à la Constitution106. En effet, la Constitution représente souvent l'identité d'un État, ses principes fondateurs. Alors, la justice constitutionnelle a été créée comme un garde-fou afin de protéger ce texte contre le législateur et le pouvoir exécutif, et de protéger les libertés fondamentales dans la Constitution. Les différents aspects de cette justice spéciale sont fusionnés d'une manière qui est propre à chaque pays107. C'est à ce niveau que se situe l'intérêt pour la Chambre constitutionnelle d'effectuer un contrôle étendu jusqu'au bloc de constitutionnalité.

Deuxièmement, le contrôle de constitutionnalité renforce le principe de la séparation des pouvoirs. La justice constitutionnelle permet une séparation des pouvoirs. Ainsi, « l'apparition puis l'accentuation des interventions d'une Cour ou d'un Conseil Constitutionnel relève en principe d'une logique de limitation de pouvoir exécutif et surtout

104 Les lois votées avant leur promulgation et après leur entrée en vigueur par le procédé du contrôle a posteriori.

105 ALLAH-ADOUMBEYE, « Contrôle de constitutionnalité des lois au Tchad », op. cit., p. 16.

106 Le contenu de la règle ne doit pas entrer en contradiction avec celui de la règle supérieure qui est la Constitution.

107 www.chevalierdesgrandsarrêts.com/contrôledeconstitutionnalité consulté le 30 avril 2020.

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législatif »108. La contribution de la justice constitutionnelle s'effectue par l'énonciation des principes participant ainsi à la construction d'un nouvel ordre juridique.

Troisièmement, le contrôle de constitutionnalité, en tant qu'élément central de la justice constitutionnelle, permet de réguler l'exercice de l'activité normative des pouvoirs publics en faisant en sorte que celle-ci s'accomplisse dans le strict respect des compétences fixées par la Constitution. Ainsi, le contrôle de constitutionnalité remplit une triple fonction : la fonction de répartition entre la législation ordinaire109 et la législation constitutionnelle110 ; entre la législation ordinaire et le pouvoir règlementaire111 et enfin entre les autorités centrales de l'État et les autorités décentralisées.

Cependant, il faut noter qu'en matière du contrôle constitutionnalité, la compétence de la Chambre constitutionnelle est limitée aux normes qui supposent une intervention de l'AN112. Toutes les normes juridiques autres que la loi, échappent au contrôle de constitutionnalité. GELARD Patrice précise qu'elles n'échappent pas pour autant à tout contrôle juridictionnel de constitutionnalité, mais ce sont d'autres juridictions qui s'en chargent113. Il convient de souligner que ces juridictions ne contrôlent ni la constitutionnalité des lois ni celle des actes administratifs pris en application d'une loi.

Si le juge constitutionnel tchadien joue un rôle principal dans la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux, les autres juges, quant à eux, jouent un rôle subsidiaire.

SECTION 2 : LES GARANTIES SUBSIDIAIRES DES DROITS
FONDAMENTAUX ASSURÉES PAR LES AUTRES JUGES

108 BALDET Sory, « Juge constitutionnel et transition démocratique. Etude des cas en Afrique subsaharienne francophone », p.5. Article disponible sur le site http// www.juridicas.unam.mx/wccl/ponencias/16. Consulté le 30 avril 2020.

109 Il s'agit de la loi votée par l'AN dans le contexte tchadien où il y a une seule chambre. Dans d'autre cas (Cameroun et autres) nous parlons de la loi votée par le parlement.

110 Nous faisons référence aux lois organiques ayant valeur constitutionnelle.

111 Il s'agit fondamentalement des actes unilatéraux.

112 Ce contrôle ne concerne que les lois organiques, les lois ordinaires, le règlement de l'AN et traités internationaux.

113 GELARD Patrice, Institutions politiques et droit constitutionnel, Montchrestien, 4ème édition, 2001, p. 34.

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Le pouvoir judiciaire au Tchad est traditionnellement composé du juge administratif et du juge judiciaire114. Cette composition matérielle laisse entrevoir que les deux juges doivent connaître de matières spécifiques et différentes par leur nature.

En matière des droits fondamentaux, le juge judiciaire a un rôle traditionnel de gardien des libertés individuelles des citoyens (Paragraphe 2). Cette mission le conduit à connaître essentiellement des litiges nés des rapports entre les particuliers. Mais exceptionnellement, il peut être amené à connaitre des violations des droits fondamentaux dans des rapports entre les particuliers et l'administration qui, eux nous intéressent ici, eu égard aux pouvoirs énormes détenus par les pouvoirs publics. Ce type de relation est originellement dévolu à la compétence du juge administratif. C'est ainsi que le juge administratif affirme son rôle sans cesse grandissant dans la protection des droits fondamentaux (paragraphe 1).

Paragraphe 1 : La protection des droits fondamentaux par le juge
administratif.

Le contrôle de la validité des actes administratifs relève de la compétence du juge administratif au Tchad, compte tenu du rôle important joué par celui-ci dans le domaine de la protection des droits fondamentaux. Il ressort de l'article 157 alinéa 1 de la Constitution que : « la Cour Suprême est la plus haute juridiction du Tchad en matière judiciaire, administrative, constitutionnelle et des comptes ». De cette formulation, il convient de noter que la Chambre Administrative de la Cour Suprême, qui est juge administratif dans l'ordre juridique tchadien, mais les sections administratives des Cour d'Appel et des tribunaux115 jouent également le rôle du juge administratif. Le juge administratif protège les droits fondamentaux à travers le contrôle les actes des autorités administratives (A) et les recours spéciaux (B).

A - Le contrôle des actes administratifs

Le contrôle du juge administratif porte normalement sur les éléments de la légalité, c'est-à-dire la légalité externe116 et la légalité interne117 qui font l'objet du recours. En matière

114 Article 148 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire est exercé au Tchad par la Cour Suprême, les Cours d'Appel, la Haute Cour Militaire, les tribunaux et les justices de paix. Il est gardien des libertés et de la propriété individuelle. Il veille au respect des droits fondamentaux »

115 Article 148 de la Constitution précitée.

116 Les éléments de la légalité externe sont : la compétence, les procédures et la forme.

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des droits fondamentaux et des libertés, l'élément de la légalité, qui est le plus souvent discuté, est la qualification juridique des faits118. Le contrôle de cet élément dépend en principe de la nature du pouvoir de l'administration sur la base de laquelle la décision attaquée a été prise.

En effet, la fonction du juge administratif n'est pas prioritairement de protéger les libertés mais de réguler l'action de l'administration dans son intérêt même, c'est-à-dire dans l'intérêt public. Ce second point est lié au premier par cette idée que seul un juge spécifique, par son lien avec l'administration, peut assurer correctement cette régulation. S'il doit sans doute en résulter une limitation de la puissance administrative et, par-là, une protection des libertés, ce n'est pas l'objectif prioritaire119. L'arme technique au service de cette fonction est le recours pour excès de pouvoir.

Le juge administratif contrôle la validité des actes administratifs par la procédure du recours pour excès de pouvoir. Ce recours est défini par le Professeur DUPUIS comme « un recours contentieux par lequel toute personne intéressée peut demander au juge administratif d'annuler, en raison de son irrégularité, une décision d'une autorité administrative »120. L'acte administratif doit ainsi, pour être attaqué devant le juge, émaner d'une autorité administrative, être irrégulier, c'est-à-dire être en contradiction avec une norme supérieure, mais surtout faire un grief, autrement dit, causer un tort à un administré. C'est ainsi que se manifeste l'intérêt du recours pour excès de pouvoir pour la protection des droits fondamentaux. En effet, cet intérêt « réside dans la saisine par les particuliers d'une instance spécialisée »121. Mais si le recours pour excès de pouvoir est d'un intérêt primordial pour la protection des droits par le juge administratif, c'est sans nul doute par ce qu'il constitue, de l'avis du Professeur JEZE Gaston, « la plus merveilleuse création des juristes, l'arme la plus efficace, la plus économique, la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés »122. Ainsi, la Chambre Administrative de la Cour Suprême, dans un arrêt n°016/CS/CA/SC/2008 du 16 avril 2008 X...c/Ministère de l'agriculture, a décidé qu'« il y a

117 Les éléments de la légalité interne sont : le but, les motifs de fait et de droit et l'objet (la conformité à la loi du contenu de la décision).

118 KERKATLY Yehia, Juges administratifs et les libertés publiques en droit libanais et français, Thèse Doctorat, Université de Grenoble, 2006, p. 87.

119 PETIT Jacques, Les armes du juge administratif dans la protection des libertés fondamentales, Revue général du droit, Colloque organisé par l'association des étudiants du droit public le 03 avril 2015 à l'université de Rennes 1, article disponible sur www.revuegénéraldesdroit.com consulté le 01 mai 2020.

120 DUPUIS G, Droit administratif, 8ème édition, Paris, Armand Colin, 2002, p. 572, cité par DIME LI NLEP Paul, La garantie des droits fondamentaux au Cameroun, Mémoire DEA, Université Abomey-Calavi, 2004, p. 145.

121 DIME LI NLEP Paul, La garantie des droits fondamentaux au Cameroun, op. cit., p. 145.

122 JEZE Gaston, cité par FLAMME Maurice, Droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 613.

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violation du principe d'égalité d'accès à l'emploi, qu'il y a détournement de procédure induisant au détournement de pouvoir ; qu'il y a urgence de prendre les mesures conservatoires puisque ledit arrêté cause de préjudice au requérant dont les conséquences risquent d'être difficilement réparables et ordonne le sursit à exécution ». De cette décision, il convient de préciser que le juge administratif tchadien intervient surtout en cas de violation des droits fondamentaux, qu'ils soient individuels ou collectifs. Sur le même principe d'égalité d'accès aux emplois publics, le juge administratif a annulé un arrêté interministériel violant ledit principe123.

Le juge administratif s'est prononcé également sur la rupture de l'égalité des citoyens devant la loi dans un arrêt n°008/CS/CJ/SS/11 du 06 septembre 2011 au motif que : « l'organisme habilité à organiser les élections communales a fixé à moins de six (6) mois la date du scrutin communal en méconnaissance des dispositions législatives en vigueur. Se faisant, la Cour reconnaît que la décision arrêtant la date du scrutin emporte une rupture d'égalité des citoyens devant la loi. Considérant le caractère spécial du contentieux électoral, la Cour a ordonné le sursis à exécution de la décision fixant la date des élections communales ».

Il est donc possible de constater que l'intervention du juge est en parfaite évolution dans la dynamique de protection des droits fondamentaux des citoyens. Dans le même sens, la Chambre Administrative de la Cour Suprême a annulé l'arrêté n°033/PM/MISP/08 du 17 octobre 2008 sur l'illégalité et le non-respect du principe de parallélisme de forme124.

En tout, la finalité ainsi assignée au contentieux administratif en tant que mécanisme de protection des libertés, appelé par ses perfectionnements à exprimer une conception libérale de la société a parfois été discutée ; car le contrôle dévolu à un juge sur l'action administrative ne peut révéler qu'une stratégie politique « susceptible de fournir un exécutoire légal au mécontentement dont tout régime autoritaire redoute la fermentation »125.

Le juge administratif ne contrôle pas seulement les actes administratifs mais protège également les droits fondamentaux à travers les recours spéciaux.

B - La protection des droits fondamentaux à travers les recours spéciaux

123 Arrêt n°10/CS/CA du 06 juillet 2011, service public-contrat de travail-violation du principe d'égal accès aux emplois publics-licenciement-annulation de l'arrêté de licenciement.

124 Arrêt de la chambre administrative de la Cour suprême n°09/2009 du 25 février 2009.

125 RIVERO Jean, Droit administratif, Précis Dalloz, 13ème édition, p. 299.

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Le juge administratif tchadien intervient dans la protection des droits fondamentaux des citoyens à travers les recours spéciaux. Ces recours spéciaux sont le sursis et le référé administratif qui sont la composante de l'urgence administrative.

Il y a les procédures de référés qui existent devant les juridictions administratives depuis longtemps. La juridiction administrative s'est dotée d'outils pour pallier aux actes administratifs qui sont toujours exécutoires et dont le recours contre eux ne suspend pas leur exécution, il y a le sursis à exécution. Le sursis est une mesure que peuvent prononcer les juridictions administratives pour retarder jusqu'à la décision au fond l'exécution d'un acte administratif attaqué devant elles, quand cette exécution aurait des conséquences difficilement réparables. Les cours administratives d'appel peuvent sous la même condition ordonner en outre le sursis à l'exécution des jugements ou arrêts qui leur sont déférés lorsque certaines conditions sont remplies126. Tandis que le référé administratif est une procédure permettant au juge des référés administratifs, en cas d'urgence, d'ordonner toute mesure utile, à la demande de l'Administration ou d'un administré, sans faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative127. En effet, il existe deux principaux types de référés qui sont la suspension, permettant d'arrêter une décision de justice et la liberté qui préserve les libertés fondamentales d'une personne menacée. Dans le dernier cas, le juge administratif tchadien s'est montré souvent protecteur.

Ainsi, la Chambre administrative de la Cour Suprême, dans une affaire opposant la Société Tchadienne d'Hydraulique à l'État tchadienne, a décidé que « l'avis et l'ordre de fermeture ont été notifiés à la requérante sans expédition préalable de l'avis de mise en demeure valant commandement de payer ,
· que de ce fait, la Direction Générale des Impôts a violé la procédure de la fermeture d'établissement ,
· que cette mesure pénalise la requérante. Et ordonne la réouverture des portes de la Société Tchadienne d'Hydraulique
»128. Dans la même lancée et dans l'optique de protéger le droit de fixer son domicile dans n'importe quelle partie du territoire129, les juges de la Cour Suprême ont ordonné la suspension de la décision n° 013/DKA/2000 du 15/03/2000 de Monsieur le Préfet du KANEM portant déguerpissement du sieur ABBA ADOUMA130.

En matière de sursis à exécution, le juge administratif tchadien a ordonné le sursis à exécution de la décision d'une autorité qui a suspendu le salaire d'un agent. La Chambre

126 GUINCHARD Serge, DEBARD Thiery, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 1987.

127 GUINCHARD Serge, DEBARD Thiery, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 1964.

128 Arrêt n°01/CS/CA/SC/2005 du 18 janvier 2005 de la Chambre administrative de la Cour Suprême.

129 Article 47 de la Constitution du 04 mai 2018.

130 Arrêt n° 19/CS/CA/SC/2000 du 04 octobre 2000 de la Chambre administrative de la Cour Suprême.

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administrative de la Cour suprême a observé qu'il y a incompétence du Directeur Général en matière de retenu du salaire et que le caractère vital du salaire constitue la seule source de revenu pour le requérant. Et donc il y a lieu de dire qu'il y a urgence et péril en la demeure131. Le juge administratif tchadien s'est montré également comme protecteur des droits fondamentaux à travers la préservation de l'égalité des citoyens aux emplois publics sans discrimination132. C'est dans l'affaire ADOUM OROZI Mehenimi c/ Ministère de l'agriculture que le juge a ordonné le sursis à exécution partielle de l'arrêté n° 034/PR/PM/MA/SG/DAAFM/SP/05 du 13 mai 2005 en ce qui concerne la nomination du sieur ADJI TCHARI KOSSEI au détriment du sieur ADOUM OROZI Mehenimi en qualité d'Assistant Comptable.

Si le juge administratif joue un rôle important dans la protection des droits fondamentaux des citoyens, il n'en demeure pas moins pour le juge judiciaire.

Paragraphe 2 : Le rôle du juge judiciaire dans la protection des droits
fondamentaux

Le fondement de la compétence du juge judiciaire est l'article 148133 de la Constitution. La connaissance des litiges nés entre les particuliers et le pouvoir public ne relevait pas toujours de la compétence des juridictions judiciaires. Nonobstant, par exception à ce principe, le juge judiciaire a eu à connaître de tels litiges. Dès lors, sa compétence de connaitre les litiges issus du rapport entre les particuliers et les pouvoirs public est affirmée (A). Les matières originelles relatives à la protection de la liberté individuelle et des autres droits fondamentaux dans les rapports entre les personnes privées (B) relèvent également de la compétence du juge judiciaire.

A - La connaissance des litiges nés du rapport entre les particuliers et les
pouvoirs publics

En droit tchadien, concernant les violations verticales des droits fondamentaux, le juge judiciaire intervient en premier lieu dans la régulation des rapports qui tendent à restreindre la liberté individuelle des citoyens. En France, à ce propos et selon l'article 136 du Code de procédure pénale issu de la loi du 07 février 1933 sur les garanties de la liberté individuelle,

131 Arrêt n°09/CS/CA/SC/2001 du 07 avril 2001 de la Chambre administrative de la Cour Suprême.

132 Article 33 de la Constitution du 04 mai 2018.

133 Article cité ci-dessus.

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« dans tous les cas d'atteinte à la liberté individuelle, le conflit ne peut jamais être élevé par l'autorité administrative et les tribunaux de l'ordre judiciaire sont toujours compétents ». De plus, l'article 66 de la Constitution française du 04 octobre 1958 précise : « nul ne peut être arbitrairement détenu ; l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». A ce niveau, il y a une affirmation du rôle du juge judiciaire dans la protection de cette liberté.

Au Tchad, la liberté individuelle et les droits fondamentaux sont constitutionnellement consacrés et ils ne doivent en aucun cas être restreints, sauf lorsque la loi prévoit expressément cela. Les droits fondamentaux doivent, dans tous les cas, être le principe et la restriction, l'exception selon la formule rappelée par le Commissaire du Gouvernement LAGRANGE134.

Le juge tchadien se montre dès lors implacable dans les cas d'atteintes à la liberté et à la sûreté des individus. Dans les cas de contrôle de privation des libertés d'un suspect en procédure pénale, il peut intervenir au niveau de l'enquête de la police lorsqu'il est saisi des cas d'irrégularités ou d'abus à ce stade de la procédure. Le juge judiciaire peut, par exemple, prendre une ordonnance interdisant à un Officier de Police Judiciaire (OPJ) de procéder à une arrestation sans mandat de justice dans le cadre d'une enquête préliminaire. Il peut aussi interdire à un OPJ de procéder de son propre chef à une garde à vue et à travers ces deux techniques, protéger valablement la liberté individuelle des citoyens.

Le juge judiciaire tchadien ne se contente pas seulement de protéger la liberté individuelle, il peut protéger aussi les autres droits des citoyens135. Les atteintes contre la vie et celles contre l'intégrité physique et morale sont sévèrement réprimées dans l'ordre juridique tchadien et c'est au juge judiciaire qu'il revient de prononcer les sanctions prévues dans les textes en vigueur, notamment le Code pénal tchadien.

Le rôle du juge judiciaire est perceptible encore lorsqu'il intervient pour protéger les droits fondamentaux des citoyens en cas de litige avec l'administration. Cette intervention se fait dans le cas de voie de fait et d'emprises administratives. La voie de fait est un acte où un agissement exécuté par l'administration sans qu'il puisse être rattaché à l'un de ses pouvoirs et constituant une atteinte grave à la liberté fondamentale ou à la propriété privée. Le fondement juridique de la voie de fait est que l'administration, en agissant hors des textes qui régissent ses pouvoirs, ne bénéficie plus de son privilège de juridiction, lequel a été institué

134 CE, 05 Février 1937, BUJADOUX, Rec.153, D. 1939, 3, 19 Concl. LAGRANGE. Cité par DIME LI NLEP Paul, Les garanties des droits fondamentaux au Cameroun, op. cit. p. 98.

135 Ces droits peuvent être le droit à la vie, à l'intégrité physique etc.

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pour répondre à la spécificité de ses pouvoirs136. L'emprise, quant à elle, est le fait pour l'administration de déposséder un particulier d'un bien immobilier, légalement ou illégalement, à titre temporaire ou définitif, à son profit ou au profit d'un tiers137. L'articulation de la compétence du juge judiciaire dans les deux notions permet ainsi de distinguer d'une part que, la constatation et la qualification juridique de la voie de fait est du ressort du juge administratif et d'autre part, la réparation des conséquences imputables à la voie de fait et à l'emprise irrégulière ainsi que les injonctions éventuelles adressées à l'administration ressortissent de la compétence du juge judiciaire.

Le juge judiciaire connaît également des contentieux nés du rapport entre les particuliers.

B - La connaissance des litiges issus des rapports entre les particuliers

Les droits et libertés fondamentaux tels que, le droit d'appartenir à une famille138, l'inviolabilité de la propriété privée139, le droit à un environnement sain140, la liberté d'opinion141 etc., sont des droits constitutionnellement consacrés et le juge est appelé à les protéger. Cette protection est assurée par le juge judiciaire.

Si l'administration, dans ses actions, peut porter atteinte aux libertés individuelles et collectives des citoyens, il n'en demeure pas moins pour les particuliers. Les citoyens, eux-mêmes, violent la liberté des autres et cette violation entraîne des sanctions prévues par les textes en vigueur. Ainsi, la section civile de la Cour Suprême, par sa décision n°137/CS/CJ/SC/08 du 05 juin 2008, a cassé l'arrêt n°100/05 du 09 septembre 2005 de la Cour d'appel de N'Djamena au motif de violation du Code relatif au droit de la succession142. Dans la même lancée, la Cour d'Appel de N'Djamena a prononcé la déchéance du mémoire

136 KERKATLY HEHIA, Le juge administratif et les libertés publiques en droit français et libanais, op. cit., p. 160.

137 GUINCHARD Serge, Lexique des termes juridiques, op. cit,, p. 871.

138 Article 41 de la Constitution.

139 Article 45 de la constitution.

140 Article 51 de la Constitution.

141 Article 28 de la Constitution.

142 Dans cette affaire, les juges de la Cour Suprême affirment qu'il y a violation des articles 734 et 735 du code civil qui disposent que : « les enfants ou les descendants succèdent à leur père et mère ou autres ascendants sans distinction de sexe, ni de progéniture même s'ils sont issus d'union différentes ». Qu'en l'absence de conjoint susceptible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu'il suit :

1) Les enfants et leurs descendants ;

2) Les pères et mères, les frères et soeurs et les descendants derniers ;

3) Les ascendants autres que les pères et mères ;

4) Les collatéraux autres que les frères et soeurs et descendants de ces derniers. Chacun de ces quatre (4) catégories constituent un ordre d'héritiers qui exclus les autres.

ampliatif déposé au greffe pour l'appel contre une décision du Tribunal de première instance qui a condamné le demandeur au versement d'une somme à titre de dommages-intérêts suite au partage à part égale d'un terrain litigieux143.

S'agissant du droit de propriété, le juge judiciaire tchadien s'est montré très objectif quant à sa protection. La Section Civile de la Cour Suprême a rendu un arrêt infirmatif d'un pourvoi en cassation contre le jugement du 13 juin 2005 du Tribunal de Première Instance de N'Djamena, accordant le droit de propriété à une personne qui n'est pas légalement propriétaire. La Cour soutient que la décision du juge d'instance a violé les dispositions de l'article 544 du Code civil selon laquelle : « la propriété est le droit de jouir de la chose la plus absolue pourvu qu'on en fasse pas l'usage prohibé par la loi ou les règlements » et qu'en vertu du principe général de droit selon lequel en matière de la vente, seule l'antériorité de l'acte prime et qu'en se prévalant d'un acte signé en 2002 alors que l'appelant détient un acte attestant qu'il a acquis le terrain en 1998, la cour ne pourra que déclarer ce dernier légitime propriétaire du terrain querellé144.

Ainsi, l'ampleur de la mission confiée par le constituant à juge judiciaire, gardienne des libertés est grande. Cela se justifie à travers l'office du juge judiciaire.

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143 Cour d'Appel de Ndjamena, Arrêt n°523/08 du 15 août 2008.

144 Cour Suprême, arrêt n°079/CS/CJ/SC/08 du 23 décembre 2008.

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Conclusion du chapitre 1

La finalité de l'État de droit étant la sauvegarde des droits fondamentaux par la limitation des pouvoirs publics par le droit. Cette mission est, en grande partie, remplie par le juge constitutionnel tchadien. Les juges de l'administration, juge administratif et juge judiciaire, apparaissent comme un protecteur secondaire des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Malgré les réformes institutionnelles qui ont profondément changé le statut du juge constitutionnel au Tchad, cela n'a pas empêché celui-ci de jouer pleinement son rôle de protecteur des droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution. De plus, le constituant tchadien n'a pu donner l'occasion aux citoyens d'accéder directement au juge constitutionnel comme cela se passe dans certains pays. Les juridictions administratives constituent une pièce importante dans l'édification de l'État de droit en soumettant l'État au droit. Le juge judiciaire vole également au secours des citoyens offensés par l'administration dans ses actions. Si la Constitution confère aux juges de l'administration la protection des droits et libertés fondamentaux, il faut souligner cependant que les citoyens ne maîtrisent pas assez les procédures devant les juridictions afin de dénoncer les atteintes portées à leurs droits fondamentaux.

Si les libertés sont protégées par le juge, il faudra limiter la puissance du pouvoir exécutif pour un bon encrage de l'État de droit au Tchad.

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CHAPITRE 2 : LA LIMITATION CONSTITUTIONNELLE DE LA
PUISSANCE DU POUVOIR EXÉCUTIF

Saint-Just avançait en 1793 que « le peuple n'a qu'un seul ennemi dangereux, c'est le Gouvernement »145. Cette affirmation montre que le pouvoir exécutif est potentiellement porté à menacer les droits et libertés du peuple. C'est dans ce sens que le constituant a entendu limiter le pouvoir exécutif en le soumettant au droit.

L'analyse de toute question liée au pouvoir exécutif requiert une définition préalable de celui-ci. Ainsi, au sens organique, le pouvoir exécutif désigne l'organe ou l'ensemble des organes chargés d'exercer à titre principal la fonction exécutive146.

Le nouveau constitutionnalisme issu des transitions démocratiques a apporté des profonds changements dans l'histoire politique et constitutionnelle des États africains en général et celle du Tchad en particulier. L'un des changements réside dans la constitutionnalisation du contrôle du pouvoir exécutif par l'Assemblée Nationale (Section 1). Ce contrôle qui trouve son fondement dans l'idée même de la soumission de l'État et de ses administrations au droit147 est perceptible. L'autre changement est la consécration

145 Cité par GICQUEL Jean, Droit constitutionnel et institution politiques, XVe édition, Montchrestien, 1990, p. 495.

146 MOYEN Godefroy, « L'exécutif dans le nouveau constitutionnalisme africain : les cas du Congo, du Bénin et du Togo », op. cit., p. 41.

147 La redécouverte du concept de l'État de droit par les philosophes et les juristes est l'un des phénomènes marquants de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Il supposait une distinction entre l'État de droit et l'État de police suivant les thèses développées par certains juristes comme Mohl et Stahl. L'État doit se soumettre au régime de droit et l'administration, bien qu'elle puisse agir contra legem... La seconde étape date de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle lors de la floraison des travaux de Gerber qui trouvent leur couronnement dans l'oeuvre du juriste autrichien HANS Kelsen et leur philosophie dans le positivisme juridique. La troisième étape dite contemporaine suppose une substitution au lien civil fondé sur la guerre et la conquête, une société politique établie sur la paix, dans laquelle les litiges sont arbitrés par la négociation juridique et où le souverain doit reconnaître et garantir le droit à la sûreté des individus. Il se caractérise plus particulièrement par diverse institutions et techniques juridiques : indépendance des juges, séparation des pouvoirs, contrôle de

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constitutionnelle de la responsabilité des membres du Gouvernement (Section 2) qui est un élément important dans la réalisation de l'État de droit.

SECTION 1 : LE CONTRÔLE DE L'EXÉCUTIF PAR LE PARLEMENT

Le contrôle politique est l'une des missions assignées aux parlements à l'instar de la fonction législative. L'exercice de ces missions forme la fonction essentielle du parlement. Pourtant, à la différence de la mission législative dont les procédures sont largement détaillées par la Constitution148 et le règlement intérieur de l'AN, le contrôle parlementaire n'y est qu'à peine évoqué alors qu'il occupe une place prépondérante dans l'activité parlementaire. Cette prérogative reconnue à l'AN du Tchad est un moyen par lequel l'AN vérifie le bon comportement, c'est-à-dire la bonne application du programme d'actions, des lois, des règlements et du budget de l'État149. C'est également un vecteur de bonne gouvernance et de la construction d'un État de droit. De manière pratique, le contrôle parlementaire concourt à élever l'efficacité et l'efficience dans la gestion des affaires publiques.

Le contrôle exercé par le Parlement résulte également du principe de responsabilité des gouvernants, dans les démocraties pluralistes et libérales, où la souveraineté appartient au peuple. En effet, les titulaires du pouvoir d'État doivent en assumer l'exercice dans le cadre de leurs attributions légales respectives, mais également, rendre compte au peuple150. La fonction de contrôle est une des plus importantes activités du Parlement moderne151, en ce sens que l'essentiel de ses efforts portent sur cette fonction152. C'est un principe fondamental dans tout État de droit qui résulte du fait qu'aucun organe du Gouvernement n'a d'autorité qui s'étend au-delà des bornes qui ont été prescrites par la loi.

constitutionnalité des lois et de la légalité des actes administratifs ainsi que la protection des droits de la personne. Voir DUHAMEL Olivier, MENY Y., Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 415-418.

148 Voir titre V de la Constitution du 04 mai 2018.

149 BYAZA-SANDA LUTALA David, Le rôle des Commissions dans le contrôle parlementaire, rapport présenté au colloque de l'Association des secrétaires généraux des parlements francophones du 23 au 26 août 2011 à Libreville, p. 2.

150 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 51.

151 BUJADOUX Jean-Félix, « le nouveau Parlement : la révision du 23 juillet 2008 », Fondation pour l'innovation politique, Novembre 2011, p. 22.

152 DEBBASCH Charles, BOURDON Jacques, PONTIER Jean-Marie et RICCI Jean-Claude, La Ve République, 2e édition, Paris, Montchrestien, 1985, p. 485.

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Au Tchad, le contrôle s'exerce à travers l'interpellation et les questions parlementaires (paragraphe 1), d'une part et le contrôle de l'exécutif à travers la commission d'enquête et l'évaluation de la politique publique, d'autre part (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le contrôle de l'Exécutif à travers l'interpellation et les
questions parlementaires

Le contrôle de l'Exécutif est un moyen dont dispose l'AN pour s'informer. Ainsi, l'article 145 de la Constitution dispose que : « le Gouvernement est tenu de fournir à l'Assemblée Nationale les explications qui lui sont demandées sur la gestion et sur ses activités ». A cet effet, les activités informatives du Parlement sont déterminantes dans le fonctionnement des pouvoirs publics, car elles constituent les moyens à travers lesquels le peuple doit connaitre le contenu et les motifs des mesures prises par le Gouvernement153. L'initiative de l'information peut émaner de l'Exécutif soit parce que la loi contraint celui-ci à la transmettre au Parlement, soit il considère une telle initiative nécessaire dans le cadre de l'exercice de ses missions. Cependant, seule la recherche de l'information à l'initiative des parlementaires154 paraît nécessaire dans cette étude. Ainsi, l'information parlementaire participe à l'encadrement des pouvoirs de l'État. Il s'agit de l'interpellation (A) et les questions parlementaires (B).

A - L'interpellation des membres du Gouvernement

C'est en vertu des articles 145 alinéa 1 de la Constitution et 138 du Règlement intérieur de l'AN que les parlementaires font usage du mécanisme de l'interpellation, comme outil servant d'information au Parlement. Ce mécanisme s'inscrit dans le cadre de suivi de la mise en oeuvre effective des politiques publiques par l'Exécutif, car aux termes des dispositions précitées, le Gouvernement peut, dans l'exercice de ses fonctions, être interpellé par l'AN sur toutes questions d'actualité et d'intérêt national155.

En effet, l'interpellation apparaît comme un instrument d'analyse, de suivi et de contrôle du Gouvernement et des organismes publics, y compris la mise en oeuvre des

153 Commission des affaires parlementaires de l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie, du 6-9 juillet 2006, p. 6.

154 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 52.

155 Ibidem

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politiques et de la législation. Elle est une demande d'explication faite par un député au Gouvernement pour qu'il s'explique sur ses actions ou sur sa politique lors d'une séance publique de l'AN. Elle engage un débat auquel d'autres parlementaires peuvent prendre part. L'objectif de l'interpellation est de soutenir l'État de droit. Les parlementaires doivent protéger les droits des citoyens en contrôlant les politiques et en examinant d'éventuels abus de pouvoir, comportements arbitraires, et conduites illégales ou anticonstitutionnelles de la part du Gouvernement.

L'interpellation se fait au moyen d'une demande qui porte sur un fait ou un acte de gestion du Gouvernement ; et qui au regard de l'urgence et de la gravité du fait ou de l'acte nécessite une prise de position de l'AN. La demande doit être déposée au Bureau de l'AN au moins 72h avant la tenue de la séance156. La conférence des présidents de l'AN saisie, apprécie souverainement la demande et règle son inscription à l'ordre du jour. Lorsqu'elle juge recevable la requête, elle mandate le Président de l'AN pour communiquer au Gouvernement ou au membre l'objet de l'interpellation ainsi que les dates et heures de la séance qui y seront consacrées. Il s'ensuit qu'au cours de la séance, le député auteur de l'interpellation dont la présence est constatée en salle, dispose au maximum de 5 minutes pour en exposer la teneur. Il faut noter qu'aucun vote, de quelque nature que ça soit, ne peut avoir lieu à l'occasion de cette interpellation. Cependant, dans la pratique, les interpellations donnent lieu à de recommandations et à la constitution des commissions d'enquête.

Bien que l'interpellation prenne la forme des questions orales, les deux procédés ne doivent pas être confondus. Dans ce dernier cas, les ministres se bornent à répondre aux députés qui les interrogent, sans aucune autre intervention dans le débat et sans vote de clôture. L'interpellation comporte, au contraire, un développement plus long de la part de son auteur. Elle ouvre, par conséquent, un débat auquel peuvent participer d'autres députés157.

En fait, en raison de son importance, l'interpellation est l'un des modes de contrôle-information les plus usités au sein de l'AN du Tchad. C'est le procédé privilégié de l'opposition parlementaire qui y a souvent recours. A titre d'exemple, le Ministre des postes, des nouvelles technologies de l'information et de la communication a été interpellé par les députés le 11 novembre 2019 sur les questions en lien avec les nouvelles technologies, de l'information et de la communication. Le Ministre a été interrogé sur la restriction des réseaux sociaux, la mise en écoute des citoyens par l'Agence Nationale de Sécurité (ANS). Cette restriction constitue une atteinte aux droits des citoyens constitutionnellement consacrés. Le

156 Article 132 du Règlement intérieur de l'AN.

157 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 62

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Ministre a énoncé les raisons sécuritaires pour expliquer cette restriction qui a duré à peu près un an. Il renchérit que « le Tchad est un pays de droit. Toutefois, pour des raisons de sécurité, les agents de renseignement surveillent et ce, pour la protection de nos citoyens »158.

Dans la même lancée, le Ministre de la santé publique a été interpellé par les députés le 04 mai 2020 sur la gestion de la pandémie de COVID-19 au Tchad. Les députés disent ne pas comprendre la gestion peu orthodoxe de la crise sanitaire en dépit des moyens injectés par le Gouvernement pour la prise en charge des malades du Coronavirus. De plus, la réquisition des hôpitaux pour la prise en charges des malades apparaît, aux yeux des députés, comme une exposition des citoyens tchadiens aux intempéries, alors que les citoyens ont droit à un environnement sain et doivent être bonne santé. En réquisitionnant les hôpitaux de tout genre, le Gouvernement foule au pied ces droits. Le député KEBZABO Saleh a fait des propositions telles que : l'ouverture d'un stade avec les tentes pour la prise en charge des malades, l'assouplissement de certaines mesures telles que la réouverture des marchés hebdomadaires dans les coins reculés, afin de permettre à la population rurale de survivre économiquement159.

Au regard de tout ceci, la pratique des interpellations reste dominante au sein de l'institution parlementaire tchadienne et contribue à la modération du pouvoir des institutions et organes de l'État. Elle a permis, à travers le passage des membres du Gouvernement, de faire la lumière sur les opérations du Gouvernement en fournissant un espace public où les politiques et les actions de l'Exécutif sont débattues et livrées à l'opinion publique. Il en est ainsi des questions qui, elles aussi, permettent d'évaluer d'éventuels abus de pouvoir.

B - Les questions parlementaires

Les questions parlementaires constituent l'outil le plus usité par les parlementaires. Elles permettent aux parlementaires d'interroger individuellement le Gouvernement dans l'objectif de clarifier ou de discuter, en vue d'obtenir des renseignements détaillés, longs ou techniques concernant les aspects ponctuels de sa politique160.

158 Dr IDRISS SALEH BACHAR ministre des postes, des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Propos disponible sur www.tchadinfos.com consulté le 05 mai 2020.

159 Propos du députés KEBZABO Saleh à l'AN le 04 mai 2020.

160 KOUAME N'GUESSAN, Les moyens parlementaires du contrôle de l'action gouvernementale dont les moyens d'interpellation dans l'espace francophone, Assemblée parlementaire de la francophonie juillet 2015, p. 8.

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C'est une des formes constitutionnelles des relations entre le Gouvernement et le parlement161. Aux termes de l'article 144 alinéa 6 de la Constitution de 2018, « une séance par quinzaine est réservée aux questions des membres de l'AN et aux réponses du Gouvernement ». Une question parlementaire est par définition une demande d'information. Le parlement peut poser régulièrement des questions au Gouvernement pour lui demander des comptes. Il va de soi que les parlementaires peuvent obtenir des informations par d'autres moyens, en communiquant par exemple de manière informelle avec des responsables importants de l'administration162 .

Les questions parlementaires sont comme le souligne PASCAL Jean, « de procédés de dialogue direct, elles sont posées oralement ou par écrit »163. C'est suivant ce principe que la Constitution et le Règlement intérieur de l'AN ressortent deux typologies de questions : les questions écrites et les questions orales164. Cependant, il faut préciser qu'une forme nouvelle de questions est apparue récemment avec la Constitution du 04 mai 2018, ce sont les questions d'actualité165.

Ainsi, les questions écrites, en vertu du Règlement intérieur de l'AN, sont considérées comme une demande de renseignement ou de consultation adressée à un membre du Gouvernement que comme un moyen de l'interpellation sur un dossier dont il a la charge. Elles doivent à cet effet être sommairement rédigées, remises au Président de l'AN qui les transmet au membre du Gouvernement concerné et ne peuvent contenir aucune imputation d'ordre personnel à l'égard des tiers nommément désignés. Il s'agit, en effet, d'une obligation faite aux parlementaires de faire preuve à la fois de concision et de précision dans la rédaction des questions pour permettre au Ministre destinataire d'y répondre avec autant de clarté. A ce propos, les questions écrites ne peuvent être posées que par un seul député à un seul membre du Gouvernement. Celui-ci dispose d'un délai de 15 jours à partir de la date de notification, pour répondre. Toutefois, certaines questions ont un caractère technique et appellent à des recherches et analyses de la part du Gouvernement ; ce qui peut, par conséquent, donner lieu à un délai supplémentaire. Lorsqu'une question écrite n'a pas obtenu de réponse dans ces

161 TRICOT Bernard, HADAS-LEBEL Raphael, KESSLER David, Les institutions politiques françaises, op. cit., p. 389.

162 YAMOTO HIRONORI, « Les outils du contrôle parlementaire : étude comparative portant sur les 88 parlements nationaux », Union interparlementaire, Genève, 2007, p. 52.

163 PASCAL Jean, Cité par DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 68.

164 Cf. les articles 145 alinéa 2 et 142.

165 Les questions d'actualité figurent désormais parmi les moyens d'information et de contrôle de l'AN sur l'action du gouvernement. Elles sont régies par les articles 144 et 145 de la nouvelle constitution de 2018. Aux termes de l'article 144 (7), « Une séance par mois est réservée aux questions d'actualité au gouvernement ».

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délais, son auteur est invité par le Président de l'AN à faire connaitre, s'il entend ou non, la convertir en question orale. Dans l'affirmative, cette question est inscrite d'office à l'ordre du jour de la séance suivante166. Cependant, ce procédé n'est pas, dans la pratique, d'usage récurrent par les parlementaires tchadiens qui préfèrent les questions orales.

La séance des questions, qui est la période inscrite régulièrement à l'ordre du jour de l'AN pour les questions orales au Gouvernement et les réponses de celui-ci, permet au Gouvernement comme au public d'obtenir des informations opportunes167. Les questions orales sont prévues par les articles 142, 143 et 144 du Règlement intérieur de l'AN du Tchad, et sont considérées comme les plus solennelles. Aux termes de ces dispositions, tout député qui se propose de poser une question orale à un membre du Gouvernement en remet le texte au président de l'AN qui le lui communique.

Les questions orales peuvent être sans débat ou avec débat. Cependant, dans la pratique tchadienne, elles sont généralement suivies de débats. Après la clôture de la discussion générale d'une question orale avec débat, une lecture des propositions et de résolutions est faite. Le Président de l'AN peut soumettre au vote lesdites propositions et résolutions de l'AN. Une commission d'enquête consécutive à la question peut être constituée en fonction de l'importance de la question168.

De manière générale, le contrôle par le biais des questions ne donne lieu à aucun vote. Les séances des questions orales en République du Tchad se passent en direct à la télévision et à la radio, et sont généralement appréciées par la population. A la vérité, l'activation de ce procédé d'information incite le Gouvernement à l'action. Il soutient l'État de droit, en ce qu'au moyen des débats, le parlement veille aux éventuels abus de pouvoirs, comportements arbitraires et conduites illégales de la part du Gouvernement.

De par son contrôle exercé sur le Gouvernement à travers l'interpellation et les questions parlementaires, l'AN utilise aussi d'autres moyens comme la commission d'enquête et l'évaluation de la politique publique.

Paragraphe 2 : Le contrôle de l'Exécutif à travers la commission d'enquête et l'évaluation des politiques publiques

166 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 65.

167 YAMOTO HIRONORI, « Les outils du contrôle parlementaire : étude comparative portant sur les 88 parlements nationaux », op. cit., p. 53.

168 Il en est ainsi de la résolution n°001/AN/2017 du 13 juillet mettant en place, la commission d'enquête à

l'effet de poursuivre la recherche des solutions aux questions éducatives.

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Si les procédés précédemment étudiés s'inscrivent dans les procédures qui sont mises en oeuvre à l'initiative des parlementaires, individuellement ou collectivement, il en est autrement pour la commission d'enquête (A) et l'évaluation des politiques (B). Ces mécanismes marquent par rapport à d'autres, une différence et une accentuation notable de la fonction de contrôle, étant donné que, eux, sont mis en oeuvre soit à l'initiative des organes de l'AN, soit par la constitution des organes pour connaitre des faits déterminés.

A - La commission d'enquête parlementaire

Les commissions d'enquêtes parlementaires, si elles n'ont pas existé dans la pratique parlementaire des partis uniques, celles-ci sont la marque caractéristique des nouveaux textes169 régissant le droit parlementaire tchadien, dans le souci de transparence dont la finalité est de contraindre le Gouvernement à rendre compte de la gestion des biens qu'incarnent les services et les entreprises publics.

Les commissions d'enquête permettent à l'AN, au titre du contrôle de l'action gouvernementale, de recueillir des informations sur des faits précis. Le droit d'enquête est considéré comme la conséquence du droit de contrôle reconnu à l'AN par la Constitution170.

Ainsi, la création de la commission d'enquête résulte d'une proposition de résolution ; laquelle détermine avec précision soit les faits donnant lieu à l'enquête, soit les services ou les entreprises publics dont la gestion sera examinée, et le délai. La proposition est ainsi déposée au bureau de l'AN pour examen et discussion. Au nom de la séparation des pouvoirs, il ne peut être créé de commissions d'enquêtes parlementaires sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires. C'est pour cette raison qu'obligation est faite de notifier toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire au Ministre de la justice.

La spécificité des commissions d'enquêtes parlementaires réside dans leurs pouvoirs particuliers, du fait qu'elles mènent en toute liberté l'enquête, procèdent à des investigations sur le terrain, c'est-à-dire, la possibilité pour ces commissions de se rendre dans une administration ou une entreprise, interroger les fonctionnaires et les employés qui y travaillent ou se faire communiquer tous les documents de service qu'elles jugent utiles pour mener à bien leurs travaux171. Une fois les investigations et les auditions terminées, les commissions

169 Cf. Les articles 140 de la Constitution et 148 du règlement intérieur de l'AN.

170 MACHALELE Moussa, Le contrôle de l'Assemblée nationale sur les politiques publiques au Niger : réalisations et perspectives, Mémoire de Master, Université de Strasbourg, 2018, p. 21.

171 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 68.

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d'enquêtes parlementaires doivent produire un rapport qui est discuté en séance plénière, et peut entrainer une recommandation ou une résolution à l'endroit du Gouvernement.

Au Tchad, depuis la première législature, il est constaté que le Parlement a de plus en plus recours à la procédure des commissions d'enquêtes dans le cadre de sa fonction de contrepoids. Quelques exemples peuvent illustrer notre démonstration. En effet, au cours de l'année 2000, soit trois ans après l'expérience de vie parlementaire, deux commissions d'enquêtes ont été créées. L'une relative à la gestion de la Société d'Eau et d'Électricité (STEE), et l'autre, à celle des postes et de télécommunication. L'autre exemple est récent : c'est l'adoption de la résolution n°001 du juillet 2017, après l'interpellation de quatre ministres en charge de l'éducation du 16 au 17 juin, tendant à la création d'une commission d'enquête sur le système éducatif. De plus, une commission d'enquête a été créée en 2008 pour faire la lumière sur le rôle joué par la France au Tchad. Au fait, il s'agit de l'engagement militaire, diplomatique et politique de la France dans les attaques rebelles sur N'Djamena en avril 2006 et en février 2008.

La commission d'enquête est un moyen traditionnel de contrôle que détient le Parlement. Cependant, il y a encore un moyen nouveau permettent à l'AN de contrôler les actions du Gouvernement au Tchad. Il s'agit bien évidemment de l'évaluation des politiques publiques.

B - L'évaluation des politiques publiques

Les politiques publiques « désignent l'intervention d'une autorité investie de puissance publique et de légitimé gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou de territoire »172 . Les politiques publiques sont la traduction d'un ensemble d'idées en actions concrètes en vue d'atteindre des objectifs précis.

Le contrôle des politiques publiques est un mécanisme à travers lequel les députés surveillent les actions et les interventions du Gouvernement. Dans un contexte économique difficile, et où les exigences des citoyens sont de plus en plus fortes, le contrôle parlementaire apparait comme un gage de bonne gouvernance.

Le contrôle des politiques publiques est un moyen nouveau de contrôle que le constituant tchadien reconnait à l'AN. Il ne figurait pas dans la Constitution du 31 mars 1996

172 BOUSSAGUET Laurie, JACQUOT Sophie et RAVINET Pauline, Dictionnaire des politiques publiques, Sciences politiques, 2010, p. 420, cité par MACHALELE Moussa, Le contrôle de l'Assemblée nationale sur les politiques publiques au Niger : réalisations et perspectives, op. cit., p. 9.

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révisée par les lois constitutionnelles de 2005 et de 2013173. Dans la nouvelle Constitution, c'est l'article 145 qui le consacre. L'évaluation des politiques publiques a pour ambition particulière d'apprécier l'ensemble des maillons de la chaîne de l'action publique et d'appréhender jusqu'aux impacts finaux d'une politique. Elle comporte toujours un jugement de valeur sur des politiques ou des actions publiques, mais un jugement élaboré à travers un processus cognitif rigoureux qui implique la mobilisation d'un appareil critique et le plus pertinent possible.

Comme c'est un moyen nouveau, les députés à l'AN ne sont pas assez outillés dans la matière afin d'évaluer efficacement les politiques publiques au Tchad. Ainsi, l'AN en partenariat avec l'Ambassade des États-Unis au Tchad, avait organisé des journées d'information et de sensibilisations des députés, du 20 au 21 mai 2019, sous le thème « évaluation des politiques publiques sensibles au genre ». C'est pendant ces deux jours que les députés ont compris en quoi consiste l'évaluation des politiques publiques, comment doit s'organiser cette évaluation, à quelle fin doit évaluer les politiques publiques, en quoi l'évaluation des politiques publique diffère des autres moyens de contrôle de l'action gouvernementale, à qui serviront les résultats de cette évaluation?174 Pour le premier vice-Président de l'AN, cette formation vise le renforcement des capacités des députés sur la compréhension de l'environnement politique dans un contexte de rareté des ressources et du changement du cadre institutionnel fondamental. Elle contribuera à l'efficacité du pouvoir législatif, conformément à l'article 112 de la Constitution de la 4ème République175.

En tout, l'évaluation des politiques publiques permet aux députés d'avoir des informations fiables sur la contribution des politiques publiques à résoudre les problèmes collectifs, à satisfaire les besoins sociaux reconnus, à renforcer les conditions optimales de la vie des citoyens. Ce contrôle permet de limiter l'arbitraire du Gouvernement dans ses actions. Même si le Gouvernement échappe à ce contrôle, sa responsabilité peut être engagée devant le juge.

SECTION 2 : LA CONSÉCRATION DE LA RESPONSABILITE DES
MEMBRES DU GOUVERNEMENT

BOBIO Norberto affirmait que « Le problème politique par excellence n'est pas tant la question de qui détient le pouvoir, mais du moyen de contrôler et limiter celui-ci. Le bon

173 CF article 141 de la Constitution de 1996.

174 Article disponible sur www.lepays.com consulté le 07 mai 2020.

175 Propos de KADAM Moussa, premier Vice-Président de l'AN devant les élus le 20 mai 2019. CF www.lepays.com consulté le 07 mai 2020.

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Gouvernement ne se juge pas à l'aune du petit et du grand nombre de ceux qui le possède mais du petit ou grand nombre des choses qu'il leur est autorisé à faire »176. Ce propos montre bien que l'un des problèmes essentiels à l'établissement d'une République est le contrôle et la limitation du pouvoir du dirigeant suprême177 , plus précisément sa responsabilité.

Évoquant le caractère fondamental et sacré de la responsabilité dans toute organisation politique, le Professeur AVRIL Pierre affirme que « le principe (de responsabilité) est inhérent au constitutionnalisme démocratique178et résulte impérativement des exigences de ce type d'organisation politique : le pouvoir d'un organe implique nécessairement la responsabilité de cet organe... »179. La responsabilité joue en effet un rôle de limitation et de contrôle permanent du pouvoir et apparait comme la meilleure garantie contre l'arbitraire. En Afrique, la question de la responsabilité du Gouvernement se pose avec acuité dans le système politique de certains pays, notamment pays d'Afrique noire francophone, en raison de l'actualité marquée par un débat renouvelé sur cette question180.

De manière traditionnelle, les membres du Gouvernement encourent une triple responsabilité civile, pénale et politique. De l'étymologie latine « respondere », être responsable signifie que l'on doit répondre de ses actes en subissant une sanction, entendu comme toute mesure, même réparatrice, justifiée par la violation d'une obligation181. LITTRE Emile définit à cet effet la responsabilité comme « l'obligation de répondre, d'être garant de certains actes »182. La responsabilité civile engage individuellement et contraint à réparer en nature ou par équivalent le dommage que l'on a causé à autrui183. La responsabilité pénale, quant à elle, signifie que l'on est obligé de répondre des infractions délictuelles ou criminelles

176 BOBBIO Norberto, Libéralisme et démocratie, Paris, Cerf, 1990, p. 70.

177 BARTHELEMY Joseph note dans le même sens qu'« au premier rang des problèmes que soulève l'établissement de la responsabilité, s'imposent comme les plus important et les plus délicats ceux qui intéressent le pouvoir exécutif » et notamment sa limitation, in Le rôle du pouvoir exécutif dans les Républiques modernes, Paris, Giard et Brière, 1906, p. 5.

178 La démocratie constitutionnelle ou « démocratie par la Constitution » peut être définie comme un système politique démocratique fondé sur le respect d'une Constitution formelle qui se trouve au sommet de la hiérarchie des normes. Phénomène relativement récent, la démocratie constitutionnelle s'est imposée comme une forme nouvelle et moderne de la démocratie. Dans ce système politique, la démocratie, la protection des droits des citoyens et le respect de la Constitution sont garantis par l'instauration d'une justice constitutionnelle placée de fait au sommet de l'ordre juridictionnel. Voir FRIEDRICH Carl Joachim, la démocratie constitutionnelle, PUF, Paris, 1958, p. 19.

179 AVRIL Pierre, « Pouvoir et responsabilité », Mélanges offerts à Georges BURDEAU, in le pouvoir, LGDJ, PARIS, 1977, p. 14.

180 Cas récents au Togo en 2010 et au Burkina Faso en 2015.

181 OURO-BODI Ouro-Gnaou, « La responsabilité des titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone », Afrilex, 2018, p. 3.

182 Dictionnaire de la langue française, Édition Hachette et Cie, Paris, 1877.

183 GUILLIEN Raymond, VINCENT Jean, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 8e édition, Paris, 1990, p. 432.

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commises et de subir la peine prévue par les textes qui les répriment, peine consistant en une amende ou un emprisonnement. Considérée comme un principe autonome et spécifique par rapport aux autres types de responsabilité, la responsabilité politique ne relève, selon le Professeur AVRIL « ni de la faute, ni du risque »184. Elle apparait comme étant l'obligation pour le Gouvernement ou toute personne titulaire d'un pouvoir politique de répondre de son acte pour un motif politique. Plus clairement, la responsabilité politique est « l'obligation pour le titulaire d'un mandat politique de répondre de son exercice devant celui de qui il le tient »185. Même s'il existe, quelque fois, une confusion entre la responsabilité pénale et celle politique, il est acquis qu'il faille détacher la responsabilité pénale des membres du Gouvernement de leur responsabilité politique, car « à faute pénale, sanction pénale, à faute politique, sanction politique »186.

La question de la responsabilité des gouvernants au Tchad paraît cruciale du fait de sa constitutionnalisation. Si dans certains pays d'Afrique francophone187, la responsabilité pénale du Chef de l'État apparait peu claire dans leurs Constitutions, sa responsabilité pénale est apparente dans la Constitution tchadienne (paragraphe 1). Pour les ministres, leur responsabilité est duale du simple fait que celle-ci peut être politique et pénale (paragraphe 2) selon les infractions énumérées dans la loi fondamentale.

Paragraphe 1 : La constitutionnalisation du statut pénal du Président de la

République

L'article 103 de la Constitution dispose que « le Gouvernement est composé du Président de la République et des ministres ». Cela signifie que le Président est aussi membre du Gouvernement.

Les systèmes politiques africains ont toujours été marqués par la prééminence du Chef de l'État sur toutes les autres institutions. Cette prééminence était absolue sous le monopartisme : le Président de la République, Chef de l'État, Chef du Gouvernement exerçait constitutionnellement et pratiquement un pouvoir suprême, exclusif et incontestable188.

184 AVRIL Pierre, « Pouvoir et responsabilité », op. cit., p. 9.

185 GUILLIEN Raymond, VINCENT Jean, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 510.

186 COHENDET Marie-Anne, Le Président de la République, Dalloz, Paris, 2002, p. 31.

187 Le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Sénégal, etc.

188 ONDO Telesphore, La responsabilité introuvable du Chef de d'État africain : analyse comparée de la contestation du pouvoir présidentiel en Afrique noire francophone. (Les exemples camerounais, gabonais, tchadien et togolais), Thèse Doctorat, Université de Reims Champagne-Ardenne, 2005, p. 53.

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Si dans les pays d'Afrique noire francophone, de manière générale, la responsabilité politique du Chef de l'État est quasiment introuvable, le constituant tchadien n'est pas resté en marge de la consécration constitutionnelle de l'irresponsabilité politique du Président de la République. Le constituant tchadien, dans la Constitution de la 4ème République, a consacré la responsabilité pénale du Président de la République (A) même si cette responsabilité reste incertaine dans sa mise en oeuvre (B).

A - La responsabilité pénale consacrée du Président de la République

Le régime juridique qui protège, dans les systèmes démocratiques en Afrique, les dirigeants politiques, notamment chef d'État et Ministre, est fait des règles constitutionnelles et législatives tangibles mais peu complètes, peu précises et par conséquent, objets d'interprétation et parfois des vives polémiques189. Mais au Tchad, le constituant a bâti la responsabilité du Président de la République sur le principe traditionnel et universel de deux immunités distinctes, l'irresponsabilité et l'inviolabilité qui impliquent cependant sa responsabilité pénale pour haute trahison. L'article 83 de la Constitution tchadienne, reprenant l'article 68 de la Constitution française190, dispose que : « le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison telle que prévue à l'article 157 ». Cela signifie que le Président n'est ni politiquement ni pénalement responsable dans l'exercice de ses fonctions, sauf en cas de haute trahison. Cette irresponsabilité est perpétuelle, car elle continue même après l'expiration du mandat.

Si cette formulation laconique, répandue dans les textes constitutionnels de certains pays africains191, fait apparaitre les incertitudes que les constitutionnalistes et politistes ainsi qu'acteurs politiques se sont évertués à clarifier, il n'en demeure pas moins dans la Constitution tchadienne du 04 mai 2018.

Afin de remédier aux incertitudes précitées, le constituant tchadien a apporté des précisions en ce qui concerne le contenu de la haute trahison. Ainsi, aux termes de l'article

189 AÏVO Frédéric Joël, « La responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes politiques africains d'influence française », op. cit., p.12.

190 L'article 68 dispose que : « le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison ».

191 Voir article 101 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 ; Article 138 de la Constitution Burkinabé du 02 juin 1991 ; Article 136 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 ; Article 109 de la Constitution ivoirienne du 01 août 2000 ; Article 118 de la Constitution nigérienne du 18 juillet 1999 ; Article 78 de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991 et enfin l'Article 95 de la Constitution malienne du 25 février 1992.

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157 al 6 de la Constitution, « constitue un crime de haute trahison, tout acte portant atteinte à la forme républicaine, à l'unicité et à la laïcité de l'État, à la souveraineté, à l'indépendance et à l'intégrité du territoire national ». L'alinéa 7 du même article de poursuivre que : « sont assimilés à la haute trahison, les violations graves et caractérisées des droits de l'Homme, le trafic de drogues et l'introduction des déchets toxiques ou dangereux en vue de leur transit, dépôt ou stockage sur le territoire national ». Dans sa forme primaire et d'un point de vue juridique, il ressort de l'examen des textes192 que la haute trahison est l'ancêtre des chefs d'accusation par lesquels monarques, puis présidents de la République et enfin membres du Gouvernement furent soumis à la justice des hommes. Initialement dans la haute trahison, il y a l'idée d'entrave, par le fait du souverain, monarque ou Président de la République, au fonctionnement régulier de l'État. Á cette première compréhension de la haute trahison, s'est substitué à partir de 1946, le principe que le Chef de l'État devrait pouvoir aussi répondre des infractions pénales commises dans l'exercice de ses fonctions. Mais, ces premières approches ne rendent pas totalement compte du cheminement qui fut celui de la notion de haute trahison à travers le temps et les régimes193. D'abord, elle a été nettement détachée de la responsabilité politique. Ensuite, la haute trahison a progressivement été érigée comme le principal support du mécanisme de mise en oeuvre de la responsabilité pénale du Président.

La Constitution tchadienne, s'inspirant largement de la Constitution française du 04 octobre 1958, a fait de la notion de haute trahison, le motif majeur, sinon exclusif, pour lequel, le Président de la République peut voir sa responsabilité pénale engagée devant la Cour Suprême.

En effet, en ce qui concerne la juridiction compétente, c'est la Cour Suprême qui est chargée de juger le Chef de l'État pour la haute trahison. L'article 157 al 5 de la Constitution dispose que « la Cour Suprême est également compétente pour juger le Président de la République et les membres du Gouvernement ainsi que leurs complices en cas de haute trahison ». Une Chambre non permanente, représentant la Haute Cour de justice dans la Constitution de 1996, au sein de la Cour Suprême est compétente pour connaître de la haute trahison. Elle est composée de sept (7) députés et de quatre (4) magistrats de la Cour Suprême élus par leurs pairs194.

192 Ces textes peuvent être consultés dans l'ouvrage du professeur Maurice DUVERGER. Il s'agit d'abord de la Constitution française du 05 fructidor an III (22 août 1795), in Maurice DUVERGER, Constitution et documents politiques, op. cit., pp. 129-134.

193 AIVO Frédéric Joël, « La responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes politiques africains d'influence française », op. cit., p.13.

194 Article 157 alinéa 7

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La procédure de mise en accusation du Président de la République est organisée par l'ordonnance n°015/PR/2018 portant attributions, organisation, fonctionnement et règles de procédure devant la Cour Suprême. L'article 271 de l'ordonnance dispose que : « la mise en accusation du Président de la République et des membres du Gouvernement est votée, au scrutin secret, à la majorité des deux tiers (2/3) des membres de l'Assemblée Nationale »195. En cas de mise en accusation, le Président de la République et les membres du Gouvernement sont suspendus de leur fonction196. Le Président de l'AN, après adoption de la mise en accusation, communique sans délai la résolution au Procureur Général près la Cour Suprême. Le Procureur Général accuse réception et déclenche l'action publique en notifiant la mise en accusation au Président de la Chambre non permanente et au Président de la commission d'instruction. La commission d'instruction n'est saisie qu'à l'égard des seules personnes visées dans l'accusation197. Lorsqu'elle estime la procédure complète, la commission peut décider de la suite du dossier198. La Chambre non-permanente, après clôture des débats, statue à la culpabilité par un vote suivant certaines conditions199 et prononce la sentence200.

De tout ce qui précède, la responsabilité pénale du Chef de l'État est constitutionnellement consacrée dans la Constitution au Tchad. Cette consécration de la responsabilité pénale du Président de la République est un signe important dans un système qui se veut démocratique. Elle caractérise également l'État de droit car celle-ci apparait comme l'un des éléments de l'État de droit. Néanmoins, la mise en oeuvre de la responsabilité pénale du Chef de l'État semble être une entreprise difficile à réaliser dans la pratique.

B - La difficile mise en oeuvre de la responsabilité pénale du Président de la

République

Si le constituant tchadien a pu définir la haute trahison ayant ôté l'incertitude dans l'esprit de certains constitutionnalistes en ce qui concerne le contenu de la haute trahison,

195 Article 271 de l'ordonnance régissant la Cour Suprême.

196 Article 272 de l'ordonnance n°015/PR/2018.

197 CF article 276 de l'ordonnance n°015/PR/2018.

198 Article 278 de l'ordonnance précitée : « après règlement du dossier, la commission d'instruction peut :

- Soit dire qu'il n'y a pas lieu à suivre ;

- Soit, si les faits reprochés aux accusés sont établis, les renvoyer devant la chambre non permanente ».

199 Article 284 de l'ordonnance n°015/PR/2018 : « si l'accusé est déclaré coupable, il est voté sur l'application de la peine. Toutefois, après deux (2) votes dans lesquels aucune peine n'aura obtenu la majorité des voies, la peine la plus forte proposée dans le vote sera écartée pour le vote suivant et ainsi de suite en écartant chaque fois la peine la plus forte jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée à la majorité absolue des votants ».

200 Article 285 de l'ordonnance citée ci-dessus, « En cas de condamnation, le Président de la république est déchu de ses charges et les ministres de leur fonction par la chambre non permanente ».

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d'autres incertitudes demeurent encore. La première est en rapport avec les actes accomplis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions mais non susceptibles de constituer le crime de haute trahison ou encore sans lien avéré avec l'exercice de la fonction. La seconde concerne les actes antérieurs à la fonction. Ce sont des actes, certes constitutifs de crime ou délits, commis non pas par le Président de la République, mais par le futur Président de la République201. Ces deux catégories d'actes qualifiés de « détachables » ou d'« antérieurs » excluent a priori toute compétence de la Cour Suprême. Le Président agissant en tant qu'individu pourrait-il être poursuivi à la fin de son mandat devant les juridictions de droit commun comme c'est le cas de certains pays202 ? qu'adviendra-t-il en cas du silence des textes203.

Au Tchad, il n'existe pas, à notre connaissance, des jurisprudences pouvant illustrées les incertitudes concernant les actes antérieurs à la fonction du Président. Mais la jurisprudence française peut nous servir ici en ce qui concerne la responsabilité pénale à l'égard des actes accomplis pendant le mandat mais en dehors des fonctions ou ceux accomplis avant l'entrée en fonction du Président. Le problème s'est posé à l'occasion de la procédure mettant en cause le Président Jacques CHIRAC à raison de faits antérieurs à son élection. Dans une décision importante du 22 janvier 1999, le Conseil Constitutionnel français a radicalement exclu toute possibilité de poursuite devant les tribunaux judiciaires de droit commun pour les motifs suivants. Le Président bénéficie d'une immunité pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions. Et s'agissant des actes commis antérieurement à l'entrée en fonction ou des actes qui sont détachables de l'exercice de ses fonctions, le Conseil affirme que la responsabilité pénale du Président n'est pas possible devant les juridictions de droit commun. Elle ne peut être engagée que devant la Haute Cour de justice.

Cette atteinte au principe d'égalité devant la loi est justifié par la représentation du Président comme étant le représentant de l'autorité204. Il est nécessaire d'accorder une protection fonctionnelle au Président afin de le préserver des poursuites engagées pour des raisons purement politiques. Mais il faut éviter de faire du Président une personne intouchable, au-dessus des lois.

201 AIVO Frédéric Joël, « La responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes politiques africains d'influence française », op. cit., p.14.

202 COHENDET Marie-Anne, Le Président de la République, op. cit., p. 33.

203 OURO-BOD Ouro-Gnaou I, « La responsabilité des titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone », op. cit., p. 18.

204 Article 84 de la Constitution dispose que « le Président de la République est le Chef de l'État, Chef du Gouvernement et de l'administration. A ce titre, il détermine et conduit la politique de la Nation, il exerce le pouvoir règlementaire ».

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Toutefois, si la responsabilité pénale du Chef de l'État est prévue par la Constitution, la mise en oeuvre reste très hypothétique. Il faut tout d'abord questionner l'indépendance de l'organe en charge de juger le Président de la République pour haute trahison. La Constitution accorde la compétence à la Cour Suprême, à travers une Chambre non permanente205. La Cour, chargée de mettre en oeuvre la responsabilité du Président paraît être inféodée au pouvoir politique. Elle constitue un simple maquillage démocratique selon les propres termes du juriste togolais Ouro-Gnaou OURO-BODI206. La Chambre chargée de la haute trahison peut être qualifiée d'une Chambre politique pour plusieurs raisons. Il s'agit d'une juridiction politique du fait de ses principaux justiciables, le Chef de l'État et les membres du Gouvernement qui sont presque des hommes politiques. Il s'agit ensuite d'une juridiction politique du fait que les infractions qu'elle est appelée à connaître sont des infractions qui peuvent être aisément qualifiées de politiques. Elle est enfin de nature politique du fait de sa composition particulière qui intègre les hommes politiques, notamment les parlementaires.

Fort de tout cela, la responsabilité pénale du Président de la République est d'une consécration constitutionnelle au Tchad mais sa mise en oeuvre est difficile pour des raisons des immunités présidentielles. S'il doit y avoir une protection, c'est le Président qui devait être protégé et non l'individu ordinaire avec ses faiblesses, ses erreurs et qui devrait répondre de ses actes devant le juge pénal.

Paragraphe 2 : La consécration constitutionnelle de la responsabilité des

ministres

OURO-BODI Ouro-Gnaou affirmait qu' « il n'y a pas de pouvoir sans responsabilité et de responsabilité sans sanction »207. Ainsi, les ministres, détenteurs des pouvoirs, doivent voir leur responsabilité être engagée. Cette responsabilité prend une double nature notamment politique et pénale. La responsabilité politique des ministres au Tchad est engagée devant le Président de la République (A). La motion de censure et la question de confiance qui sont des mécanismes permettant la mise en oeuvre de la responsabilité collective du Gouvernement devant l'AN ne figurent plus dans la Constitution tchadienne de 2018. Á côté de la responsabilité politique des ministres, il y a également la responsabilité pénale de ceux-ci devant le juge (B).

205 Article 157 alinéa 7 de la Constitution.

206 OURO-BODI Ouro-Gnaou, « La responsabilité des titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone », op. cit., p. 11.

207 Ibidem p. 6.

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A - La responsabilité politique des Ministres devant le Président de la

République

L'article 82 al 2 de la Constitution dispose que « les membres du Gouvernement sont responsables devant le Président de la République ». Il s'agit là d'une responsabilité individuelle des Ministres devant le Chef de l'État. Á l'analyse, les institutions de la IVème République sont, en pratique, dominées par le Président de la République. L'une des manifestations de cette omnipotence réside précisément dans le pouvoir de révocation des Ministres par le Président. De cette consécration constitutionnelle, le Ministre peut être limogé ou demis de ses fonctions pour faute grave par le Chef de l'État.

Dans la pratique, plusieurs Ministres ont été limogés par le Président de la République pour différents motifs. Ainsi, en mai 2017, deux Ministres ont été révoqués par le Président208 a indiqué le décret présidentiel sans donné les raisons de ce limogeage en bonne et due forme, puisque les deux Ministres n'ont pas été remplacés à leurs postes respectifs.

Nonobstant, dès lors que le présidentialisme vise à protéger le pouvoir exécutif et notamment le Chef de l'État, cette protection s'étend aussi aux Ministres qui deviennent ainsi politiquement irresponsables209. Cela s'observe à travers l'arbitraire de certains Ministres qui violent allègrement les lois établies et qui porte atteinte aux libertés des citoyens.

Si la responsabilité des Ministres peut être engagée devant le Président de la République, elle peut également être engagée devant le juge.

B - La responsabilité pénale des Ministres devant le juge

« Celui qui fait exécuter les lois doit y être soumis ». Cette phrase, issue De l'Esprit des lois de Montesquieu210 , met en évidence le fait que tous les membres de l'Exécutif doivent être punis pour toutes les infractions commises comme n'importe quel autre individu. La responsabilité pénale est l'obligation de répondre des infractions commises et de subir la peine prévue par les textes qui les répriment. La Constitution de 2018 prévoit dans son article 108 al 2 que : « les membres du Gouvernement sont justiciables devant les juridictions de

208 Ils ont été limogés par le Président de la République à travers un communiqué relayé sur les ondes des chaînes publiques dans la soirée du mardi 31 mai. Ces deux personnalités faisaient pourtant partie du Gouvernement pour avoir occupé de très hautes fonctions au sein de l'exécutif et au niveau du cabinet présidentiel. « Il est mis fin aux fonctions du ministre de l'aménagement du territoire HAMIT MAHAMAT DAHALOB et du ministre des mines et de la géologie David HOUDEINGAR »

209 OURO-BODI Ouro-Gnaou, « La responsabilité des titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone », op. cit., p. 11.

210 MONTESQIUIEU, De l'esprit des lois, Barrillot, Genève, 1748.

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droit commun pour les crimes et délits économiques et financiers commis par eux dans l'exercice de leurs fonctions ». De cette formulation, il est admis qu'un Ministre peut voir sa responsabilité pénale engagée sur la base des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions. A ce niveau, il faut dissocier les actes rattachés au Ministre de ceux qui lui sont extérieurs. Pour connaître les actes accomplis dans l'exercice de la fonction ministérielle et considérés, au regard de la législation en vigueur, au moment de leur commission, comme étant un crime ou un délit, le constituant a voulu confier cette compétence aux juridictions de droit commun. La Cour Suprême connaît également la responsabilité des Ministres pour la haute trahison211. C'est l'ordonnance n°015/PR/2018 portant attribution, organisation, fonctionnement et règles de procédures devant la Cour Suprême qui détaille les procédures d'engagement de la responsabilité pénale des ministres. Ainsi, la mise en accusation du Président de la République et des membres du Gouvernement est votée, au scrutin secret, à la majorité de deux tiers (2/3) des membres de l'AN212. En cas d'accusation, le Ministre est suspendu de ses fonctions. La suite de la procédure devant la Chambre non permanente de la Cour Suprême est la même que celle de l'engagement de la responsabilité du Président de la République.

En effet, dans les faits, plusieurs ministres ont fait l'objet des poursuites judiciaires. Ainsi, en décembre 2019, le Ministre d'État, ministre Secrétaire Général de la présidence KALZEUBE PAHIMI DEUBET avait été poursuivi notamment pour tentative de détournement. KALZEUBE aurait été soupçonné de malversation par l'Inspection Générale d'État (IGE). Il avait été convoqué le 01 décembre 2019 pour être entendu sur des accusations de complicité d'escroquerie, abus de fonction et tentative de détournement des deniers publics. Après quelques jours passés en prison en attendant la décision de la Cour Suprême, KALZEUBE PAHIMI DEUBET a été déclaré non coupable par la Cour. Le 06 février 2020, le ministre SGP est réhabilité dans sa fonction par le décret présidentiel n°005/PR/2020213.

Dans la même veine, le Ministre de l'économie et de la planification du développement, Dr ISSA DOUBRAGNE, a été interpellé par l'IGE le 04 décembre 2019. Il aurait été demandé au Ministre de rembourser conjointement avec son Directeur général plus de 800 millions de FCFA. Chose qui a semblée effective dans un bref délai.

En tout, l'engagement de la responsabilité des Ministres apparaît important dans un État qui veut soumettre les autorités aux lois établies. Cela a pour but de limiter l'arbitraire des autorités dans l'exercice de leur fonction.

211 Article 157 al 5 de la Constitution.

212 Article 271 de l'ordonnance précitée.

213 Décret portant abrogation du décret n°2050 qui a désigné le 09 décembre 2019 un intérimaire au poste de Ministre d'État, Ministre Secrétaire Général de la Présidence de la République.

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Conclusion du chapitre 2

L'État de droit est un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. C'est-à-dire que tous les mandataires politiques sont tenus par le droit qui a été édicté. Pour ce faire, il faut que le législateur respecte ce principe en limitant constitutionnellement la puissance publique. Cette limitation est remarquable à travers le contrôle de l'Exécutif par le Parlement et la consécration de la responsabilité des Gouvernant.

Le Gouvernement reste en principe hors de toute atteinte, le contrôle parlementaire est un contrepoids dans un régime dont la tendance de la gouvernance est assise sur le respect du droit édicté par lui-même. Ainsi, la Constitution a prévu le contrôle de l'Exécutif par la représentation nationale. Ce contrôle exprime l'idée que le peuple est et demeure le seul détenteur du pouvoir. C'est donc au nom du peuple que l'AN exerce son contrôle sur l'action de l'Exécutif. L'objectif visé par le constituant était de parvenir, au gré des circonstances, à l'encadrement du pouvoir exécutif si bien que le contrôle n'aboutit pas à l'engagement de la responsabilité politique du Gouvernement.

L'encadrement du pouvoir exécutif passe aussi par le positionnement de l'Exécutif vis-à-vis de sa responsabilité. L'évolution de la politique de ces dernières années montre que l'opinion publique demande plus de transparence dans la gestion des affaires publiques. Les citoyens sont aussi exigeants sur la moralité et la probité de ceux et celles qui, dans la mise en oeuvre du système représentatif, bénéficient de leur confiance pour agir en leur nom. Á défaut, il faut des coupables et des sanctions. Ainsi, la responsabilité des membres du Gouvernement est une notion constitutionnellement claire aujourd'hui. Et si l'effectivité des règles et mécanismes de leur mise en oeuvre ne sauraient prêter à interprétation, comme dans les années antérieures, il reste seulement à s'assurer de leur efficacité à l'épreuve des réalités de la vie politique au Tchad.

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CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

La Constitution tchadienne du 04 mai 2018 présente des avancées considérables dans la préservation de l'État de droit dans ce pays. Ces avancées sont variables et présentent un intérêt important dans un contexte où les pouvoirs publics tentent d'outrepasser leurs limites constitutionnelles. A cet égard, la Constitution a prévu des garanties des droits fondamentaux de manière graduelle et a limité la puissance du pouvoir exécutif.

Afin de répondre aux exigences de l'État de droit, le constituant tchadien a porté un regard sur la protection des droits fondamentaux reconnus à la personne humaine. Ainsi, la Constitution apparait à la fois comme le symbole et l'instrument de perpétuation de la démocratie et sa suprématie doit être assurée par le juge constitutionnel. Si les juridictions constitutionnelles sont l'expression de l'État de droit214, nous comprenons donc leur rôle dans le contrôle de l'action de l'Exécutif. Le juge de l'administration joue également un rôle important dans le contrôle de l'action gouvernementale. Le juge administratif apparaît comme le juge de l'activité du pouvoir règlementaire. Le juge judiciaire quant à lui est le gardien des droits fondamentaux par excellence.

La protection des droits fondamentaux n'apparait pas seulement à travers la garantie de ceux-ci, mais elle s'observe également à travers la limitation du pouvoir de l'Exécutif. Il est indispensable d'éviter que les gouvernants tordent le cou, par leurs actions, aux libertés contenues dans la Constitution. C'est ainsi que la Constitution a confié le contrôle de l'Exécutif à l'AN. Même si les conséquences du contrôle parlementaire sur l'Exécutif ne sont pas politiquement importantes, la simple institution de ce contrôle suffit à considérer le pouvoir Exécutif comme désormais encadré et surveillé dans son action. En plus, l'aménagement de statut pénal du Chef de l'État et la responsabilité des membres du Gouvernement est ainsi présenté à la fois comme une exigence de transparence et une exigence de justice, malgré sa mise en oeuvre difficile. Une réforme, qui nécessite une dose de

214 Voir GICQUEL Jean, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 2002, p. 715 cité par MOYEN Godefroy, « L'exécutf dans le nouveau constitutionnalisme africain : les cas du Congo, du Benin et du Togo », op, cit., p. 55.

courage de la part des autorités, est nécessaire pour rendre la fonction présidentielle et ministérielle moins monarchiques, plus transparentes et plus conformes à l'idéal républicain et aux valeurs démocratiques modernes.

Alors, la Constitution tchadienne de 2018 présente des avancées visibles mais elle contient également des obstacles persistants à l'émergence de l'État de droit.

SECONDE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES OBSTACLES PERSISTANTS A L'ÉMERGENCE D'UN VÉRITABLE ÉTAT DE DROIT AU TCHAD

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L'effectivité du droit ne se résume pas au seul droit posé par les légistes215. En effet, le problème de l'applicabilité des droits fondamentaux conditionne l'effectivité de ses normes. FAVOREU Louis précise que « c'est seulement dans la mesure où l'ensemble des droits constitutionnellement garantis pourront être mis en oeuvre, par les organes juridictionnels, que la proclamation constitutionnelle sera efficace »216. Autrement dit, l'effectivité des normes ne peut être réelle que si nous assistons à la validité des normes, voire à leur efficacité. D'où, l'existence d'un lien qui unit l'effectivité à la validité sinon, la protection des droits fondamentaux trouvera son « talon d'Achille ».

Ainsi, l'applicabilité des normes est confiée à un organe juridictionnel par la Constitution. C'est le pouvoir judiciaire qui est habilité à dire le droit. C'est d'ailleurs son rôle traditionnel. Eu égard à cet important pouvoir dévolu au pouvoir judiciaire, la protection des droits fondamentaux constitutionnellement consacrés dépend en général de l'office du juge. Le juge doit se trouver dans une position assez confortable et sans contraintes extérieures pour jouer pleinement son rôle. C'est dans ce sens que la question de son indépendance s'affirme. La protection efficace des droits fondamentaux est donc tributaire de l'indépendance du juge dans l'exercice de ses fonctions. En effet, la Constitution tchadienne du 04 mai 2018 présente des obstacles persistants dans la préservation de l'État de droit. L'indépendance du juge apparait discutable dans la protection de ces droits fondamentaux au Tchad (Chapitre 1).

S'il existe des mécanismes juridictionnels de protections des droits fondamentaux, il n'en demeure pas moins pour les mécanismes non juridictionnels permettant la garantie des libertés fondamentales des citoyens tchadiens. Aux vues du dispositif institutionnel non juridictionnel de protections de droits de l'homme et des libertés actuellement en vigueur au Tchad, il est très aisé de constater d'énormes difficultés entravant ladite protection au plan matériel. A l'instar de l'indépendance discutable des juges dans la garantie des droits de l'homme au Tchad, cette garantie se trouve toujours limitée (Chapitre 2).

215 KEUDJEU DE KEUDJEU John Richard, « L'effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone », Juridis Périodique, n°109, Janvier-Février-Mars 2017, pp. 161-178.

216 FAVOREU Louis, Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 2016, 7ème édition, p. 122.

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CHAPITRE 1 : L'INDÉPENDANCE DISCUTABLE DU JUGE DANS
LA GARANTIE DES DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD

Quelle que soit la manière dont on envisage le problème du juge en Afrique, on ne peut éviter de partir d'un constat malheureusement amer : le juge africain et par là même la justice en Afrique, est « en panne »217. Ce constat n'est pas nouveau et a été déjà établi par des nombreux observateurs qui ont cherché, par des remarquables études218, à découvrir les causes de cette panne. Nous avons tendance à croire, de nos jours, que le juge ne bénéficie guère de l'idée que nous faisons habituellement et légitimement d'un organe chargé de dire le droit, de rendre la justice. Le juge, dont la haute mission est de trancher les conflits et protéger les citoyens contre les violations de leurs droits et contre tout arbitraire de la part des pouvoirs publics, est soupçonné d'être dépendant.

L'article 157 alinéa 1 de la Constitution dispose que « la Cour Suprême est la plus haute juridiction du Tchad en matière judiciaire, administrative, constitutionnelle et des comptes ». Il ressort de cette formulation que la Cour regroupe des juges constitutionnels, administratifs et judiciaires. Ces trois juges ont pour mission de veiller au respect des droits fondamentaux des citoyens conformément à l'article 148 de la Constitution219. Leurs attributions législatives montrent, à l'analyse, que leur indépendance apparaît problématique dans la mesure où l'indépendance du juge constitutionnel apparaît contestable (Section 1). Cela s'observe à travers la réduction de l'ex Conseil Constitutionnel en une Chambre au sein de la Cour Suprême. En dehors de l'indépendance incertaine de la juridiction constitutionnelle, il y a également les menaces importantes portées à l'indépendance des autres juges dans la protection des droits fondamentaux (Section 2).

217 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans le système politique en Afrique », In les défis des droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 1.

218 Voir en particulier, les analyses faites sur la justice en Afrique, in Afrique contemporaine, numéro spécial, 1990 cité par BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans le système politique en Afrique », op.cit, p. 1.

219 L'article 148 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire est exercé au Tchad par la Cour Suprême, les Cours d'Appel, la Haute Cour militaire et les justices de paix. Il est gardien des libertés et de la propriété individuelle. Il veille au respect des droits fondamentaux ».

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SECTION 1 : L'INDÉPENDANCE CONTESTABLE DU JUGE
CONSTITUTIONNEL TCHADIEN

Le principe de la séparation des pouvoirs, tel que systématisé par MONTESQUIEU220, concerne les trois pouvoirs constitués que sont les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Les juridictions constitutionnelles, instances équivalentes, ne peuvent pas s'inscrire, en principe, dans la formulation du principe de la séparation des pouvoirs lorsqu'elles sont situées en dehors de l'ordre judiciaire.

Au Tchad, la juridiction constitutionnelle est un organe situé dans la hiérarchie judiciaire221. Elle bénéficie des garanties statutaires et organiques pour asseoir son indépendance. Mais tout ceci ne suffit pas pour qu'on puisse parler d'une véritable indépendance de la juridiction. Il en faut plus, car la pratique révèle que l'indépendance du juge constitutionnel est tributaire de plusieurs facteurs. Ces facteurs compromettent considérablement l'indépendance de la juridiction qui est, en principe, appelée à être véritablement indépendante dans l'exercice de ses fonctions.

Il n'est plus à rappeler le rôle primordial du juge constitutionnel tchadien dans la garantie des droits fondamentaux des citoyens. Il a montré son audace à travers le contrôle de constitutionnalité des lois et des conventions internationales. Mais à l'analyse des dispositions constitutionnelles et législatives, l'indépendance organique (paragraphe 2) et fonctionnelle (paragraphe 1) de la Chambre constitutionnelle paraissent incertaine.

Paragraphe 1 : L'indépendance fonctionnelle menacée de la Chambre
constitutionnelle

La juridiction constitutionnelle étant une Chambre de la Cour Suprême, cet état de chose ne rend pas compte de l'effectivité de l'autonomie de celle-ci. Ainsi, l'indépendance fonctionnelle de la Chambre constitutionnelle se trouve sérieusement menacée. Son indépendance à l'égard de la Cour est discutable (A) ainsi qu'à l'égard des autres pouvoirs (B).

220 Montesquieu : De l'Esprit des lois précité.

221 Article 157 de la Constitution du 04 mai 2018.

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A - L'indépendance organique discutable de la Chambre à l'égard de la
Cour Suprême

Aux termes de l'article 157 alinéa 8 de la Constitution, « la Cour Suprême comprend cinq chambres : une (1) chambre judiciaire, une (1) chambre administrative, une (1) chambre constitutionnelle, une (1) chambre des comptes et une (1) chambre non permanente ». La Chambre constitutionnelle joue le rôle de la juridiction constitutionnelle. Le statut de la Cour confère une indépendance fonctionnelle à la Chambre constitutionnelle. En effet, l'autonomie de la Chambre constitutionnelle s'entend de la faculté pour cette dernière de s'auto-organiser et de définir la procédure et les règles de son fonctionnement. On distingue traditionnellement trois formes d'autonomie : l'autonomie administrative, financière et normative222 . Ce triptyque permet de mesurer l'étendue de la maîtrise de la Chambre sur les règles de son organisation et de son fonctionnement.

Ainsi que le soulignait le Doyen FAVOREU, l'autonomie administrative s'entend de la nécessité pour une juridiction constitutionnelle de disposer d'une administration interne autonome. Cela suppose donc l'existence d'un siège autonome de l'institution distinct et séparé. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne la Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême du Tchad. En effet, la Constitution s'est limitée à donner la composition de la Cour sans toutefois précisé avec exactitude les membres de la Cour qui seront affectés à la Chambre constitutionnelle. L'article 158 de la Constitution dispose que : « la Cour Suprême est composée de quarante-et-trois (43) membres dont un (1) président et quarante-et-deux (42) conseillers ». Cet état des choses n'augure pas une indépendance certaine de la juridiction qui est appelée à être véritablement indépendante. L'ordonnance n°015/PR/2018 portant attributions, organisation, fonctionnement et règles de procédure devant la Cour Suprême en son article 259223 permet de se rendre à l'évidence de l'incertitude de l'indépendance la Chambre à l'égard de la Cour. Or, la bonne norme de l'autonomie administrative aurait voulu que c'est le Greffier en chef de la Chambre constitutionnelle qui doit recevoir directement les requêtes.

Le régime des sanctions des membres de la Chambre apparaît comme un élément important dans l'analyse de son indépendance. En principe, dans le souci de protection des

222 FAVOREU Louis, « Théorie générale de la justice constitutionnelle », in FAVOREU Louis et sa suite, Droit constitutionnel, Dalloz, coll. « précis. Droit public. Science politique », 11ème édition, 2008, pp. 254-255 cité dans le rapport de la 2ème conférence mondiale sur la justice constitutionnelle à rio de Janeiro, 2011, p. 2.

223 Article 259 alinéa 3 de l'ordonnance n°015/PR/2018, « les requêtes sont enregistrées dès leur réception par le Greffier en chef de la Cour suprême qui les transmet au Greffier de la chambre constitutionnelle. Il ouvre un dossier pour chaque requête ».

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juges constitutionnels, la loi devrait donner le pouvoir à celle-ci d'organiser sa propre police. De ce fait, les membres doivent tenir informé le Président de ladite Chambre des changements qui peuvent intervenir lors des activités. Elle devrait apprécier elle-même le manquement aux obligations d'un membre. Ainsi, la Chambre pourrait facilement sanctionner l'un de ses membres. En accordant le pouvoir disciplinaire et de police à la Cour, la Chambre se trouve dépendante de celle-ci et elle ne peut exercer efficacement sa mission de garant des droits fondamentaux.

Parler de l'indépendance de la juridiction constitutionnelle c'est parler aussi de son autonomie de fonctionnement, c'est-à-dire l'autonomie de la Chambre quant à la détermination de certains éléments essentiels de son organisation. Cette autonomie d'organisation se manifeste à travers la désignation du Président de la Chambre. Ni la Constitution ni l'ordonnance n°015/PR/2018, n'ont précisé les modalités de désignation du président de la Chambre, mais tout porte à croire que celui-ci serait désigné par le Président de la Cour. Cette position du Président de la Chambre peut considérablement compromettre l'indépendance de la juridiction, surtout à travers les décisions qu'elle va rendre.

En tout, la résurgence de la Chambre constitutionnelle peut constituer un obstacle grave à l'indépendance de la juridiction constitutionnelle. Or, la juridiction constitutionnelle est au coeur de la construction de l'État de droit et donc il faut lui donner une position confortable vis-à-vis des autres pouvoirs pour qu'elle puisse accomplir sa mission en toute impartialité et neutralité.

B - La dépendance de la Chambre constitutionnelle à l'égard des autres

pouvoirs

D'après MAMADOU Samb, « l'indépendance de la justice s'exprime, de prime à bord, par une autonomie à l'égard du pouvoir politique »224. Malgré les garanties textuelles d'indépendance, les rapports entre les pouvoirs judiciaires et le politique laissent apparaitre la domination du politique sur le pouvoir judiciaire.

Le juge constitutionnel africain a été pendant longtemps dans une situation vulnérable à cause de sa dépendance au pouvoir politique. Aujourd'hui encore et malgré l'ouverture démocratique, et la mise en place des juridictions constitutionnelles, le débat se pose encore.

224 MAMADOU Samb, « La gouvernance politique : changement ou continuité ? », Karthala, 2004, cité par MAMADOU Gueye, Le Conseil Constitutionnel sénégalais et la vie politique, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta DIOP, 2011, p. 269.

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L'indépendance du juge constitutionnel vis-à-vis des autres pouvoirs n'est pas conquise de manière parfaite225. Ainsi, la Chambre constitutionnelle étant déjà dans l'ordre judiciaire, son indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs ne pourrait être tangible. Proclamer l'indépendance des juges dans les textes est une étape importante mais cela ne peut suffire à mettre les juges à l'abri des pressions ou de l'autocensure226.

En effet, le constat est qu'en dépit des garanties statutaires d'indépendance formelle227, le juge constitutionnel tchadien est en réalité placé dans un rapport de dépendance et de subordination statutaire à l'égard du pouvoir politique. Dans ses rapports avec le pouvoir politique, le juge constitutionnel doit bénéficier d'un régime particulier lui permettant de réaliser effectivement son indépendance. Et pourtant, l'existence même du juge constitutionnel se justifie principalement, à l'origine, par la volonté de préserver la conception de la séparation des pouvoirs. Sa mission essentielle est en effet de réguler l'activité des pouvoirs publics et particulièrement leur activité normative. Mais l'extension des normes de référence du contrôle de constitutionnalité aux droits fondamentaux a eu pour conséquence de renforcer le rôle du juge constitutionnel dans les relations entre pouvoirs publics. Cette position actuelle de la juridiction constitutionnelle au Tchad apparaît peu fortifiante en matière de régulation des relations entre les pouvoirs, en ce sens que la Chambre se trouve sous le pouvoir judiciaire, en l'occurrence la Cour Suprême. Il semble paradoxal que la Chambre puisse agir en toute indépendance dans l'exercice de ses missions qui sont d'ailleurs importantes dans la préservation de l'État de droit.

Au regard de la pratique actuelle au Tchad, surtout dans le fonctionnement du système judiciaire, le juge constitutionnel parait résister peu aux pressions politiques venant du pouvoir exécutif qui estime qu'il peut tout faire. En plus, les raisons avancées par le comité des réformes nous semblent peu convaincantes lorsqu'il justifie l'entrée de la juridiction constitutionnelle, qui était un organe indépendant, sous l'ordre judiciaire par la raréfaction des ressources. C'était peut-être dans le souci de mieux maîtriser le juge constitutionnel par le pouvoir exécutif que le constituant avait pensé opérer cette réforme qui est venue détruire l'architecture de l'État de droit au Tchad. Rappelons que les articles 161 et suivants de l'ancienne Constitution faisaient du Conseil Constitutionnel à la fois le juge de la constitutionnalité des lois, le responsable du contentieux des élections nationales et l'organe

225 DIALLO Ibrahima, « La légitimité du juge constitutionnel africain », Revue Africaine des Sciences Juridiques et Politiques, Dakar, 2015, p. 15.

226 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans le système politique en Afrique », op.cit, p. 4.

227 Article 148 de la Constitution, « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ».

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régulateur du fonctionnement des institutions. C'est devant lui que le Président prêtait serment. Même si pendant ses deux décennies d'existence, le Conseil Constitutionnel n'a pas réussi à marquer la vie politique et administrative du pays de son emprunte et ne s'est pas montré audacieux dans ses décisions, il faut noter que c'est après un long débat au sein des instances de la CNS de 1993 qu'il avait décidé d'imposer un Conseil Constitutionnel, à côté de la Cour Suprême, pour « répondre à l'importance des enjeux de la construction de l'État de droit » dans le pays228.

Élément indispensable de contre-pouvoir, la juridiction constitutionnelle ne doit pas être dépendante dans un pays où la population a véritablement besoin de la protection juridictionnelle de ses droits et libertés fondamentaux. Conféré la matière constitutionnelle à la Cour Suprême comme l'a fait le constituant tchadien dans la Constitution de 2018 constitue un handicap important dans la perspective de la consolidation de l'État de droit. Il ne suffit pas d'avoir une juridiction constitutionnelle, mais rendre autonome et indépendante celle-ci sera un idéal qu'il faut chercher à atteindre.

La Chambre constitutionnelle n'est pas seulement fonctionnellement dépendante mais son indépendance organique reste également à interroger.

Paragraphe 2 : L'indépendance organique incertaine de la Chambre
constitutionnelle

L'importance de la juridiction constitutionnelle dans la vie publique est incontestable. Juridiction la plus haute au sein de l'État, la Chambre constitutionnelle est chargée de vérifier que la loi respecte les droits et libertés garantis par la Constitution. Ainsi, le juge constitutionnel doit bénéficier d'une indépendance organique. Or, cette indépendance étant entendue de façon relative comme une prérogative acceptée par les pouvoirs publics. C'est justement à cet égard que l'indépendance du juge constitutionnel est véritablement mise en cause229. Cela s'observe à travers la nomination qui semble politisée (A) du simple fait que les autorités qui interviennent dans la désignation des juges sont des autorités politiques. Dans la nomination, le pouvoir politique a une forte propension de désigner, du moins en apparence, les personnalités sensibles à des obédiences politiques230. En plus, l'irrévocabilité de la juridiction constitutionnelle dans son ensemble comme dans ses composantes individuelles

228 STAUDER François-Albert, « Tchad : une nouvelle république sans État de droit ? », op. cit., p. 6

229 DIALLO Ibrahima, « La légitimité du juge constitutionnel africain », op. cit., p. 20.

230 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans le système politique en Afrique », op.cit, p. 34.

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qui est la garantie statutaire (B) ne serait opposable aux pouvoir publics, en l'occurrence les autorités de nomination231.

A - La nomination politique des membres de la chambre

Le Doyen ROUSSEAU souligne qu' « une institution, surtout lorsqu'elle se construit, dépend toujours pour une part, de la personnalité des hommes qui l'incarnent et la font vivre »232. Cette assertion révèle l'importance accordée à la politique de nomination par la classe politique qui reste encore à la recherche d'un mode idéal, non politisé de désignation.

Parler de la nomination des membres de la Chambre constitutionnelle revient à passer en revue la nomination des membres de la Cour Suprême. La nomination est politique du simple fait que les autorités qui interviennent dans la désignation sont des autorités politiques. Tout d'abord, la Cour est composée de quarante-et-trois (43) membres selon l'article 158 alinéa 1 de la Constitution. S'agissant des membres de la chambre constitutionnelle, il convient de noter qu'ils sont aux nombre de sept (7).

Au regard de l'alinéa 4 de l'article 158, les membres de la Chambre constitutionnelle sont désignés de la façon suivante : « sept (7) parmi les spécialistes du droit constitutionnel dont : quatre (4) par le Président de la République et trois (3) par le Président de l'Assemblée Nationale ». En effet, dans la nomination, le pouvoir politique a une forte propension et une fois nommé, l'autorité politique attend, dans une certaine mesure, du juge constitutionnel qu'il délibère dans le sens de ses options politiques233. Le cas échéant, le pouvoir politique peut aller jusqu'à remettre en cause la valeur de la décision de la haute juridiction et faire plier ce dernier à sa volonté. Cette pratique est plus récurrente dans nos sociétés politiques et plus précisément au Tchad. Même s'il n'y a pas, à notre connaissance, une décision de la juridiction constitutionnelle tchadienne pour en illustrer, il faut juste jeter un regard dans la pratique des États d'Afrique noire francophone pour se rendre à l'évidence. Il en est ainsi du juge burkinabé qui a dû rendre une seconde décision de conformité d'un accord de financement entre l'État burkinabé et la Banque Islamique de Développement, alors que dans une première décision, il avait estimé que la soumission dudit accord au principe de la Charia234 contrevenait au principe constitutionnel de la laïcité de l'État235. Incontestablement,

231 CHEVALLIER Jacques, « Le juge constitutionnel et l'effet Becket », in renouveau du droit constitutionnel, Mélange en l'honneur de FAVOREU Louis, Paris, Dalloz, 2007, pp. 83-89, cité par DIALLO Ibrahima, « La légitimité du juge constitutionnel africain », op. cit., p. 21.

232 ROUSSEAU Dominique, Droit du contentieux constitutionnel, Paris, 8ème édition, Montchrestien, 2008, p. 37.

233 DIALLO Ibrahima, « La légitimité du juge constitutionnel africain », op. cit., p. 21.

234 La loi islamique.

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l'exigence formelle d'un juge constitutionnel « apolitique » échoue d'ailleurs et la politisation demeure une réalité. Or, le rôle de légitimation démocratique est reconnu au juge constitutionnel. Ce rôle de légitimation démocratique est source des crises profondes remettant ainsi en cause l'État de droit et la démocratie.

En fait, l'indépendance du juge constitutionnel dépend en pratique de l'environnement juridico-politique dans lequel il se déploie. En effet, si dans certains pays notamment les pays où le niveau de culture juridique et démocratique est élevé, la tâche du juge est relativement aisée, il en va différemment dans d'autres pays où les décisions audacieuses des juridictions constitutionnelles peuvent avoir pour conséquences la suppression pure et simple de ces juridictions236 ou la tentative des pouvoirs publics d'invalider ces décisions237. Alors, le Président de la République en procédant discrétionnairement à la nomination des conseillers constitutionnels va certainement, comme les français le disaient du Président de la Vème République française, exercer « une magistrature d'influence » en privilégiant ses amis politiques238. Cette prérogative est plus ou moins critiquable en comparaison avec d'autres institutions des pays souvent cités comme modèle de démocratie.

Pour une juridiction constitutionnelle véritablement indépendante, il est important de revoir le mode de nomination des juges constitutionnels. Il faudra rechercher un mode idéal239 qui fera écarter toute soupçon d'obédience politique dans la désignation des membres de la Chambre. Il s'agit pour la classe politique de s'assurer de la haute qualité morale des futurs membres et surtout le changement du système de nomination destiné à garantir leur totale indépendance et la dignité de leurs fonctions. Dans une démocratie juvénile, dotée de justice constitutionnelle, peu expérimentée et moins prouvée par le temps, avec la mission combien importante que la juridiction constitutionnelle est appelée à accomplir dans son travail de

235 Décision n°2003/CC/JB du 23 décembre 2003 aux fins de contrôle de conformité à la Constitution du 2 juin 1991 de l'accord de prêt conclu à Kuala Lumpur, le 17 octobre 2003 entre le Gouvernement du Burkina Faso et la Banque Islamique de Développement pour le financement partiel du projet de construction de la route Kaya-Dori.

236 C'est le cas de la dissolution, par le Président de la République, de la Cour Constitutionnelle nigérienne en 2009, pour avoir donné un avis contraire au projet présidentiel de révision et le déclarer contraire à la Constitution. Voir CC du Niger, avis n°2/CC du 25 mai 2009 et arrêt n°04/CC/ME du 12 juin 2009.

237 Communication du Conseil Constitutionnel du Burkina Faso à l'occasion du deuxième congrès de la conférence mondiale sur la justice constitutionnelle, organisée par la cour suprême fédérale du Brésil et la commission de Venise du conseil de l'Europe à Rio de Janeiro du 16-18 janvier 2011.

238 MAMADOU Gueye, Le Conseil Constitutionnel sénégalais et la vie politique, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta DIOP, 2011, p. 267.

239 L'idéal voulu pour une indépendance certaine peut être illustré par le mode de nomination des juges constitutionnels du Niger. Ces juges sont désignés suivant un procédé mixte qui allie la nomination et les élections, les organes politiques et les organes corporatifs (article 121 de la Constitution de 2010). C'est le même système à Madagascar (article 114 de la Constitution). On peut s'en féliciter de la nomination du Président de la Cour Constitutionnelle malienne par ses pairs (article 92 de la Constitution malienne).

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protection des droits fondamentaux, la désignation exclusive des membres par le Chef de l'État et le Président de l'AN est révélatrice d'un péril certain.

En dehors de la nomination politique des juges constitutionnels, il y a également leur statut qui est contestable quant à la garantie d'indépendance.

B - Le statut contestable des juges constitutionnels

Dans tous les pays, il y a un minimum de règles destinées à assurer aux juges constitutionnels une indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Ces règles sont relatives à la durée du mandat, l'inamovibilité des fonctions et la révocabilité. Toute ces règles sont organisées par la Constitution ou une loi organique.

Au Tchad, l'article 158 alinéa 6 de la Constitution dispose que « les membres de la Cour Suprême sont désignés pour un mandat de sept (7) ans renouvelable ». En effet, malgré cette affirmation, l'effectivité de l'indépendance et de l'impartialité du juge constitutionnel peut toujours être douteuse au regard notamment de la durée de son mandat associée à son caractère renouvelable. On peut penser que les juges désignés, dans l'espoir de rechercher à renouveler leur mandat, seront tentés d'adopter des comportements partisans vis-à-vis du pouvoir politique. Ainsi, l'indépendance serait sans doute mieux garantie si le mandat des juges était non renouvelable quitte à ce qu'il soit plus long240. De plus, la meilleure protection du juge constitutionnel à l'égard du pouvoir politique résulterait d'une garantie d'irrévocabilité doublant la garantie d'inamovibilité241. Ainsi, l'irrévocabilité de la juridiction constitutionnelle dans son ensemble comme dans ses composantes individuelles serait

opposable aux pouvoirs
publics, en l'occurrence aux autorités de nomination242. L'inamovibilité ne constituerait pas une garantie d'indépendance du juge constitutionnel.

240 C'est notamment le cas du mandat des membres de la cour de justice internationale qui est de neuf (9) ans non renouvelable. C'est en ce sens également qu'il avait été proposé, en droit communautaire européen, d'allonger la durée du mandat des membres de la cour pour une période de douze (12) ans non renouvelable.

241 AIVO Joël, Le juge constitutionnel et l'État de droit en Afrique. L'exemple du modèle béninois, Paris, l'Harmattan, 2006, p. 143 et ss.

242 La force et la pertinence de cette argumentation résident dans la différence conceptuelle entre l'irrévocabilité et l'inamovibilité. La première signifie que le juge constitutionnel ne peut faire l'objet d'une interruption de ses fonctions en cours de mandat et la seconde signifie qu'il ne peut faire l'objet de mutation à d'autres fonctions ou responsabilités en cours de mandat. Ces deux notions se recoupent mais ne se confondent pas. Voir CHEVALLIER Jacques, « Le juge constitutionnel et l'effet Becket », in renouveau du droit constitutionnel, Mélange en l'honneur de FAVOREU Louis, op. cit., pp. 83-94.

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La question de la révocabilité des juges constitutionnels est loin d'être claire qu'elle y paraît. Sont-ils révocables ? Et si oui, par qui ? le constituant a évoqué l'inamovibilité243 mais c'est simplement que l'on présume qu'ils sont irrévocables pendant l'exercice de leur mandat. Comme en France244, au Tchad, aucun article de la Constitution et de l'ordonnance portant attribution, organisation, fonctionnement et règles de procédure devant la Cour Suprême ne prévoit l'irrévocabilité des juges constitutionnels. C'est au regard des pratiques constitutionnelles dans certains pays d'Afrique noire francophone, notamment le Cameroun245 qu'on déduit l'irrévocabilité des juges constitutionnels tchadiens.

Au regard de tout ceci, le mandat long et non renouvelable est envisageable pour une bonne justice constitutionnelle dans un pays comme le Tchad. Le mandat long et non renouvelable est un élément essentiel pour deux raisons : d'abord elle permet aux juges constitutionnels de travailler sereinement dans la durée et ainsi de forger des techniques de travail acceptables par tous. Enfin, elle permet aux juges d'être à l'abri des invectives du responsable ou du camp politique auquel ils doivent leurs nominations. Le fait que le mandat soit non renouvelable est indispensable pour que les juges ne cherchent pas à plaire à ceux qui les ont désignés. Ce non renouvèlement du mandat se présente comme un gage d'indépendance par rapport à l'autorité de nomination. Le Professeur KAMTO notait en ce sens, à propos d'une organisation, que « la non rééligibilité des juges devrait conforter leur indépendance dans la mesure où elle les libère des contraintes voire des compromissions qu'aurait pu dicter à un juge en fin de mandat une campagne pour sa réélection »246.

Si le juge constitutionnel tchadien est limité dans son rôle de garantie des droits fondamentaux, les autres juges ne sont pas du reste.

SECTION 2 : LES MENACES PORTÉES A L'INDÉPENDANCE DES AUTRES JUGES DANS LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX

243 Article 159 de la Constitution : « les membres de la Cour Suprême sont inamovible pendant leur mandat ».

244 En France, aucun article de la loi organique sur le Conseil Constitutionnel ni le texte même de la Constitution ne prévoit, l'irrévocabilité, seule l'absence de désignation d'une autorité compétente pour révoquer un conseiller constitutionnel, permet de dire qu'ils sont révocables. Cette présomption en France n'a jamais été violée, parce que la France est une vieille démocratie où la culture des contres pouvoirs est admise même si la légitimité du CC a été parfois remise en cause. Voir MANANGOU, Les évolutions récentes du constitutionnalisme en RDC, Mémoire de master, Université de Cergy-Pontoise, 2009, p. 197.

245 Article 9 de la loi n°2004/005 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du CC au Cameroun dispose que : « les membres du Conseil Constitutionnel sont inamovibles ; leur mandat ne peut être ni révoqué, ni renouvelé »

246 KAMTO Maurice, « Les cours de justice des communautés et des organisations d'intégration africaines », AADI, vol. 6, 1998, p. 112.

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L'indépendance de la justice sous-tend l'État de droit et elle est indispensable au fonctionnement de la démocratie et au respect des droits de l'homme. Condition sine qua non dans l'État de droit, l'indépendance de la justice dépend d'une combinaison de plusieurs conditions, c'est-à-dire l'organisation et le fonctionnement de la justice, du statut, des attributions et des moyens des juges. Ces attributs permettraient aux juges, pièce centrale de l'appareil judiciaire, d'être à la fois le protecteur naturel des libertés individuelles contre les atteintes émanant notamment des pouvoirs publics. Cet appareil judiciaire est un acteur du processus de démocratisation par une correcte application du droit, en dehors de toute pression ou autres contraintes extérieurs247.

Bien que les textes proclament, dans une certaine mesure, l'indépendance de la justice, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. L'ineffectivité de l'indépendance des juges apparait grande dans un pays où les droits et libertés fondamentaux des citoyens sont bafoués au quotidien par les pouvoirs publics. Cette situation rend la justice inefficace, et les raisons de cette inefficacité sont multiples. Elles se résument cependant aux restrictions qui relèvent des règles statutaires (paragraphe 1) et des diverses menaces à l'impartialité des juges (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les restrictions relevant directement des règles statutaires

Les menaces qui pourraient porter atteinte à l'indépendance des juges sont celles qui proviendraient du statut qui organise sa carrière. Ce statut est organisé par la loi fondamentale qui est la Constitution. Ainsi, l'article 146 de la Constitution dispose que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ». Certes, il y a une formulation claire de l'indépendance de l'appareil judiciaire au Tchad, mais l'analyse de certaines dispositions de cette même Constitution corrobore l'idée selon laquelle le juge n'est pas totalement indépendant dans l'exercice de ses fonctions. Il apparait donc que les magistrats n'échappent à l'emprise directe ou indirecte des autorités. Le juge est sous le contrôle du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) présidé par le Chef de l'État. Il importe alors d'analyser le Conseil supérieur de la magistrature et l'indépendance des juges (A) et les restrictions au principe d'inamovibilité (B).

247 BADARA FALL Alioune, « Les menaces internes à l'indépendance de la justice », In les défis des droits fondamentaux, Dakar,2007, p. 5.

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A - Le Conseil Supérieur de la Magistrature et l'indépendance des juges

Dans plusieurs pays, il existe un Conseil Supérieur de la Magistrature qui vient assister le Président de la République garant de l'indépendance de la justice248. Le Tchad n'est pas en marge de ce principe. En effet, l'article 150 de la Constitution dispose que « le Président de la République est le garant de l'indépendance de la magistrature. Il veille à l'exécution des lois et des décisions de justice. Il est assisté par le Conseil Supérieur de la Magistrature ». Ce Conseil n'a pas toujours fait l'objet des commentaires élogieux. Les magistrats ne cessent de dénoncer les dysfonctionnements, tant au sujet des nominations qu'au niveau des sanctions prises à leur encontre dans le cadre de la procédure disciplinaire.

C'est dans ce sens que le Syndicat des Magistrats du Tchad (SMT) a exprimé son mécontentement à travers un communiqué n°029/SMT/SG/19 de décembre 2019, dénonçant, les immixtions dans le cours normal de la justice. Selon le SMT, « ces ingérences se caractérisent par des interpellations intempestives des juges, les poursuites sélectives des magistrats devant le conseil de discipline, les détentions arbitraires et les libérations illégales dont les deux derniers cas249 relèvent purement et simplement de l'arbitraire et porte gravement atteinte au principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi ».

L'autre cas d'immixtion des autorités dans la justice est récent. Á travers un communiqué n°032/SMT/2020, le SMT a dénoncé le comportement du Gouverneur de la province de Wadi-Fira relatif aux immixtions et intimidations dans le cours normal de la justice. Selon le communiqué, le SMT estime que « les propos tenus par le Gouverneur frisent le ridicule et sont constitutifs des faits d'outrage à magistrat, d'empiètement sur les fonctions judiciaires, des menaces et exposent les magistrats à toutes formes d'insécurité »250.

Le constat fait dans le passé concernant l'emprise du CSM reste le même aujourd'hui et les magistrats semblent encore être sous le contrôle de cet organe, hérité du système français, qui fait beaucoup de critiques et de réticences. Le CSM est suspecté souvent de

248 C'est le cas au Bénin, au Burkina-Faso, au Cameroun, en Egypte, en France, au Gabon, en Guinée, à Madagascar, au Mali, au Niger et au Niger ou encore au Sénégal

249 Il s'agit d'un scandale qui s'est déroulé le 09 octobre 2019 au palais de justice de Ndjamena. Le journal en ligne www.tchadtribune.com aurait rapporté qu'en ce jour, un général de l'armée aurait été condamné sur siège pour avoir menacé une tenancière d'un hôtel de la place, chinoise de nationalité, au moyen d'une arme à feu et de guerre. Grâce à la caméra de surveillance, cette menace a été filmée et versée au dossier. Déféré au parquet, un mandat de dépôt a été décerné à son encontre. Curieusement, le dossier se retrouve en citation directe et le général a comparu libre ce jour 09 octobre. Et il a été condamné à deux ans de prison ferme. Aussitôt condamné, le général aurait été libéré sur instruction du Ministre de la justice.

250 Communiqué de presse du Bureau exécutif du Syndicat des Magistrats du Tchad suite aux correspondances n°002/MJCH/CS/CAA/TGI/PR-GUE/2020 et n°004/MJCH/CS/CAA/TGI/PR-GUE/2020 des chefs de juridiction de Guereda.

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connivence avec le pouvoir en place et ne dispose, le plus souvent, d'aucune crédibilité, aussi bien au sein de la magistrature elle-même qu'auprès de population, de plus en plus attentive aux décisions rendues par la justice de leur pays251. En plus, le CSM dont la mission essentielle et première est d'assurer le bon fonctionnement du service public de la justice et la garantie de l'indépendance des magistrats, est présidé par le Président de la République252.

En conséquence, le magistrat tchadien se trouve ainsi dans une situation de dépendance vis-à-vis de cette haute autorité. En présence du Président de la République et du Ministre de la justice en tant que vice-président253, le CSM semble gardé toute son influence sur le corps judiciaire. Il en est de même pour certains pays où cet organe a fait l'objet des réformes importantes destinées à atténuer la présence excessive des autorités de l'État dans ce Conseil. En effet, le Conseil de la Magistrature au Togo est désormais présidé par le Président de la Cour Suprême ; au Mali, c'est aussi le Président de la Cour suprême qui préside le Conseil lorsque la poursuite concerne un magistrat du siège, et par le Procureur général près la Cour Suprême s'il s'agit d'une incrimination dirigée contre un magistrat du parquet254.

Il faut dire que ces modifications sont mineures et ne semblent pas affecter de manière décisive l'influence directe ou indirecte du pouvoir politique sur le fonctionnement de la justice, l'indépendance ou la carrière des magistrats à travers le Conseil de la magistrature. Des réformes sont envisageables dans ce pays pour que le fonctionnement de cet organe fasse l'objet de modifications susceptibles d'introduire suffisamment de transparence dans la gestion de la carrière des magistrats.

L'indépendance des magistrats n'est pas affectée seulement par la prééminence du CSM mais aussi par la restriction au principe de l'inamovibilité.

B - Les restrictions au principe de l'inamovibilité

En Afrique de manière générale, la réalité que traduisent les Conseils de la Magistrature dans leur composition comme dans leur fonctionnement, ne favorise pas les principes d'indépendance et d'inamovibilité255 solennellement inscrits dans les textes. L'inamovibilité des magistrats constitue l'un des éléments d'une garantie de la bonne

251 BADARA FALL Alioune, « Les menaces internes à l'indépendance de la justice », op. cit., p.14.

252 Article 151 alinéa 1 de la Constitution, « le Président de la République préside le Conseil supérieur de la Magistrature ».

253 Article 151 alinéa 2 de la Constitution.

254 Voir BADARA FALL Alioune, « Les menaces internes à l'indépendance de la justice », op. cit., p.15.

255 Article 159 de la Constitution, « les membres de la Cour Suprême sont inamovibles durant leur mandat ».

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administration de justice, et plus particulièrement une garantie de l'indépendance des juges à l'égard du pouvoir central. En vertu de cette garantie d'inamovibilité, un juge ne peut être affecté à un poste sans son consentement. Dire d'un juge qu'il est inamovible signifie qu'il ne peut faire l'objet d'une mesure individuelle quelconque prise à son encontre par le Gouvernement (révocation, suspension, déplacement, mise à la retraite prématurée), en dehors des conditions prévues par la loi. Cependant, ils peuvent faire l'objet d'un déplacement suite à une sanction ou pour nécessité de service. C'est à cette occasion qu'autant des atteintes sont portées à ce principe.

L'article 154 de la Constitution dispose que : « la discipline et la responsabilité des magistrats relèvent du Conseil Supérieur de la Magistrature ». Ainsi, se fondant sur la nécessité du service et la sanction, le CSM, dirigé par le Président et le Ministre de la justice, pourrait facilement exploiter cette brèche pour déplacer les juges dans n'importe quel lieu et sans son consentement et sans que cela soit commandé par les nécessités du service. Ces atteintes au principe d'indépendance et d'inamovibilité sont souvent dénoncées par les magistrats tant au niveau de nomination qu'au niveau des sanctions prises à l'encontre des juges, notamment dans le cadre de la procédure disciplinaire.

De ce fait, il est souhaitable que le législateur procède à des réformes textuelles substantielles, pour que les magistrats soient à l'abri des influences de l'Exécutif. Ces réformes s'imposent, d'autant plus qu'à cette violation chronique du principe d'indépendance de la justice et de celui de la séparation des pouvoirs, s'ajoute une ingérence aussi néfaste que réelle du pouvoir politique dans l'exercice de la justice et largement dénoncée et contestée. Il existe des atténuations légales, certes, au principe du consentement des juges en ce qui concerne les mutations lorsque ceux-ci sont affectés pour des nécessité du service. Pour éviter un usage abusif de nécessité de service, ces mesures qui constituent toujours des exceptions au principe d'inamovibilité, devaient être assujetties au contrôle, ou au moins à l'approbation préalable d'un organe indépendant. Quelle que soit son appellation, il importe que cet organe soit réellement indépendant du pouvoir exécutif.

A côté des restrictions relevant directement des règles statutaires il y a également l'impartialité du juge qui est menacée.

Paragraphe 2 : L'impartialité menacée du juge

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L'indépendance et l'impartialité sont des valeurs séparées, mais elles sont étroitement liées256. L'indépendance des juges et des tribunaux renvoie à l'absence de lien de soumission envers le législateur et le Gouvernement dans l'exercice de la fonction judiciaire. L'impartialité quant à elle, renvoie à un état d'esprit ou une attitude du juge faisant abstraction de toute autre considération que celle d'appliquer aux faits la règle de droit pertinente. Cette impartialité est organisée par un texte257.

Ce sont des facteurs objectifs qui créent l'indépendance des juges et des tribunaux, mais cette indépendance n'a de valeur que parce qu'elle établit certaines des conditions nécessaires pour assurer l'impartialité des décisions de justice en éliminant les possibilités d'ingérence du Législatif et de l'Exécutif. Mais elle ne suffit pas à elle seule à écarter toutes les interventions externes susceptibles de compromettre l'impartialité du juge dans une affaire précise, ou encore l'apparence d'impartialité de la juridiction au sein de laquelle il exerce sa fonction. Les circonstances susceptibles de compromettre l'impartialité des juges sont les pesanteurs hiérarchiques (A), la nomination et le renouvellement du mandat (B) font parties également des obstacles.

A - Les pesanteurs hiérarchiques

Le Professeur BADARA FALL Alioune affirmait qu'« Il peut paraitre curieux et même paradoxal d'évoquer la notion de hiérarchie en matière de justice dès lors qu'elle implique une idée de subordination qu'il est difficile de concevoir dans ce domaine. Il faut cependant accepter l'idée que la justice, en tant que service public, est également concernée par la hiérarchie »258. Ainsi, l'organisation hiérarchique permet non seulement de structurer le corps judiciaire, mais elle protège le citoyen contre l'arbitraire grâce au recours qu'il pourra éventuellement exercer lorsqu'il fait l'objet d'une décision de justice qui ne lui donne pas satisfaction.

Ce principe de la hiérarchie touche à la fois les magistrats (qui forment ainsi un corps hiérarchisé) et les juridictions ; il permet de situer les responsabilités et donne une certaine cohésion au corps judiciaire. En matière de justice toutefois, cette hiérarchie est particulière et n'entraîne pas une dépendance du juge à l'égard de ses supérieurs ou de sa juridiction

256 DUPLE Nicole, « Les menaces externes à l'indépendance de la justice », in L'indépendance de la justice, 2007, Dakar, p.11.

257 Article 4 de la loi n°11/PR/2013 du 7 juin 2013 portant Code de l'organisation judiciaire au Tchad « l'impartialité des juges est garantie par les dispositions du présent code ainsi que par les règles d'incompatibilité fixées par le statut de la magistrature »

258 BADARA FALL Alioune, « Les menaces internes à l'indépendance de la justice », op. cit., p.12.

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lorsqu'il s'agit des juges du siège. Tel n'est pas le cas pour les magistrats du parquet qui obéissent à d'autres règles à ce sujet.

La hiérarchie au sein des juridictions ne soulève pas de problèmes particuliers. La meilleure justice est celle permettant au requérant qui n'est pas satisfait de la décision rendue par la première juridiction, de saisir la juridiction hiérarchiquement supérieure. Et si celle-ci devait rendre une décision contraire, cela ne constituerait pas une atteinte à l'autonomie de la décision de la juridiction inférieure dès lors que chaque juridiction est libre de statuer comme elle l'entend et quelle que soit sa place dans la hiérarchie259.

En revanche, la hiérarchie entre les personnes crée des rapports plus complexes et soulève plus de questions quant à l'indépendance du magistrat. D'abord, ce pouvoir hiérarchique ne concerne nullement la prise de décision ; celle-ci relève de la seule conscience de chaque juge qui n'a de compte à rendre ni à son chef de juridiction, ni à qui ce soit. Cela dit, les chefs de juridictions sont investis de pouvoirs administratifs qui peuvent constituer des menaces à l'indépendance du juge s'ils ne sont pas limités aux nécessités du service. Il leur revient en effet le pouvoir de réglementer l'organisation des audiences, de pourvoir aux affectations et d'évaluer l'activité professionnelle de magistrats placés sous leur autorité (élément important pour leur avancement). Même si des garanties entourent ces pouvoirs pour éviter tout arbitraire de leur part, le juge n'est pas à l'abri de pressions ou de sanctions de la part de ses supérieurs hiérarchiques, si les rapports qui les lient dans le service ne sont pas d'une parfaite sérénité.

Ces pesanteurs hiérarchiques ne favorisent pas l'épanouissement du juge dans l'exercice de sa mission qui est celle de garant des libertés individuelles. Il faudra repenser au fonctionnement de la justice de telle manière que l'impartialité du juge ne soit pas compromise par les pesanteurs hiérarchiques. Si ces dernières compromettent l'impartialité du juge, il n'en demeure pas moins en ce qui concerne la nomination et le renouvellement de mandat.

B - La nomination et le renouvellement du mandat

La nomination et le renouvellement du mandat des juges apparaissent souvent comme des situations qui pourront porter atteinte au principe de l'impartialité des juges. Comme partout ailleurs, les juges tchadiens ne sont pas à l'abri de ces situations. C'est la Constitution tchadienne qui consacre le mécanisme de nomination des juges à la Cour Suprême. Mais ce

259 Ibidem.

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mécanisme de nomination n'augure pas assez l'impartialité du juge dans l'exercice de ses fonctions. Le principe de nomination des juges interpelle des principes juridiques fondamentaux : l'indépendance judiciaire, l'impartialité des juges, la démocratie voire la transparence.

Au niveau de la Cour Suprême, le pouvoir de nomination des juges est partagé entre deux (2) autorités politiques que sont le Président de la République et le Président de l'AN260. Ce mécanisme de nomination, bien que constitutionnellement consacré, parait peu efficace pour permettre aux juges d'exercer leurs missions en toute liberté. Dans une telle hypothèse, la liberté de choix de l'autorité de nomination, bien que restreinte, est néanmoins certaine, et on peut craindre que la personne nommée se sente redevable envers l'autorité qui l'a choisie.

En ce qui concerne les autres juges, c'est le CSM et le Président de la République qui détiennent le pouvoir de nomination. L'article 153 de la Constitution dispose que : « les magistrats sont nommés par décret du Président de la République après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ils sont révoqués dans les mêmes conditions ». En effet, le processus de nomination des juges n'est pas susceptible de faire naître de soupçon raisonnable quant à l'indépendance d'esprit de ceux-ci. Les juges se sentiront redevables envers l'autorité de nomination. Même s'il convient de souligner que le Président doit recueillir l'avis du CSM, il faut dire cependant que le CSM est présidé par le Président lui-même et le Ministre de la justice est en le premier vice-président. Cette position ne semble pas empêcher le Président de choisir qui il veut.

Pour ne pas dégrader l'image de la justice, il importe que ceux qui sont nommés selon un processus susceptible de compromettre leur impartialité apparente, leur indépendance puisse se vérifier en ce qui concerne le déroulement de leur carrière; ils doivent être à l'abri des décisions arbitraires qui pourraient leur être imposées pour sanctionner une trop grande indépendance d'esprit ou le manque de soumission envers l'Exécutif dont ils auraient fait preuve dans une affaire donnée ou dans plusieurs261.

L'impartialité du magistrat peut être mise en doute en raison des caractéristiques des avancements262 et du renouvellement de mandat263 à durée limitée. La participation du pouvoir exécutif dans ce processus peut amener les justiciables à douter de l'indépendance

260 Article 158 de la Constitution.

261 DUPLE Nicole, « Les menaces externes à l'indépendance de la justice », op. cit., p.12.

262 Article 152 de la constitution « le Conseil Supérieur de la Magistrature propose les nominations et les avancements des magistrats ».

263 Article 158 alinéa 4 de la Constitution.

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d'esprit du juge qui espère le renouvellement de son mandat. Alors, il faudra que le mandat des juges soit long et non renouvelable pour leur permettre de travailler en toute impartialité.

Conclusion du chapitre 1

De tout ce qui précède, il apparait que le juge occupe une place centrale dans le système juridique et politique. Cela ne veut certainement pas dire que le juge est un « acteur » devant intervenir dans l'arène politique au même titre que les pouvoirs Législatif et Exécutif ; loin de là. Sa fonction reste celle « de juger »264. Il n'en demeure pas moins que tant pour l'instauration de l'État de droit que pour le respect des droits et libertés individuels, les populations attendent du juge qu'il remplisse son rôle, c'est-à-dire faire respecter la loi et s'assurer que les principes démocratiques comme les droits de l'homme ne soient pas impunément bafoués. Bien évidemment, sans une réelle indépendance, dans le cadre d'une séparation des pouvoirs, garantie à la fois par des textes et confirmés dans la pratique, ce rôle du juge ne sera que théorique.

Il convient de souligner que l'État de droit et la démocratie constituent une quête permanente, et se présentent comme des défis quotidiens jamais définitivement acquis. Pour cela, de profondes mutations au sein de la justice nécessitent d'être entreprises et accompagnées, tout particulièrement par les autres acteurs constitutionnels et politiques (majorité et opposition, etc.).

264 La justice semble tout de même jouer aujourd'hui un rôle important de contre-pouvoir dans nos sociétés démocratiques contemporaines... (V. F. HOURQUEBIE, Sur l'émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème République, Bruylant, 2007, 277), cité par BANDARA FALL Alioune, « Les menaces internes à l'indépendance de la justice », op. cit., p.28.

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CHAPITRE 2 : LA PROTECTION LIMITÉE DES DROITS
FONDAMENTAUX AU TCHAD

Les droits fondamentaux constitutionnellement consacrés doivent faire l'objet d'une garantie. Cette garantie n'est pas seulement juridictionnelle mais aussi matérielle. Cependant, la mise en oeuvre de ces mécanismes de garantie est confrontée à certains obstacles qui continuent de persister. Les obstacles à la protection juridictionnelle persistants ont fait l'objet d'un développement dans le chapitre précédent, ceux de la protection non juridictionnelle et d'autres obstacles feront l'objet du développement dans ce chapitre.

L'effectivité de la protection en droit est à la fois formelle et matérielle265. Or, au regard de cette dernière considération et aux vues du dispositif non juridictionnel de protection des droits de l'homme et des libertés actuellement en vigueur au Tchad, il est très aisé de constater d'énormes difficultés entravant ladite protection au plan matériel, et ceci à toutes les fois que l'on s'attèle à apprécier les effets concrets ou l'efficacité des règles juridiques prévues à cet effet. La démocratie ne peut véritablement exister que si elle débouche sur la mise en oeuvre effective et efficace des droits et libertés fondamentaux de l'homme. C'est parce que ces derniers (droits et libertés fondamentaux) apparaissent comme un patrimoine commun de l'humanité qu'ils nécessitent une reconnaissance et des garanties de la part des États. C'est dans ce sens que certains organes ont été mis sur pieds pour jouer ce rôle et pallier aux insuffisances de la protection juridictionnelle. Il s'agit notamment de la CNDH.

Á côté des obstacles à la protection non juridictionnelle, il y a également d'autres obstacles visibles dans la Constitution qui concourent à l'amenuisement des efforts consentis dans la protection des droits fondamentaux. Ces obstacles s'analysent par les effets des circonstances exceptionnelles et la protection de certaines autorités publiques.

Ainsi, il convient de voir les limites à la protection non juridictionnelle des droits fondamentaux (section 1) avant de passer en revue les autres obstacles (section 2).

265 GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais », Village de la justice, 2019, p. 1.

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SECTION 2 : LES LIMITES Á LA PROTECTION NON
JURIDICTIONNELLE DES DROITS FONDAMENTAUX

La notion de protection des droits au plan opérationnel renvoie à l'effectivité et à l'efficacité de cette dernière. L'effectivité vise ce qui se réalise en fait pour être valable ou opposable aux sujets de droit, ce qui prévaut dans les faits et dont l'existence palpable justifie la connaissance ou l'opposabilité. Il s'agit d'un moyen de création de droit au profit des sujets de droit. Ainsi, à cette question, écrit AMSELEK Paul « l' étude de l'effectivité statuée par les normes juridiques interroge sur le contenu même d'une norme juridique, tandis que l'analyse de l'effectivité des règles de droit porte sur la question de leur stricte application par les organes chargés de les mettre en oeuvre au plan matériel » 266. Il s'agit de leur efficacité.

C'est dans la recherche de cette efficacité de protection des droits de l'homme que l'État tchadien va mettre sur pieds des nombreuses autres institutions et organismes non juridictionnels de protection, parmi lesquels la CNDH. Rappelons que la CNDH a vu le jour le 09 septembre 1994267 à la suite de la CNS. Quelques années plus tard, avec la révision constitutionnelle de 2005, elle a disparu. Conscient du rôle considérable que joue cet organe dans la consolidation de l'État de droit, le constituant de 2018 a constitutionalisé cet organe. C'est à l'issue de l'ordonnance n°024/PR/2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la CNDH que la commission a été mise sur pied.

Au regard de toutes ces considérations sus évoquées, il semble donc, en effet particulièrement logique sinon nécessaire que l'on s'attache à apprécier les effets concrets de la protection non juridictionnelle des droits de l'Homme et des libertés publiques en droit tchadien, au regard des règles juridiques prévues à cet effet. Il est à noter que la CNDH présente des limites constitutionnelles considérables dans la protection des droits fondamentaux. Il s'agit bien évidemment des limites institutionnelles (paragraphe 1) et les limites d'ordre juridique (paragraphe 2).

266 AMSELEK Paul, Cheminement de la philosophie du droit, cité par GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais », op. cit., p. 2.

267 Voir la loi n°03/PR/94 portant création de la CNDH.

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Paragraphe 1 : Les limites institutionnelles de la CNDH dans la protection
des droits fondamentaux

Consacrée par le titre IX de la Constitution, la CNDH est une institution administrative268 , indépendante et a pour mission269 de formuler des avis au Gouvernement sur les questions relatives aux droits de l'Homme, y compris la condition de la femme, les droits de l'enfant et des handicapés. Elle assiste le Gouvernement et les autres institutions nationales et internationales pour toutes les questions relatives aux droits de l'Homme au Tchad en conformité avec la charte des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales. La Commission est autonome quant aux choix des questions qu'elle examine par auto-saisine. Elle est entièrement libre de ses avis qu'elle transmet au Président de la République et dont elle assure la diffusion auprès de l'opinion publique270. Dans le cadre de la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la CNDH est chargée de recevoir les plaintes et ouvrir les enquêtes sur les cas de violation des droits de l'homme. Elle effectue des visites régulières, inopinées ou notifiées des établissements pénitentiaires et de tous les lieux de détention et de privation des libertés aux fins de prévenir la torture et toute violation des droits de l'homme271. Elle peut aussi saisir le Ministère Public ou ester en justice au nom des victimes sur les violations constatées.

Des manquements sont à recenser au niveau des règles juridiques relatives aux droits de l'Homme et des libertés au Tchad. Des obstacles sont relevés au niveau des mécanismes chargés d'assurer son implémentation et sa réalisation effective. La garantie non juridictionnelle des droits de l'Homme et des libertés au Tchad fait ainsi face à divers niveaux dans la pratique à des difficultés sérieuses mettant à mal la propension à réaliser efficacement ses missions visant à mieux promouvoir et protéger les droits de l'être humain. Le cadre institutionnel est relativement dépendant (A) et quasi inactif (B).

A - La relative indépendance institutionnelle de la CNDH

En principe, les organes de garantie non juridictionnelle des droits et libertés au regard du cadre juridique national et international, sont pour la plupart autonomes et indépendants272.

268 Article 171 de la Constitution.

269 Article 172 de la Constitution.

270 Article 173 de la Constitution.

271 Article 5 de l'ordonnance n°025/PR/2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale des Droits de l'Homme.

272 Article 2 de l'ordonnance n°024/PR/2018, « La CNDH est une autorité administrative indépendante de promotion et de protection des droits de de l'homme et des libertés fondamentales. Elle est dotée de la

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Dans le contexte tchadien, il s'agit toutefois d'une indépendance voilée, textuelle et de façade. Ces organes, dans la pratique et du point de vue institutionnel, ne semblent pas réellement refléter des organes de protection véritablement indépendants. L'une des limites à laquelle les institutions de protection non juridictionnelle font face principalement aujourd'hui est d'ordre statutaire.

Plus loin encore, le législateur met l'approvisionnement financier de ces institutions à la charge de l'État273. Leurs ressources financières proviennent des : dotation inscrites chaque année au budget de l'État ; appuis provenant des partenaires nationaux et internationaux ; dons et legs.

Cette approche législative tendant plus vers la soumission des membres de l'organe non juridictionnel de protection des droits et libertés au pouvoir exécutif va un tout petit peu en contradiction mais légère et pas des moindres, avec les règles internationales en la matière. Il y a d'abord les Principes de Paris274. Ceux-ci mettent un accent sur la nécessité de la neutralité des institutions nationales des droits de l'Homme. Ensuite, la Déclaration des Nations Unies du 9 décembre 1998 en son article 14 alinéa 3, met également à la charge de l'État, la responsabilité et l'obligation d'appuyer le développement des institutions nationales indépendantes, visant à assurer la promotion et la protection des droits et libertés fondamentaux sur leurs territoires.

L'indépendance des institutions non juridictionnelles est donc, une exigence sur laquelle insistent les textes internationaux protégeant les droits de l'homme. Une exigence à laquelle l'architecture institutionnelle de protection non juridictionnelle telle qu'aménagée législativement au Tchad, ne souscrit pas véritablement. Même si en matière de désignation des membres de la CNDH le pouvoir de nommer est partagé entre un représentant de l'AN, un magistrat de la Cour Suprême, un membre de la Haute Autorité des Médias et de l'Audiovisuel (HAMA) et un membre du Haut Conseil des Collectivités Autonomes et des Chefferies Traditionnelles (HCCACT)275, il faut dire qu'il existe toujours de doute sur l'indépendance réelle de l'organe.

Au regard de tout ce qui précède, l'on se rend bien compte que l'État a ainsi la pleine maîtrise des moyens d'action, et partant, de l'indépendance de cet organe. Cette maîtrise des

personnalité morale et jouit de l'autonomie financière. Tous les services de l'Etat doivent lui accorder l'assistance nécessaire dans l'accomplissement de sa mission ».

273 Article 34 de l'ordonnance n°024/PR/2018.

274 Voir GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais », op. cit., p. 4.

275 Article 14 alinéa 3 de l'ordonnance n°024/PR/2018.

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moyens d'action par l'État rend la CNDH non active et non matériellement active dans la protection des libertés.

B - La quasi inactivité de la CNDH

Un organe de protection des droits des citoyens doit être en principe actif et prompt. Au

Tchad, c'est tout à fait le contraire. L'organe non juridictionnel de protection des droits fondamentaux au Tchad est presque inactif, parce qu'il n'est pas véritablement autonome et indépendant. Ses agissements sont parfois orientés. Or la présence de la CNDH dans l'espace public devrait la rendre accessible. L'accessibilité regroupe non seulement la connaissance de l'institution (rapport avec les médias pour la diffusion des activités) mais également l'accessibilité matérielle, c'est à dire les promptes réactions lorsqu'il faille garantir un droit quelque part sur l'étendue du territoire. Il faut noter aussi que la CNDH a son siège seulement à N'Djamena276 et pourtant, il y a des graves violations des droits de l'Homme dans les zones reculées du pays qui nécessiteraient absolument l'intervention de celle-ci.

En effet, comme tous les autres organismes privés offrant des services, les institutions non juridictionnelles efficaces devaient se faire connaitre aux citoyens, car leur accès ne peut être possible que si les populations dans leur généralité connaissent leur existence et leurs fonctions. Mais force est de constater que la grande majorité des tchadiens ne connait pas l'existence de la CNDH et on déduit ipso facto qu'elle ne connait pas également les fonctions de cet organe. Bien que l'ordonnance n°024/PR/2018 précise dans son article 6 alinéa 1 que « dans le cadre de la promotion des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la CNDH est chargée d'assurer sur l'étendue du territoire national, la promotion des droits de l'homme en général avec un accent particulier sur les droits de la femme, de l'enfant, des personnes en situation de handicap, des personnes vivants avec le VIH, ainsi que toutes autres personnes vulnérables à travers notamment l'information, l'éducation et la communication ». De cette formulation, la Commission est appelée à porter ses actions sur toute l'étendue nationale tchadienne mais la pratique parait montrer le contraire.

Les informations publiques relatives à ces organes et à leurs méthodes de travail ne sont même pas parfois accessibles à tous, sous forme écrite et orale dans les différentes langues officielles du pays. Toujours dans ce sens, on note également un faible taux de

276 Article 3 de l'ordonnance n°024/PR/2018, « le siège de la CNDH est fixé à N'Djamena. Toutefois, si les circonstances l'exigent, il peut être transféré en tout autre lieu du territoire national sur décision des deux tiers (2/3) de ses membres ».

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fréquentation des médias par ces institutions, or cela est également essentiel, car les moyens de communication des masses sont devenus aujourd'hui le vecteur dominant du processus de formation des idées et d'expression des opinions libres. A cet égard, étant donné que les médias jouent un rôle plus important dans la formation et l'expression de l'opinion publique, ils peuvent être des partenaires privilégiés extrêmement précieux pour l'institution à laquelle il revient d'assurer la sensibilisation aux droits de l'homme.

A côté de cela, il y a également le manque de ressources humaines conséquentes pour permettre à la CNDH de mener efficacement ses actions de prévention et de protection des droits fondamentaux. La Commission est composée de onze (11) membres, dont au moins quatre (4) femmes277. Ces onze (11) personnes ne peuvent pas répondre au besoin pressant de la population en matière de protection des droits de l'homme. De plus, il faut également affirmer sans risque de se tromper qu'en plus de ce besoin pressant et visible en ressources humaines, le personnel déjà déployé fait face à d'importantes et énormes carences en matériel et à des défis logistiques considérables.

Les difficultés d'ordre juridique quant à elles ne cessent à leur tour d'empêcher les membres de cette institution de jouer pleinement leur rôle de protection des droits de la personne humaine.

Paragraphe 2 : Les limites d'ordre juridique de la protection non
juridictionnelle des droits fondamentaux

La limitation de la protection des droits par les institutions non juridictionnelles peut aussi découler du fait que ces institutions ne jouissent pas d'un réel pouvoir de sanctions des violations des droits de l'homme. Cette limitation peut être également le fait de la théorie des circonstances exceptionnelles. Ces limites s'analysent à travers le caractère non contraignant des décisions de la CNDH (A) et l'efficacité relative de la CNDH en période de crise (B). Ces obstacles juridiques peuvent impacter négativement la garantie effective des droits de l'homme et des libertés par l'institution non juridictionnelle.

A - Le caractère non contraignant des décisions de la CNDH

Les moyens et les décisions par lesquels la CNDH s'exprime sont souvent variés et peu efficaces. Or, le respect d'une sentence ou décision dépend de la force juridique qui lui est attachée. Au Tchad, l'organe de protection non juridictionnelle est dépourvu d'un réel

277 Article 10 de l'ordonnance n°024/PR/2018.

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pouvoir de décisions faisant office de sanctions. L'article 7 alinéa 1 de l'ordonnance n°024/PR/2018 dispose que : « la CNDH est aussi chargée de formuler à titre consultatif au Gouvernement, à l'Assemblée Nationale et à tout autre organe, soit à la demande des autorités concernées, soit en usant de sa faculté d'auto-saisine, des avis, recommandations et propositions concernant les libertés fondamentales et les droits de l'homme ». Il ressort de cette disposition que les avis émis par la Commission ne sont pas contraignants et les autorités peuvent ou non les prendre en compte. Mais bien plus, la Commission peut saisir le Ministère Public des cas de violations des droits de l'homme et elle peut aussi ester en justice au nom des victimes sur les violations constatées et résoudre par la médiation278.

En effet, la CNDH dispose des pouvoirs les plus étendus sur toutes les questions relevant des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Á ce titre, elle reçoit les plaintes des victimes, de leurs ayants droits, des associations et d'organisations non gouvernementales des droits de l'homme et de toute personne physique ou morale. Elle reçoit également les dépositions des témoins et les déclaration des présumés auteurs279. De ce fait, l'absence de contrainte des décisions peut pousser les victimes de violations des droits de l'homme et des libertés à refuser de saisir cet organe à causes de ces faiblesses juridiques, parce que craignant la non-exécution de ses décisions.

Ces faibles moyens et pouvoirs des décisions et d'expression dont disposent cet organe de garantie non juridictionnelle des droits de l'homme et des libertés publiques au Tchad semblent à notre avis peu rentables, inefficaces et limités, étant donné qu'il n'est pas obligatoire et manque d'une réelle force juridique et sont même doublement limité en périodes exceptionnelles.

B - L'efficacité diminuée de la CNDH en période de crise

La limitation d'ordre juridique de la protection non juridictionnelle peut être également le fait des circonstances exceptionnelles. La théorie des circonstances exceptionnelles, qui consiste à admettre que dans certaines circonstances et conditions, de très graves urgences, politiques ou sociales, le pouvoir exécutif puisse s'affranchir du respect intégral et pointilleux de la loi dans sa généralité et des libertés fondamentales en particulier, afin de préserver les services publics et les intérêts supérieurs de l'État. Autrement dit, les circonstances exceptionnelles sont une condition mais aussi une excuse pour appliquer un

278 Article 5 de l'ordonnance n°024/PR/2018.

279 Article 38 de l'ordonnance précitée.

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régime de légalité constituant ainsi un obstacle à la garantie des droits et des libertés ; il s'agit ainsi d'une limitation du droit par le droit280.

La liberté « est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire tout ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir », c'est ainsi que Montesquieu définit la liberté et ses limites dans son célèbre ouvrage De l'esprit des lois281. L'affirmation de Montesquieu semble être un paradoxe à la première vue, mais elle apparait ensuite comme évidente. L'article 12 de la Constitution du 04 mai 2018 dispose que : « les libertés et les droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice garanti aux citoyens dans les conditions et les formes prévues par la Constitution et la loi ». Comme pour dire que les libertés fondamentales sont des situations garanties par le droit, et aux noms desquelles chacun est maître de soi-même et exerce comme il veut mais avec certaines limites. Une liberté, c'est en réalité l'exercice sans entrave de telle faculté ou activité garantie par le droit, telle que par exemple la liberté de la presse ou la liberté de circulation.

Mais, il est cependant des situations apportant certaines limites aux garanties de ces droits et libertés fondamentaux. Il s'agit des circonstances exceptionnelles qui sont cette fois posées à l'article 96 de la même Constitution, et aux noms desquelles l'État intervient pour fixer avec contraintes, des limites d'ordre juridique pour assurer l'ordre social. En période de circonstance exceptionnelle, tous les types de dérogations au principe de légalité en général et des violations des droits fondamentaux en particulier peuvent être autorisés. C'est ainsi que l'administration peut enfreindre les droits.

Dans des telles circonstances, les exigences des garanties de l'intérêt général et des libertés ne sont pas les mêmes qu'en période normale et entrainent forcement des perturbations

au niveau des droits et libertés des citoyens. Face à ces circonstances, les pouvoirs de la CNDH sont réduits car elle ne peut agir efficacement du simple fait qu'il s'agit, pour le Gouvernement, de répondre aux menaces dont le pays fait face.

La protection non juridictionnelle des droits fondamentaux au Tchad se trouve limitée. Mais il y a également certains obstacles qui viennent en limiter davantage cette protection.

280 GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais », op. cit., p. 8.

281 Montesquieu, De l'esprit des lois, cité par GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais », op. cit., p. 8.

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SECTION 2 : LES AUTRES OBSTACLES RELATIFS A LA
PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX

Les droits et libertés fondamentaux des citoyens sont en principe garantis par la Constitution. Ils ne doivent pas faire l'objet d'une restriction quelconque, sauf les cas de restriction prévus par la loi. C'est ainsi que le législateur a prévu certaines hypothèses où les libertés et les droits des citoyens sont rétrécis, mettant ainsi à mal la protection de ceux-ci. Cela entraine l'absence de justiciabilité des droits des citoyens.

Le Professeur BILONG Salomon soulignait que : « comment le droit peut-il s'épanouir si le juge est lésé dans sa matière même ? Si son domaine de compétence varie au gré des humeurs d'un autre pouvoir (pouvoir législatif) ? »282. Il est admis dans toutes les nations dotées d'un État moderne que « l'État de droit est celui dans lequel les citoyens peuvent déférer devant les tribunaux compétents les actes émanant du pouvoir exécutif et même dans une certaine mesure les lois, par le biais du recours pour excès de pouvoirs »283. Par conséquent, soustraire certains actes de tout contrôle par quelque juge que ce soit ne peut donc être qu'une mesure spéciale visant une catégorie d'actes clairement définie ou au besoin strictement limitée.

Et comme l'a écrit le Doyen FAVOREU Louis, « aucun acte de l'Exécutif ne peut logiquement se voir reconnaître le statut juridique d'acte incontestable, car quelle que soit l'activité qu'il exerce, l'exécutif est soumis à la loi, du moins à la Constitution »284. Ainsi, l'injusticiabilité de certains actes émanant de l'Exécutif trouve son origine dans l'idée que certains actes des autorités administratives sont pris non pas en vertu du pouvoir règlementaire, mais plutôt pour des raisons politiques; par conséquent, ils échappent à la connaissance de toute juridiction. L'immunité juridictionnelle dont bénéficient certains actes (paragraphe 1) apparait évidemment contraire au regard des principes de l'État de droit.

A côté de ces actes, il y a aussi certaines autorités qui sont protégées par la Constitution. Ces autorités bénéficient des immunités juridictionnelles (paragraphe 2).

282 BILONG Salomon, « Le déclin de l'État de droit au Cameroun : le développement des immunités juridictionnelles », Juridis périodique n°62, 2005, p. 56.

283 KAMTO Maurice, « Actes de gouvernement et droits de l'Homme au Cameroun », in Lex Lata, n°026, mai 1996, p. 9.

284 FAVOREU Louis, Du déni de justice en droit public, Paris, LGDJ, 1964, p. 169. Cité par FOPA TAPON Cyrille Arnaud, Les interventions du législateur dans le fonctionnement de la justice administrative au Cameroun, Mémoire de Master, Université de Dschang, 2012, p. 87.

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Paragraphe 1 : Les actes bénéficiant de l'immunité juridictionnelle

L'établissement d'un État de droit suppose que l'État soit soumis au droit. Cette soumission peut être réalisée s'il existe un juge compétent pour exercer le contrôle des actes de l'administration, contrôle fondé sur le droit. Mais certains actes demeurent immunisés du contrôle juridictionnel.

En effet, l'établissement d'un État de droit ne suppose pas seulement la soumission de l'État au droit mais aussi la protection des droits fondamentaux des citoyens. Cependant, la garantie de ces droits se trouve limitée lorsque certains actes, susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, ne sont pas susceptibles de recours devant le juge. Il s'agit de l'injuticiabilité des actes de gouvernement (A) et les actes administratifs (B).

A - L'injusticiabilité des actes de gouvernement

La qualification d'acte de gouvernement entraine l'exclusion du recours pour excès de pouvoir. Elle a donc une conséquence importante alors qu'il n'existe pas une définition générale et précise. Il faut cependant noter que l'acte de gouvernement est une « qualification à prétention explicative donnée à certains actes émanant d'autorités de l'État, dont les juridictions administratives que judiciaires se refusent à connaitre et qui en général, soit concernent les relations du Gouvernement et du Parlement, soit mettent directement en cause l'appréciation de la conduite des relations internationales par l'État »285. La genèse des actes de gouvernement trouve sa justification dans le fait que certains actes de l'administration, notamment ceux portant sur les relations entre le Gouvernement et le parlement, et ceux concernant la conduite des relations internationale par l'État, au regard de leur délicatesse, ne sauraient être justiciables devant le juge administratif ou judiciaire. Ces actes sont pris non en vertu du pouvoir règlementaire mais plutôt en vertu des pouvoirs de gouvernement286.

La notion d'acte de gouvernement existe depuis longtemps, même si cette terminologie n'est pas toujours employée. Déjà dans les années 1800, dans sa décision, le Conseil d'État français se fondait sur l'existence d'un « mobile politique »287 pour se déclarer incompétent pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir. Toutefois, l'intérêt politique

285 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, 25ème édition, 2018, p. 67.

286 BILONG Salomon, « Le déclin de l'État de droit au Cameroun : le développement des immunités juridictionnelles », op. cit., p. 52.

287 Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, CE, 19 février 1875, prince Napoléon.

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de l'acte, de même que le fait que l'acte ait été délibéré en Conseil des ministres, n'est pas suffisant pour qualifier d'un acte de gouvernement.

La jurisprudence française distingue deux catégories d'actes de gouvernement. La première catégorie d'actes comprend les actes de droit interne qui se rattachent aux rapports entres les pouvoirs publics constitutionnels, c'est-à-dire les actes relatifs aux rapport entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. C'est le cas par exemple, des décisions de mettre en oeuvre les pouvoirs de crise288 de l'article 16 de la Constitution française de 1958 et de l'article 96 de la Constitution tchadienne de 2018. La seconde catégorie d'actes de gouvernement correspond aux actes de conduite des relations internationales. Alors, la qualification d'acte de gouvernement exclut la possibilité d'avoir recours pour excès de pouvoir comme cela existe pour d'autres types d'actes administratifs.

Le recours pour excès de pouvoir est un recours objectif tendant à l'annulation d'un acte administratif. Ce recours est possible lorsque l'acte administratif porte grief aux droits consacrés. Le juge administratif ne peut connaître, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, que les actes administratifs faisant grief. Les actes de gouvernement sont aussi des actes qui font grief. Cela est en contrariété avec les principes d'État de droit, de légalité et de droit au recours. La Charte Africaine des Droits de l'Homme et de Peuple, dont le Tchad est partie, réaffirme le principe selon lequel toute personne dont les droits et libertés reconnus ont été violés, a le droit à l'octroi d'un recours devant une instance nationale, alors que la violation même aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions289.

Le refus d'un juge de connaitre d'un litige heurte frontalement le droit à un procès équitable290. Ce droit fondamental, exigence propre des démocraties et de l'État de droit, se trouve bafoué par le principe de l'injusticiabilité des actes de gouvernement. Celui-ci implique que soit assuré l'accès à un tribunal et respectés les droits de la défense291 dès lors qu'une sanction revêt le caractère d'une punition.

Il existe d'autres actes administratifs qui bénéficient des immunités de juridiction.

B - L'injusticiabilite des autres actes administratifs

288 Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, CE, Ass. 2 mars 1962, Rubin de Servin, 19ème édition, Dalloz, p. 536.

289 Article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP).

290 Article 13 de la Constitution.

291 Article 25 de la Constitution.

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Certains actes administratifs, de par leur nature, bénéficient des immunités juridictionnelles. D'abord, l'acte administratif est un acte qui, considéré sous l'angle de ses caractères propres du point de vue formel, est toute décision prise par une autorité administrative. Du point de vue matériel, est un acte visant un individu ou des individus identifiés ou identifiables292. Considéré sous l'angle de son régime juridique, l'acte administratif est tout acte relevant du droit administratif et de la compétence de la juridiction administrative, que cet acte soit unilatéral ou conventionnel, qu'il émane ou non d'une autorité administrative293. Il est à remarquer que d'après cette dernière définition, les actes administratifs sont des actes faisant grief, c'est-à-dire susceptibles d'être contestés devant le juge administratif, soit par un recours pour excès de pouvoir, soit par un recours de plein contentieux lorsque ceux-ci portent atteinte aux droits des individus. Mais force est de constater que certains de ces actes sont injusticiables.

L'étude de la jurisprudence administrative française révèle l'existence des nombreux actes administratifs insusceptibles de recours contentieux. Malgré leur extrême diversité, un nombre restreint des raisons communes explique leur inattaquabilité. Ces actes engendrent naturellement un défaut de protection juridictionnelle des administrés. Ils constituent une atteinte à leur droit au juge. Le juge administratif est donc tiraillé entre ces exigences contradictoires.

Il existe des actes pour lesquels le juge administratif se déclare incompétent pour connaître les litiges les concernant. Il s'agit des actes parlementaires par exemple. Les actes parlementaires sont ceux qui sont pris par les bureaux ou les présidents des assemblées parlementaires dans le cadre de la gestion interne de leur assemblée respective. Ils peuvent être les actes sanctionnant, suspendant, révoquant un agent de l'AN. Ces actes ne doivent être confondus ni avec les actes législatifs ni avec les actes de gouvernement. Ils ne constituent pas des actes législatifs puisqu'ils ne peuvent être rattachés à la conduite de la procédure d'adoption des lois. Ils ne constituent pas non plus des actes de gouvernement car ils sont purement internes aux assemblées alors que la catégorie évoquée tend plutôt à recenser les actes qui mettent en cause les relations entre les pouvoirs. En France, le Conseil d'État refuse de contrôler ces actes pour le motif que ces actes se situent en dehors du « domaine de l'appréciation des tribunaux »294.

292 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, op. cit.,p.64.

293 Ibidem.

294 Le CE français estime que l'élection de deux membres de l'Assemblée à siéger au parlement européen n'est pas susceptible de recours (CE, 27 mars 1996, Antagnac).

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Au Tchad, ni la Constitution ni la loi n°2011/PR/2013 portant code de l'organisation judiciaire n'ont expressément fait mention des actes administratifs insusceptibles de recours devant le juge administratif. Mais la jurisprudence française et camerounaise nous permet de mieux analyser cette situation pour des raisons que le système de droit dans ces pays est presque le même.

Ainsi, l'injusticiabilité de ces actes présente une conséquence grave sur les droits fondamentaux des citoyens. Cela porte atteinte au droit à un procès équitable. Le droit à un procès équitable est au coeur de la doctrine juridique, car c'est un élément central et essentiel de l'État de droit, en tant qu'organisation de la soumission collective, c'est-à-dire les institutions collectives et privées et les personnes qui habitent cet État, au droit295. Et comme l'a affirmé le Professeur NGUELE ABADA Marcelin296, la construction d'un État de droit démocratique suppose la manifestation de la volonté d'être régi par le droit, à l'exclusion de toute autre manoeuvre et, partant, la garantie d'un ordre social fondé sur la liberté et l'égalité. C'est également édifié un ordre juridique cohérent à partir et autour de la Constitution et organiser la sanction des violations du droit grâce à des juridictions qualifiées et totalement dévouées à la cause du droit297.

La protection constitutionnelle de certaines autorités participe également à la limitation de la protection des droits fondamentaux des citoyens.

Paragraphe 2 : La protection constitutionnelle des autorités politiques

Certaines autorités politiques bénéficient de la protection dans l'exercice de leur fonction. Cette protection a pour but essentiel d'éviter les ennuies à celles-ci dans l'accomplissement de la mission à elles assignée. Au Tchad, ces autorités politiques bénéficiant de la protection sont le plus souvent le Président de la République et les députés à l'AN.

Bien que constitutionnellement consacrées, les immunités dont bénéficient le Président et les membres de l'AN constituent un obstacle à la mise en oeuvre des principes de l'État de droit. D'abord, le principe de l'État de droit veut à ce que les autorités soient soumises au droit. En plus, il faut que les droits et libertés fondamentaux des citoyens soient garantis et

295 NGUELE ABADA Marcelin, « La réception des règles du procès équitable dans le contentieux de droit public », in Juidis périodique, n°63, Juillet-août-septembre 2005, p. 19.

296 NGUELE ABADA Marcelin, État de droit et démocratisation : contribution à l'étude de l'évolution politique et constitutionnelle au Cameroun, Thèse de Doctorat, U.F.R - Droit Administration et Secteur Publics, Université de Paris 1 - Pathéon Sorbonne, 1995, cité par FOPA TAPON Cyrille Arnaud, Les interventions du législateur dans le fonctionnement de la justice administrative au Cameroun, op. cit., p. 94.

297 NGUELE ABADA Marcelin, article précité, p. 20.

94

protégés. Or, le dernier principe se trouve limité par les immunités que les autorités précitées bénéficient. Dans l'exercice de leur fonction et durant leur mandat, elles peuvent porter atteinte aux droits fondamentaux à travers leurs actes.

Seront abordées ici les immunités présidentielles (A) et les immunités parlementaires

(B).

A - Les immunités présidentielles

Les immunités des Chefs d'État est un principe du droit international public qui veut qu'un Chef d'État en exercice ne puisse être forcé à comparaître devant aucune instance étrangère ni être sanctionné, civilement ou pénalement par une telle instance298. Autrement dit, il existe ce qu'on appelle une immunité de juridiction du Président devant le tribunal de tout autre pays, sauf en cas de crime de guerre et crime contre l'humanité.

En droit interne, l'immunité présidentielle est une idée qui procède d'une théorie selon laquelle la responsabilité des corps constitués ne peut jamais être qu'une responsabilité politique et non civile ou pénale. Ainsi, le constituant tchadien a prévu une immunité partielle du Président de la République. Il ressort de l'article 83 de la Constitution que « le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison telle que prévue à l'article 157 ». De ce fait, il convient de souligner que tous les actes du Président de la République qui ne sont pas qualifiés de haute trahison ne sont pas justiciables devant le juge. Ainsi donc, le Président de la République, pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité. Au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité ne peut être mise en cause que devant la chambre non permanente de la Cour Suprême299.

Ceci a fait l'objet des interprétations doctrinales impressionnantes. Reprenant l'interprétation de AIVO Joël Frédéric, les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qui ne constituent pas un manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l'exercice de son mandat, le Président bénéficie d'une immunité qui survit au mandat. Il est affranchi de toute responsabilité pénale et n'en répond devant aucune juridiction pendant et après son mandat300. Et pourtant, ses actes peuvent porter atteinte aux droits des citoyens. Pour garantir ces droits fondamentaux consacrés, le constituant devait réaménager ce régime de protection du Président de la République.

298 www.wikipédia.com consulté le 21 mai 2020.

299 Article 157 de la Constitution.

300 AIVO Joël Frédéric, « La responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes politiques africaines d'influence française », op. cit., p. 28.

95

En France, dans son arrêt du 10 octobre 2001 rendu en assemblée plénière, la Cour de Cassation a fait deux choix. Premièrement, elle a opté pour l'irresponsabilité du Chef de l'État pendant son mandat pour les actes antérieurs à sa fonction. Deuxièmement, la Cour de Cassation remet en cause le privilège de juridiction érigé par le juge constitutionnel301. En somme, il ressort des indications du juge judiciaire français que le Chef de l'État est responsable de ses actes détachables ou antérieurs, non plus devant la haute Cour de justice, mais plutôt devant les juridictions judiciaires. Mais plus précise, la Cour n'ouvre la procédure qu'après son mandat. Les poursuites, ainsi que les délais de prescription sont, à cet effet, suspendus durant toute la présidence302. Cette position de la Cour de cassation française apparaît importante pour conforter la garantie des droits fondamentaux et cela éviterait les arbitraires des Chefs d'État dans l'exercice de leur fonction.

Outre les immunités présidentielles, les immunités parlementaires constituent un obstacle à la protection des droits fondamentaux.

B - Les immunités parlementaires

Les immunités parlementaires s'inscrivent dans les traditions historiques selon lesquelles les parlementaires doivent être protégés lorsqu'ils exercent leurs fonctions. La protection dont jouissent les députés se définit comme une « immunité particulière »303 prévue à l'article 117 alinéa 1 de la Constitution, selon laquelle « les membres de l'Assemblée Nationale bénéficient de l'immunité parlementaire. Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions ». Pour DUHAMEL Olivier, « l'immunité parlementaire recouvre deux garanties différentes : l'irresponsabilité et l'inviolabilité »304. La différence entre les deux notions tient à ce que les domaines qu'elles définissent sont distincts. L'une est afférente à la liberté des paroles parlementaires ; l'autre au fait que l'on ne puisse arrêter un parlementaire sans l'accord de son Assemblée, sauf cas de flagrant délit. Les deux protections représentent les immunités parlementaires305 qui « se rattachent intimement aux exigences primordiales du

301 PRETOT Xavier, « Quand la cour de cassation donne une leçon de droit au Conseil Constitutionnel », RDP, n°6, 2001, pp. 1625-1643 cité par AIVO Joël Frédéric, article précité, p. 27.

302 Voir AIVO Joël Frédéric, article précité, p. 28.

303 AVRIL Pierre, JICQUEL Jean, Lexique-Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2001, p.75.

304 DUHAMEL Olivier, MENY, Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 487. Voir également CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, 3ème édition, Paris, PUF, 2002, p. 493.

305 Par exemple dans ce sens VEDEL Georges affirme que les deux immunités parlementaires sont l'irresponsabilité et l'inviolabilité. Si l'irresponsabilité exonère de toute imputabilité du fait du dommage, ceci n'est pas « incompatible » avec des sanctions disciplinaires d'ordre intérieur que le règlement de chaque

96

régime représentatif et au jeu normal des institutions dans les gouvernements constitutionnels »306. La première relève de l'indépendance du parlementaire ; la seconde, de l'entrave à l'exercice de ses fonctions307. Le but essentiel consiste à préserver les membres du Parlement de toutes poursuites judiciaires intempestives et injustifiées308.

En effet, les effets de l'irresponsabilité des députés apparaissent comme allant à l'encontre du principe de l'égalité de tous devant la loi309. Ainsi, les poursuites sont interdites s'il s'agit d'attaquer le parlementaire pour des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions, le parlementaire est de ce point de vue irresponsable. Dans les autres cas, le parlementaire n'est pas irresponsable, mais on considère que sa personne est inviolable310. L'irresponsabilité parlementaire a pour effet d'écarter toute poursuite pénale ou civile, même si cela doit aller à l'encontre de l'article 1382311 du Code civil.

Depuis la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, la protection et l'attention accordées aux droits et libertés fondamentaux ont considérablement augmenté. Toute atteinte doit être valablement et suffisamment justifiée et proportionnée. La liberté d'opinion et d'expression des députés est considérée comme une des libertés fondamentales, mais force est de reconnaître qu'elle peut parfois conduire à des dérives, à des abus.

Si la liberté d'expression est essentielle et si sa protection est primordiale, elle n'en est pas moins à encadrer ou à limiter dans certains cas. En effet, « chacun sait qu'on ne peut impunément tout dire, et qu'on ne peut être poursuivi si l'on porte atteinte à l'honneur ou à la réputation d'autrui, si on viole l'espace de la vie privée ou si l'on met en péril la présomption d'innocence, si l'on appelle au meurtre ou à la violence imminente, si l'on divulgue des secrets d'Etat »312. La liberté d'expression s'accompagne de devoirs et responsabilité, celui

assemblée prévoit à l'encontre de ses membres. Voir VEDEL Georges, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 402

306 Les immunités parlementaires « tiennent à l'économie de la division des pouvoirs et au principe de la souveraineté législative. Elle sanctionne pratiquement l'indépendance et la liberté du parlement dans l'accomplissement de sa mission. Elles s'identifient en quelque sorte avec le droit de la nation de manifester sa volonté par l'organe de ses mandataires. Ce sont des prérogatives sans doute, c'est-à-dire des exigences supérieures de la vie gouvernementale. Voir BEAUMONT Didier, « Liberté d'expression et irresponsabilité des députés », Afrilex, Paris, 2003, p. 2.

307 AVRIL Pierre, GICQUEL Jean, Droit parlementaire, 2ème édition, Paris, Montchrestien, 1996, p. 45.

308 VEDEL Georges, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 412.

309 GICQUEL Jean, Droit constitutionnel et institution politique, op. cit., p. 641.

310 Article 117 alinéa 2 de la Constitution, « aucun député ne peut, hors session, être arrêté sans l'autorisation du bureau de l'assemblée Nationale, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive »

311 « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

312 BALIS Zoé, Mise à l'épreuve de l'irresponsabilité parlementaire face aux droits d'autrui : analyse en remise en cause du régime belge à la lumière du droit comparé, Mémoire de master, Université catholique de Louvain, 2015, p. 19.

qui s'exprime est tenu de respecter autrui et de tenir compte de sa liberté. Le juge peut être confronté à un conflit entre deux droits constitutionnellement consacrés, tel que l'irresponsabilité et l'inviolabilité des députés et le droit au respect de la vie privée des citoyens. Il doit faire alors une pondération des intérêts pour atteindre le meilleur équilibre, la meilleure « compatibilité des libertés »313 possible.

Il apparait alors que les immunités parlementaires dérogent au principe d'égalité et de non-discrimination en prévoyant un régime spécifique pour les parlementaires, régime, nous l'avons vu, qui peut avoir pour conséquence de limiter des droits et libertés d'autrui.

97

313 HAARSCHER Georges, « Paradoxe de la liberté d'expression », p. 103, cité par BALIS Zoé, Mise à l'épreuve de l'irresponsabilité parlementaire face aux droits d'autrui : analyse en remise en cause du régime belge à la lumière du droit comparé, op. cit., p. 20.

Conclusion du chapitre 2

En dehors de l'indépendance discutable du juge qui limite considérablement la protection des droits et libertés fondamentaux au Tchad, il y a d'autres éléments qui viennent encore s'ajouter.

Premièrement, la protection non juridictionnelle à travers la CNDH se trouve limitée. Cela s'explique par plusieurs raisons notamment l'indépendance incertaine du cadre institutionnel, le caractère non obligatoire des décisions de celle-ci. Il ressort des dispositions314 de l'ordonnance n°024/PR/2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale des Droits de l'Homme que l'institution formule à titre consultatif au Gouvernement des avis et recommandation concernant les libertés fondamentales et droits de l'homme. Cet état de chose n'augure pas une efficacité avérée de la Commission qui devrait jouer un rôle important dans la garantie des droits fondamentaux.

Deuxièmement, certains actes des autorités ainsi que les autorités elles-mêmes sont immunisés. Ainsi, l'administration se trouve immunisée dans la prise de certains de ses actes. De plus, les autorités politiques telles que le Président de la République et les parlementaires bénéficient des immunités juridictionnelles permettant leur protection dans l'exercice de leurs fonctions. Cette protection constitutionnelle des autorités est aux antipodes du principe de l'égalité des citoyens devant la loi.

98

314 Article 7 de l'ordonnance n°024/PR/2018 précitée.

99

CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE

En tout état de cause, la Constitution tchadienne du 04 mai 2018 présente des obstacles persistants à l'émergence d'un véritable État de droit. Alors, quelques aspects importants ont retenu notre attention. Il s'agit bien évidemment de l'indépendance discutable du juge dans la garantie des droits fondamentaux et d'autres limites de la protection de ces droits fondamentaux au Tchad.

Le juge est un acteur incontournable dans la garantie des droits fondamentaux et ipso facto, il devient indispensable dans un État qui se réclame l'étiquette d'un État de droit. Cependant, il se trouve confronté à certaines difficultés qui ne favorisent pas la meilleure protection des droits des citoyens. Ces difficultés ne sont rien d'autres que la question de l'indépendance de celui-ci (le juge) dans l'exercice de sa mission. Le statut du juge ne paraît pas assez confortable pour qu'on puisse parler d'une indépendance certaine. Les juges constitutionnel, administratif et judiciaire subissent des pressions venant soit du pouvoir exécutif soit de la hiérarchie. Ces injonctions ne sont pas de manière à mettre le juge dans une position d'indépendance totale lorsqu'il joue son rôle de protecteur des libertés des citoyens.

Outre l'indépendance incertaine du juge, certains obstacles persistants viennent limiter la protection des droits fondamentaux. Si le pouvoir public a entendu constitutionnaliser la CNDH qui avait une existence législative, c'est pour renforcer l'État de droit à travers les missions assignées à cet organe. Mais force est de constater que cet organe, constitutionnalisé, ne dispose pas véritablement des moyens juridiques conséquents pour la mise en oeuvre des missions à lui confiées. Ainsi, la protection de droit de l'homme se trouve limitée. Elle est également limitée par la protection des certaines autorités politiques qui bénéficient des immunités dans l'exercice de leurs fonctions.

100

CONCLUSION GÉNÉRALE

Aux termes de cette analyse, il convient de noter que la contribution de la Constitution tchadienne du 04 mai 2018 à la consolidation de l'État de droit est ambivalente. Car, certes il y a une avancée perceptible de l'État de droit mais il y a également des obstacles persistants pour un bon ancrage de l'État de droit. En effet, l'État de droit présente des divers critères qui doivent être réunis. Parmi ces critères, deux ont été retenus. Il s'agit de la soumission de l'État au droit qu'il a lui-même édicté et la garantie des droits fondamentaux. Le choix de ces deux critères vient du simple fait qu'ils sont perceptibles dans la Constitution, objet de l'étude. C'est donc dans le souci de garantir les droits fondamentaux des citoyens que le constituant tchadien a mis en place des mécanismes qui assurent le respect de ces droits. Le mécanisme juridictionnel est le premier mécanisme de protection. Il se fait à travers la mise en oeuvre du rôle du juge constitutionnel, celui-ci (juge constitutionnel) est un acteur principal dans la garantie des droits et libertés fondamentaux. Il est clair que le juge constitutionnel a fortement participé à la construction de l'État de droit. En effet, l'apport des travaux du juge constitutionnel tchadien a été plus que considérable pour l'édification de l'État de droit. D'ailleurs, comme nous l'avons remarqué il est beaucoup plus aisé de poser les bases de l'État de droit que de les perpétuer et de les maintenir en bon état dans la mesure où l'État de droit est « moins un État qu'un mouvement de rationalisation et de mise en ordre voué par essence même à l'incomplétude et à l'inachèvement »315. Pourtant, le juge constitutionnel malgré ses moyens limités est parvenu, par le biais de ses attributions, à apporter sa contribution à l'édification de l'État de droit au Tchad. En effet, par le contrôle de constitutionnalité, il a su faire respecter les droits et libertés fondamentaux au nombre desquels on compte aujourd'hui le droit de propriété, les droits à la défense, à la présomption d'innocence, à l'égalité, à l'équité, à la dignité, etc. Il a su aussi mettre au-devant de la scène des valeurs tels que la non-rétroactivité des lois, la séparation des pouvoirs, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la sauvegarde de l'intérêt général, de l'ordre public, etc. Mais, il lui reste encore du chemin à faire dans ce processus aux exigences mouvantes.

Les juges administratif et judiciaire jouent un rôle subsidiaire mais important dans la garantie des droits fondamentaux. L'oeuvre du juge administratif est observable. Elle est visible à travers une version positive selon laquelle le juge administratif aurait définitivement réussi à soumettre l'administration au droit et à permettre aux requérants de sauvegarder leurs

315 CHEVALLIER Jacques, « État de droit », RDP, 1988, p. 139.

101

droits ou leurs intérêts particuliers. Le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, à travers ses attributions, joue un rôle non négligeable dans la garantie des droits fondamentaux.

De plus, la soumission de l'État au droit est un principe important dans la construction de l'État de droit. Cela se fait à travers les mécanismes de contrôle parlementaire consacré par la Constitution. Ceci permet aux députés de contrôler les actions du Gouvernement dans la mise en oeuvre de son programme politique. Ce contrôle apparaît nécessaire dans un contexte où l'arbitraire des membres du Gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions est une monnaie courante au Tchad. Si les membres du Gouvernement arrivent à s'échapper du contrôle parlementaire, ils ne peuvent pas s'en passer des sanctions via la mise en oeuvre de leur responsabilité prévue par la loi fondamentale. Cette responsabilité est purement pénale pour le Président de la République même si sa mise en oeuvre apparaît un peu difficile. Elle est politique et pénale pour les ministres.

Nonobstant les avancées perceptibles de l'État de droit dans la Constitution, il existe également des obstacles persistants à l'émergence de celui-ci. Tout d'abord, les juges ne sont pas totalement indépendants dans l'exercice de leur noble tâche. Le juge constitutionnel tchadien se trouve dans une autre posture qui ne favorise pas tellement son indépendance et son impartialité. Si avant la Constitution de 2018 la justice constitutionnelle était un organe indépendant de l'ordre judiciaire, il n'en est plus le cas avec la venue de la IVe République. Son statut comme une Chambre dans la Cour Suprême semble être un signe de dépendance vis-à-vis du pouvoir judiciaire et à l'égard du pouvoir exécutif au regard des autorités qui interviennent dans la nomination des juges constitutionnels. Les juges ordinaires se retrouvent également dans cette posture à travers les immixtions intempestives des autorités dans le judiciaire. Cela paralyse sérieusement le bon fonctionnement de la justice qui est censée jouer un rôle nécessaire dans la protection de droits des citoyens.

Á côté de l'indépendance discutable des juges, il y a aussi la protection non juridictionnelle qui se trouve limitée. Cette protection est assurée par la CNDH qui bénéficie d'un statut constitutionnel avec les réformes de 2018. L'institution ne dispose pas des moyens adéquats et possède un pouvoir de décision limité. Cet état des choses ne parait pas favorable pour la protection des droits de l'homme qui est une mission principale assignée à la CNDH. Il y a également les immunités juridictionnelles dont bénéficient certaines autorités qui limitent le pouvoir des juges dans la protection des droits fondamentaux.

Ainsi, Il importe au pouvoir public de revoir le statut des juges car ceux-ci (juges) participent à la construction de l'État de droit afin qu'ils puissent jouer normalement et efficacement leurs rôles. Ce statut passe par la formation des magistrats, la réforme de la

102

justice, le rapprochement de la justice des justiciables afin que ceux-ci puissent saisir le juge en cas de violation de droits fondamentaux. Le constituant doit élargir la liste des personnes qui peuvent saisir le juge constitutionnel en incluant le citoyen qui saisira directement celui-ci.

103

ANNEXES

1 - Extrait de la constitution tchadienne du 04 mai 2018.

2 - Décision n°10/CC/SG/2014 du Conseil Constitutionnel.

104

Annexe 1 : extrait de la Constitution tchadienne du à' mai 2018.

1

LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE DU TCHAD PROMULGUEE LE 04 MAI 2018

PREAMBULE

Le Tchad, proclamé République le 28 Novembre 1958, a accédé a la souveraineté nationale et internationale le 11 août 1960.

Depuis cette date, il a connu une évolution institutionnelle et politique mouvementée

Des années de dictature et de parti unique ont empêché l'éclosion de toute culture démocratique et de pluralisme politique.

Les différents régimes, qui se sont succédés, ont créé et entretenu le 'I régionalisme, le tribalisme, le népotisme, les inégalités sociales, les violations des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales individuelles et collectives, dent les conséquences ont été la guerre, la violence politique, la haine, l'intolérance et la méfiance entre les différentes communautés qui composent la Nation

tchadienne.

Cette crise institutionnelle et politique qui a secoué le Tchad pendant pies de quatre décennies n'a pas pour autant entamé la détermination du Peuple tchadien à parvenir a l'édification d'une Nation, à la dignité, à la liberté, à la paix

et à la prospérité.

Ainsi, la Conférence Nationale Souveraine tenue à N'Djamena du 15 Janvier au 7 Avril 1993 à l'initiative du Président de la République et ayant réuni les Partis Politiques, les associations de la société civile, les corps de l'Etat, les autorités traditionnelles et religieuses, les représentants du monde rural et les personnalités ressources, a redonné confiance au Peuple Tchadien et permis

l'avènement d'une ère nouvelle.

Cette nouvelle ère a été consacrée dans la Constitution du 31 mars 1996 révisée en 2005 et 2013.

Après deux décennies d'expérimentation des institutions issues de cette Constitution, le Forum National Inclusif tenu à N'djamena du 19 au 27 mars 2018 a permis d'apporter les réformes nécessaires au renforcement de la démocratie

et de l'Etat de droit.

Ce processus de réformes validé par le Peuple et consacré par la présente loi constitutionnelle adopte la forme d'un Etat unitaire fortement décentralisé et modernise en profondeur les institutions de l'Etat.

En conséquence, Nous, Peuple Tchadien :

105

En cas de désaccord entre le Président de la République et l'Assemblée Nationale, la Cour Suprême, a la demande de l'une ou de l'autre des parties,

statue dans un délai de huit (8) jours.

Article 141 La discussion des projets de loi porte sur le texte présenté pa: le President de la République.

Article 142 Les projets et propositions de lois sont envoyés pour examen aux commissions spécialement désignées à cet effet.

Les projets et propositions pour lesquels une telle demande n'a pas été faite sont :envoyés à l'une des commissions permanentes-

Article 143: Les membres de l'Assemblée Nationale et le Gouvernement ont te droit d'amendement

Lorsque l'Assemblée Nationale a confié l' examen d'un projet de texte à un e Commission, le Gouvernement peut, après l'ouverture des débats, s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été préalablement soumis â cette

Commission.

Si le Gouvernement le demande, l'Assemblée Nationale se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui,

Article 144 : L'ordre du jour de l'Assemblée Nationale est fixé par la Conférence des Présidents dont la composition est déterminée par le Règlement Intérieur.

Un membre du Gouvernement y assiste de droit,

Trois (3) semaines de séance par mois sont réservées par priorité à l'ordre du jour fixé par le Gouvernement

Une (1) séance par semaine est réservée à l'examen et à l'adoption des propositions de loi.

Deux (2) séances par session sont réservées au contrôle et à l'évaluation des politiques publiques.

Une (1) séance par quinzaine est réservée aux questions des Députes et aux réponses du Gouvernement.

Une (1) séance par mois est réservée aux questions d'actualité au Gouvernement.

Article 145 : Le Gouvernement est tenu de fournir à l'Assemblée Nationale toutes les explications qui lui sont demandées sur sa gestion et sur ses activités.

Les moyens d'information et de contrôle de l'Assemblée Nationale sur l'action du Gouvernement sont :

106

107

Sont assimilés à la haute trahison, les violations graves et caractérisées des droits de l'Homme, le trafic de drogues et l'introduction des déchets toxiques ou dangereux en vue de leur transit, dépôt ou stockage sur le territoire national.

La Cour Suprême comprend cinq (5) chambres

· une (1) chambre judiciaire ;

· une (1) chambre administrative ;

· une (1) chambre constitutionnelle ;

· une (1) chambre des comptes

· une (1) chambre non permanente composée de sept (7) députés et de quatre (4) magistrats de la Cour Suprême élus par leurs pairs chargée des cas de haute trahison.

La Cour Suprême statue en dernier ressort et ses décisions sont sans recours.

Article 158 La Cour Suprême est composée de quarante-et-trois (43) membres dont un (i) Président et quarante-et-deux (42) Conseillers

Le Président de la Cour Suprême est choisi parmi les hauts magistrats professionnels.

IL est nommé par décret du Président de la République après avis du Président de l'Assemblée Nationale.

Les autres membres sent désignés de la façon suivante

-Dix sept (17) choisis parmi les hauts magistrats professionnels dont:

· neuf (9) par te Président de la République

· huit (8) par le Président de l'Assemblée Nationale ;

· Sept (7) parmi les spécialistes du Droit Administratif dont

· quatre (4) par le Président de la République ;

· trois (3) par ie Président de l'Assemblée Nationale

-Onze (11) parmi les spécialistes du Droit Budgétaire et de la Publique dont :

· six (6) par ie Président de la République

· cinq (5) par le Président de l'Assemblée Nationale

Comptabilité

 
 
 

108

Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision doit être votée à !a majorité des trois cinquième (3/5) des membres de l'Assemblée Nationale,

La révision de ia Constitution est approuvée par référendum ou par un vote à la majorité des deux tiers (2/3) des membres de l'Assemblée Nationale,

Article 227 : Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'elle porte atteinte


· à l'intégrité du territoire, à l'indépendance ou à l'unité nationale ;

· à la forme républicaine de l'Etat, au principe de la séparation des pouvoirs et à la laïcité ;

· aux libertés et droits fondamentaux du citoyen ;

- . au pluralisme politique,

Article : Aucune procédure de révision ne peut être engagée lorsque le

Président de la République exerce les pouvoirs exceptionnels ou lorsqu'un Président intérimaire exerce les fonctions du Président de la République conformément aux dispositions des articles 82 et 95 de la présente Constitution_

TITRE XVII : DES DISPOSITIONS TRANSITOIRES

FINALES ET

Article 229 : Jusqu'à la mise en place des nouvelles institutions; continuent d'exercer leurs fonctions et attributions

réglementa en vigueur, celles en place

conformément aux lois et

Le mandat du Président de la République en exercice court jusqu'à son

Article 230 : La législation actuellement en vigueurterme

ce qu'elle n'a rien de contraire à la présente au Tchad reste applicable en
nouveaux

Constitution, sauf adoption de textes

Article 231 Nonobstant les

Articleution, le Nonobstant

ntde la République

de l'article

en oeuvre des Actes du Forum qUe est autorisé 132 de la présente

d'ordonnances. National dans le cadre de la mise

Inclusif, à légiférer par voie

Article La présente Constitution

le Président de la République s dans les huit entreen vigueur des sa

(8) jours suivant son adoption,

promulgation par

109

Annexe 2 : décision n°010/CC/SG/2014 du Conseil Constitutionnel.

110

Sur le fait

111

et

'ue le
·astoralisme ne relève .as du domaine de la loi 'ue la loi .ortant code
·asforal n'a
·as
·
ris en comte toutes

les activités rurales

Considérant que les requérants soutiennent que le pastoralisme n'est pas du domaine de loi ; que l'article 121 de la Constitution classe les lois en deux catégories, la première, celles des lois qui fixent les règles et peuvent de ce fait aller dans les détails des matières qui relèvent de son domaine, la seconde, constituée de celles qui ne déterminent que les principes fondamentaux ; qu'ainsi, selon toujours les requérants, les lois relevant de cette deuxième catégorie ne doivent se limiter qu'à l'évocation des grandes orientations laissant aux actes réglementaires le soin d'apporter des précisions et de définir les modalités d'application ; qu'en outre le dernier tiret de cette deuxième catégorie indique que la loi détermine les principes fondamentaux de l'agriculture, l'élevage, de la pêche, de la

faune, des eaux et forêts ; qu'il n'est nulle part fait mention du pastoralisme ; que la loi ne devrait fixer ici que les principes

fondamentaux en matière d'élevage en général ; qu'en n'étant

de ce point de vue qu'un mode particulier d'élevage, le pastoralisme ne relève d'aucune de ces deux catégories. de la loi

et par conséquent ne . devrait relever que du domaine réglementaire conformément aux dispositions de l'article 122 de la Constitution ;

Que par ailleurs, une loi sur les principes fondamentaux de l'élevage devrait se contenter de définir les grands axes de cette politique en indiquant simplement les principaux modes d'élevage au Tchad ; qu'au surplus, selon les requérants, il serait plutôt préférable d'élaborer une' loi unique qui prendrait en compte toutes les activités ayant en commun l'usage de la terre ; qu'en passant outre ces pertinentes dispositions constitutionnelles, le projet de loi a violé la Constitution

Considérant que pour écarter ce moyen, l'Assemblée Nationale dans son rapport détaillé sur le texte, allègue d'une part, l'existence d'une ancienne loi sur le nomadisme et d'autre part,

Sur le fait

112

et

'ue le
·astoralisme ne relève .as du domaine de la loi 'ue la loi .ortant code
·asforal n'a
·as
·
ris en comte toutes

les activités rurales

Considérant que les requérants soutiennent que le pastoralisme n'est pas du domaine de loi ; que l'article 121 de la Constitution classe les lois en deux catégories, la première, celles des lois qui fixent les règles et peuvent de ce fait aller dans les détails des matières qui relèvent de son domaine, la seconde, constituée de celles qui ne déterminent que les principes fondamentaux ; qu'ainsi, selon toujours les requérants, les lois relevant de cette deuxième catégorie ne doivent se limiter qu'à l'évocation des grandes orientations laissant aux actes réglementaires le soin d'apporter des précisions et de définir les modalités d'application ; qu'en outre le dernier tiret de cette deuxième catégorie indique que la loi détermine les principes fondamentaux de l'agriculture, l'élevage, de la pêche, de la

faune, des eaux et forêts ; qu'il n'est nulle part fait mention du pastoralisme ; que la loi ne devrait fixer ici que les principes

fondamentaux en matière d'élevage en général ; qu'en n'étant

de ce point de vue qu'un mode particulier d'élevage, le pastoralisme ne relève d'aucune de ces deux catégories. de la loi

et par conséquent ne . devrait relever que du domaine réglementaire conformément aux dispositions de l'article 122 de la Constitution ;

Que par ailleurs, une loi sur les principes fondamentaux de l'élevage devrait se contenter de définir les grands axes de cette politique en indiquant simplement les principaux modes d'élevage au Tchad ; qu'au surplus, selon les requérants, il serait plutôt préférable d'élaborer une' loi unique qui prendrait en compte toutes les activités ayant en commun l'usage de la terre ; qu'en passant outre ces pertinentes dispositions constitutionnelles, le projet de loi a violé la Constitution

Considérant que pour écarter ce moyen, l'Assemblée Nationale dans son rapport détaillé sur le texte, allègue d'une part, l'existence d'une ancienne loi sur le nomadisme et d'autre part,

que la question serait déjà Penchée par lo Cour suprême dans°' son avis juridique erg le décrcirc'nt rclever du domaine de la loi ;

Considérant cependant que l'ancienne loi fui élaborée en son _ temps sous l'empire d'une loi fondamentale qui avait expressément inséré le nomadisme dans liû domaine de la loi

qu'en l'espèce, la Conslitulion en vigueur vise l'élevage dans sa globalité comme faisant partie du domaine de la loi ; que le morceler comme l'a fait le présent projet de toi conduirait à une pléthore de lois sur l'élevage et ouvrirait ainsi la voie â un désordr

législatif ;

Qu'aussi, l'allégation tirée de la décision de la Cour suprême ne saurait s'imposer à la compétence du juge constitutionnel ;

Que de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le pastoralisme

en tant qu'un mode d'élevage parmi tant d'autres ne peut relever du domaine de la loi au sens- de l'article 121 de la

· Constitution en son dernier tiret, donc contraire à cette disposition

iiiiimeconstitutionnelle ;

Sur !a rupture de l'égalité des citoyens devant la loi I

Considérant que les requérants soutiennent égalerrient que la

section 1 du chapitre 1 du Titre Il du projet de loi fait obligation à l'Etat et à ses démembrements d'assurer un maillage complet du .ei territoire de la République en couloirs de transhumance, en puits pastoraux, en aires de stationnement, en aires de séjour ; qu'en outre, l'article 46 impose à l' Etat de creuser un puits tous les 50 km en zone saharienne, tous les 25 km en zone sahélienne et soudanienne, tandis que l'article 49 interdit l'implantation des villages sédentaires dans la zone d'emprise des puits pastoraux que pour les requérants, au regard des normes de maillage de l'article 46 susvisé, il est à craindre que cette disposition ne signe la fin des villages sédentaires en zone soudanienne où il n'y a presque plus d'espace libre entre les villages ; qu'en outre, en référence à l'article 52 du projet de loi, comment empêcher lesdi villageois riverains des puits pastoraux d'user des eaux de ces puits construits sur fonds publics alors que dans le même temps, l'article 54 permet aux éleveurs d'accéder sans restriction à tout ouvrage l

113

114

Nul ne peut en être dépossédé que pour cause d'utilité publique dûment constatée et moyennant une juste et préalable

indemnisation n

Considérant que le champ fait effectivement partie intégrante de la propriété privée du paysan ; que par définition la propriété est le fait de jouir et de disposer de son bien de manière la plus absolue pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par la loi ;

Mais que la disposition de l'article 62 du projet querellé impose un calendrier qui obligerait le propriétaire d'un champ à le libérer au profit du bétail transhumant ; que cette disposition (article 62) en obligeant le paysan à se plier à un calendrier et libérer son champ (propriété) non pour cause d'utilité publique, ni moyennant une juste rémunération (indemnisation) mais juste. pour des intérêts particuliers, viole de manière frontale le droit de propriété garanti par l'article 41 de la Constitution, donc contraire à celle-ci ;

Sur l'inopportunité d'une loi portant sur le nomadisme

Considérant que les requérants estiment par ailleurs que la loi portant sur le nomadisme est inopportune ; que le Tchad ne peut se transformer en un vaste territoire uniquement dédié au nomadisme tandis que la tendance actuelle dans tous les pays modernes est à la sédentarisation ; que par cette loi noire pays ne manquera pas de devenir un ranch ou un vaste parc animalier ;

Considérant que ce moyen tiré de l'inopportunité du code pastoral se veut plus un voeu pour une option vers la sédentarisation de l'élevage ;

Que par ailleurs, les réponses apportées au premier moyen paraissent suffisantes ;

Sur le non respect du Réellement Intérieur de l'Assemblée Nationale

Considérant enfin que les requérants soulèvent le non respect des alinéas 1 et 2 de l'article 108 du Règlement Intérieur de l'Assemblée Nationale ; que le rapport de la commission ayant examiné le projet de loi portant cade pastoral a été déposé dans les baltes des Députés le dimanche 09 novembre 2014 soit moins

4

du Président de l'Assemblée Nationale est du 08 novembre

115

de trois jour marli son examen en plénière fixé pour le 11 novembre 2014 alors qu'il n'y avait pas urgence ; qu'en dépit de leur insistance el le rappel sur la nécessité du respect du

Règlement Intérieur, la molarité est passée outre pour adopter le texte ;

Considérant en effet que l'article 108 du Règlement intérieur en ses alinéas 1 et 2 dispose :

1) c; Tout projet ou proposition de loi soumis â l'étude d'une commission doit faire l'objet d'un rapport et être présenté en séance publique par le président ou le rapporteur de ladite

commission.

2) le rapport de cette commission doit, sauf en cas d'urgence, être distribué aux députés au moins trois (3) jours avant la séance au cours de laquelle il sera discuté »;

Qu'en l'espèce, le projet de loi a été confié â la commission Développement Rural et Environnement qui a produit un rapport et déposé dans les boîtes des députés ; que ledit rapport a été aussi présenté en séance plénière par le président de la commission ; que de ce qui précède, l'alinéa 1 de l'article 108 du Règlement Intérieur de l'Assemblée Nationale ne souffre d'aucune violation ;

Que l'alinéa 2 impose la distribution du rapport par la commission aux députés au moins 3 jours avant la séance de discussion ;

Que de l'avis des requérants, le rapport a été déposé le, dimanche 09 novembre 2014 dans la boîte des députés et soumis, à l'examen le mardi 11 novembre d 9h, ce qui fait que le délai de trois jours n'a pas été respecté, alors même qu'aucune urgence n'a été déclarée ;

Considérant qu'à la lecture dudit apport, joint â .la requête, les signatures du président de la commission et de son rapporteur datent du 07 novembre ; ei que la date de son dépôt au c bineil =,-'

b

Que le Conseil Constitutionnel ne dispose pas de preuves suffisantes pouvant justifier le retard du dépôt par la commission


·

w

116

1

de son rapport dans les boîtes des députés ; que ce moyen mérite d'être écarté ;

Considérant que les moyens soulevés par les requérants sont ainsi épuisés ;

Considérant cependant que, suivant les dispositions des articles 27 et 57 respectivement de la loi organique N°19/PR/98 du 02 novembre 1998 portant organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel et de son Règlement Intérieur : rr si le Conseil Constitutionnel, dans la loi contestée ou dans l'engagement international soumis à son examen, constate une violation de la Constitution qui n'a pas été invoquée. il doit la soulever d'office t) ;

Que conformément â ces pertinentes dispositions, le Conseil se fait le devoir de soulever certaines violations de la Constitution contenues dons le projet de la loi querellée, non soulevées par les requérants

Considérant que l'article 204 de la Constitution dispose : if les collectivités Territoriales Décentralisées s'administrent librement par des Assemblées élues qui règlent par leurs délibérations les affaires qui leurs sont dévolues par la Constitution et par la loi.

Les délibérations des Assemblées locales sont exécutoires de plein droit dés leur publication.

Toutefois, elles ne peuvent être contraires aux dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires aL

Et que l'article 203 de ladite constitution de dire : « les collectivités Décentralisées sont dotées de la personnalité morale.

oiLeur autonomie administrative, financière, patrimoniale et économique est garantie par la Constitution » Considérant que les articles 18, 19, 24, 25 et 28 obligent les ,.collectivités territoriales décentralisées à agir dons tel ou tel sens au profit des transhumants ; Que de ce qui précède, en obligeant tes collectivités territoriales

décentralisées à poser des actes, ces dispositions entrent en conflit

117

avec les dispositions consiiiutionnelles susvisées ; qu'il y a lieu de les déclarer non conformes à la Constitution ;

Considérant en autre que l'article 49 interdit l'implantation des villages sédentaires dans tes zones d'emprise des puits pastoraux ; que cette disposition est contraire à l'article 43 de la Constitution qui dispose : sr Tout Tchadien a le droit de fixer librement son domicile ou sa résidence en un lieu quelconque du territoire national»;

Considérant par ailleurs que les articles 43 et 44 du projet de loi font obligation aux agriculteurs de clôturer et surveiller à tout moment leurs parcelles maraîchères et leurs champs ;

Que ces articles participent à la violation du droit de propriété garanti par l'article. 41 susmentionné de la Constitutiôn ; qu'il ya lieu de les déclarer non conformes à la Constitution ;

Considérant que l'article 90 du projet de loi limite le droit applicable dans le cadre de ladite loi au droit commun en matière de responsabilité civile ; mais que dans le même temps, les articles 91 et 92 prévoient des peines pénales ; qu'au surplus, ils ne font pas de distinction entre la contravention de simple

police, le délit et le crime ;

Qu'il s'ensuit que ces quatre articles du projet de loi se contredisent ;

Considérant en définitive, qu'en combinaison de toutes ces violations somme toute massives de la Constitution que renferme le projet de loi déféré à l'examen du Conseil Constitutionnel par les requérants, il ;onvieni de déclarer le projet de loi sur le pastoralime en République du Tchad contraire à la Constitution ;

Par ces motifs

Pir

DECIDE

Ili

Article 1 : La requête du député SALEH KEBZABO et autres est recevable .6n la forme ; -` ,,;

118

119

BIBLIOGRAPHIE

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2. Rapport final du comité technique interministériel d'appui, 65 actions pour moderniser les institutions, Ndjamena, août 2017, 60 p.

3. Synthèse des travaux du Forum National Inclusif, Ndjamena, 27 mars 2018,12 p.

V- LÉGISLATION

A - LÉGISLATION NATIONALE

1. Constitution tchadienne du 04 mai 2018.

2. Ordonnance n°13/PR/2018 faisant application de l'article 31 de la constitution de 2018.

3. L'ordonnance n°015/PR/2018 portant attribution, organisation, fonctionnement et règles de procédures devant la Cour Suprême.

4. Règlement intérieur de l'Assemblée nationale du Tchad du 17 Mai 2013.

B - LÉGISLATION INTERNATIONALE

1. Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples de 1981.

2. Charte des Nations Unies de 1945.

3. Déclaration universelle de droit de l'Homme de 1948.

VII - LES DÉCISIONS DE JUSTICE

A - LES DÉCISIONS NATIONALES

Les décisions de la Chambre constitutionnelle

1. Décision n°010/CC/SG/2014 sur la requête du député KEBZABO Saleh et les 28

autres relative au projet de loi portant code pastoral en République du Tchad.

2. Décision n°002/PCC/SG/001 sur l'exception d'inconstitutionnalité par les victimes de crimes et répressions politiques relative au dossier pénal ouvert contre les agents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) de Monsieur HISSEIN Habré précité.

3. Décision n°003/CS/CC/2018 sur la censure des réseaux sociaux au Tchad. Les arrêts de la Cour Suprême

1. Arrêt n°016/CS/CA/SC/2008 du 16 avril 2008 X...c/Ministère de l'agriculture

2. Arrêt n°008/CS/CJ/SS/11 du 06 septembre 2011 relatif aux élections communales.

3. Arrêt n°10/CS/CA du 06 juillet 2011, service public-contrat de travail-violation du principe d'égal accès aux emplois publics-licenciement-annulation de l'arrêté de licenciement.

4. Arrêt n°09/2009 du 25 février 2009 relatif au non-respect du principe de parallélisme

de forme.

5. Arrêt n°137/CS/CJ/SC/08 du 05 juin 2008, violation du principe de succession.

6. Arrêt n°079/CS/CJ/SC/08 du 23 décembre 2008 relatif à la violation du droit de propriété.

7. Arrêt n°19/CS/CA/SC/ 2000 du 4 octobre 2000 relatif à la suspension des es effets de la décision N° 013/DKA/2000 du 15/03/2000 de Monsieur le Préfet du KANEM portant déguerpissement du sieur ABBA ADOUMA.

8. Arrêt n°09/CS/CA/SC/ 2001 du 7 avril 2001 relatif à la levée de la mesure suspendant le salaire d'un agent.

9. Arrêt n°01/CS/CA/SC/2005 du 18 janvier 2005 relation au référé administratif. B - LES DÉCISIONS ÉTRANGÈRES

1. CE, 05 Février 1937, BUJADOUX, Rec.153, D. 1939, 3, 19 Concl. LAGRANGE.

2. CE, assemblée, 2 mars 1962, Rubin de servens et autres, requête n°55049.

3. CE, 28 juin 1918, Heyrès.

4. CE, 19 février 1875, prince Napoléon.

5. CE, Ass. 2 mars 1962, Rubin de Servin.

6. Décision n°2003/CC/JB du 23 décembre 2003 aux fins de contrôle de conformité à la Constitution du 2 juin 1991 de l'accord de prêt conclu à Kuala Lumpur, le 17 octobre 2003 entre le Gouvernement du Burkina Faso et la Banque Islamique de Développement pour le financement partiel du projet de construction de la route Kaya-Dori.

126

VII - WEBOGRAPHIE

1.

127

www.cairninfo.com

2. www.auf.org

3. www.sfde.u-strasbg.fr

4. www.tchadinfos.com

5. www.lepaystchad.com

6. www.universalis.com

7. www.revuegénéraldesdroit.com

8. www.chevalierdesgrandsarrêts.com/contrôledeconstitutionnalité

TABLE DES MATIÈRES

AVERTISSEMENT i

DÉDICACE ii

REMERCIEMENTS iii

RÉSUMÉ iv

ABSTRACT v

SIGLES ET PRINCIPALES ABREVIATIONS vi

SOMMAIRE vii

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

I - LE CADRE THÉORIQUE DE L'ÉTUDE 4

A - DÉFINITION DES CONCEPTS 6

B - LE CONTEXTE DE L'ÉTUDE 4

C - LA DÉLIMITATION DE L'ÉTUDE 11

2 - La délimitation spatiale. 11

II - CADRE OPÉRATOIRE DE L'ÉTUDE 12

A - INTÉRÊT DU SUJET 12

B - PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE 14

1 - La problématique 14

C - MÉTHODES ET TECHNIQUES DE RECHERCHE 15

1 - Les méthodes de recherche. 15

D - LA DEMARCHE 17

PREMIÈRE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES AVANCÉES

PERCÉPTIBLES DE L'ÉTAT DE DROIT AU TCHAD 18

CHAPITRE 1 : LA GARANTIE GRADUELLE DES DROITS FONDAMENTAUX

DANS LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 20

128

SECTION 1 : LA GARANTIE PRINCIPIENNE DES DROITS FONDAMENTAUX

PAR LE JUGE CONSTITUTIONNEL 21

Paragraphe 1 : La mise en oeuvre du contrôle de constitutionnalité 22

Paragraphe 2 : La portée du contrôle de constitutionnalité 26

SECTION 2 : LES GARANTIES SUBSIDIAIRES DES DROITS FONDAMENTAUX

ASSURÉES PAR LES AUTRES JUGES 30

Paragraphe 2 : Le rôle du juge judiciaire dans la protection des droits

fondamentaux 35

Conclusion du chapitre 1 39

CHAPITRE 2 : LA LIMITATION CONSTITUTIONNELLE DE LA PUISSANCE DU

POUVOIR EXÉCUTIF 40

SECTION 1 : LE CONTRÔLE DE L'EXÉCUTIF PAR LE PARLEMENT 41

Paragraphe 1 : Le contrôle de l'Exécutif à travers l'interpellation et les questions

parlementaires 42

Paragraphe 2 : Le contrôle de l'Exécutif à travers la commission d'enquête et

l'évaluation des politiques publiques 46

SECTION 2 : LA CONSÉCRATION DE LA RESPONSABILITE DES MEMBRES DU

GOUVERNEMENT 49

Paragraphe 1 : La constitutionnalisation du statut pénal du Président de la

République 51

Paragraphe 2 : La consécration constitutionnelle de la responsabilité des ministres

56

Conclusion du chapitre 2 59

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 60

SECONDE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES OBSTACLES PERSISTANTS A L'ÉMERGENCE D'UN VÉRITABLE ÉTAT DE DROIT AU TCHAD 61

CHAPITRE 1 : L'INDÉPENDANCE DISCUTABLE DU JUGE DANS LA GARANTIE

DES DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD 63

SECTION 1 : L'INDÉPENDANCE CONTESTABLE DU JUGE CONSTITUTIONNEL

TCHADIEN 64

Paragraphe 1 : L'indépendance fonctionnelle menacée de la Chambre

constitutionnelle 64

Paragraphe 2 : L'indépendance organique incertaine de la Chambre

constitutionnelle 68

SECTION 2 : LES MENACES PORTÉES A L'INDÉPENDANCE DES AUTRES

JUGES DANS LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 72

Paragraphe 1 : Les restrictions relevant directement des règles statutaires 73

Paragraphe 2 : L'impartialité menacée du juge 76

129

Conclusion du chapitre 1 80

CHAPITRE 2 : LA PROTECTION LIMITÉE DES DROITS FONDAMENTAUX AU

TCHAD 81

SECTION 2 : LES LIMITES Á LA PROTECTION NON JURIDICTIONNELLE DES

DROITS FONDAMENTAUX 82

Paragraphe 1 : Les limites institutionnelles de la CNDH dans la protection des

droits fondamentaux 83

Paragraphe 2 : Les limites d'ordre juridique de la protection non juridictionnelle

des droits fondamentaux 86

SECTION 2 : LES AUTRES OBSTACLES RELATIFS A LA PROTECTION DES

DROITS FONDAMENTAUX 89

Paragraphe 1 : Les actes bénéficiant de l'immunité juridictionnelle 90

Paragraphe 2 : La protection constitutionnelle des autorités politiques 93

Conclusion du chapitre 2 98

CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE 99

CONCLUSION GÉNÉRALE 100

ANNEXES 103

BIOGRAPHIE 118






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