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Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybride


par Amar MAHMOUDI
UMMTO - Master 2 2021
  

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1. Pour une politique du fait colonial inversée :

Avec l'avènement de l'indépendance, il n'y a plus aucune pensée égalitaire en mesure d'établir des rapports entre sociétés et individus. Au contraire, durant ce laps de temps, les rapports de forces se sont inversés entre colonisateur et colonisé d'une part, et entre sujet et communauté d'autre part... de sorte à pratiquer maintenant une politique vaine de l'enfermement vis-à-vis de cet «Autre» et de son héritage continu. En d'autres termes, c'est une démarche qui ne tient pas uniquement compte de l'étranger et de ses rapports avec l'ex-colonisé, celui-ci étant lui-même exclu de sa subjectivité. L'enfant des deux mondes nous apprend donc que la politique de discrimination est toujours en marche, avant et après l'indépendance, qu'elle a juste changé de lieu et qu'elle opère désormais au sein du camp adverse. En effet, l'ex-colonisé est, de nos jours, celui qui cherche à discriminer, à séparer son existence jadis relative à celles des autres. Comme si de l'avant à l'après, du colonial au postcolonial, « les deux zones [n'étaient] pas destinées à se compléter, loin de là..., mais à s'opposer. »277(*) :

En quelques jours, Médéa se métamorphosa en une ville étrangère, ce n'était plus cette fois le « Vive le FLN » écrit en français, depuis longtemps déjà familier au regard, mais une autre écriture, une autre langue, comme s'il s'agissait déjà d'un autre pays, habité par un autre peuple, souverain dans son expression. (K. Berger, 1998, p. 29.)

Aussi :

Alger depuis évoquait pou elle ce séjour de fête et de spiritualité offert par la grâce de l'amie étrangère. Mais lorsque sa famille s'y installa en cette fin d'été 62, elle ne retrouva plus guère les traces de cette atmosphère. Ce n'était plus la même ville. (idem, p. 38.)

Il s'avère de ce fait que l'indépendance n'a pas réellement sapé les fondements propres à la colonisation, loin s'en faut, mais qu'elle en véhicule et reproduit quelques uns de ses éléments discriminatoires, racistes, qui font que le colonisé se substitue et s'identifie désormais au colonisateur. Pour Fanon, conclue Tassadit Yacine, « il ya donc la discrimination opérée par le haut, par le colonisateur, mais il y a aussi cette autre distinction, celle qui vient du bas, que va opérer le colonisé avec la décolonisation. »278(*). Cette dernière consiste en fait, selon Edward Saïd, à renverser les rapports de force initialement établis par la présence du colon :

Oui, montrer aux siens qu'on tient à distance cet étranger, le garder anonyme, inanimé, sans esquisser le moindre mouvement d'approche ni de curiosité envers lui. (K. Berger, 1998, p. 109.)

Mais, pour l'enfant et pour tout sujet hybride, l'enjeu est de faire en sorte que « s'organise la rencontre de [ces] deux forces congénitalement antagonistes qui tirent leur originalité de cette sorte de substantification que secrète et qu'alimente [durablement] la situation coloniale. »279(*). C'est dire qu'à l'heure où nous sommes, des processus contradictoires perpétuent le « choc de civilisation »280(*) qui s'avère à chaque fois « interminable, implacable et irréversible. »281(*). Ainsi le colonisé serait l'oeuvre du colonisateur par le biais de ce retournement :

Mais, ironie de l'histoire, la France n'est-elle pas pour les Algériens d'aujourd'hui cette même image qui immobiliserait ses habitants dans des postures sans âme, foule anonyme, pour ne laisser danser et briller que les miraculeux objets de l'Occident... (K. Berger, 1998, p. 105.)

Ou encore lorsque l'enfant se penche sur le devenir des Pieds-noirs :

Ne vivaient-ils pas le même retournement, ces jeunes Français nés dans une France coloniale et qui soudain devaient aller travailler dans cet ancien département français, non plus en maîtres mais en « coopérants techniques » [...] ? Ils jouaient pourtant le jeu prescrit par le nouvel ordre, ils étaient « coopérants »... (K. Berger, 1998, p. 41.)

L'enfant des deux mondes traite donc de l'exacerbation de la politique anticoloniale appuyée au lendemain de l'indépendance, et qui tend à s'affirmer dans un espace de plus en plus monologique. À cela, le roman insiste sur la nécessité « de ne pas s'identifier [encore] à des modes de pensée occidentaux [la ségrégation, le rejet et l'homophobisme]. »282(*) pratiqués envers des sujets hybrides et assimilés, tout comme l'enfant, aux figures de l'étrange, car l'univers dans lequel elle évolue est celui-là même de l'étrangeté radicale : en effet, si elle est prétendument supérieur à l'une des sociétés (arabe), elle est aussi inférieure à l'égard de l'autre (française), ce qui, de fait, lui assigne d'emblée un espace plus particulier, non négociable : le Tiers-espace :

Tout comme à l'école Richard où elle ressentait sa singularité arabe, ici à la medersa, elle ressentait cette autre singularité qu'elle ne pouvait nommer française, mais étrangère en tout cas. (K. Berger, 1998, p. 27.)

Les racines de l'anticolonialisme remontent assez loin dans le temps (Hegel, Sartre, Césaire, Balandier...) pour être ainsi la discipline la mieux accueillie dans le vif de l'action anticoloniale. Toutefois, si elle devait survivre à la décolonisation, comme Sartre le donne à lire dans Orphée noir283(*), elle aboutirait aussitôt à une sorte de « racisme antiraciste » (voir supra, p. 36.)284(*). Si pour Sartre l'antiracisme et l'anticolonialisme devaient, au préalable, s'accommoder d'un certain républicanisme, ce n'est pas tout à fait le cas en Algérie où l'identité brigue à coup sûr une nouvelle vision du nationalisme.

La double appartenance est perçue comme une trahison par les pouvoirs en place285(*), de ce qu'elle suppose le recours aux avatars des idéologies impérialistes provenant de la modernité. De ce fait, la reproduction du discours colonial ou, plus précisément l'anti-discours, s'alimente pratiquement des mêmes enjeux passéistes - « hallucinations historiques »286(*) - qui font que l'identité est seule envisagée sous le prisme de l'univoque :


· Grâce à la medersa l'enfant avait acquis les bases culturelles de son éducation : Qassaman, la Fatiha et la Chahada. [...] elle commençait sa récitation légèrement troublée par ce qui lui semblait être un mensonge. (K. Berger, 1998, pp. 33-34.)


· Impuissante, elle éprouvait dans sa chair le brutal inachèvement de la culture française dont elle avait été nourrie jusque-là... (idem, p. 40.)

Ainsi, il y a toujours à proprement parler le désir d'uniformisation qui caractérise jadis les sociétés coloniales. De ce fait, elle persiste toujours à quelques détails près, car l'oppression est désormais nationale287(*). En d'autres termes, elle est entièrement renouvelée et fait suite à la domination coloniale. Or, nous dit encore T. Yacine dans le sillage de Fanon, « La colonisation et son envers (la décolonisation) n'est rien d'autre que ce rapport de force qu'il faut inverser. »288(*).

En effet, « L'anticolonialisme devient une arme »289(*) qui s'incruste durablement dans les politiques des nations nouvellement indépendantes. S'il sert à maintenir avec quelque effort intellectuel leur statut de liberté, il reste néanmoins favorable à la diffusion de ce qu'on pourrait appeler une « politique autoritaire »290(*), fondée presque aussitôt sur la même « politique de force »291(*) jadis à l'oeuvre dans les colonies. Pour l'État indépendant, ce n'est autre qu'une violence légitime (Bourdieu) que celle appuyée sur un ensemble de réformes académiques et institutionnelles, en vue de recouvrer la toute-puissance de l'APN (action politique nationale) :


· Dans ce lycée algérien et indépendant, ce n'étaient plus les mêmes camarades françaises qu'à l'école Richard, non, Alger n'était pas Médéa. Brusquement, le français devint la langue mal-aimée, celle de la traîtrise... (K. Berger, 1998, p. 40.)


· Des professeurs du Moyen-Orient parlant une langue arabe à peine compréhensible [...] tentaient d'enseigner une langue arabe, parlée par personne au monde292(*) - sinon de manière compassée par les nouveaux clercs de la culture et autres speakers de la Télévision ou de la Radio officielles. Une langue arabe morte à des enfants qui parlaient une autre langue, vivant mélange d'arabe, de berbère, de français et de langue pied-noir et de bien d'autres encore... (idem, pp. 44-45.)

Cette violence institutionnelle se décline comme suit : Action Pédagogique (AP) pour Bourdieu, politique d'arabisation institutionnelle pour M. Boudalia-Greffou, prépondérance et hégémonie du culte suivant la religion politique de Max et Durkheim... qui établit à contresens une autre forme d'ambigüité calquée sur le modèle de la colonie. Ainsi, aux procédés d'aliénation coloniale s'adjoignent ceux plus graves de la politique « anti-nationale » orchestrée par les rouages conformistes et rigoristes des pouvoirs postcoloniaux293(*).

Cette vague de transformations qui marquent les jeunes États du tiers-monde nous renseigne du reste sur les évolutions importantes que subit le monde d'aujourd'hui et nous rapproche davantage de l'impérialisme fanonien : l'ensemble des dérèglements sociaux qui accompagnent le passage d'une ère traditionnelle (pré/coloniale) à une ère subséquente de la modernité (postcoloniale), reflètent la «nécessité» d'une idéologie de l'ambivalence suscitée par des bouleversements politiques et culturels (le bouleversement du paysage social, la politique de l'enfermement, les phénomènes d'oppression, les désintégrations brutales...).

Dès lors, un sérieux problème idéologique et politique s'installe, qui va susciter d'autres réflexions sur la question nationale et identitaire telle qu'elle apparaît au devant de l'indépendance. C'est sur ce terrain en confusion que s'annoncent les principes de ces identités en métamorphose.

* 277 Tassadit YACINE, « Discrimination et violence », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 19.

* 278 Ibid., p. 20.

* 279 Ibid., pp. 20-21.

* 280 Autrement dit le « choc culturel ». Dans le contexte postcolonial, ce choc résulte d'un « Sentiment de profonde désorientation qu'éprouvent les personnes et les groupes mis soudainement en contact avec un milieu culturel dont les traits se révèlent inconnus. ». Hervé CARRIER, op. cit., p. 100.

* 281 Édward. W. SAÏD, L'Orientalisme : L'Orient créé par l'Occident, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005, p. 4.

* 282 Brahim GHAFA, L'intellectuel et la Révolution algérienne, Alger, Houma, 2001, p. 12.

* 283 Léopold Sédar SENGHOR, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, précédée de Orphée noir par Jean-Paul SARTRE, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1948, 232 p.

* 284 Brahim GHAFA, tout en citant Fanon, conclue ainsi ses propos sur le nationalisme et la culture : « Ainsi sont accompagnés à leur dernière demeure les héros d'hier et d'aujourd'hui. C'est leur fin « bien que jamais fatigués». ». L'intellectuel et la Révolution algérienne, op. cit., p. 18.

* 285 Ceux-ci entendent réaliser l'unité nationale par le devoir de haine qui incombe aux autres générations postcoloniales. V. Bouba MOHAMMEDI-TABTI, La société algérienne avant l'indépendance dans la littérature, op. cit., 304 p.

* 286 Brahim GHAFA, op. cit., p. 16.

* 287 Rachid ALI-Yahia, Sur la question nationale en Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011, pp. 60-61.

* 288 Tassadit YACINE, « Discrimination et violence », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 24.

* 289 Xavier YACONO, Les étapes de la décolonisation française, Paris, PUF, coll. « Que sais-je », 1982, p. 71.

* 290 Ibid., p. 74.

* 291 Ibid.

* 292 Langue élitiste érigée par les anciennes et nouvelles aristocraties afin de parer à la diversité linguistique des populaces. R. ALI-YAHIA consacre la majeure partie de son ouvrage à la question des langues (et de la politique linguistique) en Algérie. V. Rachid ALI-YAHIA, Sur la question nationale en Algérie, op. cit., 235 p.

* 293 Pourtant, « Ce nationalisme ne doit pas rester à l'étroit. Il doit épouser les formes de notre temps [afin de se soustraire] à la diatribe, à la rancune, à l'invective contre l'ex occupant colonial... ». Brahim GHAFA, op. cit., p. 30.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera