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Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybride


par Amar MAHMOUDI
UMMTO - Master 2 2021
  

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3.2. Le temps discontinu :

Le temps de narration est également réfractaire à toute logique de barricadement. Bien que l'intrigue soit linéaire dans sa plus grande partie, quelques jeux de piste ne sont pas à exclure. C'est précisément de cette façon que l'autobiographie peut côtoyer l'Histoire, c'est-à-dire par l'enchâssement de l'une dans l'autre : le temps historique vient ainsi rompre le présent de narration267(*) et le présent se fondre à son tour dans le temps historique, qui nous donne à voir une temporalité brouillée. C'est un va-et-vient entre le passé et le présent, mais également entre plusieurs passés et présents (registres) dû à la présence simultanée de plusieurs genres.

La narration est elle aussi ultérieure268(*), c'est-à-dire qu'elle n'intervient que beaucoup plus tard et essentiellement de l'extérieur (en France, lieu d'exil) sur des événements qui ont eu lieu ici, en Algérie. Elle perpétue donc face à l écart spatial un autre écart temporel, comme peuvent en témoigner ces quelques verbes pris de manière non exhaustive : d'abord à l'imparfait et au passé simple, « passaient » (p. 5.) ; « s'emparait » (p. 7.) ; « quittaient » (p. 9.) ; « ornaient » (p. 10.) ; « retrouvait » (p. 13.) ; « réservaient » (p. 14.) ; « venait » (p. 17.) ; « entendit » (p. 18.) ; « se réfugia » (p. 18.) ; « demanda » (p. 19.) ; « revit » (p. 19.) ; « était » (p. 39.), etc., ensuite, ayant longé suffisamment dans le temps, au présent de l'indicatif, quand ce n'est pas alors au futur : « devient » (p. 89.) ; « appelle » (p. 89.) ; « sont » (p. 92.) ; « rajoutent » (p. 93.) ; « se souvient » (p. 102.) ; « hante » (p. 104.) ; « disent » (p. 106.) ; « déposera » (p. 124.) ; « se surprend » (p. 124.) ; « assiste » (p. 125.), etc. 

Ce type de narration peut être dit « intercalé »269(*), dans la mesure où il allie le mode ultérieur et le mode simultané. Aussi, l'enchaînement chronologique des chapitres passe pour être confus à un moment donné (à partir du chap. sept). Mais ce n'est pas plus simple en fait puisqu'elle admet également des passages relevant du mode antérieur. Ceux-ci sont principalement sous forme de prolepses (anticipations chronologiques) et d'ellipses (omission et/ou sauts temporels conséquents). Ces dernières, trop fréquentes, favorisent ainsi le passage d'un espace à l'autre. Citons, dans cet ordre-là, les exemples suivants : « sensation qu'elle retrouva plus tard dans la vallée de Petra... » (p. 6.) ; « Bien des années plus tard, en feuilletant l'album de photos familial, elle mesurait... » (p. 8.) ; « Lorsque plus tard l'enfant apprit qu'elle avait... » (p. 10.) ; « ... et lorsqu'adulte elle s'exila... » (p. 10.) ; « Mais plus tard, voyant ses enfants grandir aux frontières des rivages de ce nouveau monde... » (p. 12.) ; « ... plus tard, dans les paysages d'Auvergne... » (p. 13.) ; « Le lendemain » (p. 19.) ; « Ce soir-là » (p. 20.) ; « La veille » (p.24.) ; « Le lendemain » (p. 25.) ; « Lorsqu'alors âgée de vingt ans, bien des années plus tard » (p. 37.) ; « On le sut plus tard » (p. 42.), etc.

Le roman, du coup, repose sur ce principe des jonctions qui finissent par établir une sorte de paradoxe. Cela parce que l'auteure prend en compte les métamorphoses identitaires de l'enfant et suit une paradigmatisation systématique et étagée du texte, à travers notamment le choix des figurations (descriptives et narratives).

? CHAPITRE DEUXIÈME : Stratégies postcoloniales.

Nos enfants ne pourront même plus se sublimer comme leurs ancêtres dans les vers de poésie. Qu'ont-ils donc nos doctrinaires au fond des yeux ? Certainement pas des oiseaux migrateurs et des fées de toutes les couleurs. Qui se souvient de la cigogne ? Elle a rayé notre pays de son plan de vol.

Malika Boudalia-Greffou.

L'Histoire de l'Algérie contemporaine demeure à bien des égards une Histoire fabriquée et éminemment idéalisée. Celle-ci revendique déjà, dans le cadre de son héritage, son ralliement précoce à l'idéologie arabo-musulmane longtemps considérée comme seule apte à constituer son unité nationale, abstraite et controversée, voire inexistante270(*). Bien des années plus tard, on retrouve dans une autre disposition d'esprit certes, la réincarnation (ou métempsychose) des procédés de subversion susceptibles d'influer en contrepartie sur le mythe de l'algérianneté arabo-musulmane.

Caractérisées dans les études postcoloniales depuis Fanon, on parle souvent de stratégies d'identification postcoloniales pour désigner l'ensemble des moyens (politiques) mis à disposition des jeunes États indépendants, afin de sauvegarder - ou de réaliser par quelque artifice que ce soit - l'unité culturelle de la nation. Ces moyens, visibles pour la plupart, sont du reste bien représentés dans notre corpus.

En effet, il y a lieu de parler de stratégies d'identification lorsque l'ensemble des mécanismes référentiels à l'identité sont constitués ou élaborés - suivant une certaine arbitrarité du geste - de manière à susciter, par des réactions contraires, un état de considération univoque visant, dans le cas de L'enfant des deux mondes, à supplanter coûte que coûte la suprématie du discours colonial, ou à réduire de façon radicale la subsistance de ses effets271(*). De fait, la rencontre de ces deux consciences colonisé/colonisateur affectera durablement le choix des processus en charge des relations identitaires à venir, fondés en l'occurrence sur des rapports de rejet et de haine viscérale... réciproquement inversés :

L'enfant entend par la bouche de sa grand-mère, que seuls les membres de sa communauté iront au paradis. [...] La grand-mère supposée détenir tout le savoir du monde dit que seules l'enfant, elle et leur communauté arabe auraient accès au paradis. (K. Berger, 1998, p. 17.)

Ou encore :


· Les Français sont sales (K. Berger, 1998, p. 83.)
· J'aime pas les Français (idem, p. 106.)

C'est en soi une donnée préjudiciable et inversée de l'ancienne idéologie dominante, restituée celle-ci par des liens et des conventions opposées272(*). Ce sont, par exemple, tous ces procédés d'identification ethnocentriques et exclusifs, détériorant jadis l'image de « l'Arabe » (K. Berger, 1998, p. 100.) avant d'etre appliqués au « Français » - relevant de la VL (violence légitime) d'État et dont se servent les idéologies nationalistes -, qui figurent dans ces lieux réputés stratégiques :

Les Français ; qui s'en soucie ? Nul besoin de les connaître ni même les approcher, le réseau déjà implanté ici fonctionne parfaitement, reproduisant avec encore plus de zèle les modèles de relations familiales et toujours endogènes. « ...Et puis, ces Français, il faut s'en méfier, hypocrites, avares, égoïstes, racistes, ils ne donnent jamais rien, si peu généreux, si mesquins... », telle une célébration inversée de leur passion cachée, rappelant l'ordre d'un autre temps et d'un autre lieu... (K. Berger, 1998, p. 108.)

Dans ce cas, l'ambivalence des identités suggérées plus haut met en relief l'existence d'une situation idéologiquement antérieure, capable d'influer sur le destin de toute une nation. Si « la relation coloniale déshumanise et aliène »273(*) le colonisé, la relation postcoloniale, sommes-nous tentés de dire, désagrège sur le plan des libertés individuelles la volonté du sujet pour aboutir à la « souffrance mentale » dont parle Fanon. En effet, une nouvelle aliénation culturelle a lieu dans les milieux postcoloniaux. H. Carrier la définit comme « condition des individus ou des groupes qui sont atteints dans leur identité culturelle et leur sens de l'appartenance. Ce sentiment de désapprobation [de l'autre, résulte] des situations de violence, telle que la domination militaire, la colonisation, l'oppression économique ou idéologique »274(*) qu'il [le sujet], tend de reproduire ensuite en toute légitimité :


· « ...La France nous doit bien cela... »275(*) disent-ils... (K. Berger, 1998, p. 108.)
· Ne désirer de la France que la stricte matérialité de ses objets... (idem, p. 106.)

En somme, ce qui nous intéresse ici au sein de ce chapitre, c'est de voir comment et dans quelles conditions près d'élabore le transfert de cette idéologie coloniale pour au final muter dans une sorte de contre-discours caricatural. C'est à partir de ce questionnement que nous pourrons cerner la réalité complexe d'une identité nationale prise dans son évidence aporétique. De même, selon qu'on se situe dans une position politico-temporelle ou dans l'autre (suivant la distribution manichéenne transnationale/infranationale), l'on passe de la nation « hétérogène » aménagée par les penseurs coloniaux à la nation « homogène » décrétée par les postcoloniaux276(*).

* 267 Ici, c'est la figure du triangle inversé qui prévaut. Le narrateur, ou indirectement l'enfant, reprend sa vie du tout début en employant le présent de narration. On aboutit dès lors, avec ce récit de souvenirs, à une double prospection.

* 268 Pour l'auteure (nous avons vu qu'elle entretenait des journaux), ce n'est rien d'autre qu'une « Renaissance d'une vie, antérieure. ». LDM, p. 122.

* 269 Gérard GENETTE, « Discours du récit », in Figures III, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972, 285 p.

* 270 M. HARBI définit ce projet comme étant un « projet de communauté » et non véritablement un « projet de société ». Mohammed HARBI, L'Algérie et son destin : croyants ou citoyens, Paris, l'Arcantère, 1992, 247 p.

* 271 Pour Fanon, « la colonisation et son envers (la décolonisation) n'est rien d'autre que ce rapport de forces qu'il faut inverser. », Tassadit YACINE, « Discrimination et violence », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes, (n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, p. 24.

* 272 Pour une approche socio-psychiatrique (psychopathologique) de ces violences (c'est-à-dire des violences postcoloniales), voir Mahmoud BOUDARÈNE, La violence sociale en Algérie, Alger, Koukou, 2017, 128 p.

* 273 Sonia DAYAN-HERZBRUN, « présentation », in Sonia DAYAN-HERZBRUN (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 6.

* 274 Hervé CARRIER, Lexique de la culture pour l'analyse culturelle et l'inculturation, Tournai, Desclée, 1992, p. 41.

* 275 Dans son discours chargé de souvenirs et de ressentiments, M. BARKA lui réserve l'expression de « l'effet boomerang ». Mahmoud BARKA, Le Dilemme de l'Etranger, Béjaïa, (auto-édition), 2018, p. 116. Cependant, dans LDM, le terme est délégitimé voire anéantit de nouveau, car, comme le dit Fanon, il participe d'une autre forme certaine d'aliénation qu'il conviendrait de dépasser. Ce que réussit à faire d'ailleurs, au vu de son hybridité, la protagoniste de notre roman. L'expression peut donc s'utiliser dans les deux sens, à savoir dans le positif et le négatif, et signifier un retour forcé à l'autre, au Français.

* 276 Benjamin STORA, Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954), Alger, Hibr, coll. « Repères Histoire », 2012, 126 p.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote