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Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybride


par Amar MAHMOUDI
UMMTO - Master 2 2021
  

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3.1. L'effet boumerang :

Les événements tragiques liés à la conquête puis à la guerre d'Algérie, s'ils se réclament volontiers d'une mémoire de l'oubli, continuent à susciter dans l'esprit des Algériens enclins au pathos, la quête vertigineuse de leur Soi inaltéré. De ce fait, le passé colonial est toujours en marche, et, comme on l'aura vu, ces dispositions ainsi formulées rejoignent d'autres pour s'instituer en un espace administrativement clos, là où, de surcroît, « l'évocation de l'étranger n'est souvent qu'une ruse du nationalisme. »112(*). Plus tard, ces éléments constitueront de nouveau les assises d'un mouvement islamiste radical, qui n'est pas sans puiser dans la rigidité des lois patriarcales :

Oui, montrer aux siens qu'on tient à distance cet étranger, le garder anonyme, inanimé, sans esquisser le moindre mouvement d'approche ni de curiosité envers lui. Sans risques pour son honneur ni pour les bénéfices de l'inépuisable dette. (K. Berger, 1998, p. 109.)

Les notions de ?pureté' et d'?impureté' relevées un peu plus haut, fonctionnent à elles seules comme autant de gages à l'endroit de cette communauté d'origine filiale113(*). En effet, toutes les sources qui mènent à la souillure du culte et à l'étrangeté des origines - dussent-elles être établies de façon authentique - sont de ce fait rejetées, quitte à nier « la double référence qui entache leur origine » (K. Berger, 1998, p. 108.). Les mêmes attributs raciales ou ethniques constituent donc la norme référentielle par excellence du sujet mu par l'imaginaire sociétal de l'après-indépendance, et définissent sa personnalité de base :

Donner à sa communauté des gages de pureté raciale, religieuse, de refus du mélange, d'exclusion de celui qui n'est pas dans la communauté... (K. Berger, 1998, p. 109.)

Pourtant, à ce niveau, le rejet n'est pas entièrement accompli, et, cependant que « L'Islam comme la tradition tribale montrent, en actes, leur incapacité à fournir l'identité tant recherchée. »114(*), l'intérêt est de nouveau porté sur l'Autre, et l'exil, cette nébuleuse de l'être infinie, parvient de ce fait à achever « l'écho chimérique de la pureté. » (K. Berger, idem). C'est la raison pour laquelle l'enfant se découvre « nomade »115(*) dans son cheminement individuel alors même qu'elle fait parti d'un groupe de « sédentaires ». Le voyage en question ouvre dans l'univers du héros une brèche insoupçonnée, « un espace indéterminé [...] lui permettant non seulement de découvrir un ailleurs étranger, mais aussi de s'explorer soi-même. »116(*). « L'Autre est notre propre nuit » dira-t-on. Si le narrateur s'en rapproche petit à petit de l'univers romanesque de Malek Haddad, nous y voyons là un signe de réconciliation et non de rupture (l'exil aidant), en voie de rétablir l'innocence et la pureté des deux mondes.

Aussi, nous assistons maintenant à une trajectoire inversée : la position de l'autre jadis tout endiguée, demeure, à contrario, et d'un air quasiment naturel, présente à l'esprit de ceux qui imposent de tout temps l'oubli comme condition plus que nécessaire à la formation d'une ?conscience nationale' et devient élément central, exceptionnel d'une quête de la modernité confisquée. D'autant qu'elle suggère à sa manière, et par la force des choses, c'est-à-dire dans le droit fil de la désillusion, la présence inéluctable et tant recherchée de l'Autre :

Ironie de l'histoire, mais plusieurs années après l'indépendance retrouvée, comme en un miroir du temps la France hante à présent le rêve des Algériens. (K. Berger, 1998, p. 104.)

L'Autre et, de ce fait l'étranger, apparaissent donc comme des figures réinvesties et entièrement nouvelles, de par leur passé historique approuvé : « Une belle centaine d'années de vie presque commune... », de coexistence et de confrontation dans les champs de la recherche même et sans quoi le processus de modernisation n'en est que plus éprouvé. Partant de cette logique dualisante qu'on est plus à même d'accéder à la vérité en accédant à autrui, les liens se retournent et convergent vers un ultime but de reconnaissance :

Là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée, la production intellectuelle sur la période coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité une histoire coloniale, redoutable machine à aimer et haïr en même temps, où la violence du maître ne parvient pas à étouffer la tendresse pour ses sujets, ni effacer la rencontre entre les mondes, fût-elle traversée de fureurs. (K. Berger, 1998, p. 105.)

En exigeant le départ forcené de l'Autre (les pieds-noirs, mais aussi et dans une moindre mesure, les élites autochtones francisées), l'Algérien d'aujourd'hui (de plus tard) se voit opérer, malgré lui, un retour inopiné à l'Autre, figure à la fois « mécréante » et conciliante. Là réside l'effet boomerang117(*), le retournement brusque de la situation et la réversibilité du geste envers l'Autre, qui jadis était considéré comme « incapable d'entrer dans l'Histoire, vivant dans un univers se cadavérisant par une profonde inhumanité et une extrême atemporalité. »118(*). En ce sens, nous pouvons citer les nombreux acquis dont fait état malgré soi la nouvelle nation (et notamment dans le domaine pédagogique, voir la seconde partie). Cependant, conte tenu du repli identitaire et idéologique permanent119(*), l'exil, dans son cheminement inverse vers « l'ennemi » d'hier, reste l'exemple le plus pertinent et le plus apte à retrouver des éléments de la culture jugés peu probables par les détenteurs zélés du discours anticolonial :

La France a été d'abord ce pays fait pour jouir de ce qu'elle peut leur offrir, jouir de ses richesses, de ses grands magasins, de sa démocratie, de ses papiers, de ses nouvelles identités françaises que l'on peut se procurer sans honte ni remords, du splendide anonymat que ce pays permet, de la liberté prodigieuse à en donner le vertige ; dévoiler sa femme, boire des bières aux terrasses des cafés, dévisager le corps dénudé des jeunes filles, se sentir libre comme jamais. (K. Berger, 1998, p. 107.)

Pour des écrivains de la tradition (issus de l'espace maghrébin), la quête d'une modernité favorable se situe donc irréversiblement du côté de l'étranger, non plus perçu comme figure menaçante d'aliénation que comme « une bouée de sauvetage [dotée d'un potentiel immense] à laquelle [on] doit s'accrocher afin d'échapper à la domination des siens si attachés aux habitudes qu'ils ont héritées de leurs ancêtres ou qu'ils ont parfois forgées eux-mêmes. »120(*). Sur le plan de l'écriture du reste, on assiste à l'intégration des codes divers par les écrivains de la « double-culture »121(*) qui favorisent, par rapport de concomitance, l'implantation de leurs écrits dans les deux univers indiqués.

En effet, devant « l'émergence d'une riche gamme de références culturelles, de quelque horizon ou héritage qu'elles proviennent... », le texte littéraire recouvre de sa vigueur et baigne dans l'abondance de ses nouveaux repères. De tels choix sont à la fois porteurs d'une modernité de pensée inouïe, que de nouveautés à part et d'originalité textuelles. La marque de l'altérité y est particulièrement investie, qui revêt une fonction fort symbolique, celle qui encense le rêve individuel et mène à l'illumination du sujet. À ce stade, la rencontre y est plus affirmée, et les auteurs nouvellement annoncés « se rejoignent pour refuser radicalement toute généalogie univoque. ». Ils conçoivent la ?maghrébinité' comme « une résultante de convergences culturelles diversifiées et ouvrent des brèches décisives dans « le Grand Code » occidental - langue, mythes, référents culturels, formes génériques - pour y engouffrer des éléments du (des) code(s) originel(s). »122(*).

PARTIE DEUXIÈME : Les processus de l'hybride en l'oeuvre

« Car si j'essaie de saisir ce moi dont je m'assure, si j'essaie de le définir et de le résumer, il n'est plus qu'une eau qui coule entre mes doigts. Je puis dessiner un à un tous les visages qu'il sait prendre, tous ceux aussi qu'on lui a donnés, cette éducation, cette origine, cette ardeur ou ces silences, cette grandeur ou cette bassesse. Mais on n'additionne pas des visages. Ce coeur même qui est le mien me restera à jamais indéfinissable. Entre la certitude que j'ai de mon existence et le contenu que j'essaie de donner à cette assurance, le fossé ne sera jamais comblé. Pour toujours, je serai étranger à moi-même. »

Albert Camus

? Quelques repères :

1. La vie de l'auteure :

Karima Berger est née à Ténès, en Algérie, durant les prémices de la guerre de libération. Fille de harki, elle rallie aussitôt l'école française de Médéa123(*) où elle reçoit, dès son plus jeune âge, une instruction de base qui l'accompagnera durant tout son parcours intime et professionnel. Peu après, elle découvre les mystères de l'enseignement religieux à la médersa, qui ne sera pas sans l'affecter durablement dans ses liens spirituels et affectifs. Elle est vouée, dès le départ, à une vie débordante de cultures et de sens, faisant la richesse et la rigidité de ses écrits. Prise entre ces deux mondes que sont les cultures Européenne et musulmane, elle reflète ainsi, à travers sa personne, toute une génération d'algériens (assimilés) au parcours imprévisible et stable. Ce paradoxe étant celui qui l'anime, toute son écriture en reçoit le sceau de la dualité dont elle est imprégnée.

Après les longs événements de la décennie 1970 caractérisée par la montée décisive des nationalismes, l'instauration du régime socialiste, la politique de l'arabe et son ancrage institutionnel124(*), le recul des libertés individuelles ou encore l'obstruction des voies libérales d'affirmation pour les minorités locales, Karima met un terme à ses études supérieures engagées à l'université d'Alger. La masse de ces revirements (changements brusques) énoncés par les autorités publiques, constituent, pour ainsi dire, le principal point de rupture à l'égard de sa personnalité profonde125(*). Ainsi, dans le but d'éluder toutes ces contraintes, est-elle sommée de répondre à l'exil depuis lors grandissant.

Elle poursuit, depuis l'année 1975, sa formation académique en France où elle prépare un doctorat de sciences politiques sur le thème du nationalisme, sorte de préambule à ses oeuvres littéraires en gestation. Dans une interview accordée à la revue Algérie : Littérature / Action et dirigée par Christiane Chaulet-Achour, elle concède, en juin 1998, son intérêt pour le dualisme culturel sous-jacent à la question de l'identité. À partir de ce moment, elle dispose d'un riche panorama littéraire édité à l'étranger126(*).

L'Ailleurs est de ce fait fort représentatif de la vie de l'auteure : « Pour moi, dira-t-elle, cet accueil de l'étranger, c'est le socle pour bâtir une histoire, un langage, un récit. C'est un vrai travail de culture qui nous attend... » dans un monde arpenté par d'étranges « rumeurs désertiques » (K. Berger, 1998, p. 125.).

2. Aperçu de ses oeuvres :

Le parcours professionnel de Karima Berger est relativement dense et varié. Après plusieurs publications universitaires, elle s'oriente vers l'écriture littéraire et publie plusieurs romans, suivant la thématique du dédoublement identitaire chère à son être personnel. Son oeuvre, façonnée désormais à son image propre, est porteuse de séquelles corrélatives aux racines profondes et aux travestissements de l'Histoire127(*). En ce sens, nous pouvons citer quelques unes de ses oeuvres principales éparpillées sur les nombreux domaines de la prose : romans, essais, recueils de nouvelles...

? L'enfant des deux mondes (1998) : Ce premier roman est fondamental pour l'expérience scripturale de l'auteure. Roman à vocation autobiographique qui relate l'enseignement et la vie de l'enfant (sujet) dans une Algérie réticente face à son héritage (post)colonial. L'écriture de cette oeuvre emprunte davantage la voie réaliste de témoignage. Elle s'apparente d'emblée au récit d'enfance parcouru, en premier lieu, par la présence effective du colon et de sa culture, face à la figure retranchée de l'indigène. À travers ce témoignage, l'enfant entend rétablir quelques traits de culture ambivalents caractérisant sa condition propre : la présence simultanée de deux cultures antithétiques au sein de la même personne. Ayant soulevé un point essentiel vis-à-vis de la mémoire collective, ce roman est couronné, dès suite de sa parution, par un commentaire de Mohammed Dib.

? La chair et le rôdeur (2002) : C'est un roman pleinement investi dans la problématique sociale et identitaire resurgissant après bien des années de mutilation réciproque. L'identité ainsi révélée dans sa mixité, sa différence, ses ruptures en même temps que ses liens tissés avec l'autre demeure constamment au centre de la réflexion. Le rapport de la femme musulmane à la culture étrangère est également exploité dans ce qui constitue, dans l'exil de Karima, une sorte de continuité relative et conséquente. L'auteure, aussi bien, peint avec force détails la réalité sordide d'un pays meurtri, de par son extrémisme virulent qui établit le conflit et la guerre.

? Éclats d'islam : Chroniques d'un itinéraire spirituel (2009) : sont autant de chroniques qui trouvent écho dans les grands événements de ce siècle passé. Cette oeuvre reflète véritablement la charge de tous ces contresens survenus aux confluents des mondes Traditionnel et Moderne. Profondément ancrées dans la culture humaniste, ces chroniques sont élaborées sous le signe avantageux de l'ouverture à l'autre et à sa culture. Par ailleurs, elles mettent en exergue la situation de l'islam vécu dans son exil et sa renaissance : « l'islam naît dans l'exil », dira-t-elle, comme aux temps prophétiques de l'hégire. La pensée de Karima Berger, empreinte de dualisme, se retrouve particulièrement illustrée dans cet ouvrage, où elle se livre à une déconstruction paradigmatique des concepts hérités sous le signe d'une dichotomie désuète : Occident/Orient - islam/laïcité - femme/sujet ... Éclats d'islam, se ressaisissent donc d'une pensée jadis d'actualité en Algérie, comprise dans le sens de l'élucidation de la mémoire historique et collective. En dehors de toute idéologie, elles augurent une série de ruptures remarquables dans le domaine de la pensée.

? Mektouba (2016) : est son quatrième roman, sorte de parabole réaliste sur son Algérie natale. La quête de l'identité y figure particulièrement dans cet écrit comme un inextricable lien qui s'affirme en elle, de plus en plus éloigné entre la « destiné », la bâtisse originelle, et ses fils exilés. Une partie du livre est consacrée à cette réalité pressante de l'héritage colonial obstrué par les nouveaux tenants de l'extrémisme. Ce livre est l'expression d'un repentir (d'un démenti ?) à l'endroit de la mémoire sacrée.

Par souci de concision, nous n'allons pas nous étendre sur l'ensemble de l'oeuvre de Karima Berger, d'autant qu'elle est l'expression d'un choeur en parfaite harmonie, c'est-à-dire mise au service d'une thématique largement investie. Tâchons de révéler néanmoins les autres titres, publiés respectivement comme suit : Filiations dangereuses (2007) ; Rouge sang vierge (2010) ; Les attentives (2014) ; Cinq éloges de la rencontre (2015).

3. Le corpus :

Son oeuvre que voici (L'enfant des deux mondes, éd. L'aube, 1998) sera très appréciée par la critique et recommandée par Mohammed Dib. Elle relate l'étreignant parcours d'une enfant vouée à une vie de sacrifice, étrangère à mi-chemin entre une culture imposée, captivante (occidentale) et une autre indispensable mais stérile (musulmane), confectionnée dans la marge des événements tragiques que connut le pays.

Ce témoignage d'une double culture franco-algérienne, à la fois « pudique » et saisissant, rend compte de tout l'enseignement inculqué à l'enfant paire qui, en vérité, n'était ni l'un ni l'autre. Se voulant également une réflexion sur le fait religieux, elle n'hésite pas à rompre le lien avec l'imaginaire imperméable professé avec tant de foi et de haine envers « l'autre ».

Le roman est aussi un parcours dans le temps et l'action, suivant la frise chronologique des événements d'avant et d'après la guerre : d'une page à l'autre, le lecteur se sent transporté vers une vérité tant recherchée - si ce n'est délivrer un bout d'histoire vécu par le concerné - jetant l'ancre sur les thèmes les plus frappants de l'histoire algérienne : l'assimilation, le dédoublement identitaire, la double répression, les manoeuvres des hauts tenants, la confusion des langues, l'hégémonie du culte, bref, les stigmates d'une tranche de la société ...

En outre, l'écriture de Karima Berger, quoique située aux limites de l'inclination postmoderniste caractérisant son époque128(*), s'inscrit tout entière dans la tradition réaliste introduite par les premiers romanciers algériens (ceux de la deuxième génération tout au moins). Son oeuvre prolifique est la structuration d'une profonde quête de l'identité altérée par les signes du dédoublement des cultures spirituelle et matérielle. Sa pensée, empreinte de dualisme, recouvre un large pan occulté de l'histoire de l'Algérie française, comme elle semble promener, du reste, un profond regard sur le renouveau de l'Algérie des temps modernes.

? CHAPITRE PREMIER : La dimension poétique.

Les formes imprévisibles que prennent les romans francophones contemporains naissent de cette rencontre entre une inquiétude identitaire profonde - et souvent douloureuse - et un genre littéraire nomade qui absorbe cette inquiétude, la fait circuler comme une sève et s'épanouit grâce à elle, en de multiples fleurs.

Charles Bonn.

Compte tenu des analyses qui ont précédé, nous avons pu voir se constituer plus haut des identités relativement opposées, sous des catégorisations variées et nombreuses. Telles que nous les avons disposées, il en ressort que les unes font appel à des entités nationales, alors que d'autres se réclament d'un héritage vaste en passe d'y inclure la dimension transnationale. Cette dernière regroupe tous les phénomènes hybrides des milieux socioculturels, tels que les métissages ou les brassages ethniques. L'identité ainsi établie, c'est-à-dire en rapport à une pluralité complexe, tient lieu de référence aux procédés d'écriture entamés sur la base de ces cinq dernières décennies. À sa manière, le texte littéraire reflète de ce fait le long débat qui a caractérisé ces identités et tend à lui infliger à son tour une marque durable, celle précisément d'un récit en proie à toutes les transgressions et subversions possibles. L'identité double est celle qui confère au texte les marques de l'incohérence et de l'hybride. Ainsi, les uns exaltent l'abondance ou la liberté des ressources tandis que d'autres clament plutôt l'incertitude ou l'état d'hésitation dans lequel ils gisent. De telles avancées sont plus apparentes sur le volet narratif, dans la mesure où le récit peine à mettre en place un dispositif capable de réunir et de raccommoder la somme de ces identités fuyantes129(*).

La situation historique (la colonisation, la décolonisation ou l'émigration entre autres) semble y contribuer à son tour à la formation de paradoxes forts concurrents, à mesure qu'elle procède sur le terrain de l'individualisme et perpétue le « choc » des cultures moderne et ancestrale. Les écrivains issus de ces espaces de la colonisation participent de cette logique hybride, en inscrivant leurs écrits dans une posture de l'entre-deux propre aux sujets postcoloniaux. En effet, muni de tendances culturelles confondues et d'éléments composites, leur héritage commun semble sous-tendre, en matière d'écrit également, leurs déambulations et leurs errances poétiques. Dans cette partie du travail, il sera question de voir en quoi le roman désigné, L'enfant des deux mondes, est-il lui aussi une représentation métissée de la vie de l'auteure et dans quelle mesure peut-il participer de l'esthétique hybride.

* 112 Jean-Marc MOURA, op. cit., p. 35.

* 113 On estime que le nationalisme algérien a donné lieu à un « résistantialisme » de base pour triompher à l'égard de la colonisation, plutôt qu'à un véritable projet libérateur tel que le consignait Fanon.

* 114 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 14.

* 115 En raison de la pluri-appartenance culturelle et identitaire des individus, « les écrivains sont aussi et peut-être nécessairement ces nomades qu'évoque le sociologue Zygmunt Bauman quant il décrit notre univers mondialisé comme peuple de « touristes et de vagabonds». ». Emmanuel FRAISSE, Littérature et mondialisation, Paris, Honoré Champion, 2012, p. 107.

* 116 Mohammad Abouzeid FADWA, op. cit., p. 3.

* 117 Nous retrouvons, à quelques nuances près, le même usage concernant cette notion chez M. BARKA. Voir Mahmoud BARKA, Le Dilemme de l'Etranger, Béjaïa, (auto-édition), 2018, p. 116.

* 118 Ahmed CHENIKI, L'Algérie contemporaine : cultures et identités, op. cit., p. 9.

* 119 « ... à des phases d'extension ou de constitution de vastes ensembles [...] ont pu succéder des périodes de repli, d'éclatement, de dépècement... ». Emmanuel FRAISSE, Littérature et mondialisation, op. cit., p. 12. EN effet, face aux phénomènes de la mondialisation, le syncrétisme culturel n'en est que plus apparent : de sorte que la modernité n'est abordée que sous l'emprise de la tradition.

* 120 Mohammad Abouzeid FADWA, op. cit., p. 4.

* 121 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 9. Parmi ces écrivains, nous pensons à Driss CHRAÏBI (Maroc), Karima BERGER (Algérie), et Albert MEMMI (Tunisie) qui est plutôt triculturel.

* 122 Ibid., p. 16.

* 123 En 1850 a lieu la création d'écoles « arabes-françaises » se destinant à la formation d'une élite indigène bilingue en Algérie. L'instruction primaire contenait une dizaine de manuels spécifiques de la production métropolitaine et autre. Trois établissements supérieurs ont été créés pareillement sous le décret Napoléon III, le 14 juillet 1850 à Tlemcen, Constantine et Médéa.

* 124 Voir, à ce sujet, l'excellente synthèse de Malika BOUDALIA-GREFFOU, L'école algérienne de IBN BADIS à PAVLOV. Alger, Laphomic, 1989, 144 p.

* 125 « ... mon Orient est aujourd'hui défiguré... dira-t-elle [...]. Nous avons cessé d'être en paix. La modernité promettait le progrès, mais une seule chose progresse, la peur. La modernité nous lègue la démesure. [...] Pour se mesurer il faut un repère, et ce repère est l'Autre ! ». Karima BERGER, « Le « saut hors des rangs des meurtriers» », in Cairn.info, mars 2016/3, Paris, SER, pp. 89-90. Source : https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-3-page-87.htm. Consulté le samedi 31 juillet 2021.

* 126 Le roman en question paraît d'abord en France, « terre d'adoption », puis en Algérie, terre natale. Il participe de ce fait à l'affirmation de ce dualisme qui sous-tend la nature hybride de l'auteure.

* 127 « Ces écrivains partent d'ailleurs souvent d'une position d'observateurs, promenant un regard d'anthropologues sur la rencontre des codes culturels divers qui donne au Maghreb sa si grande richesse culturelle. ». Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, Paris, Edicef, coll. « Universités Francophones », 1996, p. 17.

* 128 « Les romans modernes et postmodernes sont déterminés de façon particulièrement forte par la marque de l'altérité. ». Manfred SCHONELING, « Le moi dissocié : Modernité et hybridité culturelle dans la littérature du XX éme siècle », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications de l'université de Provence (PUP), 2006, p. 11.

* 129 L'hétérogénéité est ainsi perçue comme un vagabondage d'un monde à l'autre, d'une situation à une autre, d'un genre à un autre. Elle est la somme de ces individus métissés, à part. A. MAALOUF les définit comme étant « des êtres frontaliers en quelque sorte, traversés par des lignes de fracture ethniques, religieuses ou autres. ». Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 13.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand