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Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybride


par Amar MAHMOUDI
UMMTO - Master 2 2021
  

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3. L'étrange[r] aux sources du renouveau :

L'enfant des deux mondes retrace déjà dans sa première partie, celle d'avant l'exil, un monde enchanté et gracieux qui se déroule au rythme de la nature et des rencontres qui s'y pressent. Les sorties et les promenades, les jeux divers aussi bien que les voyages qu'elle entreprend avec sa famille (de parents tous deux instruits à la culture française), semblent donc l'initier d'abord à la culture de l'Autre et du Divers103(*). À ce rythme-là, en effet, « les eaux [...] jaillissent [encore] de leur source ... » (K. Berger, 1998, p. 12.). L'enfant du reste se complait dans son univers moderne, fait d'imaginaire et de réel, et ne tarde pas à s'enticher pour les figures livresques qui l'enceignent :

« Je vois ... les eaux qui jaillissent de leur source ... les branches des arbres qui dansent comme des pénitents, les feuilles qui battent comme des ménestrels », était-ce la lecture de Roumi en ce Generalife de Grenade qui instaura définitivement en elle la vision de l'oranger... [...] Le pommier [...] Arbre trop abstrait, juste découvert dans les livres français de lecture ... [...] Comme celles de cette collection de livres de Heidi... [...] Heidi n'était pas un nom français, c'était un nom singulier, énigmatique et il l'attirait parce qu'il était étranger. (K. Berger, 1998, pp. 12-13.)

Mais, si l'Autre constitue pour l'enfant une source certaine d'attraction, il est aussi le point de rupture avec le monde traditionnel - ce vers quoi il tend et s'oppose - et annonce la séparation d'avec son milieu natal. Deux étapes sont également constitutives de ce parcours : la rencontre avec l'Autre, et la redécouverte de ses origines propres.

L'univers original de l'enfant qui doit transfigurer en contrepartie celui des livres : « elle le connaissait ce pays par l'entremise de ses livres magiques. » (K. Berger, 1998, p. 121.), nous permet de voir en outre l'influence mystique exercée sur elle de part et d'autres des deux communautés. Ainsi, aux dires de sa grand-mère, seule l'enfant irait au paradis et quiconque n'est pas musulman, sous couvert d'impureté, y perd son doit de cité, à l'instar de ses nombreuses camardes d'école. Et elle alors de protester contre ce distinguo, cette révélation xénophobe de la grand-mère, plus peut-être par humanisme que par naïveté : « Un paradis, dit-elle, qu'est ce que cela peut bien être... ? Un immense jardin où les animaux sauvages vivent en harmonie avec les hommes, un royaume habité par des fées, un monde où il n'y a pas d'hiver, où les parents réparés sont réunis... » (K. Berger, 1998, p. 17.). Contrairement au monde rêvé et fantasmé par l'enfant, on retrouve, entassés dans l'esprit des siens, un grand nombre de clichés confectionnés en douce puis révélés au fur et à mesure que l'histoire évolue104(*). À travers donc ce discours porté sur l'Autre (le roman est un va-et-vient entre les mondes traditionnel [pur] et moderne [impur]), l'enfant voit en elle surgir un idéal de beauté autre auquel elle aspire et participe de par sa nature ambigüe, seule au contact de l'Autre, de son intimité qui l'incitent à cette prise de conscience en orientant sa vision du monde et l'image qu'elle s'en fait d'elle-même :

On aurait pu inventer une histoire où le paradis n'existait pas pour tous ou était différent pour les croyants de chaque religions, ou autre chose encore sans les exclure du paradis, comment un paradis pouvait-il être xénophobe ? Le paradis musulman était-il alors un vrai paradis ? (K. Berger, 1998, p. 18.)

En ce sens, en effet, « on pourrait être à la fois Français[e] et musulman[e] à part entière »105(*), là où, pour elle, les cultures ne s'entrechoquent pas, ni ne se guettent au détour de l'Histoire. L'identité ainsi définie, repose entièrement sur les visions d'altérité qui la mesurent et la fondent, car jouant de surcroît un rôle essentiel dans la détermination de soi. « Marquant la frontière de la société, l'étranger, tel que le conçoit J.-M. Moura, renvoie à la vérité de celle-ci, à ce qu'elle exclut et donc à ce qu'elle tient pour fondamentalement sien. »106(*).

Cette expérience nouvelle, profondément ancrée dans l'imaginaire de l'enfant, a son lot de renouveau au sein même de ces deux communautés rivales ; car, ne pouvant exclure ni l'une ni l'autre, elle endure tout simplement le fruit de cette complicité qui est le propre de l'identité commune et sociale. C'est cette révélation faite par la grand-mère, « la tempête qu'elle venait de semer dans l'esprit de l'enfant » (K. Berger, 1998, p. 17.), qui chamboule un moment sa vision du monde et crée en elle les conditions (durant lesquelles l'identité subit des changements notoires) propices à l'apparition d'un entre-deux, à un parallèle de ce qu'est déjà et sera précisément l'enfant, c'est-à-dire une personne qui, tout en étant imbue de son enseignement bilingue, de ses cultures supposées être ?inconciliables', affirme être à la charnière d'un monde multiple et conciliable :

De son côté, l'enfant, plus tard, en France, lorsqu'elle découvrit le mode railleur des caricatures de pieds-noirs, des moqueries évoquant leur accent, leur cuisine, leurs manières, curieusement elle ressentait une brûlure secrète comme si l'on se moquait de ses frères, de son peuple, des siens. (K. Berger, 1998, p. 102.)  

Une question semble particulièrement découler de ce texte : comment être soi, entièrement soi, en misant simultanément sur les deux bords sans plus jamais risquer l'exclusion ? En effet, l'altérité et l'identité sont, d'un point de vue philosophique, deux notions antithétiques et contradictoires, de ce que l'une suppose ce qui n'est pas soi, c'est-à-dire ce qui est différent en étant soi ; et l'autre, ce qui n'est qu'intérieurement soi et engendre de ce fait l'étrangeté de l'autre. Tout simplement parce qu'il n'y a pas d'« étrange » à proprement parler, l'étrangeté étant de ce fait la valeur partagée, celle-ci s'exclut d'elle-même, au profit d'une diversité « légale » et reconnue. En ce sens, B. Chikhi parle de conciliation comme de médiation entre les deux mondes :

Comment résorber le conflit sinon par une action de médiation. Établir des traits d'union entre les différents noms, les différents statuts, concilier les deux bords, que de part et d'autres, les sociétés exclusives voulaient contradictoires. Restaurer107(*) une espèce de continuité de complémentarité entre deux cultures, deux religions, deux peuples, deux civilisations.108(*)

De ce fait, la rencontre des langues109(*), d'abord riche pour l'enfant (français, arabe, tamazight...), aux dires de Charles Bonn, se fait « désirante »110(*). Même (et notamment) après l'exil, l'éloignement auquel elle aura tant espéré se retourne en une fracture affective et morale, lui désignant la dimension réelle et composite de son être : « Son voyage dans le monde de l'Autre [...] se présente paradoxalement comme un retour aux sources, aux racines à travers une double réexploration de son Moi et de sa Culture. »111(*).

Karima Berger, par les attributs que l'on sait, nous rappelle encore une fois à l'ordre en réinventant cette notion de l'étranger qui demeure, à bien des égards, recluse dans son passé colonial. Celle-ci s'affaire davantage dans la description et la sauvegarde d'une tragédie non plus passée qu'à venir. C'est ainsi que le roman (par l'intermédiaire et la démarche subversive de l'enfant, figure moderne de l'antihéros) pourrait à lui seul culminer dans la teneur d'une seule phrase, fort significative à son sens : « ... tout ce qui avait une consonance étrangère n'était pas forcément français... » (K. Berger, 1998, p. 111.).

* 103 Les études postcoloniales accomplies dans cette optique investissent elles aussi dans leur champ cette réalité cosmique du regard produit sur l'Autre. À cet égard, É. Saïd parle de « théorie voyageuse » pour qualifier la pensée universaliste de Fanon : « En se formant à travers des déplacements dans l'espace, de la Martinique à la métropole, puis à l'Algérie et au continent africain, cette pensée y a acquis une dimension d'universalité, mais d'un universel ouvert, critique, conflictuel, toujours en mouvement. ». Sonia DAYAN-HERZBRUN, « présentation », in Sonia DAYAN-HERZBRUN (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 6.

* 104 « L'enfantement du sentiment national dans la société algérienne, essentiellement dans l'entre-deux-guerres, [...] s'appuie d'abord sur un mouvement de déception à l'encontre de la ?francisation' », qui débouche à l'exacerbation du sentiment indépendantiste, durant et après la colonisation. Néanmoins, certains sujets sont partagés entre deux sentiments, deux conceptions de l'identité ancrées dans la personne de l'Algérien : des sujets conscients se revendiquant de leur héritage hybride. Benjamin STORA, Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954), op. cit., p. 72.  

* 105 Ibid., p. 70.

* 106 Jean-Marc MOURA, Europe littéraire et l'Ailleurs. L'image de l'étranger : perspectives des études d'imagologie littéraire, Paris, PUF, 1998, p. 35.

* 107 Le verbe souligné nous renseigne avant tout sur le « travail de la mémoire ».

* 108 Beïda CHIKHI, « Jean Amrouche », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, op. cit., pp. 31-32.

* 109 « L'identité d'une oeuvre littéraire, c'est d'abord sa langue. ». Jean DERIVE, La question de l'identité culturelle en littérature, op. cit., p. 3.

* 110 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », op. cit., p. 17.

* 111 Mohammad Abouzeid FADWA, « Identité et altérité : Le voyage vers l'Autre et la renaissance de Soi dans La goutte d'or de Michel Tournier », in Postures, L'Autre : poétique et représentations littéraires de l'altérité, hiver 2017/1 (n° 25), Montréal, p. 14. Source : http://revuepostures.com/fr/articles/abouzeid-25. Consulté le jeudi 29 juillet 2021.

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