WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Partage de gouvernance et démocratie participative dans les projets pour adolescents: de nouveaux enjeux pour les professionnels du spectacle vivant


par Marguerite Corrieu
UCO Angers - Master Spectacle Vivant, gestion de projets culturels 2021
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

ANNEXE 2 : Entretien avec Anne Courel

Date : le 9 janvier 2021

Présentation : Anne Courel est metteuse en scène et directrice artistique de la compagnie Ariadne, compagnie qu'elle créa en 1990. Elle est également directrice de l'Espace 600316 à Grenoble depuis 2019. La compagnie Ariadne et Anne Courel vouent un réel intérêt aux publics adolescents. La compagnie fut d'ailleurs à l'initiative de plusieurs projets à destination des adolescents : plateformes théâtre ados317, Roulez jeunesse, LAB ados318, ...

Anne Courel : « Mon idée c'est qu'un théâtre doit être un lieu dans lequel les personnes se sentent en familiarité. Ce qui n'est pas une mince affaire. J'ai mis en place un certain nombre d'idées et assez rapidement il m'est apparu que si je ne travaillais pas avec les jeunes, je n'irai nulle part. Cela n'allait pas être le plus facile mais c'est par là que çà passe. Il faut compter sur eux et travailler avec eux. Entre autre parce que dans les théâtres, enfin c'est quelque chose avec laquelle je suis d'accord et pas d'accord, il y a une énorme part du public qui est un public scolaire et pour moi cela est impossible d'imaginer que le théâtre est une discipline scolaire. A partir de là on est dans une incompréhension, on se dit n'importe quoi. Si pour des élèves c'est un endroit où l'on va avec des professeurs, où l'on vous demande d'être sages, de ne pas faire l'imbécile et d'apprendre quelque chose dont il va falloir faire un compte rendu, on est complètement battu dans le rapport à l'artistique.

Marguerite Corrieu : Je me permets de rebondir sur ce que vous disiez : que le théâtre soit un endroit familier pour tous. Quelles actions mettez-vous en place pour y parvenir ?

Anne Courel : J'ai pris les choses à l'inverse. Ce sont des cadres qu'on pose et non pas des actions que l'on met en place. Tout ce qu'on fait en tant qu'artistes c'est proposer des actions. Pourtant si l'on dit à des gens : je vous propose une action, et bien par excellence je ne vous demande pas d'en être responsables. Dès que je prends le problème en disant « je vous propose une action », directement je fais l'inverse de ce que je vous propose précédemment. Donc çà veut dire qu'il faut trouver des cadres qui permettent eux-mêmes aux gens de proposer des actions, de participer à la vie d'un théâtre. C'est relativement simple ce qui se passe dans un théâtre, on va faire en sorte que des personnes et des oeuvres se rencontrent. Sauf que les présupposés de la rencontre sont posés de manière concrètes et ne donnent pas envie aux adolescents de participer. Parce que dans un premier temps il y a cette proposition qui vient du scolaire donc une action scolaire. Ou alors c'est une action familiale : cela fait partie de la vie de la famille d'aller au théâtre, ce qui marche encore moins bien avec les adolescents. Même dans les familles les plus cultivées, c'est rare qu'on arrive à le faire entre 12 et 16 ans. Donc là on est de nouveau battu. Ou il y a des propositions des théâtres qui vont s'appeler « démarches participatives », « chantiers de création », ... Le problème, c'est que s'il faut s'inscrire par

316 Scène régionale tournée vers le spectacle jeune public.

317 Espace numérique collaboratif.

318 Laboratoire adolescents de recherches et d'écritures contemporaines.

113

exemple « avant mardi 16h » on est battu aussi. Donc j'ai essayé de bâtir un projet et de faire des propositions de façon à ce qu'il y ait plusieurs entrées possibles, qu'on ait envie de voir, de s'impliquer, de multiplier les entrées et d'interconnecter tout ce qui se passe. C'est ce que j'ai appelé La fabrique où des artistes commencent par être là tout le temps, augmentant le nombre de jours où la rencontre peut se faire. [...] Et les artistes sont présents quand un jeune homme ou une jeune fille a envie de faire quelque chose. Et ensemble les artistes peuvent voir à quel endroit la personne peut rentrer dans un processus. Et avec trois d'entre eux on va dire : « Vous avez envie de faire du théâtre le mardi ? Super, mardi prochain tu viens et on fait. » Si cela ne se passe pas et que c'est juste l'aider à monter des tables, et bien il va monter des tables. Mais tous les prétextes sont bons pour favoriser la rencontre et l'envie et on est nombreux et on se parle. Et avec eux on invente des rendez-vous. Donc cela a donné La fabrique avec énormément de rendez-vous. Des rendez-vous pour les petits, les moyens, les grands, ... Et tout ce qui est proposé sur le terrain en terme d'action culturelle est connecté avec des artistes qui viennent au plateau, ou des auteurs qui viennent en résidence pour écrire, .... Donc on interconnecte tout en fait.

Marguerite Corrieu : Selon vous, quels sont les enjeux aujourd'hui de la médiation culturelle ?

Anne Courel : Ce qui est important c'est la souplesse, la capacité à rebondir et à construire avec. Cela tout le monde le dit mais personne ne le fait. Parce que c'est très dur à faire. Parce que çà veut dire que si vous avez de l'argent pour faire un projet d'EAC de 12 heures dans un collège, il faut que ces 12 heures deviennent, s'il faut 18 ou 22 heures. C'est cela qui est compliqué, il faut pouvoir suivre et inventer sans avoir en permanence la barrière du cadre. Donc c'est complexe. Après les enjeux c'est la participation, c'est se sentir exister à l'intérieur de quelque chose. Se sentir avec une place, c'est vraiment la question de la place. Ces adolescents n'ont pas de place.

Marguerite Corrieu : Quels sont pour vous aujourd'hui, les enjeux de la corrélation entre « adolescence » et « théâtre » ?

Anne Courel : Il y a quelque chose dans l'énergie qui m'intéresse. Il y a une énergie créatrice énorme chez ces jeunes gens. En tant que directrice de théâtre on a pas envie que cette énergie soit canalisée mais plutôt boostée par leur créativité. Donc en tant que directrice d'un théâtre c'est çà qui m'intéresse et en tant que metteuse en scène, c'est que çà m'oblige à trouver des solutions. En tant qu'adulte, je suis désespérée du monde dans lequel on vit. M'adresser aux jeunes c'est une manière de chercher des fenêtres, c'est une manière de parler de ce monde. [...] L'histoire de l'horizontalité cela me met très rapidement hors de moi. Parler tout le temps de co-construction et d'horizontalité cela me met très en colère car cela supposerait que les choses aient une hiérarchie. Oui il y a des gens qui savant plus de choses que d'autres, oui il y a des gens qui sont plus vieux, des gens qui ont plus de pouvoirs. Mais moi la mise en évidence de la différence cela me met hors de moi et je pense qu'on ne peut pas travailler ensemble. Il y a des enseignants qui arrivent à l'intérieur de leur classe à créer des espaces de dialogues absolument ouverts [...] et puis des professeurs qui les empêchent de s'exprimer. La seule

114

généralité qu'on peut dire par rapport à l'éducation nationale c'est que c'est un projet qui a forcément une histoire et que le projet d'éducation artistique et culturelle est extrêmement vieillot dans sa construction. Il faut renseigner, avant même d'avoir l'argent, à qui on va s'adresser, combien ils vont être, quel va être le thème et quels vont être les résultats attendus. Mais çà c'est la vieillerie de l'éducation nationale. Il y a des enseignants qui savent jongler avec, il y a des enseignants qui savent sortir des cadres. Pour le coup à l'éducation nationale ce n'est pas horizontal.

Marguerite Corrieu : J'ai pu constater que dans votre compagnie, il y avait une personne à part entière dédiée à la médiation ...

Anne Courel : Ce n'est pas quelqu'un qui est aussi comédien ou comédienne mais c'est quelqu'un qui est très proche de l'artistique. Et ces postes-là sont indispensables. Parce que sortir des cadres, penser autrement, faire en sorte que des adultes travaillent ensemble, .... Ce que j'ai dit tout à l'heure sur les entrées multiples. Cela permet à un moment donné d'avoir autour d'un jeune, un artiste, un professeur, ... On sait très bien que nous quand on va voir un film, on y va car on a eu plusieurs avis différents. C'est pas seulement un article dans un journal qui va nous amener à aller voir un film. Donc un jeune si à un moment on souhaite que le spectacle vivant entre dans sa vie, il faut que tout l'écosystème aille dans le même sens. Si l'animateur qui l'accompagne envoie des textos durant le spectacle ou sort en disant « de toute façon le théâtre c'est nul », vous avez beau travailler avec l'enfant depuis je ne sais combien de temps, il y a tout qui s'écroule car devant ses copains il ne va plus vouloir y aller. Donc c'est tout un énorme travail qui fait qu'il y a des alliances entre les adultes. Et cela prend énormément de temps, car ces adultes ne sont pas censés se voir, travailler ensemble, .... C'est des postes vitaux. Le fait qu'un enfant se sente bien un soir de spectacle c'est une cerise sur le gâteau mais tout ce qu'il y a dessous c'est énorme. Donc la médiation c'est un énorme boulot.

Marguerite Corrieu : Trouvez-vous que les artistes sont suffisamment armés pour s'adresser aux publics et pour mettre en place ces actions ?

Anne Courel : Les artistes ne peuvent pas tout faire, c'est aussi pour cela qu'il faut des médiateurs. J'ai commencé ma carrière en pensant qu'il n'en fallait pas mais maintenant je suis sûre qu'il en faut. C'est tellement un énorme boulot pour mettre en place ces alliances, rendre possible la rencontre, la suivre, la prolonger, ... Il faut un monde fou pour que çà marche tout cela. On ne peut pas demander aux artistes de tout faire. [...]

Marguerite Corrieu : Par rapport au Lab ado [...] Le Québec et la Belgique sont-ils plus avancés que la France sur les problématiques liées aux publics adolescents ?

Anne Courel : Maintenant on les a entre guillemets rattrapés mais c'est vrai que le Québec et la Belgique travaillent depuis longtemps sur le théâtre ados. En France, on ne disait pas qu'il y avait du théâtre ados, et beaucoup de gens le pensent toujours, qu'un adolescent peut voir

115

n'importe quel spectacle. Donc identifier un théâtre pour les adolescents, çà été fait par les belges et les québécois il y a largement 25 ans alors que nous, on a encore du retard. »

116

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon