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De la diversité culturelle, linguistique et migratoire à  l'établissement du locuteur en langue franà§aise. Cas d'adultes migrants à  Bruxelles.


par Stéphanie NASS
Université de Bourgogne - Master 2 Recherche didactique du franà§ais 2014
  

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PARTIE 3 : POUVOIR S'ÉTABLIR EN LANGUE FRANÇAISE : ANALYSES QUALITATIVES ET PROPOSITIONS DIDACTIQUES

FIGURE 6 : TITIEN, 1548-1549, SISYPHE, MADRID.

Alors que l'apophtegme de Bajriæ (2013 : 40) concernant la langue in fieri suppose « une concordance mentale entre le code linguistique et le code cognitif », on y pressent, dissimulée, l'essence même de la nature humaine. En effet, tel un locuteur imparfait attendu qu'il s'avère inhibé face au génie de l'idiome potentiel, le nouvel arrivant se retrouve confronté à sa « défaillance » (Levivier, 2011 :77) intellective, « privé des spécialisations qui permettent à chaque espèce de survivre » (ibid.). Ce que le linguiste-didacticien nomme la « néoténie linguistique »81, n'est autre que la caractérisation de l'évolution langagière de l'Être au travers d'une trajectoire temporelle. En cela, tout énonciateur paraît passer d'une situation in esse à une situation in fieri via un état ralenti dit « foetal » (Bolk, 1961 : 248) : la condition in posse. En conséquence, l'aspect fragmentaire des langues, dû à une matrice linguistique embryonnaire, catalyse des représentations ainsi que des attitudes fondatrices

81 Cf. Bajriæ, 2013 : 36-44.

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d'identité (Mudry, 2005 : 34), relevant du problématique phénomène de Sisyphe (Baroni, Jeanneret, 2009 : 8)82.

Chapitre 1 : Analyse détaillée des profils des locuteurs ou le modus operandi

Avec ce premier chapitre, nous ouvrons la partie « concrète » de notre travail c'est-à-dire que nous nous immergeons dans la réalité physique, et bien entendu linguistique, de notre cas d'étude. Notre dessein consiste donc à parcourir les données matérielles provenant de nos outils méthodologiques afin de rendre compte de l'orientation cognitive des énonciateurs. Ce cheminement s'efforcera de démontrer la « trajectoire » temporelle et linguistique mis en jeu. Néanmoins il nous faut signaler que notre analyse n'a finalement pas pu inclure les éléments provenant des sources écrites. La principale raison implique la tangibilité restreinte des signes produits par les locuteurs. A l'heure de l'analyse proprement dite, nous nous sommes rendue compte que les sources écrites n'étaient pas exploitables. En réalité, cela s'explique par le statut de scripteur débutant des sujets. C'est pourquoi, nous avons décidé de les écarter sous leur forme matérielle et avons opté pour une « retranscription », par le biais de l'examen des entretiens collectifs. De fait, ces derniers à thématique interculturelle concernaient les activités autour de ces écrits.

L'analyse du recueil de données est soumise à une méthode tripartite qui rappelle nos objectifs de recherche (cf. Partie 2, § 1.2.) :

- (b) le modus operandi de l'établissement du sujet en langue in posse, qui a pour point de départ les questionnaires à l'attention des locuteurs, et qui est déterminé par le biais des entretiens collectifs ;

- (a) la désignation des signes linguistico-cognitifs, qui sera définie, en conséquence, par le contenu des entretiens individuels ;

82 « Les mythes sont faits pour que l'imagination les anime. Pour celui-ci, on voit l'effort d'un corps tendu pour soulever l'énorme pierre, la rouler et l'aider à gravir une pente cent fois recommencée ; on voit le visage crispé, la joue collée contre la pierre, le secours d'une épaule qui reçoit la masse couverte de glaise, d'un pied qui la cale, la reprise à bout de bras, la sûreté tout humaine de deux mains pleines de terre. Tout au bout de ce long effort mesuré par l'espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d'où il faudra la remonter vers les sommets." (Camus, 1942 : 165).

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- (c) les actions didactiques orientées, qui seront précisées grâce au bilan des analyses des deux objectifs antérieurs ainsi qu'aux observations de classe et aux échanges naturels avec les formatrices.

Compte tenu de l'ampleur de notre exemplier d'observables, intimement lié à l'investigation sociologique, nous avons souhaité mener un travail d'herméneute basé sur « l'expérience humaine » et « le savoir produit par ces enquêtes » (Paillé, Mucchielli, 2012 : 86). En témoigne, en Annexe 6, notre « canevas investigatif » (ibid. : 207-229)83. En outre, l'examen des questionnaires initiaux ainsi que des groupes de discussion nous a amenée naturellement vers l'analyse thématique, déterminante et comparative, qui nous permet très justement de « dégager un portrait d'ensemble » (ibid. : 17) du corpus.

1.1. Présentation des résultats issus des questionnaires exploratoires

Outil de «guide et d'orientation »84 dans notre recherche, le questionnaire exploratoire nous a procurée, dans un premier temps, la possibilité de dresser un portrait introductif des locuteurs non confirmés (cf. Partie 2, § 3.1.). Il est donc tout à fait à propos dans notre démarche qualitative, en tant que soubassement, pour éprouver notre seconde hypothèse (b). Notre objectif est de mettre à jour, pour notre cas d'étude, le processus d'appropriation de la nouvelle langue. Notre dessein reste également à identifier les rapports manifestes entre les représentations du sujet parlant et la compréhension de l'idiome français. Pour mémoire, notre échantillon se constitue d'éléments relatifs à neuf énonciateurs adultes, relevés entre les mois de novembre et décembre 2013.

D'une manière globale, les réponses au questionnaire sont toutes chargées de représentations de sens langagier (in posse), de compréhension de l'idiome (in fieri), ou de symbolisme

83 Cf. Annexe 4.

84 Source électronique : Page officielle du « Trésor de la Langue Française » :
http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/saveregass.exe?122;s=2456656995 ; r=1 ;

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identitaire (in esse). Ainsi, nous avons identifié les imaginaires par un diagramme à thématique temporelle85.

85 Le diagramme est organisé selon la genèse de l'image mentale du temps, en langue française, du linguiste Guillaume. Les nominations des trois images font référence au cours de Bajriæ (2012, 16D593/4 : 79). Ces dernières font référence à l'oeuvre picturale de Kahlo.

"INITIALES"

"MEDIANES"

"FINALES"

0

FIGURE 7 : LES REPRÉSENTATIONS DES LOCUTEURS NON CONFIRMÉS.

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1.1.1. Les représentations « initiales »

Dans une empreinte de langue nouvelle, la connaissance sociolinguistique échappe et le locuteur ne voit rien du lien logique qui pourrait le colliger à certains signes. Si nous examinons le diagramme précédent bas en haut, nous discernons trois moments. Pour le premier relatif aux représentations « initiales », nous le rapprochons des explications comme suit :

- « Importance/efficacité dans le travail et la vie quotidienne ». Élément cité à l'unanimité par les neuf informateurs migrants sondés, nous y reconnaissons la marque de la richesse, voire de la production appliquée au concept de langue française. Nous constatons donc une parenté frappante entre l'idiome in posse et les activités humaines susceptibles de parvenir à l'appropriation et/ou à la satisfaction d'un objet. En outre, le nom porteur de qualité, « efficacité », mérite une attention spéciale, qui entendu dans le sens d'accroissement, participe à l'action d'exister, de générer ;

- « Beauté, utilité, facilité, à valeur sociale ». Autres substantifs abstraits, ces derniers étaient proposés sous forme d'adjectifs qualificatifs à la carte et, par conséquent, sont le résultat d'un choix pondéré86 . Cette sélection spontanée repose sur un code personnel qui assigne ou non une propriété à une chose, ici l'idiome français, sans que nous puissions saisir la loi de son processus. Il semble qu'elle appartienne à l'identité de l'énonciateur ;

- « Appartenance du territoire belge ». La locution renvoie aux phrases des sujets parlant telles que : « J'habite en/à Belgique » « Je suis de/de la Belgique ». D'après ces signes phrastiques constatés dans les réponses, nous voyons que la langue française renvoie aussi à un objet « ayant une existence propre » (Grevisse, 2009 : 86). Qui plus est, qui ne convient qu'à un seul espace géographique restreint, en témoigne

86 Les expressions envisageables comme complexes dans le questionnaire, ont été, à la demande de l'apprentie-chercheure, reformulées par les locuteurs adultes eux-mêmes.

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l'emploi du nom propre « Belgique ». Nous y retrouvons la théorie de Courthiade selon laquelle un locuteur pour exister doit être rattaché à un territoire (Partie 1, § 2.1.) ;

- « Incompréhension : volonté de maîtrise » ou « Je (ne) connais pas », « Je (ne) comprends pas », « Je (ne) sais pas ». À côté des déterminations de l'idiome nouveau, nous percevons une nuance d'évolution dans la représentation langagière. Avec la question 2 de la première partie du questionnaire, les locuteurs se précisent comme des individus à l'aide du pronom personnel « je » à déclinaison nominative. En ce sens, les imaginaires deviennent mieux contextualisés et les actions subordonnées les caractérisent davantage. Aussi, cette quatrième catégorie recouvre-t-elle des verbes dans ce cas intransitifs, attendu que le sujet de l'action est signalé par la situation : « connaître », « comprendre » et « savoir » pourvoient à la compréhension des énoncés. Il est dans notre Partie 1, § 2.1., une théorie selon laquelle la pluralité originelle, taxinomique et sociétale des idiomes met en évidence la richesse des rencontres d'ordre langagier et comportemental. En l'occurrence, l'aspect définitoire des verbes laisse se profiler des sentiments tels que la peur, l'incapacité ou le refus.

Par un premier relevé de ces représentations in posse, nous devinons leur influence quant à la compréhension de la langue française. Dès que le locuteur n'a plus la capacité à percevoir les choses, à construire du sens, à exprimer sa façon d'être, à se rappeler son soi intime, il offre des schémas naïfs à son intellect. Après tout, peut-être que cette « catégorisation » qui « met donc de l'ordre [...] en permettant de nous orienter » (Azzi Assad, Klein, 2013 : 13) favorise l'établissement de l'adulte migrant en français.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry