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L'artiste et la ville en Hauts-de-France. Le cas du parcours d'art contemporain d'Amiens métropole.


par Julien Cossart
Université de Picardie Jules Verne - Master 2 Culture, Patrimoine et Innovations Numériques 2020
  

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II. Une histoire de la sociologie de l'art

Reconstituer l'histoire de la sociologie de l'art n'est pas simple dans la mesure où cette sous-discipline a été pendant des décennies en contact étroit avec d'autres disciplines propres à l'art; ce qui a pour conséquence une opacité de ses contours. Bien que cela entraînera une autonomisation relativement tardive de la sociologie de l'art, nous ne pouvons nier les apports de ces disciplines sur cette dernière. Pour reconstituer cette histoire, je m'appuierai principalement sur le travail réalisé par Nathalie Heinich avec La sociologie de l'art paru en 2001.

Si nous prenons comme point de départ la naissance de la sociologie, nous constaterons que Emile Durkheim et Max Weber ont peu écrit sur l'art. « Les fondateurs de la sociologie n'accordèrent en effet qu'une place marginale à la question esthétique. »1 Le premier sociologue à s'intéresser à l'art est l'allemand Georg Simmel avec La Tragédie de la culture et autres essais en

1 Heinich, N. (2001). La sociologie de l'art. La Découverte, p. 10.

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1925; oeuvre dans laquelle « il tentait de mettre en évidence le conditionnement social de l'art, notamment dans ses rapports avec le christianisme, et l'influence des visions du monde sur les oeuvres »2. Alors nous comprenons la proximité de la sociologie avec l'histoire de l'art; et, entre ces deux disciplines, l'apparition d'un nouveau courant que Nathalie Heinich nomme l'histoire culturelle de l'art. Ce courant sera développé notamment avec l'historien autrichien Edgar Zilsel dans Le Génie. Histoire d'une notion, de l'Antiquité à la Renaissance en 1926. L'historien démontre, à partir du processus de valorisation de l'artiste, la manière par laquelle la valeur d'une oeuvre devient celle de son créateur. Parmi ceux qui ont contribué à l'histoire culturelle de l'art, nous pouvons relever l'historien d'art allemand Erwin Panofsky qui, avec L'Oeuvre d'art et ses significations en 1955, va proposer trois niveaux d'analyse de l'oeuvre picturale; dont le niveau iconologique, qui équivaut à la vision du monde sous-tendue par l'oeuvre. « L'oeuvre abondante de Panofsky s'étend bien au-delà d'une vision proprement « sociologique », laquelle n'apparaît [...] que dans la mise en évidence des relations d'interdépendance entre le niveau général d'une « culture » et celui, particulier, d'une oeuvre. »3

Ce n'est donc pas dans la sociologie que la sociologie de l'art est née; ni dans l'histoire culturelle de l'art qui, pourtant précurseuse, ne réclame pas la sociologie de l'art. Pour raconter cette sous-discipline, Nathalie Heinich va proposer un modèle en trois générations; aussi distantes dans le temps que dans l'espace, mais encore par leur discipline respective ainsi que les problématiques et réflexions qu'elles ont apporté. La première génération est celle de l'esthétique sociologique, avec la philosophie allemande, durant la première moitié du XXe siècle; la seconde celle de l'histoire sociale de l'art, développée par des historiens de l'art en Angleterre et en Italie pendant la Seconde Guerre Mondiale: la dernière celle de la sociologie d'enquête apparue aux Etats-Unis et en France dans les années 1960.

J'utiliserai ce modèle de Nathalie Heinich en présentant, dans un premier temps, les deux premières générations; lesquelles, bien qu'elles aient eu une importante influence sur la sociologie de l'art, ne peuvent être prises en compte comme appartenant à la discipline sociologique. La seconde sous-partie sera consacrée à la sociologie d'enquête et à ses résultats. Je tenterai principalement, dans cette histoire de la sociologie de l'art, de relever les travaux liés aux « arts plastiques ». Pour terminer, et revenir à ce qui sera au coeur de ce mémoire, nous évoquerons l'art contemporain à travers la notion de « paradigme »; transposée des sciences naturelles à l'art par Nathalie Heinich dans Le paradigme de l'art contemporain. Structures d'une révolution artistique en 2014.

2 Heinich, N. (2001). La sociologie de l'art. La Découverte, p. 10.

3 Ibid, p. 13.

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1. Une « pré-sociologie » de l'art

La première génération, celle de l'esthétique sociologique, a posé un premier pas remarquable dans la mesure où elle a commencé à penser les relations entre art et société; « Désautonomisation (l'art n'appartient pas qu'à l'esthétique) et désidéalisation (il n'est pas une valeur absolue) sont bien les deux moments fondateurs de la sociologie de l'art »4. Si l'idée que l'art ne dépend pas que de causes esthétiques peut être datée au milieu du XIXe siècle, avec Hippolyte Taine et Philosophie de l'art (1865), elle sera surtout initiée non pas par Karl Marx lui-même mais par certains héritiers de sa pensée; c'est-à-dire la tradition marxiste. L'approche par la classe sociale sera ainsi utilisée par le philosophe hongrois Georg Lukacs, dans Littérature, philosophie, marxisme en 1922, pour constituer un lien entre conditions économiques et production artistique. En ce qui concerne la peinture, cette tradition marxiste est perpétuée par l'historien de l'art hongrois Frederick Antal qui, dans Florence et ses peintres. La peinture florentine et son environnement social en 1948, interprète la diversité des oeuvres du XVe siècle comme « le reflet de la diversité des conceptions du monde des différentes classes sociales »5. Cette approche a cependant été critiquée; le lien de causalité entre oeuvre et classe sociale étant perçu par certains spécialistes comme une démonstration de la pensée de Marx et non comme une tentative de compréhension de l'art.

Au même moment que cette tradition marxiste, des philosophes allemands se réunissent dans les années 1930; ces derniers constitueront l'école de Francfort. L'école de Francfort est constitutive de la sociologie de l'art dans la mesure où elle pense la relation entre art et société, la désautonomisation de l'art donc; cependant, considérant l'art comme outil d'émancipation de l'individu vis-à-vis des «masses», l'école de Francfort ne permet pas sa désidéalisation. Parmi les principaux travaux de l'école de Francfort, Walter Benjamin, dans L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique en 1936, « ouvre une réflexion novatrice sur les effets des innovations techniques, en l'occurrence la photographie, sur la perception de l'art. »6 Walter Benjamin explique que cette reproductibilité technique a pour conséquence la perte de l'« aura » de l'oeuvre ainsi que la désacralisation du rapport à cette oeuvre.

En même temps que l'école de Francfort, un dernier courant apparaît; provenant de l'histoire de l'art, il est incarné par Pierre Francastel. Ce courant tente « de mettre en évidence ce en quoi

4 Heinich, N. (2001). La sociologie de l'art. La Découverte, p. 16.

5 Ibid, p. 19.

6 Ibid, p. 21.

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l'art peut être le révélateur [...] de réalités collectives, visions du monde »7; ce que montre Pierre Francastel dans Peinture et société. Naissance et destruction d'un espace plastique, de la Renaissance au cubisme dès 1951. L'historien de l'art établit un rapport entre les courants picturaux et leurs sociétés respectives. Cependant, contrairement à la tradition marxiste, l'oeuvre ne révèle pas là les conditions de sa production mais devient plutôt créatrice de vision du monde. « L'art apparaît alors moins comme déterminé que comme déterminant, révélateur de la culture qu'il contribue à construire autant qu'il en le produit. »8

Avant d'en arriver à la seconde génération, celle de l'histoire sociale de l'art, notons l'apport de cette première génération qui, à partir de la recherche de lien entre l'art et la société, a permis la désautonomisation de l'art, c'est-à-dire que l'art ne répond pas qu'à des déterminations artistiques; bien que l'école de Francfort ou encore ce que Nathalie Heinich nomme la sociologie de Pierre Francastel, à travers les « pouvoirs » qu'ils accordent à l'art, ne permettent pas sa désidéalisation.

A partir des années 1950, la seconde génération, celle de l'histoire sociale de l'art, pose la question du contexte de l'oeuvre; notamment, au départ, avec le mécénat. Le mécénat permet une approche de l'oeuvre à travers les contraintes de l'artiste. L'historien de l'art anglais Francis Haskell, dans Mécènes et peintres. L'art et la société au temps du baroque italien en 1963, analyse « les différents types de contraintes propres à la production picturale - localisation de l'oeuvre, taille, sujet, matériaux, couleurs, échéance, prix. »9

L'historien de l'art allemand Nikolaus Pevsner initia l'histoire institutionnelle de l'art en étudiant Les Académies d'art dès 1940. Dans la continuité de ces travaux, notons l'intérêt porté à la France avec, entre autres, les américains Harrison et Cynthia White qui, dans La Carrière des peintres au XIXe siècle en 1965, montrent « le décalage entre, d'un côté, la routinisation et l'élitisme académiques, qui mettaient les institutions de la peinture (école, concours, jurys, récompenses...) sous la coupe d'un petit nombre de peintres âgés et conservateurs, et, de l'autre, l'augmentation du nombre de peintres et les possibilités accrues du marché »10 à partir de statistiques sur des archives.

Nous avons vu que ce qui constitue l'apport principal de cette seconde génération est le travail de recontextualisation de l'oeuvre. Cette recontextualisation permet, dans le cas de l'historien Georges Duby avec Le Temps des cathédrales. L'art et la société, 980-1420 en 1976,

7 Heinich, N. (2001). La sociologie de l'art. La Découverte, p. 21.

8 Ibid, p. 23.

9 Ibid, p. 27.

10 Ibid, p. 28.

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d'expliquer l'apparition de nouvelles formes artistiques, ou encore, dans le cas de l'historien de l'art anglais Timothy Clark avec Le Bourgeois absolu. Les artistes et la politique en France de 1848 à 1851 en 1973, d'expliquer les connotations idéologiques des oeuvres. Mais, parmi cette histoire sociale de l'art, c'est un autre historien de l'art anglais, Michael Baxandall, qui livrera ce qui est certainement l'oeuvre la plus connue et reconnue; ou, du moins, celle que nous étudions durant notre cursus universitaire. En effet, dans L'Oeil du Quattrocento. L'usage de la peinture dans l'Italie de la Renaissance en 1972, Michael Baxandall dévoile la « culture visuelle » de cette époque, autrement dit, « comment on regardait un tableau [...] : physiognomonie (ou signification des traits du visage), langage des gestes, scénographie, danse, drames sacrés, symbolisme des couleurs, techniques de mesure et étude des proportions »11, etc.

Peu à peu, nous partons de la production de l'oeuvre pour en arriver à sa réception. Francis Haskell, que nous avons vu avec le mécénat précédemment, va aussi, dans La Norme et le Caprice. Redécouvertes en art en 1976, retracer les évolutions de la sensibilité esthétique en mettant en évidence son interdépendance avec d'autres évolutions; telles que les évolutions de la politique ou encore de la religion. L'historien de l'art anglais Thomas Crow posera la question du public dans La Peinture et son public à Paris au dix-huitième siècle en 1985. Ce dernier revient sur la création par l'Académie des salons de peinture et sur la manière par laquelle le public de ces salons « a permis un certain affranchissement du goût des amateurs par rapport aux normes académiques [...] et notamment par rapport à la hiérarchie officielle des genres, qui privilégiait la peinture d'histoire en dévalorisant les genres « mineurs », en particulier les scènes de la vie quotidienne et les natures mortes. »12 Pour terminer cet « aparté » à propos de la perception esthétique des amateurs d'art, l'historien de l'art suisse Philippe Junod montre, dans Transparence et opacité. Essai sur les fondements théoriques de l'art moderne en 1976, comment le fond de l'oeuvre est devenu secondaire vis-à-vis de sa forme.

Revenons-en aux artistes, à ceux qui créent l'art de leur main. Dès 1963, dans Les Enfants de Saturne. Psychologie et comportement des artistes, de l'Antiquité à la Révolution française, Rudolf et Margot Wittkower, historiens de l'art, révèlent la récurrence de la représentation de l'artiste « marginal » à partir de l'analyse d'un corpus de biographies. L'ascension sociale de l'artiste est développée par l'historien de l'art anglais Andrew Martindale dans The Rise of the Artist in the Middle Ages and Early Renaissance en 1972; pour ce qui concerne la période pré-Renaissance. En ce qui concerne l'évolution du statut de l'artiste entre la Renaissance et le XIXe siècle, c'est Nathalie Heinich, dans Du peintre à l'artiste. Artisans et académiciens à l'âge

11 Heinich, N. (2001). La sociologie de l'art. La Découverte, p. 31.

12 Ibid, p. 34.

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classique en 1993, qui explique « trois types de régimes d'activité qui se sont succédé et, parfois, superposés : le régime artisanal du métier, dominant jusqu'à la Renaissance; le régime académique de la profession, qui régna de l'absolutisme à l'époque impressionniste; et le régime artistique (au sens moderne) de la vocation, apparu dans la première moitié du XIXe siècle pour s'épanouir au XXe siècle. »13

Cette seconde génération qu'est l'histoire sociale de l'art aura permis, avec la prise en compte des deux pôles qui l'entourent, de mieux comprendre l'oeuvre dans son contexte; ces deux pôles étant, d'un côté, la production de l'oeuvre, et, de l'autre, sa réception. Mais, à ce stade, une question reste encore en suspens : Comment la sociologie s'est-elle appropriée l'art ? Ce sera tout l'intérêt de la sous-partie suivante.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry