B. DES CONTENUS PERSONNIFIÉS ET
NÉGOCIÉS
1. Un mandat présenté comme une
expérience individuelle
Les contenus diffusés sur les médias sociaux par
mon parlementaire prennent la tournure d'une véritable promotion des
réalisations qui aboutissent. Mobilisé tous azimuts à la
captation de forces économiques et politiques dans
l'intérêt de son territoire, les réalisations territoriales
sont personnifiées au cours des inaugurations en la personne de
l'élu local.
Ce phénomène s'est développé
notamment depuis les lois de décentralisation qui ont donné aux
collectivités locales des compétences et «
érigé la dimension gestionnaire en qualité de l'élu
local. Homme de dossier et "entrepreneur", l'édile se transforme en
"communicant" célébrant les réalisations territoriales
qu'il se doit de personnifier34 » .
Ainsi des contenus établissant un lien de cause
à effet entre une action individuelle et une réalisation
concrète sont régulièrement mis en avant par mon
parlementaire. Des formulations commençant par « J'ai
déposé une proposition de loi... » ou « J'ai
interpellé le/la Ministre... » suivi de données
chiffrées mettant en valeur une évolution positive significative
établissent indirectement un lien causal entre l'action entreprise par
l'élu et les résultats immédiatement observables.
33 FOESSEL Michaël, « La privation de l'intime »,
Seuil, 2008, p. 53
34RIUTORT Philippe, « Sociologie de la
communication politique », La Découverte, 2007, p.62
28
Ce type de construction syntaxique fut à de nombreuses
reprises une commande de mon parlementaire et son équipe conscients de
l'aspect personnifiant d'une telle formulation. Ce phénomène de
personnalisation de la communication est d'ailleurs une des conséquences
des médias sociaux : « les réseaux sociaux accentuent la
personnalisation et favorisent les jugements à l'emporte-pièce et
outranciers, au détriment des idées et des fastidieux programmes
que plus personne ne lit 35 » .
Cette personnalisation de la communication est due au fait que
les acteurs tels que les parlementaires en quête de visibilité
adaptent leurs contenus à ceux des journalistes.
2. Une négociation dans la lutte pour la
visibilité
Les médias sociaux et notamment Twitter voient se jouer
une lutte pour la visibilité entre des élus qui essaient
d'exister médiatiquement et des journalistes qui tentent d'obtenir les
meilleures informations (celles qui auront le plus d'impact en terme
d'audience). Dans cette lutte, les députés constituent des
observateurs privilégiés de la vie parlementaire puisqu'ils
créent la plus grande part de l'actualité politique.
Twitter est « un entre-soi dans lequel sont
négociées (É) des fenêtres d'exposition
médiatique à large audience contre des informations à
forte valeur médiatique, objectif autour duquel les
députés et les journalistes se retrouvent36 ». En
tant que média social, « Twitter constitue un espace de
sociabilité, où l'on négocie des contrats de
médiatisation en même temps que l'on noue des rapports humains
entre semblables37 ».
Les efforts de mise en scène de la vie privée de
l'acteur politique est destiné à favoriser l'attraction de
journalistes. « Twitter offre littéralement à ses
utilisateurs, journalistes et députés,
35MARTIGNY Vincent, « Le Retour du Prince »,
Paris, Flammarion, 2019, chapitre III
36 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de
séduction entre députés et journalistes. La salle des
Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques
», Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 222
de mettre en corps leur identité numérique et
leurs sociabilités numériques, par la personnalisation de leur
profil et la gestion fine des paramètres de leur propre exposition3 8
» .
Ainsi les parlementaires intègrent, selon des logiques
de mimétisme, toute une série de codes et d'usages pour apprendre
à communiquer au mieux dans cette lutte pour la visibilité que
constituent ces espaces médiatiques que sont les médias sociaux.
Ces éléments participent à leur croyance forte en
l'efficacité de tels dispositifs pour déployer leur
communication.
29
38 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de
séduction entre députés et journalistes. La salle des
Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques
», Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 223
30
|