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Chambre d'isolement : du point de vue des patients. Impact d'un temps d'élaboration sur le vécu des patients après un séjour en chambre d'isolement dans une unité d'hospitalisation de psychiatrie adulte

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par Charlotte Mouillerac
Université Paris 8 - Master 1 psychologie clinique et psychopathologie 2007
  

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8.3.2 LE PATIENT / ÊTRE SOCIAL

Le malade hospitalisé se retrouve au sein du groupe des patients.

Cette proximité est à la fois un soutien et une source d'inquiétude. On est avec les autres, tenu par eux ou leur regard, contre eux, pourquoi pas menacé par leur présence...

Turquet nous rappelle que « dans le groupe large, la rupture de la frontière de « la peau de mon voisin » est une menace toujours présente [...] car le groupe large soulève de nombreux problèmes comme : où ? qui ? de quelle sorte ? [...]» 93(*)

L'isolement peut être vécu comme un soulagement quand la pression du groupe se révèle insupportable.

Mais le contraire est aussi possible.

La création d'une " peau-frontière " avec son voisin permet de vivre par délégation. On vit parce qu'on vit avec, que l'on reçoit de l'autre et qu'on peut lui donner en retour (des contacts, de l'information...). Ce que l'on vit seul, que l'on ne peut raconter à personne, n'existe pas.

L'isolement peut être vécu par les patients de façon très violente en ce qu'il consiste en une rupture d'avec le groupe social, avec risque d'effraction du Moi-peau.

Anzieu souligne l'importance du sentiment d'une sécurité de base dans sa propre peau, d'avoir la certitude et la constance d'un bien être de base. Se sentir (bien, mal, à l'aise...), c'est aussi ce dont parle Damasio dans L'Erreur de Descartes94(*). Il n'y a pas d'un côté le corps et de l'autre l'esprit. Le Moi est en interaction constante avec la peau, dont Anzieu rappelle les fonctions :

Ø fonction de « sac qui contient et retient à l'intérieur le bon et le plein 95(*)»,

Ø fonction d'interface entre le dehors et le dedans, fonction de protection,

Ø fonction de communication et surface d'inscription des traces des relations signifiantes.

La peau est une limite entre l'extérieur et l'intérieur. La CI qui veut / peut jouer ce rôle n'en a pas au premier abord les caractéristiques : chaleur, douceur (la fourrure de la mère animal), proximité réconfortante.

Le patient en CI est à nu et la CI doit tenir lieu de peau de substitution, les soignants tenant le rôle de mère / garants de la sécurité, du nursing, de la communication...

Si cette mère est défaillante (absente, non fiable, agressive...), l'angoisse peut devenir majeure (de morcellement, de séparation, de dépersonnalisation...) et les défenses psychotiques (clivage, déni, projection) peuvent se renforcer contre les soins vécus comme persécuteurs.

C'est la façon de soigner le nourrisson, la qualité du handling (Winnicott), qui permet l'union entre le moi et le corps.

Les études sur l'attachement (Bowlby, Lorentz) montrent l'importance des contacts avec les autres humains du groupe et de ce que l'on appellera la "chaleur humaine" : entre des mères de fil de fer et d'autres recouvertes de fourrure, les petits singes choisissent la fourrure.

La douceur de la parole, le "doux visage", comme la fourrure de la maman singe, rassure et réconforte : re-conforte, renforce.

La notion d'intimité, dans sa peau et dans son espace personnel, contribue au sentiment de sécurité. L'être humain sans poils (contrairement au petit singe) se fait sa peau de sa maison, de ses vêtements, de ses objets personnels. L'intime ne se résume pas au corps, il est fait de tout ce qui constitue cette peau élargie.

Lors de leur mise en CI, les patients doivent être mis en pyjama.

On retire les sacs, les objets personnels, qui sont rangés dans un placard en attendant de pouvoir être rendus à la fin de l'isolement. C'est parfois source de grande inquiétude pour certains patients (particulièrement les SDF) : « où sont mes affaires, tel portefeuille, photo, numéro de téléphone, paquet de cigarette... »

La mise en pyjama et le retrait des objets personnels renvoie, qu'on le veuille ou non, à des procédures d'entrée dans des univers concentrationnaires, où la mise en uniforme signe la perte de l'identité propre et l'inscription dans le moule de l'institution.

« L'inventaire est une sorte de rituel immuable (...) à l'issue duquel il ne reste plus dans l'institution que 2 catégories de personnes : les malades mentaux et les soignants »96(*)

Le refus de s'y conformer a des conséquences : appel de renforts, contention, injection...

Les protocoles de sécurité exigent aussi qu'aucun sous-vêtement ne soit donné en CI, principalement pour éviter que des objets soient introduits dans la chambre à l'occasion de sorties dans le service (cachés dans les sous-vêtements).

S. Tisseron97(*) parle de l'importance des sous-vêtements. Alors que les vêtements de dessus sont comme une seconde "peau" sociale, qui nous représente tel que nous voulons (ou croyons) être, avec nos souvenirs, nos préférences, nos timidités..., les sous-vêtements sont notre seconde peau intime, rassurante et contenante.

Etre déshabillé est parfois vécu comme une agression. Quiconque a dû subir une chirurgie a pu avoir ce sentiment lorsqu'il s'est vu remettre la chemise d'opéré, ouverte dans le dos. C'est une impression désagréable, mais à laquelle on trouve une justification. Si le patient en CI comprend son déshabillage comme une humiliation, il peut l'interpréter comme une punition.

Les limites des murs sont trop larges et pas assez réconfortantes, et de plus, elles peuvent être intrusées à tout moment et sans avertissement par les passages des soignants. Le patient ne peut pas empêcher qu'on le regarde par la fenêtre du sas (pour vérifier qu'il va bien, par exemple). Il n'a pratiquement aucun contrôle sur qui entre dans sa chambre et à quel moment. A.E. Escobar, dans l'Enfermement analyse ce qu'il appelle la période d'initiation des prisonniers, c'est-à-dire les premiers temps d'incarcération. Aux murs de sa cellule, le prisonnier ajoute ses propres murs, qui le protègent de l'enfermement. « Cette cuirasse défensive lui est nécessaire comme conduite d'entrée dans cet univers où la défense et les mécanismes doivent s'organiser afin de résister aux attaques de l'institution, des autres, de soi-même.98(*)»

Sonner, menacer, insulter ou être agressif... sont des moyens de se sentir en contrôle. D'autres moyens prennent une forme plus délirante : on déchire ses draps pour boucher les toilettes (par où qui pourrait entrer ?), on se fait une barricade avec son matelas...

La chambre, c'est moi. Si ce moi est vide, c'est l'angoisse.

La CI peut symboliser la chambre de l'enfant : réconfortante ou angoissante selon qu'on y est aimé ou puni. L'entrée des soignants dans la CI peut être vécue comme une effraction. Mais elle peut se vivre aussi comme l'arrivée de la mère qui soulage, nourrit et rassure. D'où l'importance d'expliquer la rythmicité des passages, d'avertir à l'avance d'une heure fixe de passage et de s'y tenir, de laisser à disposition un réveil ou une pendule, de frapper avant d'entrer.

* 93 In Anzieu D. (1985) Le Moi-peau. Paris. Dunod. Ed. Bordas

* 94 D'Amasio, A.R. (1997) L'erreur de Descartes. Paris. Ed Odile Jacob

* 95 Anzieu D. (1985) Le Moi-peau. Paris. Dunod. Ed. Bordas

* 96 Philippe Clément. 2001. La forteresse psychiatrique. Editions Flammarion-Aubier. Paris. p 110

* 97 Tisseron S. 1999. Comment l'esprit vient aux objets. Aubier. Paris

* 98 Escobar Molina A. (1989) L'enfermement. Paris. Ed.Klincksieck. p 81

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