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Chambre d'isolement : du point de vue des patients. Impact d'un temps d'élaboration sur le vécu des patients après un séjour en chambre d'isolement dans une unité d'hospitalisation de psychiatrie adulte

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par Charlotte Mouillerac
Université Paris 8 - Master 1 psychologie clinique et psychopathologie 2007
  

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9.1 L'ÉTUDE DE WADESON ET CARPENTER

L'article de Wadeson H. et Carpenter W.T.101(*) en 1976 dit bien la force des sentiments exprimés par les patients à l'issue d'un séjour en isolement.

Ces médecins ont évalué les réactions des patients au travers de leurs productions artistiques sur une période de 3 ans. 62 patients ont ainsi été évalués au cours de ces sessions. Parmi eux, 41 avaient fait un séjour en CI. 20 patients sur ces 41 ont spontanément produit des dessins se rapportant à cette expérience. 17 dessins représentent une hallucination vécue en isolement, 23 une expérience délirante associée à l'isolement, 12 un affect intense associé à l'isolement.

Dans la représentation des hallucinations, il apparaît qu'une importante proportion des oeuvres a un caractère réconfortant, rassurant, ou distrayant, comme si les patients avaient inconsciemment cherché à se récréer un univers mental apaisant pour contrebalancer leur angoisse.

A l'inverse en effet, les représentations des expériences délirantes associées à l'isolement ont majoritairement un caractère déplaisant, voire terrifiant. Plusieurs patients se sont crus en prison, et un a même pensé qu'il était dans une chambre à gaz.

Les dessins représentant les affects ont tous un caractère négatif. Une patiente décrit l'expression du visage qu'elle a dessiné comme étant : « mélancolique, malheureux, frustré ». Une patiente imagine qu'elle avait été isolée parce que les soignants voulaient avoir la paix, et dessine donc de la colère.

9.2 L'ÉTUDE DE DOMINIQUE FRIARD

D. Friard, infirmier de secteur psychiatrique à Laragne (05), réalise en 1996 une recherche sur le vécu de patients102(*). Il pose 14 questions à 10 patients volontaires, à distance de leur séjour en CI. Il relève que plusieurs mots reviennent comme un leitmotiv dans les réponses : prison, cigarette / fumer, piqûre, calme / rester calme, punition, privation de tabac associée à énervement et agressivité.

L'isolement n'est pas perçu comme arbitraire. Le lien est fait par les patients avec le trouble du comportement ou le passage à l'acte qui a précédé. Ce passage à l'acte paraît minimisé ou décontextualisé.

Les patients se montrent peu loquaces sur les raisons de l'isolement. D. Friard fait l'hypothèse d'une absence d'élaboration, d'une forme de déni. S'il y a absence d'élaboration, à qui la faute ? Y a-t-il eu suffisamment de place faite à l'élaboration par l'équipe ? D. Friard insiste sur l'importance d'informer le patient sur les raisons et le déroulement de l'isolement et sur les buts poursuivis dans son cas.

Il soulève l'idée qu'il est sans doute plus difficile de comprendre le pourquoi d'une mise en isolement lorsqu'il n'y a pas eu de passage à l'acte, dans le cas d'une mesure préventive.

Les patients se représentent comme des enfants capricieux punis par leurs parents :
« Je n'étais pas sage », « J'étais comme un p'tit loup bébé qui voit son père en colère.
Je savais pas ce qui allait me tomber dessus.
 »

Les théories explicatives des patients sont d'une grande pauvreté. La chambre d'isolement, c'est une punition. Si on est calme, on a des chances d'en sortir, mais même alors l'on n'est sûr de rien. Le conseil qu'ils donneraient aux autres patients : « reste calme, écoute l'infirmière ».

Le soin en chambre d'isolement se résume pour les patients à la "piqûre". Le soin relationnel n'est pas reconnu comme un soin à part entière.

La piqûre est vécue comme une contrainte et une violence. Les infirmiers viennent à plusieurs, « ils appellent leurs copains ».

Friard note cependant que cette piqûre qui fait mal et qui fait effraction permet aussi de retrouver les limites de son corps.

Les patients font la différence avec les "bons" médicaments : ceux qui permettent de dormir et d'oublier.

Créer une alliance thérapeutique avec un patient change la donne : le patient se sent alors entre de bonnes mains, et « de bonnes mains ne peuvent pas faire de mauvaises piqûres ».

La cigarette prend une importance considérable pour le patient isolé. Il faut rappeler que les psychotiques sont de gros fumeurs, particulièrement dans ces périodes d'hospitalisation où le temps passe si lentement.

La cigarette est le bon objet qui remplit et permet de supporter le manque. En chambre d'isolement, elle est rationnée ou supprimée. Le moment cigarette devient un temps privilégié de rencontre entre le patient et les soignants. Le "bon" soignant est celui qui autorise une deuxième cigarette, qui permet un temps de sortie un peu prolongé.

Les patients se plaignent moins de l'absence de musique, et pourtant, nombreux sont ceux qui utilisent la musique pour camoufler les voix, que ce soit avec un poste portatif ou un baladeur.

Les patients interrogés par Friard se plaignent aussi des conditions matérielles, particulièrement spartiates dans leur cas, puisqu'ils sont contraints d'utiliser des seaux hygiéniques et que leurs murs sont couverts de graffitis.

Dans l'utilisation des pronoms personnels "je", "ils", Friard remarque que les soignants sont en position de sujet. Les patients agissent moins mais c'est sur eux que porte l'action du verbe. Quand le "ils" est employé pour désigner les soignants, le verbe renvoie au registre de la sanction : "piéger, tricher, imposer, consigner...". Quand le soignant est individualisé, appelé par son nom, on entre dans le domaine du soin relationnel. La relation est différenciée, créatrice d'alliance thérapeutique.

L'utilisation de la chambre d`isolement modifie les relations du patient avec les soignants. Difficile d'établir un lien de confiance avec celui qui vous a enfermé. Un lien privilégié existe parfois cependant, avec ceux qui auront adouci les contraintes (laissé plus de temps pour une cigarette, par exemple).

Les interactions sont multiples dans ce système entre les soignants et le patient. Comme dans un système familial, il est très difficile de déterminer les responsabilités.

Le ressenti des patients varie, de celui qui trouve que ce n'était pas si long, ou qui ne s'en souvient pas parce qu'il était "dans le coltar", à ceux qui parlent de torture ou de prison.

Les mots sont très forts : « J'avais l'impression que j'allais mourir. Je me suis senti en prison » ; « enfermé comme un chien » ; « Je vivais ça comme une punition, un viol, une sorte de torture muette » ; « J'ai perdu ma pudeur, mon intimité ».

Un patient insiste sur l'impuissance ressentie : « Ils te mettent en position de mendiant... T'as l'impression de retourner à un état animal. Ca permet de tout faire sortir physiquement, on peut se laisser aller. Je me servais du lit en ferraille pour défoncer la porte, du coup ils ont enlevé le lit. Tu perds ta dignité d'être humain. »

Cette étude met en évidence le fait que les patients ayant été isolés plus d'une semaine expriment tous des angoisses de morcellement, morcellement dont il est difficile de savoir s'il aurait existé en dehors de la CI du fait de leur pathologie ou s'il est majoré par l'isolement. En effet, les expériences réalisées pour étudier les effets de l'isolation sensorielle montrent que la privation de stimulation provoque ce type d'angoisses.

* 101 Wadeson, H./ Carpenter, W.T. (1976) Impact of the seclusion room experience. Journal of nervous and mental disease. vol. 163, n°5. p 318 -328

* 102 Friard, D. (2002) L'isolement en psychiatrie : séquestration ou soin ? Paris : Ed. Masson

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