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Libéralisation de la filière coton au Bénin

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par Edmond TOTIN
Université d'Abomey-Calavi (Bénin) - Diplôme d'Ingénieur Agronome 2004
  

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5.2 Cadre institutionnel de la filière coton et son fonctionnement après la libéralisation

5.2.1 Les choix stratégiques du gouvernement en matière de réforme de la filière

Dans le cadre des réformes économiques entamées au début des années 90, l'Etat a engagé un processus progressif de libéralisation de la filière cotonnière. Ce processus a commencé par l'ouverture de la filière au secteur privé de l'importation et de distribution des intrants agricoles (engrais et insecticides).

L'activité d'égrenage a ensuite été ouverte aux opérateurs privés qui détiennent aujourd'hui une capacité d'égrenage d'environ 47% de la production nationale (AIC, 2004). Au cours de l'année 2000, ce processus de libéralisation a connu une nouvelle avancée décisive avec le choix par le gouvernement d'une filière privée autogérée au niveau national. Cette réforme repose sur les principes suivants :

Le transfert des responsabilités de l'Etat aux acteurs privés, dans le domaine de la gestion de la filière, a été consacré à travers deux décrets et deux arrêtés d'application. Il s'agit du :

- Décret N°99-537 du 17 Novembre 1999 portant transfert au secteur privé de la responsabilité des consultations pour l'approvisionnement en intrants ;

- Décret N°2000-294 du 23 Juin 2000 portant suppression du monopole de commercialisation du coton graine par la SONAPRA. ;

- L'arrêté interministériel N°2003-016/MICPE/MAEP/MFE/DC/SG/DCCI du 14 mars 2003 qui fixe les conditions d'importation et de distribution des intrants coton au Bénin ;

- L'arrêté interministériel N°2003-023/MICPE/MAEP/MFE/DC/SG/DCCI du 07 mai 2003 portant organisation en République du Bénin de la commercialisation du coton graine.

Ces choix du gouvernement sont sous-tendus par un schéma de fonctionnement (fig 2) qui s'articule comme suit :

- Les producteurs, pour mener leurs activités de production, expriment leurs besoins en intrants à savoir, engrais et insecticides auprès de la Coopérative d'Approvisionnement et de Gestion des Intrants Agricoles (CAGIA).

- Les intrants sont livrés à crédit par les sociétés agréées et remboursés au moment de la commercialisation du coton graine par la Centrale de Sécurisation des Paiements et de Recouvrement (CSPR).

- Les égreneurs assurent le placement du coton fibre sur le marché mondial.

Le fonctionnement de ce schéma qui met en relation les différentes familles professionnelles de la filière, repose sur des accords et des conventions connus par tous les groupes professionnels.

FUPRO

CAGIA

IDI

GPDIA

BANQUES

CSPR

AIC

APEB

EGRENEURS

FENAPRA

AGROP

GV (Producteurs)

ADIAB

Source : Enquête-2004 Flux de produits Flux financier

Figure 2: Schéma simplifié du cadre institutionnel après libéralisation

5.2.2 Les acteurs de la filière

D'après le développement fait dans la première partie, il ressort que le processus de privatisation / libéralisation de la filière était largement engagée depuis 1992 avec l'ouverture du sous-secteur intrants aux acteurs privés. La fonction de l'égrenage lui en a emboîté le pas à partir de 1995.

· Proposition de répartition du coton-graine

· Paiement en avance de 40 % d'acompte

· Egrène le coton-graine

· Place le coton-fibre à l'exportation

· Alimente les industries locales en graines et coton- fibre

· Organise le cadre légal et réglementaire de la filière

· Signe l'accord-cadre de partenariat entre l'Etat et les acteurs privés

· Contrôle le bon fonctionnement du système

APEB

BANQUES

- Gestion de la commercialisation primaire - Réception état décadaire et délivrance des

ordres d'enlèvement du coton-graine - Paiement des producteurs

- Récupération et dénouement des crédits d'intrants

AIC

(Familles des
producteurs et
égreneurs)

CSPR-GIE

ETAT
(Ministères

et directions

FUPRO-BENIN
GV-UCP-UDP

CAGIA-BENIN

- Importer et distribuer les intrants

- Formation à l'utilisation
des intrants agricoles

Famille Importateurs-
Distributeurs privés
d'Intrants

GV

· Représente les acteurs de la filière auprès de l'Etat et signe les accords et prestations de service

· Cadre de concertation entre familles professionnelles

· Elaboration du plan de campagne

· Gestion des fonctions critiques (recherche, semences, encadrement, qualité, pistes, fixation des prix)

- Cadre de concertation des producteurs

- Commercialisation

primaire du coton-graine - Signature des accords de

campagne et de vente du

coton-graine

- Sélection par appel d'offre des Importateurs et Distributeurs d'Intrants coton

- Formation des

producteurs sur

l'utilisation des intrants - Suivi de la mise en place

Figure 3 : Schéma détaillé de gestion de la filière coton

Pour parachever ce double processus de privatisation et de libéralisation qui nécessite le passage d'une gestion concentrée aux mains de l'Etat à une gestion Interprofessionnelle de la filière, il convient de créer un cadre réglementaire et institutionnel de négociation entre acteurs. Ainsi, différents groupes professionnels sont engagés dans la gestion actuelle de la filière.

5.2.2.1 Le Groupement Professionnel des Distributeurs d'Intrants Agricoles

Créé en 1992, à l'ouverture du sous secteur aux opérateurs privés, il est constitué de douze membres avec un bureau exécutif de cinq représentants élus de la profession. Ce bureau assure la coordination entre les différents membres du groupement et représente la profession au cours des concertations Interprofessionnelles.

Suite à la sélection des appels d'offres pour l'acquisition et la distribution des intrants agricoles au titre de la campagne 2002-2003, de graves dissensions sont apparues entre les distributeurs au sein du GPDIA et ont conduit à la constitution d'un autre groupe de distributeurs dénommé ADIAB (Association des Distributeurs d'Intrants Agricoles du Bénin).

5.2.2.2 La Fédération de l'Union des Producteurs du Bénin (FUPRO-Bénin)

Cette fédération a été mise en place en 1995 par l'ensemble des soixante-dix-sept USPP du Bénin. La FUPRO est une association de coopératives multifilières même si la filière la plus en vue, au niveau de la fédération reste la filière coton.

Elle est chargée de contribuer à l'autopromotion paysanne en défendant les intérêts de ses adhérents au sein des différentes structures. La FUPRO représente l'ensemble des organisations à la base d'une part, au sein de l'Association Interprofessionnelle du Coton dont elle est membre fondateur et d'autre part, lors des négociations avec l'Etat.

Les dissensions au sein de la FUPRO ont débouché sur la naissance des réseaux parallèles dont FENAPRA et AGROP qui mènent leurs activités en dehors du contrôle de la FUPRO.

5.2.2.3 La Coopérative d'Approvisionnement et de Gestion des Intrants Agricoles (CAGIA)

La principale mission de la coopérative est d'assurer l'approvisionnement de ses membres en intrants de qualité à bonne date et à des prix compétitifs. Plus spécifiquement, elle est chargée de procéder à la collecte et à l'estimation des expressions de besoins en intrants des producteurs. Elle organise aussi la sélection des fournisseurs d'intrants et

participe à la négociation des prix de vente avec les égreneurs. La coopérative a été mise en place par les UCP.

5.2.2.4 Association Interprofessionnelle du Coton

L'Association Interprofessionnelle du Coton (AIC) est créée en 1999 par deux groupes professionnels, l'APEB et la FUPRO. L'AIC représente le seul cadre de concertation des acteurs de la filière coton au Bénin. Mais la base de l'interprofession semble être biaisée du moment où elle exclue les distributeurs d'intrants qui constituent de potentiels acteurs de la filière. Etant un cadre de concertation entre les différents acteurs, elle ne devrait pas en exclure. La principale mission de l'interprofession consiste en :

- La coordination technique des activités relatives à la gestion de la filière.

- L'arbitrage économique et financier entre les différentes familles professionnelles avec la création d'une chambre arbitrale et de conciliation.

- La gestion des fonctions critiques et des accords professionnels.

En dehors de certaines activités exercées par l'AIC par l'intermédiaire des structures d'accompagnement que sont la CSPR, la CAGIA et la FUPRO, l'Interprofession assure l'essentiel des fonctions critiques par contrat de production de service en s'appuyant sur la compétence des structures étatiques et professionnelles.

5.2.2.5 L'Association Professionnelle des égreneurs du Bénin

L'Association Professionnelle des égreneurs du Bénin (APEB) a été créée en 1999 par les égreneurs privés et la SONAPRA. Cette structure est chargée d'assurer la coordination entre ses membres et la représentation de la profession au sein des institutions mises en place dans le cadre de l'Interprofession (AIC, CSPR, CAGIA). L'APEB est membre fondateur de l'AIC et de la CSPR.

Il convient toutefois de signaler qu'à la veille de la campagne de commercialisation 2000-2001, la première de la CSPR, des dissensions internes au sein de cette association ont conduit au retrait de certains de ses membres. En effet, à la création de la CSPR, l'organisation de la commercialisation du coton graine, contrairement à la gestion de la SONAPRA devrait obéir à un mécanisme rigoureux qui exigeait des conditions non- négociables aux égreneurs pour entrer en campagne.

5.2.2.6 La Centrale de Sécurisation des Paiements et de Recouvrement (CSPR)

La CSPR a été créée dans le double souci de sécuriser d'une part, les producteurs pour le paiement effectif et à temps réel du coton vendu aux égreneurs et d'autre part, le remboursement du crédit intrants pour garantir les besoins des producteurs en intrants. Elle joue alors un rôle d'interface entre les producteurs et les importateurs d'intrants d'une part et les producteurs et les égreneurs d'autre part.

La CSPR-Gie est un groupement d'intérêt économique à statut de droit privé créée par trois groupes au sein de la FUPRO; les Importateurs-Distributeurs d'Intrants organisés au sein du GPDIA et les égreneurs de coton regroupés dans l'APEB.

5.2.3 Fonctionnement et enjeux au niveau des nouvelles structures
5.2.3.1 Le sous secteur de la production

> Fonctionnement des groupements paysans

Les groupements paysans qui interviennent aujourd'hui dans la production du coton sont de plusieurs ordres : les réseaux FENAPRA et AGROP, mouvements parallèles au système FUPRO.

Les groupements villageois (GV-FUPRO), structures mises en place sur initiative des CARDER pour faciliter la gestion à la base de la filière coton, sont des prestataires vis-à-vis de leurs membres. Ces structures s'occupent principalement des fonctions d'approvisionnement en facteurs de production et de la collecte primaire du coton graine.

Au niveau de l'approvisionnent en facteurs de production, les besoins en intrants agricoles sont recensés dans les groupements (par les secrétaires) et transmis au gérant de l'UCP (Union Communale des Producteurs, ex-USPP). Les responsables des GV-FUPRO réceptionnent ces intrants, lors de leur livraison et les distribuent aux membres.

Dans les différents groupements enquêtés, seulement les secrétaires dirigent les diverses activités et quelques fois en association avec les trésoriers et les présidents; ce qui leur offre une large marge de manoeuvre dans la gestion. Cette concentration des activités au niveau de ce cercle réduit (surtout au niveau des secrétaires), au sein des groupements, leur confère un pouvoir dans la société rurale et favorise aussi les détournements. Les secrétaires des mouvements paysans deviennent ainsi des leaders dans ces communautés agricoles.

Dans la collecte primaire autogérée du coton graine, chaque groupement met en place, en fonction des pistes d'accès, un certain nombre de «marchés» correspondant au GPC

(Groupement des Producteurs du Coton, une fragmentation des GV-FUPRO). La programmation des marchés pour l'achat de coton est faite par les secrétaires en collaboration avec le gérant de l'UCP et l'agent de commercialisation de la CSPR. Les responsables des groupements paysans assurent la préparation des marchés et la pesée du coton de chaque producteur dans le marché, fonctions qui revenaient autrefois au CARDER. La mauvaise lecture des poids du coton et la difficulté de la tenue des documents de charge multiplient les mécontentements dans ces groupements.

Dans le cadre du transfert de compétences au milieu rural, la prise en charge de l'organisation de la commercialisation primaire reste assez stratégique. La société rurale telle que conçue dans les communautés béninoises, avec un faible niveau d'instruction, semble ne pas être encore prête pour prendre en charge cette responsabilité. Ce transfert à des acteurs peu préparés se traduit aujourd'hui par les problèmes de conflit de leadership et de mauvaise gestion.

Compte tenu du fait que tous les producteurs (de coton ou non) se retrouvent dans les GVFUPRO, ce qui pose d'ailleurs de réels problèmes de suivi et de gestion, les producteurs ont initié des GPC (Groupements des Producteurs de Coton) de taille plus restreinte (une trentaine en moyenne). Ces groupements sont constitués seulement des producteurs de coton qui se regroupent par affinité. Ce regroupement facilite le contrôle et la gestion des cautions solidaires. Chaque GPC est conduit par un responsable choisi par les membres du groupement. Il y a alors au niveau du GV-FUPRO une redistribution des pouvoirs pour limiter ou pour faire efficacement face aux difficultés rencontrées dans les GV-FUPRO.

Il a été remarqué au niveau des divers groupements, que les producteurs même maîtrisent très peu les mécanismes, assez complexes de la filière ou même les fonctions de chaque membre du Conseil d'Administration des groupements paysans, avec pour conséquences, des conflits d'attribution et des cumuls de charges au niveau de certains responsables.

Vu le fait que les groupements villageois se soient retrouvés avec des responsabilités sans s'y attendre (pesée du coton, distribution des fonds coton, enregistrement des demandes en intrants,...), ils n'intègrent pas encore le principe de fonctionnement. Ainsi, depuis sept ans, aucun groupement villageois enquêté n'a tenu une assemblée générale. Les nouveaux groupements formés (GP-FENAPRA et GP-AGROP) fonctionnent aussi à l'image des GVFUPRO avec les mêmes normes. Depuis trois ans que le premier réseau est installé dans la commune, seulement un GP de ceux enquêtés (1/4) a tenu une fois une AG pour faire le bilan des activités menées.

> Statut social des secrétaires des GV / GP

Compte tenu de l'importance marquée aux secrétaires des mouvements paysans, nous nous sommes intéressés à l'étude du statut social de ces acteurs spécifiques afin d'identifier leurs intérêts dans les organisations villageoises.

D'après Schaefer (1989), le statut social désigne la gamme de toutes les positions sociales définies dans un groupe ou une société. L'auteur distingue trois niveaux de statut social : le statut «obtenu», le statut «attribué» et le statut maître».

Le statut obtenu est celui acquis par l'individu de par ses efforts ou sa position dans la société. C'est par rapport à cette considération que nous analyserons la fonction ou l'importance sociale des secrétaires GV / GP des zones cotonnières.

L'image que confère la société à ces acteurs reste très diversifiée. « Les secrétaires GVFUPRO, ce sont ceux qui nous tuent, nous volent dans les villages ; Ce sont eux qui tirent profit de tout le coton ». C'est l'image que la plupart des producteurs de N'Dali se font de cette responsabilité de secrétaire GV/GP. Cette conception prouve combien les producteurs restent conscients des intérêts liés à cette position.

Pour un responsable de la CSPR, les « secrétaires sont les lettrés des villages, lettrés qui détruisent tout au niveau des groupements ». Ceci vient compléter la vision paysanne par rapport à la mauvaise gestion des secrétaires (détournement) dans les groupements. Les secrétaires dirigent toutes les activités stratégiques du groupement (demande et distribution d'intrants agricoles, demande de crédits, gestion des ristournes,...). Cette implication dans les diverses activités leur laisse une marge de manoeuvre dans la conduite de toutes ces activités du groupement, face à des membres (GV / GP) peu lettrés, ce qui limite tout contrôle.

Ce poste est perçu comme un canal pour s'enrichir, ce qui fait qu'il reste très convoité dans les zones cotonnières.

Encart 2 : Importance de la responsabilité «du secrétaire GV» selon un responsable de la FENAPRA.

Demandez à un élève aujourd'hui, quelle carrière voudrait-il choisir après sa formation, il vous dira certainement «secrétaire GV».

Entretien n°2, N'Dali le 12/07/04

Les secrétaires GV/GP ne sont pas considérés au même niveau social que les autres membres des groupements parce qu'ils acquièrent un prestige qui les place dans une position au-dessus des autres. Il existe ainsi, un intérêt économique et culturel qui est lié à cette responsabilité de secrétaire. Pour les producteurs, le secrétaire s'enrichit plus aisément avec

un privilège qui fait qu'il est impliqué dans des prises de décision, même en dehors du secteur agricole.

Dans la plupart des domiciles des secrétaires GV visités, le décor reste assez frappant : meubles, télévision, groupe électrogène qui sont des éléments de prestige dans la région. Sans trop prétendre expliquer les dessous des secrétaires, ces éléments ne manquent pas de renseigner sur le niveau d'aisance de ces responsables.

Ces divers intérêts en jeu au niveau des groupements font que les acteurs locaux cherchent à se maintenir au «pouvoir», ce qui débouche sur des guerres de leadership au niveau de ces mouvements paysans.

> Limites de la gestion des groupements villageois

La rapidité du désengagement et du transfert de compétence à des acteurs peu préparés reste une contrainte majeure qui explique la désorganisation des mouvements paysans aujourd'hui. La conséquence a été que ces acteurs du monde rural, n'ont pas disposé de suffisamment de temps pour s'organiser efficacement. Cela se traduit par des problèmes d'endettement liés à la mauvaise gestion des intrants, l'absence de contrôle des opérations liées au crédit, caution solidaire devenue inefficace en raison du grand nombre d'adhérents au GV. Cette mauvaise gestion a entraîné une crise de confiance des paysans qui ont pour certains abandonné la production cotonnière.

Le but visé par ce transfert de responsabilité est de favoriser une meilleure organisation des producteurs afin de jouer un rôle économique majeur et constituer ainsi une force de partenariat avec l'Etat. Mais pour ces producteurs « mal partis », la gestion des activités au niveau local est devenue un atout ou une « porte » pour subvenir aux besoins personnels au profit de l'intérêt commun. Cette perception de la libéralisation a débouché sur la mauvaise gestion au niveau des groupements villageois.

Plusieurs mécontents sont sortis de ces points de conflits, dans le rang des paysans. De nombreux producteurs à bout de la mauvaise répartition des fonds coton ou épuisés par les conflits de pouvoir, se retrouvent dans les organisations dissidentes.

5.2.2.4 Les enjeux du réseau FUPRO

Malgré l'organisation du monde paysan depuis le niveau village jusqu'au niveau national, les producteurs restent les maillons faibles du système parce qu'ils n'ont pas su profiter de cet environnement favorable (transfert de compétences, revenus cotonniers,...) pour s'imposer comme interlocuteurs devant «négocier en partenariat» avec les pouvoirs

publics. Toutefois, il est clair que la base de ce «partenariat» s'est avérée a priori déséquilibrée, avec un pouvoir public fortement intellectuel face aux producteurs en grande majorité analphabètes.

Si la force reconnue aux mouvements de producteurs de coton, du fait de leur structuration, de la garantie de production, est un atout pour faciliter, grâce à la caution solidaire, l'accès des producteurs au crédit de campagne (FECECAM) et au crédit intrants (distributeurs d'intrants), depuis quelques années, ces organisations rencontrent des difficultés dont notamment l'endettement (difficulté d'honorer les engagements vis-à-vis des institutions de micro-crédit, des distributeurs d'intrants) et la mauvaise gestion des responsables.

Mais l'utilisation de plus en plus marquée de cadres techniques salariés pour la gestion des familles professionnelles mise en place pourrait fragiliser ces mouvements de producteurs. Ils ont été pour la plupart, employés dans des institutions dont la mauvaise gestion a conduit à la libéralisation de la filière. En effet, le problème vient surtout du fait que la plupart de ces cadres ne sentent pas leur vie liée à celle des producteurs et ne sont pas non plus acquis à leur cause à tout moment.

Au regard de ces enjeux et de la puissance des acteurs en lice face à la FUPRO, la maîtrise ou le contrôle de la gestion de la filière ne lui est sans doute pas facile avec les réseaux dissidents.

> Stratégie développée par les «mécontents» : Naissance des réseaux parallèles

Face aux différents problèmes rencontrés dans le réseau FUPRO (mauvaise gestion des cautions solidaires, détournement), une catégorie d'acteurs, les «mécontents» du système, s'est retrouvée pour mettre en place l'Association des Groupements de Producteurs Economiques (AGROPE-Bénin). Cette association a pris forme dans la commune de Bembérékè (à 50 Km environ de N'Dali).

De nombreuses versions ont été obtenues sur les raisons de la mise en place de cette association. Pour certains, elle aurait été suscitée par les politiciens en vue de se garantir un électorat et se constituer un capital. Pour d'autres, elle serait l'oeuvre des distributeurs d'intrants dans le but de se garantir un marché. Le but visé par ces distributeurs d'intrants, rejetés du réseau de la CAGIA, serait de mettre la main sur une catégorie de producteurs pour livrer facilement leurs intrants. Pour d'autres acteurs, ce serait certains égreneurs qui auraient incité les producteurs à mettre en place cette association pour se garantir un stock de coton graine hors du circuit de la CSPR.

Pour l'une ou l'autre de ces versions, les enjeux d'intérêts restent à la base de la création de cette association dissidente au réseau FUPRO.

A la première campagne, les membres de l'Association ont bénéficié des intrants du complexe CSI-Fruitex. Les intrants mis en place cette campagne, par Tankpinnou et da-Silva, auraient été ceux destinés à la Lutte Etagée Ciblée (LEC) parce que, la campagne précédente, ils étaient agréés pour livrer ces intrants à la recherche. Mais compte tenu de leur retard dans la livraison des produits, la recherche a rejeté les intrants (Totin, CRA-CF, comm pers.). Ces distributeurs se sont retrouvés avec des insecticides sur le bras et il leur faut trouver un marché pour leur écoulement. Ils auraient ainsi, suscité la naissance de cette association pour leur fournir les intrants.

A la campagne suivante, les responsables de l'AGROPE, ont pris des contacts avec le distributeur SCPA pour avoir des intrants de production. Mais au sein de ces responsables, un groupe, en fonction des intérêts propres, a signé des engagements avec la DFA, une autre compagnie de distribution d'intrants. Cette situation de tension a conduit à l'éclatement de l'association en AGROPE-Madougou (Secrétaire du groupement) et AGROPE-Amidou (président du groupement). Par la suite, AGROPE-Amidou est devenu AGROP (Association des Groupements de Producteurs) et l'autre bord s'est transformé en FENAPRA (Fédération Nationale des Producteurs Agricoles). Aujourd'hui, on apprend encore la naissance d'un autre réseau «FENAGROP» qui serait parti de la réunion des producteurs venant des deux premiers réseaux (AGROP et FENAPRA). Ces différents réseaux se sont étendus aujourd'hui, dans toutes les zones de production cotonnière du Borgou-Alibori.

La genèse de ces mouvements paysans montre que ce sont des intérêts propres qui soutiennent les dynamiques au sein de ces réseaux, devenus des « arènes de négociation », comme l'a su bien dire Bierschenk (1988), où chaque acteur vient satisfaire ses besoins. Les parties qui ne sentent par leurs intérêts pris en compte ou qui se sentent menacés, sortent du système.

> Motivations des producteurs à se retrouver dans les groupements dissidents

Trois principales raisons expliquent la reconversion des paysans dans les groupements parallèles au réseau FUPRO.

La source la plus évoquée par les producteurs reste le retard que connaissent les paiements des fonds coton dans les GV (cf. histoire de vie 1). Dans les zones de production, le revenu cotonnier est la principale «source financière» qui est utilisée dans la résolution des

problèmes sociaux et économiques du producteur (Ahouissoussi, 1998). Tous les enquêtés ont reconnu l'importance des fonds coton dans leur ménage (Fig 4).

40

20

80

60

0

Coton Maïs Niébé Autres

Spéculations

Zone Nord Zone Sud

Source : Adapté de Ton (2004)

Figure 4 : Part des spéculations dans la formation des revenus agricoles des producteurs

Il paraît alors évident que l'absence ou le retard de ces fonds crée une désorganisation ou des perturbations sociales.

Encart 3 : Importance du revenu-coton dans la vie du producteur, propos d'un producteur de Suanin

L'année surpassée, en 2002, ma femme est morte d'une petite maladie parce que je n'avais pas l'argent. Cette année là, j'ai vendu 2 tonnes de mon coton dans le GV et on nous a dit que l'argent n'est pas venu. Personne n'avait d'argent dans le village pour me venir en aide parce qu'on était tous dans la même situation. Avec FENAPRA, l'argent est cash.

Entretien n°3, N'Dali le 04/07/04

Une autre catégorie de producteurs regroupe ceux qui sont victimes de la mauvaise gestion des cautions solidaires. Ces cautions solidaires sont prélevées directement au niveau du GV, ce qui affecte tous les producteurs du groupement. Au cours de la répartition des fonds-coton au niveau du GV, les responsables font aussi des retenues chez les parents des producteurs qui sont en impayés.

Encart 4 : Conséquence de la mauvaise gestion des cautions solidaires (propos d'un gros producteur de Kori)

Pour la campagne dernière, j'ai fait 4 tonnes de coton mais j'ai seulement eu 75.000 f CFA pour toute ma production parce que mon frère est tombé dans l'impayé. Cette année, j'ai décidé d'aller dans FENAPRA parce que là bas, il n'y a pas de crédit CLCAM. C'est le crédit CLCAM qui nous tue ici.

Entretien n°4, N'Dali le 04/07/04

La dernière catégorie de producteurs qui se retrouvent aujourd'hui dans les groupements dissidents est celle des producteurs qui sont reliés par des liens de parenté avec les responsables de ces mouvements. A partir de ce noyau familial, le groupement grandit progressivement et gagne les amis et finit par prendre forme.

Tableau 3 : Répartition des producteurs suivant leurs motivations à quitter les GV-FUPRO

Paramètres

Catégorie 1

Catégorie 2

Catégorie 3

Producteurs

55%

40%

5%

Source : Enquête, N'Dali-2004

Catégorie1 : Producteurs partis du GV pour retard du paiement des fonds coton Catégorie2 : Producteurs partis du GV pour mauvaise gestion des cautions solidaires Catégorie3 : Producteurs partis du GV pour liens familiaux

Nous avons remarqué au cours de notre étude que ce sont les personnes âgées (au delà de 40ans) et las parents proches (femmes, enfants) des responsables qui restent, malgré les dissidences, dans les groupements villageois (GV-FUPRO). Selon ces personnes âgées ces mouvements de naissance ressente (AGROP et FENAPRA) sont « des projets qui vont finir bientôt ».

> Conflits et cohésion sociale

La divergence des idéologies paysannes quant à l'organisation de la production cotonnière pourrait laisser penser qu'il n'y a pas beaucoup de relations à l'échelle villageoise. Mais quand on se rapproche des villages, on se rend compte que le tissu social, même si quelque peu affaibli par les conflits de leadership ou de mauvaise gestion, tient encore bon. Cette cohésion sociale s'effrite certes, sous l'effet des conflits mais cela n'empêche pas la solidarité en cas de coups durs. Ainsi, les paysans s'échangent des intrants entre groupements. Un producteur FENAPRA/AGROP qui n'a pas eu des intrants dans son groupement pourrait en bénéficier auprès de ses pairs du réseau FUPRO. La multiplication des réseaux parallèles n'a pas engendré une « balkanisation » des liens sociaux. Il est courant de rencontrer dans une même famille, des frères se retrouver dans différents groupements et cela n'a pas de répercussions sur l'affection sociale.

L'identité commune qui subsiste au niveau des villages et en milieu Batonou en particulier, ne permet pas de punir les responsables des mouvements paysans parce que disent-ils « après tout, ce sont nos frères ou nos enfants ». Cette logique collective donne une

garantie pour des actions «peu honnêtes», parce qu'il n'est pas possible d'être rejeté du système social. Il y a une cohabitation aujourd'hui des responsables ayant détourné des fonds (le cas précis du gérant de la FENAPRA qui aurait détourné plus de 5 millions dans le GV) avec la société, sans une discrimination.

Est-ce cette tolérance sociale qui permet à ces « anciens mauvais gérants » de devenir, aujourd'hui, dans les nouveaux mouvements, des responsables ?

> Qui dirigent ces réseaux dissidents ?

Les acteurs retrouvés à la tête de ces mouvements proviennent de deux catégories.

- Ceux qui veulent accéder à des postes de responsabilité, dans le réseau FUPRO et qui n'y parviennent pas. Ce blocage est dû au fait que les responsables actuels, en fonction des intérêts qu'ils en tirent, ne veulent pas laisser ces postes. Il se développe ainsi entre ces deux parties une guerre de leadership qui va jusqu'à des menaces de mort. Dans cet environnement de tension qui fait des «mécontents», le perdant ou le moins fort quitte le système et se reconvertit dans les nouveaux réseaux. Cette tension de leadership prévalait depuis le transfert de compétences au secteur agricole et l'arrivée de ces réseaux a été une occasion attendue

pour ces acteurs «mécontents».

- Une deuxième catégorie de responsables des mouvements paysans, regroupe les débiteurs des caisses locales. Ces acteurs trouvent ces réseaux comme des points de refuge pour échapper au remboursement des crédits. Dans ce groupe, nous nous sommes rendus compte que le gérant de la FENAPRA reste devoir plus de cinq millions à la CLCAM. Ainsi, au-delà de l'engagement des acteurs dans les mouvements, il y a des intérêts non avoués qui expliquent leurs motivations et ce choix paraît une stratégie pour satisfaire ces intérêts implicites.

> Naissance des réseaux dissidents : le salut ou autre engrenage pour les producteurs

Les nouveaux mouvements dissidents ont mis en place des mécanismes pour limiter les mauvaises gestions connues dans les GV. Ces groupements sont constitués par affinité avec un effectif réduit et parfois sur base ethnique, pour une meilleure efficacité.

Pour faire face au retard du paiement de coton, ces mouvements sont en relation directement avec des égreneurs qui achètent le coton au « cash ». L'argent cash soulage les producteurs et constitue un point d'attraction qui les amène à choisir ces groupements.

Pour résoudre les problèmes d'impayés des crédits de campagne, ces mouvements ne prennent pas d'engagement pour les cautions CLCAM. Mais toutefois, chaque producteur a la possibilité de demander directement des crédits auprès de ces institutions sans l'aval du groupement, ce qui ne réussit pas souvent. En effet, les institutions n'accordent pas souvent les crédits individuels, surtout aux petits producteurs, à cause des nombreux risques qui y sont attachés, ce qui limite l'accès des paysans à ces prêts. En intégrant les mouvements dissidents, les paysans se trouvent alors privés d'autres avantages. Mais il convient de se demander si la suppression des cautions aux membres reste bénéfique pour les producteurs ?

Tel que ces réseaux fonctionnent, même s'ils donnent l'impression de favoriser les producteurs, en ce sens qu'il leur permet d'avoir à temps leurs fonds, ils ne manquent pas de privilégier les intérêts des responsables, perturbant ainsi le mécanisme mis en place dans le cadre de la libéralisation. Dans ce système, les responsables s'enrichissent sur le «dos» des paysans. Les parts critiques destinées à l'AIC pour la recherche, la vulgarisation et autres, sont partagées entre ces responsables ; ce qui explique la guerre que l'Interprofession mène à ces réseaux. Les fonctions critiques, à raison de 15 F/ kg de coton graine vendu (au cours de la campagne 03-04), restent d'importantes sommes que se partagent ces divers responsables. A côté de ces fonds, ils bénéficient des faveurs d'une part, auprès des égreneurs à qui ils garantissent la production de leurs membres et d'autre part auprès des distributeurs d'intrants pour l'écoulement des intrants. Dans cette arène, toutes les parties tirent leurs profits du jeu : les égreneurs parviennent à obtenir une quantité de coton graine au-delà de celle obtenue dans le système CSPR. Cette négociation entre producteurs-égreneurs a conduit à une spécialisation des différentes compagnies d'égrenage : la MCI à qui est garantie la production du réseau AGROP et SODICOT a le coton graine de la FENAPRA.

De même, ces responsables permettent à certains distributeurs, ne remplissant pas les conditions de la CAGIA, d'écouler leurs produits à travers leurs groupements ; échappant ainsi au contrôle de la CAGIA. Le système leur offre ainsi une marge de manoeuvre pour livrer toute gamme de produits, dans le milieu paysan. De nombreux producteurs ont encore en mémoire leur expérience de la campagne 2003-2004 où ils ont eu des insecticides peu efficaces avec pour conséquences des chutes de capsules dans tous les groupementsFENAPRA.

Dans ce réseau, les responsables des groupements paysans, les égreneurs et les distributeurs d'intrants restent les principaux bénéficiaires et les producteurs deviennent des instruments du système. Ils sont utilisés par les responsables pour jouer le «jeu» des égreneurs (avoir le maximum de stock en coton graine) et aussi celui des distributeurs

d'intrants agricoles (faire écouler les intrants quelle que soit leur qualité). En retour, ces responsables bénéficient de nombreuses faveurs de la part de ces acteurs.

Encart 5 : Intérêts en jeu au niveau des nouveaux réseaux

1-? Allez à Bembérékè, vous serez étonné par la gigantesque maison que se construit un responsable du réseau AGROP! Tout ça avec l'argent du coton, sur le dos des paysans.

2-? Le président communal d'un réseau parallèle de N'Dali, l'année surpassée, aurait eu un million chez un distributeur pour lui permettre de livrer ses intrants aux producteurs de la commune.

Entretien n°5, N'Dali le 17/08/04

1- Confession d'un responsable de l'UDP Borgou-Alibori

2- Confession d'un sage de la commune, correspondant de la radio nationale à N'Dali

Dans cette arène où le producteur se trouve coincé entre les enjeux de leurs dirigeants, des égreneurs et ceux des distributeurs, on pourrait se demander ce qu'il en tire en étant producteur.

> Production cotonnière : activité rentable ou manque d'alternative

Le manque de sources alternatives de revenus et les besoins croissants des ressources monétaires pour la consommation et la production agricole sont les principales motivations des producteurs à faire le coton. « Le coton est une spéculation très exigeante ». Les paysans n'apprécient généralement pas la culture, comme l'a montré aussi Ton (2002), tel est le cas de 74% de notre échantillon. Ils reconnaissent que la culture cotonnière est exigeante en travail et en investissement pour les intrants. Toutefois, elle constitue la principale source de revenu en gros, donc susceptible de financer des investissements importants (Cf. Figure 4, page 48 ).

La production cotonnière ne pourrait plus être considérée comme une stratégie de constitution de revenus. Le coût de production ne cesse de croître (tableau 4), amenuisant ainsi le revenu du producteur.

La culture cotonnière reste jusque-là, la seule spéculation dont le débouché est garanti (LARES-APEIF, 1996). Le problème de débouché constitue la principale difficulté que les producteurs évoquent pour expliquer leur engouement actuel pour la culture du coton. Il s'agit là d'un problème épineux en raison de ses implications. En effet, il n'existe pas autre spéculation qui bénéficie d'une organisation pareille à celle du coton, ce qui fait qu'il est utilisé comme «culture enveloppe» parce qu'elle fait bénéficier aux autres cultures

(notamment le maïs) de ces intrants à travers les arrière-effets et les reconversions d'intrants coton en intrants maïs.

Encart 6 : Stratégie de production coton-maïs développée par un producteur du réseau FUPRO

Je fais le coton pour avoir l'engrais pour mon maïs. Quand je vends le coton, j'arrive à payer les crédits d'engrais et le maïs constitue mon bénéfice. Parfois, je vends jusqu'à dix-huit sacs à raison de 15.000 f le sac.

Entretien n°6, N'Dali le 15/06/04

Le producteur ne fait pas seulement le coton parce qu'il procure de l'argent mais il utilise son canal pour valoriser d'autres spéculations. L'accès au crédit de campagne et aux intrants ainsi que le développement de la culture attelée liés à la production cotonnière, ont favorisé l'expansion d'autres cultures, en l'occurrence les vivriers intégrés dans le système d'assolement et de rotation avec le coton.

Les producteurs arbitrent entre deux catégories de produits : les cultures vivrières et le coton, comme culture de rente. Cette forme d'arbitrage a un double intérêt. Il y a le souci de garantir l'alimentation du ménage et celui de pouvoir faire face aux besoins financiers pour les dépenses sociales.

Le cas rapporté ci-dessus (encart 6), prouve que des cultures autres que le coton, pourraient permettre de se constituer des revenus (cas du maïs par exemple) pour faire face aux divers besoins. Mais les producteurs ne parviennent pas à garder leur stock jusqu'à la période de soudure, où le prix monte. Comme cette spéculation ne bénéficie pas d'un prix garanti, le prix varie suivant les périodes (chute en période d'abondance et monte en période de soudure) et les producteurs à court de liquidité, n'arrivent pas à supporter jusqu'à la période de cherté. La promotion de cette spéculation se heurte alors à la limite des débouchés disponibles, compte tenu des aléas du marché des vivriers. Les producteurs doivent faire face à ce dilemme : les coûts de production du coton vont sans cesse croissants et le marché des vivriers, de l'autre côté, se trouve asphyxié par manque de débouchés (LARES-APEIF, 1996). Dans ces conditions, quelle alternative peuvent-ils choisir ?

Tableau 4 : Rentabilité économique de la production cotonnière (en CFA/Ha)

Paramètres

95-96

96-97

97-98

98-99

99-00

00-01

01-02

02-03

Rendements1

1.465

1.101

1.023

853

1.069

1.261

1.282

1.202

Prix (prod)

165

200

200

225

185

200

200

180

Revenu brut2

241.725

220.200

204.600

191.925

197.765

252.200

256.400

216.360

Evolution du coût des intrants agricoles

Engrais

38.000

38.000

38.000

38.000

38.000

38.000

41.000

39.600

Insecticides

25.200

24.000

21.600

28.400

33.600

33.600

36.000

36.000

Labour

18.000

18.000

18.000

18.000

18.000

20.000

20.000

20.000

Sarclage

15.000

15.000

15.000

15.000

20.000

20.000

20.000

20.000

Récolte

20.000

20.000

20.000

20.000

20.000

20.000

20.000

20.000

TOTAL

116.200

115.000

112.600

119.400

129.600

131.600

137.000

135.600

Revenu net3

125.525

105.200

92.000

72.525

68.165

120.600

119.400

80.760

Source : CRA-CF, 2004

Revenu brut et coût
de production

Revenu brut

Coût de production

300000

250000

200000

150000

100000

50000

0

1995-

1996

1996-

1997

1997-

1998

Campagne cotonnière

1998-

1999

1999-

2000

2000-

2001

2001-

2002

2002-

2003

Source :Adapté du tableau 4

Figure 5 Evolution des revenus bruts et des coûts de production cotonnière
5.2.3.2 Sous secteur égrenage, dans le nouveau système

La libéralisation du secteur a favorisé l'entrée de nouvelles compagnies privées. Regroupées dans l'Association Professionnelle des Egreneurs du Bénin (APEB), les égreneurs et l'Interprofession ont dégagé un consensus sur les modalités de répartition du coton graine entre les compagnies en fonction de leur capacité d'égrenage. Le mécanisme mis en place fait obligation entre autres, aux Sociétés d'Egrenage du Coton (SEC) de reverser un acompte de 40% de la valeur du quota sollicité avant le début de la campagne pour solder le

crédit intrant. Mais il faut qu'elles disposent aussi d'un quitus de la CSPR attestant qu'elles n'ont aucune facture en instance (CSPR-GIE, 2003). Or, certains égreneurs (MCI, SEICB et SODICOT), ne remplissent pas entièrement ces conditions pour pouvoir s'approvisionner en coton.

En effet, avant la mise en place de la Centrale de Sécurisation des Paiements et de Recouvrement, les égreneurs privés s'approvisionnaient en coton graine auprès de la SONAPRA qui organisait la commercialisation primaire. Ces égreneurs payaient le coton acheté à la SONAPRA après la vente du coton égrené sur les marchés internationaux.

Profitant de la marge de manoeuvre que laisse ce mécanisme, certains égreneurs retardaient ou même manquaient de reverser les fonds coton à la société d'approvisionnement. Cette situation a entraîné des perturbations d'une part dans le recouvrement des crédits intrants et d'autre part, dans le paiement des producteurs. Mais toutefois, ces perturbations étaient de moindre intensité ou moins ressenties qu'aujourd'hui parce que, la SONAPRA étant une société d'Etat, ces impayés sont greffés sur les charges de la société, charges dénouées par l'Etat. Ceci fait que l'ampleur du phénomène n'était pas ressentie par les acteurs, comme le cas aujourd'hui, où l'Etat n'intervient plus pour couvrir des dettes.

> Enjeux et les stratégies développées au niveau des égreneurs

La plupart des égreneurs , sauf la MCI et la SODICOT s'approvisionnent en coton graine suivant le mécanisme de la CSPR. La non implication de ces dernières dans le processus de commercialisation selon le mécanisme de la CSPR s'explique selon les responsables de la CSPR par le fait qu'elles restent devoir des factures de campagnes antérieures. Pour la MCI et la SODICOT, le boycott du système CSPR est lié au fait qu'il profite plus à des acteurs tels que la SDI qui sont à la fois égreneurs et distributeurs d'intrants. En effet, les 40% d'acomptes versés par les égreneurs pour leur approvisionnement en coton graine sont en partie reversés à ces acteurs (à la fois égreneurs et distributeurs d'intrants) pour régler les frais des intrants mis en place. Ce règlement étant prioritaire, les égreneurs que sont la MCI et la SODICOT se trouvent moins favorisés que ces acteurs qui sont à la fois égreneurs et distributeurs d'intrants.

Le non approvisionnement en coton graine auprès de la CSPR entrave le fonctionnement normal des usines de la MCI et de la SODICOT. Pour fonctionner, les responsables de ces usines s'approvisionnent directement en coton graine auprès de la SONAPRA qui en retour est alimentée par le système CSPR. Le mécanisme mis en place pour assurer la répartition du coton graine entre les usines n'est plus ainsi respecté et le non

paiement des dettes des ces acteurs dissidents ne permet plus à la centrale d'honorer ses engagements vis-à-vis des producteurs.

Comment comprendre que la SONAPRA, membre de la CSPR coopère avec des acteurs reconnus par l'ensemble du système comme des «dissidents» ? Les raisons qui motivent ce partenariat n'ont pas n'ont pas pu être élucider au cours de cette étude.

La MCI et la SODICOT ont développé une autre manière pour s'approvisionner qui consiste à susciter la naissance des organisations paysannes, autres que celles existantes (GV) pour que ces dernières les approvisionnent directement en coton graine. Pour y parvenir, ces acteurs attirent l'attention des producteurs sur les conflits latents au niveau des GV, conflits liés à la gestion des intrants, au pouvoir de décision, à la mauvaise gestion des ristournes. Ils motivent aussi les leaders d'opinions par les dons de diverses natures.

Au niveau de la compagnie MCI, on constate que cet acteur garantit les intrants aux producteurs chez qui il s'approvisionne en coton. Mais la mise en place des intrants seuls ne suffit pas pour assurer une bonne production, il faut aussi d'autres facteurs des production (le crédit, des technologies appropriées donc la recherche et la vulgarisation). Mais ces derniers facteurs cités nécessitent plus d'investissements et l'égreneur pourrait ne pas sentir directement ces intérêts. Ce qui pourrait justifier l'abandon de ces domaines par ce dernier qui se concentre plus sur les engrais et les insecticides.

En réalité si les producteurs qui se trouvent aujourd'hui sous ces acteurs dissidents savaient, ce qu'ils perdaient (en vulgarisation, en recherche et autres) il n'est pas évident qu'ils accepteraient ce système. Ces acteurs qui utilisent juste comme appât l'argent cash du coton, profitent de l'ignorance ou du manque d'informations au niveau de la masse paysanne pour asseoir leur influence.

Les égreneurs influences aussi les élus locaux, en mettant en exergue le rôle social que peut jouer par le coton dans la construction de leur localité. Ainsi, toute insuffisance en matière première affecte la rentabilité des usines et par à coups, a des effets négatifs sur les gains en ressources des localités dans lesquelles ces usines sont installées.

Une autre approche consiste à détourner le camion chargé de coton sur les voies pour leur prendre leur chargement, destiné à une autre usine.

Cette situation est encouragée par des facteurs tant au plan national qu'international. En effet, les prix du coton sont très élevés sur le marché international et le coton se trouve ainsi très recherché.

Au niveau national, la capacité d'égrenage des compagnies (production nationale moyenne est de 400.000 tonnes alors que la capacité d'égrenage des usines est plus de

700.000 tonnes) pourrait expliquer ce rapport de «à qui mieux-mieux » où chacun se bat pour élever le plus haut possible son stock.

5.2.3.3 Nouveau système de recouvrement

La création de la Centrale de Sécurisation des Paiements et du Recouvrement (CSPR) a été la première mesure prise par l'Interprofession pour corriger les irrégularités de la SONAPRA dans le recouvrement des crédits et le paiement des producteurs. Cette centrale est constituée juridiquement comme une association sans but lucratif avec pour mandat, l'exécution de deux fonctions importantes du système SONAPRA : (i) le paiement du coton graine aux producteurs et (ii) le recouvrement du crédit intrant par les distributeurs et leurs banques de prêts. Ce nouveau mécanisme élimine ainsi les effets pervers liés à la mauvaise gestion de la SONAPRA.

La CSPR constitue un cadre de concertation aux acteurs privés et publics que regroupe la filière. Sous sa forme centralisée actuelle, la CSPR mène trois groupes principaux d'activités. Elle enregistre les prêts et crédits liés à l'importation et à la distribution des intrants ; organise la commercialisation du coton graine et assure enfin, la gestion de tous les mouvements de capitaux au niveau de la filière.

Selon le mécanisme, chaque compagnie d'égrenage dépose auprès de la centrale, une avance correspondant à 40% de la valeur totale du quota qui lui est attribué pour la campagne et paye les 60% restant, au fur et à mesure que la livraison du coton graine est faite. La CSPR utilise ces avances pour rembourser aux banques, le crédit consenti pour l'approvisionnement en intrants et faire des avances de paiement aux producteurs. Une fois que toute la demande en coton graine est livrée aux usines d'égrenage, les producteurs reçoivent aussi la totalité des fonds coton.

Mais si le mécanisme fonctionne aussi efficacement, pourquoi le problème d'impayé reste toujours posé au niveau des producteurs ?

> Les enjeux de la centrale

Les failles au niveau de la centrale peuvent se situer à différents niveaux.

Depuis que la libéralisation prône l'intégration des acteurs dans la gestion de la filière, il ne faudrait pas perdre de vue, que ce soit au niveau de l'Interprofession ou des conseils d'administration des différentes organisations, les paysans restent les «maillons faibles» de la chaîne.

Aujourd'hui, cette centrale, comme toutes les autres mises en place après la libéralisation du secteur, reste toujours dirigée par une classe technique constituée des « anciens responsables » des structures avant la libéralisation (SONAPRA, CARDER,...), ceci en fonction des différents intérêts liés à la filière (primes et indemnités). Cette classe technique intellectuelle, pourrait se sentir moins concernée par les intérêts des acteurs servis (producteurs, distributeurs d'intrants et égreneurs) et développer à côté des intérêts du secteur, des intérêts propres à satisfaire, intérêts qui se retrouvent en front d'opposition avec les intérêts du mécanisme et qui les contraignent à s'écarter des normes fixées. L'idéale aurait été que les acteurs concernés prennent en charge, leur propre affaire. Mais toujours est-il que les intérêts implicites de ces derniers vont s'y impliquer, entravant ainsi l'évolution normale du

mécanisme.

La classe paysanne constitue aussi une pesanteur qui freine le mécanisme fonctionnel de la centrale. Un grand nombre de paysans prennent des intrants pour la production cotonnière et les détournent vers d'autres buts. Dans la plupart des cas, ils les utilisent pour les vivriers ou les revendent à moindre prix, ce qui ne leur permet pas d'atteindre la production prévue pour couvrir les charges en intrants, alors que la centrale paie entièrement les distributeurs d'intrants sur les avances reçues pour la demande en coton auprès des égreneurs. La production obtenue chez les paysans ne permet plus à la CSPR de dégager suffisamment de marge, après recouvrement des crédits intrants, pour assurer le paiement de tous les producteurs et couvrir totalement la demande des égreneurs.

Une analyse du comportement des producteurs face aux intrants agricoles pourrait être faite sous deux angles. D'abord, l'orientation des intrants vers les vivriers, parce que ces spéculations ne bénéficient pas d'un système de crédit intrants alors que les sols se retrouvent de plus en plus épuisés par les pratiques cotonnières. Les paysans en marge d'alternatives, reconvertissent alors ces intrants coton vers les vivriers. Cette pratique reste fréquente dans la zone sud-Borgou, comme l'a montré une étude du LARES-APEIF (1996) parce qu'elle est reconnue pour sa fonction de « grenier du Nord ». Elle nourrit toutes les zones spécialisées dans la production cotonnière, c'est ainsi une zone à potentialité vivrière.

En second lieu, les producteurs bradent les intrants agricoles, soit pour faire face aux contraintes financières, en début de campagne, à la sortie de la longue période de soudure, soit pour se venger des situations d'impayés dont ils ont été victimes une campagne précédente. Les compagnies d'égrenage ne restent pas non plus sans affaiblir le mécanisme de la centrale. Certaines d'entre-elles, ne remplissant pas les exigences de la CSPR, surtout par rapport aux

acomptes des 40% en avance, achètent le coton hors du système géré par l'Interprofession. En effet, le principe d'acompte de 40% à verser pour s'approvisionner en coton, constitue un facteur qui limite l'accès aux compagnies d'égrenage. Cette contrainte suppose que si un acteur ne dispose pas des acomptes, il ne pourrait pas s'engager dans la commercialisation. C'est face à ce goulot d'étranglement que certaines compagnies se sont désolidarisées du réseau formel. Dans ces conditions, deux situations se rencontrent :

- Ces compagnies parfois, achètent le coton graine, directement auprès des producteurs ayant bénéficié d'intrants coton mis en place hors du système CAGIA-CSPR, par des sociétés privées. Dans ce cas, les pertes sont limitées à la centrale et ne concernent que les fonctions critiques à verser à l'Interprofession (AIC).

- Dans d'autres cas, l'achat s'effectue directement auprès des producteurs ayant pris des intrants dans le système de la CAGIA. Les pertes sont grandes dans ces conditions parce que le recouvrement des intrants pose d'énormes problèmes (impayé, conflits sociaux,...).

Ces écarts observés au niveau de la filière ne font que fragiliser le mécanisme de la centrale et multiplier les foyers de conflits entre les acteurs. En contournant le système CSPR, les égreneurs empêchent d'autres qui utilisent le canal de la CSPR, d'avoir le stock demandé. Ainsi, la répartition de la production reste une source de tension et oppose la centrale à certains égreneurs. C'est dans ce cadre que s'inscrit le contentieux opposant la compagnie d'égrenage SEICB à la CSPR en 2001-2002, campagne durant laquelle, la compagnie, après s'être acquittée de toutes ces obligations vis à vis de la Centrale, n'a été approvisionnée qu'à hauteur de 18.000 tonnes sur un quota de 25.000 tonnes allouées. Pour préserver ses intérêts, la compagnie a assigné la centrale en justice.

> Autre stratégie qui fragilise le mécanisme CSPR: commerce du coton avec le Nigeria

La vente du coton au Nigeria se pratique, au départ, dans les régions frontalières. Mais de plus en plus, le phénomène s'étend vers les autres zones de production, tel le cas de N'Dali.

Encart 7 : Stratégie développée pour la vente illicite du coton à Kori, un village de N'Dali révélée par un producteur GV-FUPRO.

L'année surpassée, j'ai caché une partie de ma production et quand notre GV a vendu son coton, mon fils est venu du Nigéria prendre le stock pour le vendre là-bas. Deux semaines après, il est revenu avec 3 motos «Quinko» que nous avons revendues à 250.000F chacune. Beaucoup le font dans notre village, mais personne n 'en parle, si jamais le CARDER l'apprend, on est perdu...

Entretien n°7, N'Dali le 0 7/08/04

Depuis la persistance du «retard de paiement» des fonds-coton, le phénomène de vente de coton au Nigeria s'est considérablement développé. En effet, plusieurs motivations soutendent cette opération clandestine.

L'achat du coton au Nigeria se fait au cash. Ce facteur est d'autant plus important qu'au cours de la campagne 00/01, certains producteurs de la commune ont vendu leur production au Nigeria alors que le prix au Kg était en moyenne de 180F, contre un prix officiel de 200F au Bénin. Ce cash permet aux producteurs de faire face à des besoins sociaux immédiats.

La vente du coton au Nigeria permet aussi aux paysans d'échapper aux retenues forfaitaires qui s'élèvent, dans certaines régions à 2F / Kg de coton graine. De même, sur le marché nigérian, il n'y a pas une catégorisation de la production (coton de 1er ou de 2e choix). Cette absence du contrôle sur la qualité du coton livré encourage les producteurs à choisir le marché nigérian.

Cette fuite de la production nationale pose le problème des réalisations sociocommunautaires, le plus souvent fondées sur les ristournes et rend difficile la récupération des crédits intrants. Ce phénomène fragilise le mécanisme de la CSPR et renforce davantage le retard du paiement des fonds coton aux producteurs. Ils entretiennent aussi le «cercle vicieux» de la mauvaise conduite de la filière qui dégrade les relations entre les divers acteurs du secteur.

5.2.3.4 Importance de l'AIC dans le secteur cotonnier

Le mandat de l'AIC comporte deux volets, l'un d'ordre technique et l'autre institutionnel.

A travers son mandat technique, l'Interprofession organise et coordonne le processus de consultations et de négociation entre le secteur privé et le gouvernement, avec pour objectif de permettre au secteur privé de prendre en charge les diverses « fonctions critiques »

autrefois assurées par la SONAPRA. Toujours au titre de son mandat technique, l'AIC met en place les mécanismes de médiation et d'arbitrage entre tous les acteurs de la filière.

Dans le cadre institutionnel, l'Interprofession veille au respect des mesures définies entre les acteurs pour assurer le bon fonctionnement du secteur. Mais parvient-elle réellement à assurer la synergie, au niveau de tous les acteurs ?

> Performance de l 'AIC

L'AIC, vu ses multiples responsabilités (techniques et institutionnelles) apparaît comme l'organe pivot du secteur après la réforme. Elle coordonne à elle seule, toutes les activités au niveau de la filière. Mais actuellement, avec la naissance des regroupements dissidents, l'autorité de l'Interprofession reste très peu partagée par les différents acteurs de la filière. L'AIC n'arrive plus à s'autogérer par cause de non-respect des engagements pris par ses membres.

Ce nouveau mécanisme mis en place ne permet plus à un certain groupe d'acteurs de satisfaire des intérêts propres. En prévision à cet obstacle aux intérêts, les premiers responsables de l'Interprofession se sont opposés à la constitution de ce nouveau cadre institutionnel de la filière (CSPR, CAGIA,...) parce qu'il ne permet plus d'avoir la marge de manoeuvre que garantissait l'ancien système, avec le monopole de l'Etat.

> Les handicaps de l'Interprofession

Suite à la réforme du secteur, l'Etat a pour mandat de définir un cadre législatif qui servirait de pilier à l'AIC dans la conduite de la filière. Mais faute de cet accord cadre qui jusque-là n'est pas encore défini, l'Interprofession se trouve sans maintien, ce qui permet à certains acteurs de contourner l'autorité de l'institution. L'absence de ce cadre réglementaire reste aujourd'hui la principale «goutte d'eau» qui fait déborder continuellement le vase au niveau de la filière, parce qu'il laisse une marge de manoeuvre à ces différents acteurs. Les différentes parties qui trouvent leurs intérêts menacés par le nouveau système, profitent alors de l'inexistence de ce cadre législatif pour sortir du système. Il existe aujourd'hui un véritable gap entre les fonctions normatives de l'Interprofession et ces fonctions réelles du fait que tous les acteurs n'adhèrent pas à ses idéologies. Elle n'a pas encore réussi à faciliter l'arbitrage avec les divers groupes professionnels de la filière.

Il faudrait ajouter que l'intervention de politiciens participe à la fragilisation du système AIC. Le pouvoir politique garantit une position «d'intouchable» à certains acteurs qui se trouvent au-dessus des actes normatifs ou des autres acteurs du système. Ils disposent

aussi d'une liberté qui leur permet de s'imposer ou même d'outrepasser l'autorité de l'Interprofession. Cette implication de la force politique nourrit la dissidence à laquelle doit faire face l'institution.

5.2.3.5 Importateurs et Distributeurs d'Intrants > Organisation de la mise en place des intrants

La libéralisation du secteur a permis de briser la position monopoliste et centralisée de l'Etat et de rendre ce secteur plus compétitif à travers son ouverture à plusieurs acteurs privés. Conscients de l'importance et des nombreux intérêts liés au sous-secteur intrants, ces opérateurs économiques l'ont pris d'assaut. Cette affluence vers ce secteur a amené les producteurs et distributeurs d'intrants à mettre en place la CAGIA pour assurer leur approvisionnement en intrants de qualité à bonne date et à des prix compétitifs. Plus spécifiquement, la CAGIA procède à la collecte et à l'estimation des besoins en intrants agricoles de ses membres, participe, en temps que représentant des producteurs au sein de la commission intrants agricoles, à la sélection des fournisseurs d'intrants.

Le mécanisme d'importation et de distribution des intrants agricoles repose sur les principes suivants :

- La commercialisation des intrants est assurée seulement par les sociétés sélectionnées. - Les ventes des intrants aux producteurs d'une même commune sont assurées par une et une seule société.

- Les distributeurs sélectionnés disposent de 120 jours maximum pour livrer les intrants, aux groupements.

- La définition de la nature, de la compétition, de la qualité, du conditionnement des intrants à livrer, relève de la compétence exclusive du CRA-CF. A cet effet, avant leur mise en consommation, les intrants sont contrôlés par la recherche et les services de protection des végétaux. Seulement les résultats de contrôle pourraient autoriser la mise en circulation de ces

intrants.

- Les intrants sont vendus au même prix unique sur tout le territoire.

Ces divers principes fixent les normes de conduite du sous-secteur intrant de la filière. Mais la sélection des distributeurs par la CAGIA reste souvent l'objet de vives contestations. Les opérateurs ne remplissant pas les normes fixées ont dû créer en Novembre 2001, leur propre association dénommée ADIAB (Association des Distributeurs d'Intrants Agricoles du Bénin), association dissidente du GPDIA (Groupement Professionnel des Distributeurs

d'Intrants Agricoles). Ces distributeurs de l'ADIAB (Fruitex et CSI) fournissent des intrants aux groupements de producteurs dissidents à un prix légèrement en baisse par rapport au circuit des distributeurs de la GPDIA. Mais les intrants livrés ne sont pas identiques à ceux recommandés par la recherche. D'ailleurs leurs intrants échappent au contrôle des normes phytosanitaires.

La libéralisation du sous-secteur intrant est source d'effets pervers qui contribuent à la détérioration du système de distribution, entraînant une hausse des coûts des intrants, un manque de professionnalisme des distributeurs et finalement une baisse de la qualité des intrants importés. L'ouverture de la filière au secteur privé a permis l'entrée sur le marché des opérateurs n'ayant pour toute qualification que leur affinité politique. La politique ne semble pas rester également, au niveau de ce sous-secteur, en marge de ces divergences.

Les acteurs ADIAB n'étant pas reconnus par la CAGIA, ni la CSPR, le recouvrement de leurs crédits intrants pose de véritables problèmes. De même, les distributeurs du GPDIA craignent de livrer des intrants aux producteurs hors du crédit FUPRO du fait des difficultés de recouvrement.

> Problématique des intrants et recouvrement du crédit intrants

La mise en place des intrants est réalisée par les distributeurs privés séLECtionnés au titre de la campagne, par la CAGIA. Cette opération se déroule à crédit à partir du mois de février dans les GV auxquels incombe le rendement du crédit durant la commercialisation.

Le mécanisme prévoit d'une part, la sécurisation de ce crédit aux producteurs et d'autre part, son remboursement par ces derniers au profit des Importateurs et Distributeurs d'Intrants. Mais, la récupération des crédits auprès des producteurs posent des problèmes : les quantités mises en place dans les GV étant, le plus souvent en inadéquation avec leurs besoins réels. Selon le SOP de la région « les paysans déclarent de grandes superficies et reçoivent les intrants en conséquence, mais dans la réalité, ils ne respectent pas les superficies déclarées ». Cette situation est due au fait que les paysans utilisent une partie de l'engrais pour d'autres cultures.

Le détournement de l'engrais constitue alors une stratégie développée par les producteurs pour faire face au manque d'appui aux vivriers. Cette stratégie que développent les producteurs ne permet pas au mécanisme de recouvrer à 100% les crédits intrants, les capacités de remboursements des groupements étant en-déça des valeurs des intrants mis en place. Alors que les crédits consentis aux distributeurs d'intrants par les banques sont dénoués

à 100% par la CSPR, au plus tard à la fin du mois de décembre, donc avant le démarrage effectif de la commercialisation

Tableau 5: Evolution des chiffres relatifs aux crédits intrants et aux taux de recouvrement

Campagne

Crédits intrants

Montant récupéré

Taux recouvrement

00-01

20.628.839.000

20.297.254.385

98,39%

01-02

25.950.807.550

25.452.021.241

98,08%

02-03

27.541.549.855

24.966.792.530

90,65%

Source : CSPR, enquête (2004)

Ce tableau montre que la récupération des crédits intrants se solde de plus en plus par des impayés, non prévus dans le mécanisme de recouvrement. Les gaps de ces crédits sont supportés par la centrale et ceci entraîne les retards dans le paiement des fonds-coton aux producteurs. Les taux de recouvrement ne cessent de baisser d'une campagne à l'autre, fragilisant ainsi les équilibres financiers du mécanisme.

Dans ce contexte, où les impayés se multiplient, les distributeurs d'intrants ne perdent aucune partie, leur créance leur étant versée en totalité par la CSPR, même avant la commercialisation. Par contre, les victimes les plus affectées par ces irrégularités sont les paysans, avec les retards des fonds coton.

5.2.3.6 Organisation institutionnelle du secteur cotonnier: perception des parties prenantes

Dans cette partie, nous analyserons la perception de chaque acteur sur les liens institutionnels au niveau de la filière. Ainsi, nous pourrons évaluer le degré de connaissance de la structuration de la filière au niveau de chaque acteur et les interrelations entre les parties.

Flux de produits ou de paquet technologique

> Perception paysanne

AIC

CAGIA

RECHERCHE

FUPRO

CSPR

BANQUES

EGRENEURS

IDI

Flux financier

Source : discussion de groupe, N'Dali le 20/08/04

Figure 6: «Diagramme participatif» réalisé par les producteurs du réseau FUPRO

Le réseau FUPRO reste en relation avec diverses autres structures / institutions (Fig 6). L'AIC

Photo1 Réalisation d'un «diagramme participatif» au cours
d'une discussion de groupe avec les paysans du réseau FUPRO

vient en appui aux initiatives de la FUPRO. De même, la recherche identifie les besoins en technologies au niveau des producteurs et les soumet à l'AIC pour financement. Les résultats de la recherche sont restitués à l'AIC qui implique ses techniciens (TS/ AIC), dans la diffusion en milieu rural. La relation directe entre la recherche et le paysannat intervient au cours de l'identification des besoins en technologies et pendant la conduite de la recherche. Certaines innovations sont expérimentées aussi bien en station qu'en milieu réel (cas de la Lutte Etagée Ciblée).

La CAGIA intervient dans le système pour sélectionner les distributeurs d'intrants et organiser la formation des producteurs sur l'utilisation des intrants agricoles. Il faudrait signaler que le rôle clé de la CAGIA dans les interrelations avec le paysannat, n'a pas fait

l'unanimité des membres du groupe au cours de la conception du diagramme. Ce désaccord pourrait être compris d'une part, comme l'absence directe de relation entre la CAGIA et les producteurs et d'autre part, comme l'effet de déception qu'ont connu les producteurs quant à l'efficacité des produits chimiques mises en pace dans les GV. Pour certains producteurs, « si la CAGIA est une bonne chose, les producteurs n'auraient pas les problèmes qu'ils ont aujourd'hui avec les produits », ceci pour témoigner de tout leur mécontentement par rapport à la gestion de ce sous-secteur intrant.

Une autre faiblesse de la CAGIA réside dans le fait que sa fonction de formation des producteurs sur les intrants est reléguée au second rang. Cette tâche est prise en mains directement par les distributeurs d'intrants, c'est d'ailleurs la relation qui relie les fournisseurs à la FUPRO.

La CSPR reste le «carrefour» entre les producteurs, les distributeurs d'intrants et les égreneurs. En effet, la CSPR s'approvisionne en coton au niveau des producteurs et le livre aux égreneurs contre un acompte de 40% dont une partie est utilisée pour payer les distributeurs d'intrants. La relation CSPR-producteurs reste assez forte parce que, pour plusieurs producteurs « l'argent du coton dépend de la CSPR », ceci en raison du contrat monétaire entre les deux parties.

Au cours de cette étude, nous nous sommes rendus compte que, parmi les différentes institutions qui interviennent au niveau de la filière, la CSPR est la structure que les producteurs connaissent le mieux et pour beaucoup (65% de notre échantillon), les difficultés rencontrées par les acteurs sont dues à l'inefficacité de la centrale.

La FECECAM (banque locale), à travers les caisses locales, intervient dans la filière pour garantir les crédits de campagne aux producteurs. Mais au niveau du paysannat, le manque de suivi et la mauvaise gestion n'ont pas permis aux producteurs d'évaluer l'utilité de ces crédits. Ils révèlent souvent que « les crédits CLCAM tuent les producteurs». Le système solidaire en vigueur dans ces groupements fait que les producteurs qui utilisent correctement ces crédits se sentent défavorisés par rapport aux producteurs indélicats qui «tombent en impayés».

L'organisation de la filière, selon la perception des paysans des réseaux FENAPRA et AGROP, est assez simplifiée (Fig 7) parce que les nombreuses structures qui se greffent à la filière sont la cause de sa désorganisation, et elles ne « sont que des figurations ». Ces réseaux se sont débarrassés de ces diverses institutions qui entrent dans la gestion du réseau FUPRO pour se retrouver avec ce schéma simplifié. Pour ces divers acteurs des réseaux parallèles, plus il y a d'intermédiaires dans le système, plus le partage est réduit.

a-

Fournisseur

d'intrants S di

Flux de produits ou de paquet technologique Flux financier

FENAPRA

GP-

b-

MCI
(égreneur)

CAGIA CSPR

AGROP

MCI

MCI (fournis-
intrants

AIC

Source : discussion de groupe, N'Dali le 20/10/04

Figure 7: «Diagramme participatif'' des interrelations au niveau de la filière réalisé par les producteurs des
réseaux FENAPRA (
a) et AGROP (b)

Au niveau de la FENAPRA, les responsables entrent directement en contact avec les fournisseurs pour avoir les intrants et ils convoient toute leur production vers la compagnie d'égrenage de la SODICOT (Fig 7-a), pendant que le réseau AGROP prend ces intrants et livre sa production à la compagnie MCI (Fig 7-b).

Dans ces deux systèmes, les mécanismes de recouvrement sont autogérés par ces acteurs. Les distributeurs d'intrants et égreneurs retrouvés dans ces réseaux sont ceux qui sont sortis du mécanisme mis en place par l'Interprofession. Ces réseaux regroupent donc les divers acteurs qui ne retrouvent pas leurs intérêts dans le système mis en place par l'AIC.

Dans ce nouveau cadre institutionnel, ces acteurs (égreneurs, distributeurs «dissidents» et responsables des mouvements parallèles) parviennent à satisfaire les «attentes» que ne garantissait pas le système de l'Interprofession. L'intervention de l'AIC/CSPR dans «leurs réseaux» est perçue comme une menace des intérêts en jeu, menace parce que l'AIC exigerait d'une part, les fonctions critiques qui sont devenues des «intérêts d'un petit groupe» et d'autre part, le passage par le canal de la CSPR et de la CAGIA, ce qui n'arrange plus les distributeurs et les égreneurs. Ainsi les intérêts visés par les différentes parties s'échapperaient avec l'implication de l'Interprofession qui est devenue un potentiel adversaire.

Encart 8 : Extrait de la lettre adressée au présidium par les représentants des réseaux FENAPRA et AGROPBénin à la fin des états généraux de juillet 2004 à Parakou4;

Compte tenu des constats faits lors des différents ateliers, nous, producteurs des réseaux précités, rejetons fermement la responsabilité de la CSPR, AIC et CAGIA, dans la gestion de notre coton graine et ceci jusqu'à nouvel ordre; car nous ne voulons pas de casses, du désordre et de la mafia dans la gestion de ce coton.

Cet extrait ne manque pas de renseigner sur la situation de conflit d'intérêts qui subsiste au niveau de la filière. Mais est-ce vraiment les intérêts de simples producteurs qui sont en jeu ici ? Derrière ces déclarations, n'y a t-il pas plusieurs autres acteurs du réseau ?

La dynamique institutionnelle dans le réseau FUPRO ou dans les réseaux parallèles, n'améliore pas autrement le revenu des producteurs. Par rapport à ce contrat, le réseau FUPRO, avec un grand nombre d'acteurs (CAGIA, CSPR, AIC, ...) présente l'avantage d'offrir d'emplois à plusieurs groupes. Ainsi, le partage « du gâteau de coton » se fait entre plusieurs acteurs alors qu'au niveau des réseaux parallèles, les bénéfices du coton sont partagés entre un petit groupe d'acteurs (égreneurs, distributeurs d'intrants, responsables des

mouvements paysans,...), écartant ainsi les producteurs. > Perception et linkage de la recherche

La recherche reste en relation avec diverses institutions de la filière (Fig 6). Elle recommande à la CAGIA, après expérimentation, les produits à mettre en place par les distributeurs. Avant cette phase, la recherche conduit les protocoles des firmes, sur les matières actives identifiées. Après l'expérimentation, la DIFOV, à travers les CARDER, prend la relève pour la vulgarisation de la technologie identifiée par la recherche. De plus en plus, la limite du partenariat entre la recherche et la DIFOV n'est plus nette. Les fonctions de l'un chevauchent sur celles de l'autre.

4 Lettre co-signée par Madougou (FENAPRA) et Amidou (AGROP)

SDI

AIC

FUPRO

CAGIA

Recherche

Firmes
phytosanitaires

DIFOV

Egreneur

Carder

Flux de produits ou de paquet technologique

Flux financier Source : discussion de groupe, N'Dali le 25/10/04

Figure 8: «Diagramme participatif'' des interrelations au niveau de la filière réalisé par la recherche

La recherche entretient aussi des relations avec les distributeurs nationaux et un intérêt particulier est reconnu à la SDI (compagnie de distribution des intrants) pour plusieurs causes. La SDI a une importance économique qui fait dire « on ne peut pas faire le coton au Bénin sans Talon ! ». Cette force économique la place au-dessus de plusieurs acteurs, mais malgré cette importance, elle est restée dans le système de l'Interprofessionnel. Au niveau de la recherche, la SDI finance certains projets de protection phytosanitaire. Ce privilège accordé à cette société peut provenir des diverses relations qu'elle a tissées avec la recherche. Depuis la libéralisation où le désengagement de l'Etat a posé une lacune, la recherche est menée en partenariat avec des structures nationales (dont la SDI) et internationales qui prennent en charge le financement. Ce partenariat renforce les relations entre ces institutions. Ce sous- secteur collabore aussi avec des égreneurs pour l'identification des variétés qui améliorent les produits d'égrenage.

Les différents responsables rencontrés dans le domaine de la recherche ont reconnu que la filière fait face à plusieurs difficultés. Sur le plan international, les gros producteurs (Chine, les Etats-Unis d'Amérique et l'Union Européenne) causent de nombreuses pertes aux producteurs du sud en subventionnant leur production. Au plan national, la difficulté majeure est la création récente d'organisations professionnelles qui mènent leurs activités en dehors du cadre réglementaire ; ce qui perturbe le caractère «de filière intégrée' 'et entraîne des manques à gagner à l'Etat. Ces difficultés restent liées au rôle ambigu de l'Etat qui n'a pas défini

clairement avec l'Interprofession le protocole d'accord devant conduire à un cadre réglementaire au niveau du secteur (Djihinto, CRA-CF comm. pers).

La politique n'est pas restée en marge des difficultés que rencontre la filière ; elle utilise les failles de l'Etat (profite de l'absence de l'accord cadre) pour inciter la désorganisation de la filière en raison des divers intérêts en jeu.

5.2.7.3 Catégorisation des acteurs

Suivant la distinction des acteurs d'un système, telle effectuée par Jiggins et al (2003), nous distinguerons trois catégories d'acteurs regroupés dans le tableau 6.

Tableau 6 : Répartition des acteurs des différents réseaux selon les perceptions

Paramètres

Perception FUPRO

Perception FENAPRA

Perception AGROP

Acteurs de
premier ordre

AIC- CSPR- CAGIA

Egreneurs,
distributeurs d'intrants
agricoles

Egreneurs,
distributeurs d'intrants
agricoles (MCI)

Acteurs du
second ordre

Producteurs, Egreneurs,
distributeurs d'intrants
agricoles

Producteurs

Producteurs

Acteurs
intermédiaires

Source : Enquête, N'Dali (2004)

L'AIC, la CSPR et la CAGIA sont regroupées comme acteurs primaires au niveau du système FUPRO, parce que chargées d'initier les activités ou de définir les itinéraires à suivre au niveau du mécanisme mis en place. En dehors de l'Etat, ce sont les institutions qui ont en charge la gestion de la filière coton au Bénin. ils prennent des décisions pour la conduite du secteur. Dans les réseaux dissidents où ces institutions sont exclues, ce sont les distributeurs et les égreneurs qui ont ce pouvoir. Mais notons qu'ici, il ne s'agit pas d'un pouvoir formel mais c'est en complicité avec les responsables de ces organisations paysannes que ces acteurs secondaires (du système FUPRO) ont pu se positionner comme primaires.

Dans les réseaux parallèles où il n'existe plus l'autorité de l'Interprofession, n'est-il pas possible aux producteurs de se positionner en acteurs primaires où ils pourront s'imposer aux autres acteurs du système ? Cette éventualité n'est pas envisageable a priori parce que les égreneurs et les distributeurs d'intrants ont une force économique qui fait que les producteurs se placent dans une position de dépendance. D'abord pour la production, ils ont besoin

d'intrants que les distributeurs leur livrent à crédit parce qu'ils n'ont pas souvent la capacité de les prendre au cash. Ce contrat de crédit entre les deux parties, placent les producteurs dans une situation de dépendance vis à vis des fournisseurs.

Dans la classe des acteurs intermédiaires, nous retrouvons, dans le réseau FUPRO, aussi les égreneurs et les distributeurs d'intrants. Dans cette catégorie, il y a des acteurs qui soutiennent les itinéraires définis par l'Interprofession parce qu'ils retrouvent un avantage dans le mécanisme. Par contre, ceux qui ne retrouvent plus leurs intérêts en jeu s'opposent à ces mécanismes et se sont reconvertis dans les systèmes dissidents en se positionnant dans la classe du premier ordre, tel le cas de MCI, CSI, Fruitex,...

Les producteurs, en fonction de leur limite (capacité financière), se retrouvent dans la basse couche parce que n'ayant pas une autonomie dans le système. Que deviendrait le système quand les producteurs auront une force de négociation où ils seront considérés comme de vrais partenaires ?

Même si les réseaux parallèles, ont réussi à briser la charpente institutionnelle imposée par l'Interprofession, ils se trouvent parfois contraints à retourner dans le système formel. C'est le cas, cette année avec les producteurs FENAPRA, qui, par manque d'intrants agricoles, ont été obligés d'être approvisionnés par la SDI, une compagnie du système formel. A la commercialisation, c'est le distributeur qui leur imposerait le circuit dans lequel ils doivent vendre leur coton. Tout le jeu semble ainsi être joué par les distributeurs d'intrants qui détiennent la «force» du système. Les producteurs restent les maillons faibles parce qu'ils disposent d'un faible contrôle du secteur intrant.

5.2.3.8 Performance du système de financement du secteur cotonnier

Jusqu'à la levée du monopole de l'Etat, les activités de production et la commercialisation du coton étaient financées par trois principales sources :

- Prêts aux distributeurs d'intrants pour leur permettre d'importer les intrants, dont la SONAPRA garantissait le recouvrement aux banques ayant consenti les prêts, grâce à son monopole sur le coton graine.

- Prêts aux compagnies d'égrenage pour leur approvisionnement en coton graine auprès de la SONAPRA. Dans certains cas, ces compagnies peuvent recevoir du coton à crédit et rembourser la SONAPRA après la vente des fibres.

- Crédits de campagne pris par la SONAPRA auprès des banques pour assurer le paiement des producteurs, après déduction des coûts des intrants.

Ces différents éléments du système de financement du secteur qui reposaient sur la situation de monopole de la SONAPRA se sont avérés assez performants pour la sécurisation du crédit intrant. En effet, les crédits de campagne de la SONAPRA ne comportaient aucun risque parce que, d'une part, ils étaient accordés sur la base de la production nationale et d'autre part, en l'absence d'autres acheteurs, la société cotonnière n'avait pas à craindre de concurrence au niveau de l'approvisionnement en coton graine.

Le mécanisme de recouvrement des intrants était alors assez efficace non seulement à cause du monopole de la SONAPRA mais aussi parce que les acteurs engagés dans la filière étaient peu nombreux. Mais cette performance du système n'était pas sans effets pervers, très coûteux.

Le fait que la SONAPRA garantisse entièrement le crédit aux distributeurs d'intrants a non seulement peu incité ces acteurs à mieux gérer leurs ressources, mais a aussi encouragé l'entrée sur le marché d'intrants, d'acteurs peu qualifiés sous protection politique. A cause de cette situation, le système de distribution d'intrants s'est détérioré avec des pertes financières répétées au niveau de la SONAPRA.

Au niveau des compagnies d'égrenage privées, la livraison entièrement à crédit, du coton graine a entraîné non seulement des retards considérables dans le paiement des producteurs mais aussi des «manques à gagner» fréquents pour la SONAPRA.

Tout le système se retrouve ainsi dans l'impasse, coincé entre les dettes au niveau de la société cotonnière et les intérêts des acteurs en place (égreneurs, distributeurs d'intrants et responsables des sociétés publiques).

5.2.3.9 Performance de la dynamique institutionnelle de la filière

Le secteur cotonnier béninois a connu de nombreuses réorganisations conduisant aujourd'hui à sa libéralisation.

Dans un premier temps, l'élément marquant de la dynamique institutionnelle a été l'organisation de la filière sous une forme intégrée de l'amont à l'aval autour de sociétés d'Etat. Cette organisation a permis de sécuriser l'environnement socio-économique des producteurs en matière d'approvisionnement à crédit et de commercialisation du coton graine. Ainsi, l'obstacle de l'accès au crédit a été surmonté pour les petits prêts, à court terme pour l'achat d'intrants, dans le cadre d'une caution solidaire de groupes de producteurs et de la sécurisation du remboursement lors de l'achat du coton graine. De même, les itinéraires techniques cotonniers ont été mis à disposition de la vulgarisation grâce à la collaboration entre les sociétés agro-industrielles cotonnières et la recherche ; Malheureusement ces appuis

se sont très vites essoufflés, comme le note aussi Dévèze (2004) faute de financement sécurisé et d'une étroite association à l'innovation des producteurs.

Face à ces divers obstacles, de nouvelles orientations ont été prises dans le secteur. En cas de réussite, ces réformes entreprises dans le cadre de sa libéralisation, renforceront la compétitivité de la production nationale sur les marchés internationaux et permettront au pays de bénéficier de l'augmentation probable de la demande mondiale du coton. Cette augmentation de la productivité et de la compétitivité devrait se traduire par des revenus plus élevés dans le secteur. Ainsi, plus de transparence et d'efficacité dans la gestion de la filière entraînerait à coup sûr une meilleure redistribution des revenus, non seulement dans le secteur coton mais aussi dans les autres secteurs productifs tant dans le monde agricole qu'ailleurs.

Si à ces débuts, la réforme était avant tout, une réaction à une crise majeure dans la filière, elle a dépassé ce stade et l'on assiste aujourd'hui dans le secteur, à une profonde crise de confiance entre les acteurs. Certains distributeurs d'intrants n'acceptent plus les règles et procédures d'agrément et mettent en place des intrants hors système. Dans le même temps, certains égreneurs achètent du coton graine soit auprès des OP qui se sont retirées de l'Interprofession. En clair, comme le fait remarqué Berkani (2002), le système se retrouve dérouté de sa ligne de départ et asphyxie tous les acteurs. Certains groupes jugent ainsi que les autres ne leur donnent pas leur part d'intérêts qu'ils méritent, et ils s'en approprient alors en dehors du système reconnu par l'Interprofession, fragilisant ainsi le mécanisme.

Le clivage des groupes qui débouche aujourd'hui sur la désorganisation du secteur ne serait survenu si l'Etat jouait le rôle qui lui a été confié dans le cadre de ces réformes. L'environnement peu spécifié dans lequel a été conduite cette libéralisation, a entretenu tous les débordements observés actuellement dans la filière.

5.2.3.10 Les enjeux autour de la privatisation de la SONAPRA

Le projet de privatisation de la SONAPRA a en effet été annoncé par le gouvernement, dans le cadre de la restructuration du secteur coton depuis 2000. Mais, c'est seulement en Juin 2003 qu'un appel d'offres a été lancé pour sélectionner les adjudicataires. Or, cet appel d'offres a vite été interrompu puis annulé par le gouvernement parce qu'étant perçu comme peu transparent et trop avantageux pour certains opérateurs au détriment d'autres. Après révision de la procédure de privatisation des outils industriels de la SONAPRA, l'appel à la manifestation d'intérêt lancé par le Ministère du Plan, de la Prospective et du Développement (MCPPD) prévoit la cession des usines en quatre lots d'actifs distincts.

En réalité, de nombreuses compagnies reconnues être des débiteurs de la SONAPRA, enregistrées comme soumissionnaires aux appels d'offres ont été écartées du marché par la commission de dénationalisation. Face à cet acte, la commission aurait été dépossédée du dossier par des responsables politiques au profit d'une commission interministérielle. On pourrait percevoir une volonté de ces responsables de faire racheter des débiteurs dans le groupe des soumissionnaires. C'est à dire que tout semble avoir été fait, avec la bénédiction de hauts responsables, pour permettre à certains soumissionnaires débiteurs de se tirer d'affaire et de se retrouver parmi les adjudicataires. Mais quel peut bien être les intérêts qui soutendent la volonté politique qui veut toujours faire racheter les débiteurs de la société ? est-ce pour des buts politiques ou mieux des intérêts économiques ?

Au bout de nombreuses tractations, la commission a pu identifier quatre soumissionnaires (Sci de Kagnassy pour le lot 1, Promodec de Talon pour le lot 2, de Jbi-Sa filiale d'un groupe Suisse pour le lot 3 et enfin Cdi de Christopher pour le lot 4). On pourrait se croire au bout du tunnel puisque la situation des appels d'offres a été finalement décantée au niveau des soumissionnaires si l'affaire Jbi-Sa n'avait pas resurgi. Alors que cette société a été retenue sur la dernière liste des commissionnaires, ses difficultés ont commencé lorsque la banque qui devrait lui servir de caution n'a pu honorer ses engagements dans les délais prescrits par la commission de dénationalisation. Désormais dans l'impasse, ce soumissionnaire ne pouvait plus rien faire d'autre que de recourir aux grands moyens. La commission était face à cette situation quand lui parvient la lettre du gouvernement qui demandait un moratoire de 20 jours à Jbi-Sa. Mais pourquoi cette faveur spéciale à Jbi-Sa ?

L'intervention du gouvernement aurait été surtout décidée par la présence dans l'ombre de Jbi-Sa de l'un de ses proches, un homme d'affaire que l'on cite parmi les gros débiteurs de la SONAPRA (Tossou, 2004). Cette notification devrait amener la commission de dénationalisation à violer ses propres textes, donnant ainsi des prétextes de nouvelles revendications aux soumissionnaires qui avaient déjà été définitivement écartés. La forte implication des politiciens témoigne des multiples enjeux du secteur coton.

Mais la commission vient de passer outre cette instruction du gouvernement parce que voulant respecter scrupuleusement les dispositions du règlement d'appel d'offres. Elle a jugé scandaleux et plein de risques pour l'Etat, le « piétinement » jusqu'à un tel point des « règles établies ». La commission a dû notifier la défaillance de la Jbi-Sa et a fait appel au commissionnaire immédiat du lot 3. Ainsi la société Sofidec de Tankpinou vient d'être repêchée et devrait faire partie désormais des soumissionnaires définitivement retenus dans le cadre de la privatisation de la SONAPRA.

Reste à voir si cette compagnie ne serait pas confrontée aux mêmes difficultés que JbiSa quant à la caution bancaire et aussi quelle pourrait être la réaction du gouvernement dont les instructions en faveur du Jbi-Sa ont été passées outre.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984