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Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).

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par Yannick Sellier
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007
  

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b- Ecologistes, éleveurs et chasseurs : entre confrontation et conciliation.

En 1998, Jean-Claude Genot, proche des écologistes, publie un livre Ecologiquement correct ou protection contre nature ?. Dans la première partie de son livre, il établit un inventaire de tous les vocables récemment apparus pour en critiquer la pertinence et l'esprit contraire à une conception naturaliste de l'écologie. Il conçoit avec difficulté et ironie que l'on soit passé de la « nature » à l' « environnement », de la « protection » à la « gestion », et de « prédateur » à « espèce à problème »130(*). Ses propos révèlent la persistance de désaccords non résorbés suite à l'évolution de la mouvance écologiste française durant la période 1992-1995 (cf. chapitre 3). Ils traduisent aussi une certaine perte de sens et de repères. Que signifie l'environnement à la fin des années 1990 ? Certains irréductibles, comme Jean-Claude Genot, répondent à cette question par un retour aux valeurs et aux thèmes de base, défendus par l'écologie telle qu'elle fut définie au cours des années 1970 et 1980.

Jean-Claude Genot pense ainsi que les bergers ont une « haine ancestrale » de l'ours et du loup, que les élus locaux éprouvent une forme de « rejet » et que les chasseurs ressentent une « haine plus actuelle »131(*). Les Français ne sont pas aussi radicaux que lui, même si, en 1997, 70% d'ente eux ne sont pas d'accord pour affirmer qu'il faut tuer les loups qui viennent dans les forêts de France. Ils apparaissent, par ailleurs, divisés sur la légitimité de la chasse. En 1992, la moitié des Français considère que les chasseurs favorisent l'équilibre de la forêt (de même que pour les agriculteurs, celui de la campagne). En 1998, ils sont 83% à condamner l'autorisation de la chasse pendant la période de reproduction des animaux. Et globalement, si les aspects les plus légitimes de la chasse ne sont pas ignorés, les inconvénients écologiques et moraux prévalent pour une majorité. Ainsi les trois-quarts des Français voient en la chasse une activité dangereuse pour les espèces sauvages protégées132(*).

Or le loup et l'ours sont des espèces protégées en Europe. Envoyé spécial leur consacre en 1999, deux sujets : « Le retour des loups » de Claude Andrieux (4 mars 1999) et « Tableau de chasse » (28 octobre 1999). De même que Jean-Claude Genot, Paul Nahon et Bernard Benyamin cherchent alors à comprendre « Pourquoi une dizaine d'ours, une vingtaine de loups et peut être une quarantaine de lynx suscitent autant d'opposition, de haines et d'énergies dépensées à combattre ? »133(*) En effet, les lois réduisant la période de chasse, décidées et soutenues par Dominique Voynet, causent, durant l'année 1998, de grandes manifestation de chasseurs et la création d'un nouveau parti « Chasse, pêche, nature et tradition » (CPNT), avec l'entrée au Parlement Européen de six députés issus de cette formation. Tandis que, dans le même temps, la réapparition du loup suscite la colère des éleveurs, toujours dirigée contre Dominique Voynet (admonestée par un manifestant au cours du reportage « Le retour des loups »). Première remarque : les reportages que nous allons analyser, sont moins orientés qu'un reportage du type « Danse avec les ours ». Ainsi, les revendications des éleveurs et des chasseurs sont exposées comme aussi légitimes que celles des écologistes ou des naturalistes.

Envoyé spécial, 04-03-1999, 21h32, « Le retour des loups ». 1- Morsure d'un loup. 2- Le berger reconnaît que les chiens errants causent des dégâts, mais en trente ans de métier, ils n'ont jamais attaqué son troupeau dans les alpages.

Le reportage « Le retour des loups » commence par une séquence au cours de laquelle le téléspectateur voit plusieurs cadavres amputés de chèvres. La mise en image donne l'impression de découvrir, en même temps que le berger, l'ampleur des dégâts. Les deux bergers ont par ailleurs du mal à s'exprimer. L'un d'eux, assez jeune et sensible, pleure et dit: « Avant je l'aimais bien le loup, mais maintenant, si je le vois, je le tue. ». L'autre essaie de parler mais s'éloigne plusieurs fois de l'objectif de la caméra, l'air atterré, pour finir par dire « Je suis bloqué,... ». Les bergers apparaissent sincèrement déroutés et le téléspectateur ne peut que compatir. Le journaliste attire néanmoins l'attention du téléspectateur sur le fait que les loups sont loin d'avoir fait autant de

dégâts que les chiens errants n'en font généralement. Le véritable problème qui se pose pour les autorités publique et que pose le reportage, ce n'est pas tant l'étendue des dégâts mais la reconnaissance officielle de ceux-ci et leur indemnisation. Ainsi voit-on les images d'une expertise dans un laboratoire confirmant que dans Envoyé spécial, 28-10-1999, 21h17, « Tableau de chasse ». Voix-in : choeur entonné par les chasseurs attablés. Voix-off : « La convivialité brute un monde d'homme des cuisines à la table et la peur de perdre tout ça devant des idées nouvelles, devant des idées convenables. »

le cas évoqué plus haut, ce sont bien des attaques de loups, venus des Abruzzes. Un responsable de l'Isère donne, par ailleurs, le montant des indemnisations perçues par les bergers. Dans le reportage « Tableau de chasse », c'est un cuisinier, spécialiste de la préparation des gibiers, qui explique que la chasse est d'abord un art de vivre, mêlant convivialité et traditions. Alors que le journaliste lui pose la question : « Est ce que vous croyez que la chasse, ça va encore avec la société d'aujourd'huis ? ». Le cuisinier répond : « Bien sûr, la chasse, c'est un loisir, et plus qu'un loisir c'est un art de vivre. C'est encore accessible à tout le monde. Si on continue comme ça, seuls les riches pourront se payer la chasse. ... Et puis moi, j'ai grandi avec la bécasse qui cuisait sur le poêle. Je ne sais faire que ça. Si on me l'enlève qu'est-ce que je deviens ? » D'autres séquences viennent étayer ce propos.

Envoyé spécial, 04-03-1999, 21h32, « Le retour des loups ». Echanges animés entre berger (à gauche) et écologiste (à droite).

D'autre part, même en colère, chasseurs et éleveurs paraissent plutôt raisonnables. En tout que plus tempérés dans leur jugement que ce que la presse et le journal télévisé avaient pu relater des manifestations auxquels ils ont participé (dans les deux reportage, cet aspect est évoqué par les intervenants. Un berger, le plus touché par la vague d'attaques de troupeau de l'année passée, accepte de discuter, devant la caméra, avec un écologiste. Le berger s'énerve : "Il n'y pas un écolo, pas un journaliste, pas élu qui est venu me voir ... ! On aurait pu au moins, me prévenir." Ce à quoi l'écologiste répond « Je comprends » et « Le loup, c'est un peu un bouc émissaire ». Le berger réplique : « Garder ses moutons avec un fusil, en l'an 2000, c'est beau, tiens ! ». Il s'éloigne, suivi de près par l'écologiste qui lui dit « Vous savez, on peut discuter, on peut trouver des solutions ! ». Cet échange n'est peut être pas le témoignage d'une entente cordiale mais, en tout cas, celui d'une entente possible. A la fin du reportage « Tableau de chasse », à la question du journaliste « Qu'est-ce qui a changé en soixante ans de chasse ? », le plus vieux chasseur de la commune d'Azur, en Aquitaine, répond : « Y'avait de tout avant, des lièvres, des ci, des là, ça a changé. Si vous saviez ce que j'ai tué comme alouettes et comme palombes. Aujourd'huis, faut plus en tuer et c'est normal, car il n'y en a plus autant. »

Un biologiste, Jean François Dobrémez, présenté comme médiateur entre bergers, naturalistes et collectivités explique : « Il faut bien comprendre le désarroi des éleveurs, que ça leur fait du mal de voir leur bêtes mortes ou blessées. Cependant il faut aussi que les éleveurs prennent conscience que les autres membres de la société ont des attentes. » Il ajoute, après un panoramique latéral sur le versant boisé d'une montagne, « Imaginez une France sans château, sans cathédrale. Ce serait un peu comme une nature sans loup, sans ours, sans Lynx. » Notons ici que le 23 octobre 1997, après la diffusion d'un reportage sur un sujet proche, « L'ambassadeur des ours », le journaliste comparait déjà l'ours des Pyrénées aux cathédrales romanes. Ce phénomène qui consiste à assimiler les composantes vivantes de environnement à un patrimoine (et non plus seulement le paysage), le « patrimoine biologique » diront certains, est un phénomène nouveau. Ce phénomène nous renseigne sur le consensus, rassemblant l'ensemble des membres de la communauté, à propos de la défense d'une certaine biodiversité. D'où l'absence de réactions trop vives vis à vis des écologistes, voire même une certaine entente avec eux.

Envoyé spécial, 28-10-1999, 21h29, « Tableau de chasse ». Réunion de chasseurs membres de l'ANCER .

Dans le reportage, « Tableau de chasse » est présentée l'Association Nationale des Chasseurs Ecologiquement Responsables. D'après le commentaire en voix-off du reportage : « La gestion des espèces est devenue une priorité et l'on ne perd pas la face, si l'on rentre bredouille. » De nombreux inserts sur la table

montrent des chasseurs et des écologistes réunis autour d'une table sur laquelle sont disposées des bouteilles de jus de fruit et des sodas, avec des cacahuètes. Il n'y a pas de boisson alcoolisée et de charcuterie, du type saucisson. Au contraire des chasseurs proches du mouvement « Chasse, Pêche, Nature et Tradition », qui se disent défenseurs d'une vision traditionnelle de la chasse Envoyé spécial, 28-10-1999, 21h09, « Tableau de chasse ». Jean-Saint Josse, chef du parti CPNT et député européen : « Vous êtes polis, polis mais cons ! » (Les autres ont bu le vin qu'il a apporté mais qui n'est pas bon.)

au début du reportage. Le journaliste en déduit que « Un peu partout en France, des chasseurs apprennent à maîtriser leur passion. », et qu' « Aussi étonnant que cela puisse paraître, chacun comprend et tolère l'autre. » Le journaliste interroge un chasseur : « Comment vous réagissez quand on dit, « Les chasseurs, c'est des gros cons » ? - Mais il y en a, et malheureusement, c'est eux qu'on retiendra. »

Envoyé spécial, 04-03-1999, 21h53, « Le retour des loups ». 1- Cris divers : « A bas le loup ! », « Vive le loup !» 2- Le berger sensible du début : « Je ne dors plus, si c'est pour arrêter qu'elles [il parle de ses brebis et ses chèvres] se fassent tuer, alors je serai content d'être là. »

Pour autant, tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes. L'échange, précédemment évoqué, entre journaliste et chasseur le stipule. Dans « Le retour du loup », l'échauffourée entre bergers manifestants et un homme est un autre exemple. Cet homme, en chemise et veston, encore dépenaillé, se dit parfaitement d'accord avec le principe de la manifestation mais il s'oppose à une image trop négative du loup ; il propose en guise de morale au téléspectateur, par l'intermédiaire du journaliste qu'il interroge : « alors qui est le loup là dedans, hein, qui est le loup ? ». Dans « Tableau de chasse », une autre séquence révèle le scepticisme du journaliste. Le journaliste suit alors une femme, sorte d'amazone des temps modernes, chassant à l'arc. Après qu'elle lui ait chuchoté « c'est un instant privilégié », le journaliste lui pose la question « Parce que vous être en train de tuer ? ». La femme se ressaisit alors et à voix haute : « Tuer, tuer, ce n'est pas un mot que j'aime bien. Ce n'est pas tuer froidement, mécaniquement. C'est traquer l'animal toute la journée et tomber sur lui au moment où l'on est fatigué. On a mérité l'animal ... bon, il se peut qu'on ne tire pas ». Enfin, Le membre d'une association écologiste du sud ouest, la SEPANSO, indique qu'il n'a « pas de haine à l'encontre des chasseurs, mais de la haine à l'encontre de tous ceux qui font du mal à la société. Rendez-vous compte, ces pauvres gens qui, quinze jours après l'ouverture de la chasse, voient leur chat se faire fusiller. » D'autres exemples émaillent les deux reportages.

Pourtant, même lorsque le journaliste les pousse dans leur retranchement, les intervenants restent toujours courtois. A côté des diatribes et des mouvements de colère, que nous avons pu relever dans des reportages comme « Massacre à la tronçonneuse » ou « Danse avec les ours », que ce soit à l'encontre des machines, des ours ou des écologistes, on peut dire, qu'à la fin des années 1990, les intervenants restent tous dans les limites du politiquement correct. Les mouvements d'humeur ne sont jamais que des dérapages et présentés comme tels par le journaliste ou les intervenants. Les journalistes élaborent donc une véritable réflexion sur les diverses pratiques de la chasse et de même que sur les différentes manières de garder un troupeaux. Cette réflexion reste néanmoins orientée en faveur des écologistes, car ils ont toujours le dernier mot et les propos leur étant favorables occupent la majeure partie de la fin des deux reportages.

Envoyé spécial, 04-03-1999, 21h57, « Le retour des loups ». Paysages enchanteurs et regard attendrissant du loup.

* 130 Genot Jean-Claude, Ecologiquement correct ou protection contre nature ?, Aix-en-Provence, Edisud, 1998, pp. 12-24

* 131 Genot Jean-Claude, Op. Cit., p. 133

* 132 Ifen, La sensibilité écologique des Français, Paris, Editions Techniques et Documents, 2000, pp.. 170-171

* 133 Genot Jean-Claude, Ecologiquement correct ou protection contre nature ?, Aix-en-Provence, Edisud, 1998, p. 134

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