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Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).

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par Yannick Sellier
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007
  

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B- 1999, le retour d'un discours radical ?

Envoyé spécial est accusé dans un article du journal Libération paru le jeudi 18 février 1999, de céder à la logique de l' « info-tainment », c'est à dire de l'information divertissement ou de l'information spectacle. La rédactrice de cet article, Marie-Dominique Arrighi rapporte des propos de Bernard Benyamin analysant qu' « Il y a une cannibalisation des reportages d'une chaîne à l'autre. La seule manière de se différencier, c'est de faire toujours plus. En prenant des risques avec la réalité. » En effet, Envoyé spécial est directement concurrencé, sur son propre terrain, à la fin des années 1990, par l'apparition de nouveaux magazines de reportages, axés sur la société ou sur l'économie : Combien ça coûte et Sans aucun doute sur TF1, Ça se discute sur France 2, Zone interdite sur M6.

Envoyé spécial, 04-11-1999, 21h37, « Pour quelques degrés de plus ». 1- Schéma expliquant l'effet de serre. 2- L'effet de serre nécessaire au maintien de la vie sur terre. 3- Accroissement de l'effet de serre par rejet de gaz dans l'atmosphère. (image Greenpeace)

Marie-Dominique Arrighi reproche par ailleurs à Paul Nahon et Bernard Benyamin, de parler de « personnage » pour désigner les intervenants des reportages diffusés. Elle assimile cette désignation au problème rencontré par M6, cherchant d'abord les personnages et leurs histoires, construisant l'information ensuite. L'émotion suscitée ne parviendrait, selon elle, qu'à procurer au téléspectateur un « vernis de compréhension ». Or si l'on considère que la télévision est la première source d'information en matière d'environnement pour une majorité de Français, il est remarquable d'observer, en parallèle, une hausse du niveau de connaissances sur le sujet, au cours des années 1990, même si des lacunes persistent. Par exemple, la confusion entre couche d'ozone et effet de serre a tendance à s'estomper134(*).

Envoyé spécial, 04-11-1999, 21h34, « Pour quelques degrés de plus ». Procédé par accumulation ; l'apocalypse, promise par la Bible, serait-elle proche ?

A ce propos, Envoyé spécial diffuse un reportage « Pour quelques degrés de plus », le 4 novembre 1999. Par la forme et par le ton employé, ce reportage renoue avec la rétrospective de décembre 1991. Les soupçons du journal Libération ne sont pas totalement infondés. Juste après que le titre se soit affiché, le commentaire en voix-off annonce : « Le pire n'est jamais sûr, mais il ne faut pas y compter. ». Le journaliste ajoute que l'année 1998 a été l'année des catastrophes avec pour bilan, près de 30 000 morts. S'affichent ensuite, en montage rapide, toute une série de plans sur des destructions : tornades, fonte des glaciers, incendies, inondations. De nouveau des enfants apparaissent, mais plus seulement en insert. Ils sont désormais au coeur même des événements et les enfants souffrant de malnutrition d'Afrique ont remplacé les portraits d'enfants sales tirés de reportage tournés en Europe Centrale et Orientale. Les images sont beaucoup plus violentes, même dans leur enchaînement. Il n'y a plus de place pour les plans aériens sur les forêt du Canada, seules comptent les catastrophes passées, mauvais présage des catastrophes à venir. A noter, ici, l'utilisation d'images de Greenpeace. Envoyé spécial semble se rallier à leur cause puisque les images servent le propos de l'émission et ne desservent plus l'image de l'association.

Nous l'avons dit, nous nous en sommes aperçu au fil des analyses, l'environnement est devenu progressivement un donné pour la population, au point que l'on a pu parler de « verdissement de l'opinion publique » (cf. Jean-Paul Bozonnet). L'environnement est aussi devenu une préoccupation constante et grandissante des pouvoirs publics, tant et si bien que l'on a craint, au début des années 1990, une déresponsabilisation et une déconscientisation des acteurs et groupes sociaux concernés135(*). Pourtant, Bernard Benyamin fait le constat inverse

d'un environnement qui serait devenu au cours des années 1990, non plus seulement une affaire d'Etat, mais l'affaire de l'homme de la rue136(*). Certes les reportages et actions d'Envoyé spécial ont permis à tout à chacun de saisir quel était sa propre responsabilité par rapport à l'environnement. Pourtant, ce sont biens les responsables politiques et les responsables économiques, non démocratiquement élus, qui restent aux commandes. Et c'est précisément ce que dénonce le reportage « Pour quelque degré de plus ».

Envoyé spécial, 04-11-1999, 21h49, « Pour quelques degrés de plus ». Voix-off : « Le Parlement, la Commission, c'est d'abord des kilomètres de couloir. Derrière ces portes se décide 80% de la législation environnementale. »

Ainsi, la Commission européenne est présentée comme un dédale de couloirs aux portes closes, derrière lesquelles se discutent l'essentiel de la législation en matière d'environnement sans aucun contrôle apparent mais sous la pression très visible de différents lobbies industriels. A commencer par les constructeurs Français de voiture. Il est dit au cours du reportage, par exemple, que Renault refuse de parler et que l'on tient des propos convenus sur l'effet de Serre, chez Peugeot. Un député européen explique les coulisses de la manipulation : le reporter montre un registre dans lequel sont consignés tous les « cadeaux d'entreprise » reçus par les députés. Enfin, il va à la rencontre d'ingénieurs travaillant sur des solutions innovantes comme la voiture à air comprimé, « au grand mépris », précise-t-on en voix-off, « des industriels ». En guise de conclusion, une image de la mer avec en fond des éoliennes installées offshore : « Des solutions existent. L'effet de Serre n'est pas un problème. Nous devons juste accepter d'en payer le prix pour ne pas le faire supporter demain à nos enfants. » Cette recommandation s'adresse d'abord aux fonctionnaires européens et aux grands groupes industriels, elle s'adresse aussi aux téléspectateurs, citoyens, consommateurs et contribuables.

Envoyé spécial, 04-11-1999, 21h49, « Pour quelques degrés de plus ». Un député européen explique comment les industriels font pression sur les membres des différentes commissions en charge de dossiers comme la « taxe sur les énergies » ou l'« écotaxe ». Certains se voient ainsi régulièrement proposer 10 000 euros pour une conférence, avec trajet payé et discours préparé. Il dit pour plaisanter : « Le public dirait que c'est de la corruption ! »

Dans la rétrospective « Envoyé Spécial, 10 ans : Environnement ». Bernard Benyamin se fait de nouveau l'écho de cette inquiétude. Les gouvernements font-ils vraiment tout leur possible ? Le sort des Hommes est-il condamné ? En introduction de la rétrospective et en direct depuis la baie de Rio, il indique « toutes les résolutions adoptées ici semblent aujourd'huis lettre morte. » Le reportage d'une heure qui suit est un montage de reportages sur divers sujets. Par ordre d'apparition : Tchernobyl, La Hague, les complexes industriels de l'ancienne Union Soviétique, la marée noire d'Exxon Valdez, la pollution en Méditerranée, la question des déchets, la pollution de l'eau, la pollution de l'air, l'expérience de la Rochelle, la conclusion du reportage « SOS Terre ». Mis à part les sujets concernant la pollution de l'air, on remarque une proportion écrasante d'extraits de sujets tournés avant 1995, et surtout entre 1990 et 1992. Bernard Benyamin, lors d'un entretien avec responsable brésilien de l'environnement, note la lenteur, à comprendre comme l'inefficacité avérée des traités internationaux. Son vis à vis est beaucoup plus optimiste. Selon lui, les gouvernements ont fait un pas essentiel et il reste encore bien des efforts à fournir, mais il pense que l'on y arrivera.

Est-ce parcequ'ils sont constamment confrontés à l'urgence de l'actualité ? Est-ce par compassion avec les populations en détresse que les journalistes rencontrent, que Paul Nahon et Bernard Benyamin se montrent sans cesse impatients? Est-ce encore parcequ'ils souhaitent donner des raisons aux téléspectateurs de se mobiliser, que les animateurs d'Envoyé spécial renouent avec le ton plus franchement favorable à une la prise en compte d'un environnement renouvelé? Autant de réponses contenues dans autant de questions. Autant de réponses qui ne sont pourtant pas suffisantes. La médiatisation de l'environnement a eu en fait deux conséquences : d'un côté une institutionnalisation, de l'autre une instrumentalisation du discours environnemental par la communication, la politique et l'économie137(*). L'écologie est devenue une idée tellement ordinaire à la veille de l'an 2000, que Paul Nahon et Bernard Benyamin se doivent, afin de dépasser l'évidence consensuelle, de replonger le téléspectateur dans la réalité des problèmes du passé proche. Certains sont en cours de résolution, certains ne sont que les précurseurs d'autres à venir. Dans les deux cas, il s'agit de maintenir éveillé la conscience vive du téléspectateur : ce qui explique le retour d'un ton plus engagé.

* 134 Ifen, La sensibilité écologique des Français, Pairs, Editions Techniques et Documents, 2000, p. 33

* 135 Dumas Brigitte, Gaulin Benoît, « La presse et la question environnementale : le cas des pluies acides » dans Vaillancourt Jean-Guy (dir.), Gestion de l'environnement, éthique et société, Montréal, Fides, 1992, pp.. 93-126

* 136 Cf. notre entretien avec Paul Nahon et Bernard Benyamin en annexe.

* 137 Bozonnet Jean-Paul, L'écologisme à l'aube du XXIe siècle, De la rupture à la banalisation ?,Genève, Georg Editeur, Coll. « Stratégies énergétiques, Biosphère et Société », p. 14

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984