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Le délai raisonnable dans le procès pénal

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par Naty Sarr
Université Gaston Berger de Saint-Louis - Maîtrise sciences juridiques 2007
  

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SECTION II : LA PROTECTION PENALE DU DROIT AU DELAI RAISONNABLE

En précisant les conditions relatives aux motifs (Paragraphe I) et aux autorités compétentes (Paragraphe II) la législation pénale nationale a voulu limiter les détentions abusives en ne laissant aux magistrats une liberté totale d'appréciation.

PARAGRAPHE I : LES CONDITIONS RELATIVES AUX MOTIFS DE LA DETENTION PROVISOIRE

Pour les motifs, il est a préciser que la détention ne doit être ordonnée par le juge d'instruction que lorsqu'elle est justifiée soit par la gravité des faits (A) soit par la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité (B)

A/ Une durée raisonnable de la détention au regard de la gravité des faits

On peut affirmer sans conteste qu'il existe un lien étroit entre procès pénal et détention provisoire, le second étant une mesure préventive à l'égard de la personne faisant l'objet des poursuites c'est-à-dire du procès.

Pour faire de la détention une mesure exceptionnelle, le législateur sénégalais ne l'a prévu que pour les infractions d'une certaine gravité et en plus il doit en limiter la durée. L'article 127 C.P.P. dispose « En matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieure ou égale a 3ans, l'inculpé régulièrement domicilié au Sénégal ne peut être détenu plus de 5 jours après sa première comparution devant le juge d'instruction. En outre aux termes de l'article 127 bis du même code, en matière correctionnelle, à l'exception des cas ou elle est obligatoire aussi que toutes les infractions prévues aux articles 56 a 100 du C.P., si la détention est ordonnée, le mandat de dépôt délivré n'est valable que pour une durée de 6mois non renouvelable ». Ainsi le législateur sénégalais a posé des délais particuliers et chiffrés en matière de détention provisoire qui ne doit pas dépasser la limite du raisonnable .En définitive l'article 127 bis crée un délai de 6mois pour garder une personne en matière correctionnelle.

Seulement, la lecture de ces articles laisse poser un certain nombre de question. Veulent ils dire que le législateur sénégalais n'a prévu que la réglementation de la seule détention provisoire des délits punis de peine inférieure ou égale à 3ans ? A-t-il voulu supprimer la détention provisoire lorsque la peine prévue est supérieure à 3ans ?

B/ Une durée raisonnable de la détention au regard de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité

Le juge doit veiller au respect du droit au délai raisonnable de la procédure en fonction de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité. Les juges du fond devront déterminer cette durée en fonction des éléments connexes de chaque affaire26(*), notamment l'attitude du détenu lui-même (la fuite de l'inculpé ou la commission de nouvelles infractions, de même ses propres recours contribuent à l'allongement de la procédure 27(*) et celle des organes d'instruction, lenteur injustifiée.

Dans cette perspective le législateur sénégalais a intégré dans le code de procédure bon nombre d'articles attestant de sa préoccupation du droit d'être jugé dans un délai raisonnable. En effet l'article 63 alinéa 3 généralise l'usage de la procédure de flagrant délit dés lors que le prévenu ne conteste pas les faits existants qui lui sont reprochés .Cette procédure permet de juger le prévenu dés la première audience. De plus les articles 381 a 385 du même code qui régissent la procédure de flagrant délit attestent de la volonté du législateur de faire juger les prévenus dans le plus bref délai possible. A travers l'article 389 il est fait injonction au juge de ne pas renvoyer plus de trois28(*) fois, une affaire qui est en état d'être jugée. Dans ces différents articles le constat demeure qu'il s'agit de procédure d'urgence ne nécessitant pas en principe des investigations très poussées. De ce fait susceptible d'être jugée à court terme .A côté de ces exigences, il existe des conditions relatives aux autorités compétentes.

PARAGRAPHE II/ LES EXIGENCES RELATIVES AUX AUTORITES COMPETENTES.

Il s'agit de deux principales obligations pesant sur les autorités compétentes en matière de détention et qu'elles doivent respecter: la surmotivation des décisions du juge d'instruction intervenant après un certain délai de détention provisoire (A) et la cessation d'office de la détention si les conditions de l'article 127 du code de procédure pénale ne sont pas réunies (B).

A/ La surmotivation des décisions du juge d'instruction intervenant après un certain délai de détention provisoire

A l'expiration du délai de la détention provisoire, si son maintien apparaît nécessaire, ce que le juge apprécie souverainement, elle peut être prolongée par ordonnance motivée du juge d'instruction rendue sur réquisition également motivée du procureur de la république, pendant une nouvelle période, ainsi de suite, s'il est besoin jusqu'au jugement de l'affaire au fond.

Ainsi ne serait ce que par respect du parallélisme des formes, toute décision du juge d'instruction tendant à la prolongation de la détention doit être motivée. En France, c'est les articles 145-1 et suivants qui sont le fondement de cette surmotivation. En effet aux termes de l'article précité « en matière correctionnelle la détention ne peut excéder 4 mois. Toutefois à l'expiration de ce délai, le juge d'instruction peut la prolonger par une ordonnance motivée... » . Et l'article145-2 d'énoncer qu'en matière criminelle la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au delà d'un an ; mais que sous réserve des dispositions de l'article 145-5 le juge peut à l'expiration de ce délai prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à 6 mois...

En définitive lorsque la durée de la détention excède un an en matière criminelle et quatre mois en matière correctionnelle, les décisions ordonnant sa prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté doivent comporter des indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure. Une exception à cette obligation existe puisque le juge d'instruction n'est pas tenu d'indiquer la nature des investigations auxquelles il a l'intention de procéder lorsque cette indication risquerait d'entraver l'accomplissement de ces investigations.

Faute d'un renouvellement, l'inculpé doit être placé en liberté provisoire .Dans la pratique les mandats du juge d'instruction sont automatiquement renouvelés .Les cas d'omissions sont rapidement régularisés sur appel des régisseurs de prison qui suivent de près l'évolution carcérale de l'inculpé. La détention peut aussi prendre fin par la cessation d'office.

B/ La cessation d'office de la détention provisoire en l'absence des conditions posées par l'article 127

Il s'agit ici de la mise en liberté de droit. Elle a lieu dans les
cinq jours qui suivent l'interrogatoire de première comparution. Elle est tout d'abord réservée selon l'article 127 du C.P.P. aux prévenus qui peuvent justifier de ces trois conditions : être régulièrement domicilié au Sénégal, n'encourir qu'une peine dont le maximum est inférieur ou égal à trois ans (alinéa 1er) et n'avoir pas encore été condamné pour crime ou à un emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour délit de droit commun (alinéa 3).

Le régisseur de l'établissement où est détenu l'inculpé peut de plein droit procéder à sa libération immédiate, si au bout de 6 mois le juge chargé de l'instruction ne renouvelle pas le mandat de dépôt par une ordonnance motivée. Cette possibilité de la mesure ne concerne que les délits correctionnels. Le juge d'instruction doit cependant prendre l'avis du procureur général avant de prolonger la détention provisoire de l'inculpé. Il peut après avis du procureur de la république prendre spontanément de lui-même la décision de mettre l'inculpé en liberté provisoire comme ce dernier peut en formuler la demande.

Conformément donc aux solutions dégagées par la Cour Européenne, le législateur sénégalais précise que la mise en liberté du détenu doit être ordonnée dès que les conditions présidant à un placement en détention disparaissent. Il en est ainsi en cas de disparition du motif ayant justifié le placement29(*) à fortiori la détention doit-elle cesser lorsqu'il n'existe plus de raisons plausibles de croire à la participation de l'intéressé à l'infraction. Il reste cependant que l'appréciation de la durée raisonnable est une question de fait échappant au contrôle du juge de cassation ce qui implique par conséquent que sa censure n'intervient que rarement, malgré les objectifs que son respect tend à satisfaire.

CHAPITRE II : LES OBJECTIFS DU DELAI RAISONNABLE DU PROCES PENAL

Ils se manifestent par une protection de différents intérêts souvent antagonistes lors du procès pénal à savoir les intérêts de la société, ceux de la victime et enfin ceux de la personne faisant l'objet des poursuites. Ainsi, dans le souci d'aboutir à un procès juste et équitable (section I), un certain nombre de garanties est reconnu aux justiciables (section II).

SECTION 1 : UN SOUCI D'UN PROCES JUSTE ET EQUITABLE

Le droit à un procès équitable inclut à notre sens le droit d'être jugé dans un délai raisonnable qui est désormais solidement ancré dans la sphère des droits fondamentaux. Ce droit appartient à la catégorie des droits à protection « quasi absolue » et occupe une place non négligeable dans la hiérarchie des valeurs protégées par les droits de l'homme. Il s'agit selon Serge Guinchard de l'idée d'un équilibre loyal des parties30(*) et pour le doyen Carbonnier le procès équitable forme le droit naturel de la procédure31(*). Ainsi tenterons-nous de voir les différents intérêts en cause (paragraphe I). En outre, la lenteur procédurale est contraire au principe de la présomption d'innocence (paragraphe II).

PARAGRAPHE I/ LA PROTECTION DES INTERETS EN PRESENCE

Même si c'est pour des raisons differentes, chacune des parties à la procédure tient à ce que la justice soit vite rendue (A) ; Il en est de même pour la société à la tranquillité de laquelle il a été porté atteinte (B).

A/ Un procès juste pour une protection de l'intérêt des justiciables

La célérité de la procédure va dans le sens de l'intérêt de la victime dont il faut hâter l'indemnisation. En effet on peut noter conformément à l'article deux (2) du code sénégalais de procédure pénale que « l'action civile en réparation du dommage causé par toute infraction appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l'infraction ». Il va de soi alors qu'il s'agit ici d'un droit reconnu à toute personne victime d'une infraction. En effet on ne saurait logiquement admettre qu'une telle personne puisse accepter éternellement ou à long terme que le coupable de son mal reste impuni.

Même si la détention provisoire est considérée comme un outil au bénéfice de la victime, elle demeure insuffisante à justifier le retard que pourrait connaître le procès dans son dénouement. La détention provisoire est insuffisante d'abord parce qu'il s'agit d'une simple mesure préventive laissant à l'inculpé un certain nombre de ses droits. Il faut en second lieu prendre en compte le fait que la détention obéit à certaines conditions et de ce fait n'intervient pas toujours. En effet elle n'est obligatoire que pour les crimes contre la sûreté de l'Etat (article 56 à 100 C.P.)32(*) et pour le détournement de deniers publics (article 252 du C.P.) .Elle devient interdite en matière contraventionnelle et correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue est inférieure ou égale a 3ans et que le domicile régulier du prévenu est situé dans le ressort du tribunal compétent. Il en est de même lorsque le domicile n'est pas situé dans le ressort du tribunal national, cas ou le prévenu ne peut être détenu plus de cinq jours.

Relativement à la personne faisant l'objet des poursuites, la lenteur du procès déstabilise l'individu et le met dans une situation psychologique pénible. La situation des prisonniers doit avoir un issu rapide. « C'est dur, très dur de passer 13 ans de sa vie en prison surtout quand on a 20 ans en y entrant. De l'enfance je suis passé au stade adulte sans rien savoir des joies de la vie d'un adolescent » , disait Ibrahima Diallo33(*). En effet Ibrahima Diallo est une des nombreuses victimes de la lenteur de la justice pénale sénégalaise. En fait il a gardé prison pendant 13 ans, pour des faits non prouvés dont l'examen au niveau de l'instance judiciaire a fait éclater son innocence. Le principe du droit à être jugé dans un délai raisonnable vise précisément à éviter l'existence ou la répétition des cas de Ibrahima Diallo.

En outre, il faut éviter que les inculpés subissent une longue détention qui excède la peine. Ce fut le cas de Mamour Sarr lors des assises de juillet 1997à Dakar. Poursuivi pour homicide volontaire sur la personne de sa victime Amadou Diouma Diallo, il a été arrêté le 30avril 1989. L'instruction terminée, son dossier n'a été inscrit au rôle de la cour d'assise que le 15 juillet 1997 soit 8ans 2 mois 18 jours après les faits. Reconnu coupable il a été condamné à 5ans de travaux forcés et 7.000.OOO de dommages et intérêts aux ayant droits du de cujus. Les portes de la prison lui furent ouvertes le jour même du verdict de la cour d'assise puisqu'il avait déjà largement purgé sa peine pendant longue détention provisoire.

La question est alors de savoir si on peut réellement réparer ce préjudice ? Peut on attaquer l'Etat pour demander réparation du préjudice subi ? Aux termes de l'article 141 C.O.A34(*). « Le dommage causé par le fonctionnement défectueux d'un service public...n'est réparé que sous la forme de dommages et intérêts ». De plus l'article 142 du même code édicte que les tiers et usagers ont droit à la réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public. Toutefois il faut signaler que contrairement à la France, il n'existe pas au Sénégal un texte spécial pour réparer les graves injustices. En France c'est la loi du 17 juillet 1970 et on peut dire qu'un texte similaire s'impose pour le Sénégal.

Au cas contraire, on pourrait assister avec amertume et regret au strict spectacle de la libération tardive d'un accusé ou d'un coupable à chaque session de cours d'assises. Une telle situation provoque des sentiments de révolte et de frustration à l'égard de l'institution chargée de rendre la justice. De plus avec le temps, l'obtention des preuves se fait plus difficilement et c'est d'ailleurs cette idée qui est l'un des fondements de la prescription de l'action publique.

Une autre explication peut être donnée de l'exigence du délai raisonnable mais relative cette fois à la société.

B/ Un procès juste dans l'intérêt de la société

En ce qui concerne la société, il n'est pas de doute que l'opinion publique réclame un châtiment rapide et surtout pour les infractions les plus graves. En effet ici l'intérêt réside dans le fait que la procédure pénale constitue la mise en oeuvre du droit pénal et révèle les idées que l'on se fait à propos de la protection des libertés individuelles et surtout de celle des intérêts sociaux. Cela implique de ce fait que le procès pénal organisera une répression plus ou moins sévère qui n'est cependant efficace que si son issu intervient dans la célérité. La violation de cette exigence porte atteinte tant à la crédibilité de la justice qu'à son efficacité pour assurer la protection sociale.

Admettons par exemple le principe aujourd'hui admis dans la quasi-totalité des Etats, celui de la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Il n'est pas de doute que ce principe ne joue pas en faveur de la société qui veut généralement que la sanction soit la plus lourde possible. Il s'avère alors opportun de statuer sur l'affaire avant que de nouvelles lois entrent en vigueur.

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le bref délai de la procédure ou à tout le moins un délai raisonnable constitue un pilier d'une bonne justice. Sans doute un problème surgit lorsqu'il s'agit de déterminer avec précision l'effet immédiat d'une nouvelle loi sur un procès en cours. Le déroulement partiel de l'instance empêchera-t-il l'application du nouveau texte ? La jurisprudence française décide de façon constante que la nouvelle loi plus douce doit être appliquée tant que le procès n'est pas irrévocablement clos, et notamment lorsque les faits, après avoir été jugés au premier degré sont soumis à la cour d'appel 35(*) ou à la cour d'assises36(*). En définitive, pour une meilleure prévention des réactions de la société et un meilleur respect de ses exigences, la célérité procédurale demeure une nécessité.

PARAGRAPHE II/ UN SOUCI DU RESPECT DE LA PRESOMPTION D'INNOCENCE

La présomption d'innocence dont bénéficie toute personne accusée dans un procès est incompatible avec la lenteur du procès pénal (A). Et pourtant malgré la proclamation du principe de l'innocence présumée, la détention des inculpés reste maintenue. Ce qui est un paradoxe (B).

A/ L'incompatibilité entre la présomption d'innocence et la lenteur du procès pénal

Le principe de la présomption d'innocence est un principe sacré en droit criminel. D'un point de vue textuel il a été affirmé avec éclat dans une déclaration de Louis XIX en date du 1 mai 1788 selon laquelle « le premier de tous les principes en matière criminelle ... veut qu'un accusé fut il condamné en première instance soit toujours réputé innocent aux yeux de la loi jusqu'à ce que la sentence soit confirmée en dernier ressort ».

Elle est reprise par l'article 3 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 141 de la déclaration universelle des droits de l'homme élaborée par l'ONU en 1948. L'article 6 sous section 2 de la convention européenne des droits de l'homme et l'article 14 du pacte relatif aux droits civils et politiques ne disent pas autre chose.

Ce principe est aujourd'hui consacré par notre législation pénale. En effet toute personne soupçonnée ou suspectée est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie. Les atteintes à ce principe sont prévenues, réparées et réprimées. Il paraîtrait arbitraire de limiter la présomption d'innocence uniquement aux règles de preuves, puisqu'elle doit régir toute l'instance répressive.

Ce serait illogique de faire durer la procédure pénale ce qui serait en contradiction avec l'innocence présumée. C'est pour cela que le doyen Carbonnier écrivait « Scientifiquement, il ne devait pas y avoir, tant que le procès pénal est en cours, de préjuger sur la culpabilité ou la non culpabilité de l'inculpé : ni de présomption d'innocence comme celle que proclame un peu imprudemment la déclaration des droits, ni a rebours, de présomption de délinquance ... Ni l'une ni l'autre présomption mais une condition juridique neutre d'inculpé... »37(*) Indépendamment de cette approche, ce principe est aujourd'hui critiqué voire décrié.

Certains auteurs considèrent qu'il est malade et qu'il constitue une grande hypocrisie du droit pénal car proclamé puis contourné et méconnu. Même s'il est vrai que la garantie et la sanction des droits proclamés ne sont pas toujours pleinement assurées cela ne doit pas être une raison de la remise en cause ou de la suppression de la présomption d'innocence.

Seulement on ne doit pas oublier que la situation de présumé innocent avec tous les avantages qu'elle comporte ne saurait être conçue de sorte à sacrifier la protection de la société notamment par une accélération de la procédure pour une affaire nécessitant des investigations poussées pour la manifestation da la vérité. Parler d'investigations poussées renvoie nécessairement au mécanisme de la détention provisoire.

B/ Le caractère paradoxal de la détention provisoire

D'aucuns se demandent comment peut on être présumé innocent et voir sa liberté restreinte dans le cadre de la garde à vue ou de la détention provisoire, pouvant dans certains cas avoir une très longue durée ? En effet, la détention provisoire est très grave car fait subir à la personne soupçonner ou à l'inculpé l'équivalent d'une peine avant même l'intervention d'une décision définitive et semble contraire à la présomption d'innocence. Ne doit t-on pas, pour assurer le respect du principe tutélaire, denier aux organes répressifs le droit de porter atteinte a la liberté d'aller et de venir ? En effet le respect de la présomption d'innocence d'un inculpé apparaît difficilement inconciliable avec la détention provisoire. Entre celle-ci et celle la il existe une certaine antinomie.

Priver une personne de sa liberté, une personne simplement soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit équivaut à une présomption de culpabilité, à une infliction de sanction avant une reconnaissance de culpabilité et une condamnation par une juridiction. En violation de ce principe, le constat a été fait du nombre considérable des détenus en attente de procès. Peut on alors conclure à l'abus fait par les juges de la faculté qui leur est offerte par l'article 113 C.P.P. de placer les suspects en détention ou sous contrôle judiciaire. En outre s'il consacre le concept de la présomption d'innocence, le droit sénégalais n'en contient pas moins des lois qui la violent. Il en est ainsi de la loi n° 81-53 du 10juillet 1981 qui pose une présomption de culpabilité38(*).

Seulement force est de reconnaître que les individus ne sont pas mis en détention provisoire n'importe comment, puisque les magistrats doivent procéder antérieurement à cette grave mesure à une appréciation des charges. Il ne faut pas oublier aussi que des considérations essentiellement d'ordre pratique justifient ce mal nécessaire et utile. En effet la détention provisoire est aujourd'hui appliquée par la totalité des pays dans l'intérêt de l'inculpé lui-même comme dans l'intérêt de la défense sociale et de la répression. On sait que la détention de l'individu constitue le meilleur moyen de le mettre à l'abri des réactions de vengeance de la victime ou de la foule, témoin de la commission de l'infraction, et d'éviter que l'inculpé commette de nouveaux forfaits.

En définitive, la détention provisoire est un paradoxe puisqu'elle va a l'encontre de la présomption d'innocence de tel sorte qu'il faut chercher un juste milieu c'est-à-dire l'équilibre entre les impératifs d'une défense sociale et le principe résultant de la présomption d'innocence et des droits dus à la défense par l'instauration d'un procès dans un délai bref. Ace niveau, des garanties sont posées.

SECTION II/ LES GARANTIES POUR UN RESPECT EFFECTIF DU DELAI RAISONNABLE DE LA PROCEDURE

Le droit au délai raisonnable de la procédure ou d'être jugé dans la célérité a fait l'objet d'une jurisprudence importante. La violation de ce droit soulève la question des actions en délai excessif (Paragraphe I) et fait l'objet de sanctions (Paragraphe II).

PARAGRAPHE I/ LES ACTIONS EN DELAI EXCESSIF DU PROCES PENAL

Elles sont relatives d'une part aux actions tendant à faire juger du caractère déraisonnable de la procédure avant jugement (A) et d'autre part à l'action en délai excessif de jugement (B).

A/ Les actions en délai excessif de la procédure

Ici il faudra entendre par procédure tous les actes effectués tant qu'on n'est pas dans la phase de jugement. A ce niveau, deux axes se dégagent: l'action en délai excessif d'instruction et l'action en délai excessif de détention provisoire, ces actions étant consacrées par le droit français.

Au premier regard, s'il l'estime nécessaire, la partie mise en examen, la partie civile ou le témoin assisté peut demander la clôture de la procédure d'instruction passé un certain délai39(*). Il s'agit d'un délai d'achèvement de l'instruction fixé par le juge d'instruction lors de la première comparution ou de la première audition40(*). Les parties peuvent également demander la clôture de la procédure lorsque aucun acte d'instruction n'a été accompli durant un délai de quatre mois.

Le juge d'instruction dispose d'un délai d'un mois pour rendre une ordonnance motivée. Il peut faire droit à la demande et procéder au règlement de la procédure, en notifiant aux parties l'avis de fin d'instruction. Il peut rejeter la demande s'il décide de poursuivre l'instruction. Les parties peuvent saisir le président de la chambre de l'instruction dans les cinq (5) jours suivants le délai d'un mois. Il s'agit d'une saisine directe et non d'un appel.

Cette réglementation découle d'une évolution car le code de procédure pénale de 1958 n'avait doté la défense d'aucune action lui permettant de réagir contre la durée excessive de la procédure et d'en demander la clôture41(*).

Parallèlement, en droit sénégalais, le président de la chambre d'accusation s'assure du bon fonctionnement des cabinets d'instructions du ressort de la chambre d'accusation. Il s'emploie à ce que les procédures ne subissent aucun retard injustifié. A cette fin l établit chaque trimestre, dans chaque cabinet d'instruction un état de toutes les affaires en cours portant mention, pour chacune, la date du dernier acte d'information exécuté.

Il sera aussi particulièrement intéressant d'étudier l'action en délai excessif de la détention provisoire. Cette action permet à la défense d'obtenir d'une juridiction une décision constatant le caractère excessif de la détention provisoire avant le jugement de la personne poursuivie42(*). Lors des procédures de demande de mise en liberté, la défense a la possibilité de faire juger le délai excessif de la détention du prévenu au regard de l'article 5.3 de la convention européenne des droits de l'homme. Cet article prévoit que toute personne a le droit d'être libérée durant la procédure avent son procès, passé un délai raisonnable de la détention43(*).

Et les articles 127 et 127 bis du code sénégalais de procédure pénale fixent quant à eux des durées précises de détention provisoire avant procès. En effet, pendant la phase d'instruction en matière correctionnelle, la détention d'une personne avant jugement est limitée à cinq (5) jours lorsque le maximum de la peine est inférieure ou égal à trois (3) ans. Cela est valable pour l'inculpé régulièrement domicilié au Sénégal et qui n'a pas déjà été condamné pour crime ou à une peine d'emprisonnement de plus de trois (3) mois sans sursis pour délit de droit commun.

Toutefois, si l'audience sur le fond ne peut se tenir avant l'expiration du délai prévu de détention provisoire, le tribunal peut, à titre exceptionnel, par une décision mentionnant les raisons de fait et de droit faisant obstacle au jugement de l'affaire, ordonner la prolongation de la détention pour une nouvelle durée.

B- Les actions en délai excessif de jugement

Il faut d'emblée signaler que le code sénégalais de procédure pénale ne prévoit aucune action spécifique permettant de faire juger la durée excessive d'une instance de jugement, au regard de l'article 6.1 de la convention européenne des droits de l'homme. Le code français de procédure pénale reste aussi muet sur la question44(*).

C'est la cour de cassation française qui donne quelques éclaircissements. Elle juge qu'une durée excessive n'entache pas de nullité la procédure et n'ouvre qu'un droit à réparation du préjudice subi qui a pu en résulter45(*). En l'état du droit positif alors, l'action en délai excessif de jugement est donc une action indemnitaire qui doit être portée devant le tribunal de grande instance46(*) et devant la cour européenne des droits de l'homme.

PARAGRAPHE II/ LES SANCTIONS DU DELAI EXCESSIF DU PROCES PENAL

Conformément aux principes généraux du droit et au souci de préserver la dignité humaine, on considère que les autorités judiciaires et non l'accusé doivent accélérer la procédure. L'inexécution de cette exigence n'entraînant pas la nullité de la procédure (B), il convient d'abord de voir la réparation du préjudice découlant de son non respect (A).

A- La réparation du préjudice dû au délai déraisonnable

Seul le préjudice causé par la détention provisoire est pris en compte. Ainsi, n'entrent pas dans les prévisions ni les dommages résultants d'une mesure de contrôle judiciaire ni celui provoqué par la diffusion d'articles de presse relatif au demandeur ni encore l'atteinte à la présomption d'innocence résultant de l'engagement des seules poursuites pénales47(*).

L'évaluation du préjudice tient compte de la perte de revenus subi pendant la détention ou après l'élargissement si un licenciement est intervenu du fait de l'incarcération. Elle comprend les salaires et les congés payés ainsi que la perte de chance de retrouver un emploi à condition qu'elle soit directement liée à la détention. Moralement, le préjudice peut être apprécié en tenant compte de l'âge, des éléments de la personnalité, de l'environnement familial et social...

En l'absence de droit européen du droit à réparation des conséquences dommageables d'une détention provisoire injustement subi par un innocent, il appartient aux Etats de légiférer comme ils l'entendent en la matière48(*).

Dans cette perspective donc, l'action en réparation suppose qu'un préjudice ait été causé. S'agissant du dépassement du délai raisonnable, le dommage paraît réalisé dès que la durée de la procédure excède la mesure du raisonnable: il en découle que le dommage peut être considéré comme établi alors même que le processus judiciaire se poursuit49(*).

Cependant il faut signaler qu'il n'y a pas de texte spécial dans notre législation pénale pour réparer les grandes injustices qu'inflige le fonctionnement défectueux de notre système judiciaire50(*). Les seuls textes dont peuvent se prévaloir les justiciables, pour obtenir réparation, sont les articles 141 et 142 C.O.A. précités.

En droit comparé, certains pays sont allés plus loin s'agissant du droit à réparation. C'est le cas de la France. En effet, modifié par la loi du 15 juin 2000 et celle du 30 septembre 2000, l'article 149 du code de procédure pénale a introduit un principe de réparation intégrale du préjudice subi par la personne qui a été détenue au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive51(*).

En dehors du code de procédure pénale, le législateur français a adopté une loi du 30 juin 2000 insérant un article 21 ter dans le titre préliminaire du code d'instruction criminelle: "si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi".

Au surplus la position de la cour européenne est la suivante: les juridictions nationales doivent appliquer une sanction conformément à leur système juridique: les sanctions suivantes ont été admises: acquittement, réduction de peine, irrecevabilité des poursuites et abandon des poursuites par le parquet52(*).

La sanction doit respecter certaines conditions : être adéquate, convenable et constituer une juste réparation53(*). Ainsi une réduction de la peine doit être réelle, mesurable, suffisante eu égard à l'étendue de la violation alléguée et constituer clairement la sanction apportée au dépassement du délai raisonnable. D'une manière générale la cour se montre très sévère, compte tenu de l'importance, pour l'Etat de droit, de l'efficacité et de la crédibilité de la justice que sape l'excessive lenteur des procès54(*).

En découle l'obligation pour l'Etat d'organiser son système juridictionnel de manière à pouvoir satisfaire les exigences de l'article 6.1 de la convention européenne des droits de l'homme.

Toutefois une personne mise en examen saurait elle se fonder sur une prétendue durée excessive pour arguer de la nullité de celle-ci? La cour de cassation estime que non.

B/ L'absence de nullité de la procédure pour cause de durée excessive.

Ne pourrait on pas soutenir que les articles 6.1 de la convention européenne des droits de l'homme et 7 de la charte africaine des droits de l'homme étant d'ordre public, la sanction de la violation d'une règle d'ordre public est la nullité55(*).

En effet, dans l'hypothèse où la personne est détenue, la sanction du non respect du délai raisonnable ou de bref délai est immédiate. Il s'agit en d'autres termes de la mise en liberté d'office.

Certains auraient souhaité aller plus loin et attacher une nullité de procédure à la méconnaissance du délai raisonnable.

Une telle position paraît cependant difficile à soutenir, et l'on ne voit pas en quoi les actes de procédure seraient entachés de nullité.

La chambre criminelle a statué sur ce problème et posé le principe suivant, applicable à tous les justiciables, libres ou détenus. "Si, en application de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, la durée excessive d'une procédure pénale n'entraîne pas la nullité. Elle permet seulement à celui qui en aurait souffert de saisir éventuellement la juridiction nationale compétente d'une demande en réparation ou, s'il y'a lieu, de saisir la commission européenne des droits de l'Homme"56(*).

La cour de cassation a rajouté que si un arrêt de la cour européenne des droits de l'Homme, constatant dans une affaire le non respect du délai raisonnable au sens de l'article 6.1, permet à celui qui s'en prévaut de demander réparation, il est sans incidence sur la validité des procédures relevant du droit interne57(*). La solution de cet arrêt est réaffirmée par une décision du 4 mai 199458(*).

* 26 Cass. Criminelle, 16 janvier 1990, Droit pénal, 138.

* 27 Cass. Crim 2 septembre 1997; cf C.E.D.H. 10 novembre 1996, Stägmüller

* 28 "...Lorsque le dossier est en état d'être jugé, l'affaire ne peut faire l'objet de plus de trois renvois pour quelque cause que ce soit. Après trois renvois successifs l'affaire est obligatoirement jugée.

* 29 Art 5 ss. 3; C.E.D.H.10 novembre 1996 Stägmüller et C.E.D.H. 26 juin 1991 Letellier.

* 30 S.Guinchard "vers une démocratie procédurale", Justices 1999 N°1 p.103

* 31 J.Carbonnier, Droit civil introduction, Paris, 21ème éd. PUF 1992 coll. Thémis p.361.

* 32 Art 56 "sera coupable de trahison et puni de mort tout sénégalais...ou à provoquer un accident"...art 100 "les personnes reconnues coupables de délits définis au présent chapitre...en réparation ouverte à la victime."

* 33 Journal "le cafard libéré " n° 251 du mercredi 25 novembre 1992.

* 34 Code des obligations de l'administration.

* 35 Cass.crim. 11 janvier 1995; bulletin criminelle n° 17, 1 fevrier1995.

* 36 Cass.crim. 10 décembre 1985; bulletin criminel 399.

* 37 J.Pradel, Procédure pénale, 10eme édition, 2000, Cujas.

* 38 JORS n°4846, 1981, page 714.

* 39 Article 175-1et suivants du code français de procédure pénale.

* 40 En France ce délai est d'un maximum d'un an en matière correctionnelle et 18mois en matière criminelle (cf. 116 C.P.P.)

* 41 Loi du 4 janvier 1993 et du 15 mai 2000

* 42 Saint-Pierre François, Le guide de la défense sociale, 2ème éd. Dalloz

* 43

* 44Saint-Pierre François, Le guide de la défense sociale, 2ème éd. Dalloz

* 45 Cass. Crim. 7 mars 1989, Bull. crim. N°109

* 46 Article L781 du code de l'organisation judiciaire

* 47 La semaine juridique du 5 février 2003 n°6: Détention provisoire, la réparation des détentions par Dominique Karsonty, 1,108

* 48 Koering Joulin R., L'indemnisation des victimes d'erreurs judiciaires, Mélanges offerts à P. Drai, Le juge entre deux millénaires, Dalloz p. 70

* 49 Docquir St-François: Délai raisonnable: l'exigence d'un recours effectif en droit interne, année 2001, p.274

* 50 Kaba Sidiki, Les droits de l'homme au Sénégal, collection Xaam sa yoon, p.104 et s.

* 51 La semaine juridique du 5 février 2003, La réparation des détentions par Dominique Karonsky, 1,108

* 52 C.E.D.H., arrêt Eckle c/ Allemagne, 15 juillet 1982

* 53 C.E.D.H., arrêt H c/ Allemagne 13 décembre 1984

* 54 C.E.D.H., arrêt Espagne Union Elementaria Sanders du 7 juillet 1989.

* 55 Dans les conclusions de l'affaire Van Hout, R.F.D.A., 1989, page 57 et suivants, le commissaire du gouvernement avait envisagé le dépassement du délai raisonnable comme motif d'annulation d'une décision administrative.

* 56 Cass. Crim., 7mars 1989: Bulletin criminel n° 291

* 57 Cass.Crim. 3 février 1993, Bulletin crim. n° 57, Dalloz 1993, p. 515

* 58 Bulletin crim. n° 166, Dalloz 1994

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