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Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban

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par Harb MARWAN
Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007
  

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1,2- Le libanais ne naît pas citoyen.

La formule classique «l'Etat est la nation juridiquement organisée » postule un type de rapports entre les deux concepts qui se révèle réducteur. La nation serait une réalité première dont l'Etat deviendrait en quelque sorte la structure d'organisation. Or, il est au moins tout aussi exact d'envisager la relation inverse, c'est-à-dire l'Etat comme instrument principal d'émergence de la nation à travers la conscience identitaire qu'il contribue puissamment à forger.

Le père Lebret précise que « les nations se font par la volonté des hommes, les nations se font par l'adhésion des hommes. La nation libanaise existe, mais des rivalités internes la divisaient encore. Des oppositions confessionnelles empêchaient que les Libanais affrontent ensemble le dur effort qui, cependant, s'imposait à eux. Le chef de l'Etat a voulu rapprocher les Libanais d'un idéal commun, en vue d'un bien commun à instaurer242(*). »  En effet, l'essence du chéhabisme se traduit dans la volonté d'organiser et mobiliser l'appareil d'Etat autour d'un développement économique conçu comme le premier corollaire de la justice sociale et d'une conscience nationale. Car « le vrai développement est la croissance humaine de tous les membres d'une collectivité nationale ; c'est l'élévation humaine de toutes les catégories intégrant la totale population243(*). »

Les nations ne sont pas le fruit d'une réussite temporaire et ne se conservent pas dans l'improvisation. Bien au contraire. Elles se construisent jour après jour, dans un plan d'ensemble, selon un ordre établi. Pour faciliter l'exercice de sa domination, tout Etat a besoin de susciter du consentement. Profondément intériorisé, il est de nature à faciliter considérablement l'exercice quotidien du pouvoir. Mais cette intériorisation n'est pas un mécanisme spontané. Au contraire, il est produit d'une puissante et permanente activité de socialisation à laquelle l'Etat prend une part importante et, dans certains cas fondamentale.

L'allégeance nationale se fortifie dans le cadre étatique, avec la centralisation ou, tout au moins, l'unification administrative. L'Etat légal-rationnel assujettit tous les citoyens aux mêmes charges et leur ouvre les mêmes conditions d'accès aux emplois publics. Au nom de l'égalité devant la loi, il poursuit un travail d'homogénéisation des mentalités.

La citoyenneté n'est pas seulement un système de droits et de devoirs qui s'exercent au sein du même Etat, elle est aussi une manière de décliner une identité collective. Elle fonctionne comme identité transversale à toutes les allégeances particulières de classe, de religion, de profession, de génération...

Il faut reconnaître modestement que « le libanais ne naît pas citoyen, mais qu'on en fait un citoyen244(*). » Maurice Gemayel écrit que « La création de ce citoyen libanais exige, au départ, l'application stricte du principe capital suivant : tant pour un problème que pour un groupe de problèmes, il est indispensable de prendre toujours les mesures appropriées, afin d'affaiblir, d'atténuer les divergences et de renforcer les convergences : plus particulièrement pour le Liban, son avenir dépend de l'harmonisation des divers éléments qui le composent245(*). »

Cette harmonisation pourrait-elle se réaliser dans une société injuste et inégalitaire ravagée par l'aliénation et la misère ? Comment demander aux habitants des régions périphériques et sous-développées de respecter les lois, de se sentir libanais et d'appartenir à un Etat, si l'Etat ne se manifeste sous toutes ses formes dans leur vie quotidienne ? Si l'Etat ne leur assure une vie digne d'un être humain et stable ? La recherche active du bien commun peut-elle prendre corps tant qu'il existe entre les couches sociales ou entre les régions de trop grandes différences ?

Ainsi, le chéhabisme a vu que dans un pays comme le Liban, la dimension de la dispersion des niveaux de vie à l'intérieur de la nation est nécessaire, il afficha donc la volonté de « forger un citoyen libanais » en essayant de faire disparaître un état antérieur et pour cela de lutter contre :

1 - une concentration très poussée de la richesse (4% de la population cumulant 30% du revenu national face aux 50% les plus pauvres en disposant de 18% et ayant le pouvoir économique décisionnel, celui des « oligarques de l'économie246(*)».

2 - les déséquilibres spatiaux, interconfessionnels aboutissant à une intégration très variable à la logique nationale.

3 - la fragilité, la dépendance et le manque de projet global et concret de l'Etat libanais.

Dans cette perspective, des organismes publics sont crées pour exécuter les travaux publics d'infrastructure : Conseil Exécutif des grands projets247(*); Conseil exécutif des grands projets de Beyrouth248(*)... Sur les 650 M.L.L. de dépenses de développement prévues par les programmes du général Chéhab, Georges Corm écrit que 80% d'entre eux sont consacrés aux infrastructures physiques, contre 15% aux actions sociales et 5% aux autres actions249(*).

En fait, l'équipement physique et l'équipement social de toutes les zones ont été projeté comme une exigence absolue pour organiser un territoire dont il ne fallait pas laisser la population se concentrer à l'excès sur la seule capitale, en provoquant des conséquences sociales redoutables et des coûts urbains colossaux. Ceux qui restent au travail de la terre, ceux qui mettent en valeur le sol libanais, doivent se trouver dans les conditions normales de la vie sociale moderne. Il s'agit donc de créer un « tissu social complet » avec ses pôles hiérarchisés : Beyrouth en tant que pôle central, Tripoli, Zahlé, Sada, en tant que pôles secondaires et les cazas en tant que pôles tertiaires. Par le fait, les gens à moins de quelque dix kilomètres de leur habitation, trouveraient tous les services d'éducation, de santé....

Il est donc important, au lieu de laisser le peuple dans une impression d'abandon, de l'informer de l'effort public fait pour le servir, et de l'associer, dans un cadre géographique organisé, à la construction dynamique du pays entier. La réforme municipale est venue à point pour qu'enfin la population des villages puisse exercer les responsabilités communales au sein des collectivités de base structurées.

Les investissements sociaux de l'Etat portent sur l'extension du réseau d'écoles publiques, d'hôpitaux et de dispensaires publics. L'action sociale de l'Etat se concrétise par la création de l'office du développement social, l'amendement du Code de travail, et enfin par la promulgation du projet de loi sur la sécurité sociale. Ce projet déposé sur le bureau de l'Assemblée deux mois après le début du mandat Chéhab continue à circuler jusqu'à septembre 1963 lorsque le Président le promulgue par décret.

La sécurité sociale est venue soutenir certaines couches de la population, coupées de la solidarité villageoise traditionnelle qui avaient besoin de sécurité et que pour cela, étant donné le taux des salaires, trop bas pour que chacun s'assure lui-même ; il fallait à l'imitation de tant de pays développés, organiser un système de sécurité nationale permettant aux jours mauvais de triompher de la misère, de la maladie et de la faim250(*).

D'autres institutions ayant rapport avec les autres secteurs de l'économie sont également créés, comme le Conseil national du tourisme, la Banque Centrale, la Direction centrale de la Statistique au ministère du Plan...

La fourniture de services publics (eau et électricité notamment) est développée à une large échelle et confiée aux nombreux offices autonomes crées à cet effet. La bonification des terres agricoles reçoit une attention particulière à travers la mise en place du Plan Vert251(*).

Des offices para-étatiques en grand nombre furent créés par décret en 1959. Ils symbolisent la volonté chéhabiste de court-circuiter l'administration traditionnelle pour asseoir une «indépendance de l'Etat252(*) ».

La planification du développement accède pour la première fois à un rang qui est le reflet de l'attention personnelle que lui accorde Chéhab. Commentant son action et les réactions qu'elle suscite, le père Lebret dit : « Le Liban commence à comprendre, il se considérait jusqu'ici comme un «miracle», c'est-à-dire quelque chose qui se tient sans que cela soit explicable... Le président, lui, voudrait savoir et percevoir l'ensemble, d'où son espoir en notre travail qu'il est probablement seul à vouloir253(*)»

L'extension des dépenses économiques et sociales de l'Etat et la multiplication des administrations du développement254(*) portent les dépenses publiques en 1964 à l'équivalent d'un tiers du revenu national, soit la même proportion qu'en Syrie à la même époque255(*).

* 242- Louis-Joseph LEBRET, «Le Liban au tournant », op.cit. p. 441

* 243 - Ibid, p. 442

* 244 - Louis-Joseph LEBRET, «Le Liban au tournant », op.cit. p. 403

* 245 - Maurice GEMAYEL, Le pionnier de la planification, Raîdy printing press 2001 , p. 401

* 246 -D'après les estimations de la Mission IRFED :

4 % de la population disposerait de 30 % du revenu national

14 % de la population disposerait de 28 % du revenu national

32 % de la population disposerait de 22 % du revenu national

41 % de la population disposerait de 16 % du revenu national

9 % de la population disposerait de 2 % du revenu national

* 247 - Arrêté ministériel No 6839- 15 Juin 1961

* 248 - Arrêté ministériel No 11985 - 4 Février 1963

* 249 - Georges CORM, « Réflexions sur la politique économique libanaise », In Action, février 1966, p. 37

* 250 - Louis-Joseph LEBRET, «Le Liban au tournant », op.cit. .p. 440

* 251 - Albert DAGHER, L'Etat et L'Economie au Liban, les Cahiers du CERMOC, NO 121995, P.62

* 252 - C. INGELS, L'Administration Libanaise au sortir du conflit civil : permanence de l'enjeu politique partisan et impératives fonctionnels de la reconstruction a portée nationale, Thèse de Science politique, Aix-Marseille III 1998-1999.

* 253 - Louis-Joseph LEBRET, «Le Liban au tournant », op.cit.

* 254 - Voir Annexe pp. 212-213. CORM Georges, Politique économique et planification au Liban, Beyrouth, Imprimerie universelle, 1964

* 255 - Albert DAGHER, L'Etat et L'Economie au Liban, les Cahiers du CERMOC, NO 121995, P. 21, ( 217 Pages).

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle