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Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban

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par Harb MARWAN
Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007
  

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2,3- La tyrannie du temps et « la révolution démocratique » 

Le chéhabisme en tant que praxis et philosophie politique ne s'appliqua réellement que durant le mandat du Président Chéhab, donc sur une durée de six ans. Kabbara écrit que « l'élection du président Hélou constitue un point tournant dans l'histoire et l'expérience du chéhabisme. Au lieu de gouverner en tant que chéhabiste, Hélou chercha à créer un équilibre entre le camp chéhabiste et l'opposition.363(*). » Ce qui rangea le camp chéhabiste et le président Hélou dans une situation de conflit sur le contrôle du pays, et ce conflit leur fit « perdre la guerre contre l'opposition364(*). » Dorénavant, les chéhabistes se trouvèrent dans « le camp défensif » et non plus offensif. Ainsi, le sexennat de Charles Hélou (1965-1970) considéré souvent comme une continuation du chéhabisme est jugé comme étant stérile en développements majeurs dans les domaines économiques, administratifs et sociaux.

Cette durée était-elle suffisante pour introduire des réformes et des transformations réelles dans le système politique libanais ? Ici, Kabbara voit que « le projet chéhabiste avait besoin sans le moindre doute d'un autre mandat pour se réaliser et passer à la maturité365(*). »

En effet, le temps nécessaire à toute réforme politique est définie par la stratégie mise en place et suivie par les réformateurs d'un côté, et par la réaction des forces en place avec cette stratégie de l'autre.

Juan Linz dans ses écrits366(*) est revenu constamment sur cette dimension temporelle du politique. Il a souligné que lors des changements de / ou dans le régime, le temps devient un facteur important du succès ou d'échec du train des réformes. La séquence et le rythme de celles-ci, autrement dit l'allocation du temps, ou comme l'écrit Linz, - le timing et le tempo des réformes -, sont des facteurs clés de succès ou d'échecs, certaines séquences étant vertueuses et d'autres non, certaines réformes étant engagées prématurément et d'autres tardivement de sorte qu'il existerait également en politique une sorte de « juste à temps » à trouver. La politique consiste avant tout selon Weber à structurer le temps, « l'affaire propre de l'homme politique » étant « l'avenir et la responsabilité devant l'avenir.»367(*)

Rejoignant les analyses de Michel Crozier et d'Erhard Friedberg, pour lesquels « la dimension temporelle est une condition essentielle pour qu'une relation de pouvoir puisse se développer »368(*), autrement dit pour qu'elle puisse permettre aux acteurs de diversifier leurs « mises », d'accepter de perdre dans le court terme et d'espérer de gagner dans le long terme. Linz conçoit également l'utilisation du temps comme une des caractéristiques de l'interaction entre acteurs : « le temps est nécessaire pour permettre aux acteurs pertinents de consolider leurs positions et d'éluder les pressions inhérentes à la résolution immédiate des problèmes.»369(*) 

L'une des difficultés majeures de la modernisation résiderait en cette gestion et cet agencement de la temporalité du processus.

Une autre question afférente au problème de l'allocation temporelle analysée par Linz est celle de la temporalité de la démocratie elle-même. Przeworski voit que la démocratie n'est rien d'autre que « l'institutionnalisation de l'incertitude », donc, elle a une temporalité propre. Linz considère qu'il s'agit essentiellement d'un régime politique dont la caractéristique essentielle est précisément son caractère temporaire. Jon Elster insiste également à la suite de Tocqueville370(*), sur la faible capacité de la démocratie à construire du futur et plus précisément à conduire une politique de long terme.

Bassem El-Jisr affirme que « Fouad Chéhab n'était pas un révolutionnaire mais en réalité, il préparait une lente et profonde révolution. Cette révolution blanche consistait à « retirer le tapis » sous les pieds de la caste politique et politicienne, en douceur et démocratiquement, et même avec leur assentiment. (...) Toute l'oeuvre de Fouad Chéhab était régie par son souci d'accomplir cette « révolution blanche », dont il traça la voie et posa plusieurs fondements371(*). » Ainsi, « le chéhabisme était une forme de coup d'état démocratique à partir du système et contre ce système même372(*). »

En même temps, le président Chéhab était conscient que la « révolution » « ne se fera pas en 24 heures. Sa pensée est que la réforme institutionnelle est impossible si elle ne s'accompagne pas d'une réforme des esprits et des moeurs. Bâtir un Etat moderne sur les vieilles structures confessionnelles est une entreprise de longue haleine373(*). » En effet, les pratiques et les institutions demandent du temps, elles ne s'acquièrent ou ne se créent pas du jour au lendemain, mais tout au long d'un apprentissage progressif, fait de lenteurs et de mémoires.

Il ne se berçait pas d'illusions sur les possibilités du Liban et voulait, sur le double plan intérieur et extérieur, une politique adaptée à ses modestes moyens et à sa structure sociologique si particulière. Ce « pessimiste constructeur » n'était pas un utopiste et n'ignorait pas que la patience est la clef de bien des problèmes.

Cependant, misé sur les mécanismes démocratiques dans une société où la culture démocratique est absente ou à la mesure faible, constitue un nouveau problème au lieu d'être la solution requise.

Dans la déclaration du 4 mai 1970 à travers laquelle il déclare son refus de se présenter à l'élection présidentielle Chéhab constate que « le pays n'est pas encore prêt à admettre ces solutions de fond que je ne saurai d'ailleurs envisager que dans le respect de la l'égalité et des libertés fondamentales, auxquelles j'ai toujours été attaché. » A travers cette révélation le président Chéhab affirme que la « révolution démocratique » nécessite la transformation des mentalités des Libanais et qu'une « démocratie sans démocrates » reste difficile à se consolider.

Le Président déclare qu'il ne voit que deux moyens pour le relèvement du Liban : la dictature ou la révolution populaire ; et, écartant la première, pour des raisons qu'il suppose connues, il prévoit qu'une révolution éclaterait, d'ici une ou deux générations, et qui libérerait le Liban de ses fléaux. « Les souffrances du peuple, dit-il, ne s'accumulent pas et ne fermentent pas en vain ; viendra le jour de la grande colère.374(*) » La constatation de Chéhab rejoint la solution du « césarisme » défendue par Kabbara dans sa thèse. « Le césarisme est une restructuration démocratique de la société libanaise au cours de laquelle la pluralité identitaire et communautaire du peuple libanais est reconnue375(*). »

Peut-on cependant rétorquer que le développement économique et social entrepris par le président Chéhab entraîne nécessairement la mutation politique souhaitée ? « Seule, dit Charles Rizk, la poursuite du chéhabisme économique et social peut nous apporter la mutation politique dont nous sommes ici partisan. Mais avec ou sans Chéhab, le chéhabisme continuera à nous conduire vers un nouveau régime parlementaire, si les disciples restent dignes du maître qui aujourd'hui s'en va.» 376(*)

Les structures politiques ont cependant, à l'instar de toute autre structure, leurs propres lois de développement. Bien plus, quand les structures politiques ne sont pas touchées par les préoccupations de développement, elles peuvent freiner le développement économique et social, compromettre la continuité de la planification ou orienter celle-ci dans des voies non démocratiques ou non harmonieuses. « Pour atteindre nos buts, écrit Hamid Frangié les lois ne suffisent pas. «Pour compléter les lois, il faut des volontés», il faut des hommes. Et notre crise est beaucoup plus une crise d'hommes qu'une crise d'institutions. Les hommes peuvent changer les institutions; les institutions ne peuvent pas changer les hommes377(*). »

* 363 - Nawaf KABBARA, Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project, Thèse de doctorat en sciences politiques, University of Essex, 1988, p. 9

* 364 - Nawaf KABBARA, Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project, Thèse de doctorat en sciences politiques, University of Essex, 1988, p. 290

* 365 -Idem, op.cit. p.8

* 366 - Cf, Juan LINZ, Crisis, breakdown and reequilibration, Johns Hopkins University, Baltimore, Londres, 1978. « Change and continuity in the nature of contemporary democracies », In Garry Marks, Larry Diamond, Reexamining democracy. Essays in honour of Seymour Martin Lipset, Sage Publications, Londres, 1992.

« Innovative leadership in the transition to democracy and a new democracy : the case of Spain », In Gabriel Scheffer, Innovative leaders and International Politics, University of New York Press, New York, 1993

* 367 - Max WEBER, Le savant et la politique, Plon, Paris, 1959, p.o168.

* 368 - Michel CROZIER, Erhard FRIEDBERG, L'acteur et le systéme, Le Seuil , Paris 1977, p. 75.

* 369 - Juan LINZ, « Innovative leadership in the transition to democracy and a new democracy : the case of Spain », In Gabriel Scheffer, Innovative leaders and International Politics, University of New York Press, New York, 1993, p. 152

* 370 - Cf. Jhon ELSTER, «Consequences of constitutionnal choice : reflections on Tocqueville », In Jon Elster, Rune Slagstad, Constituionalism and democracy, Cambidge Universiry Press, Cambridge, 1988, p. 92 et suiv.

* 371 - Bassem EL-JISR, Le chéhabisme, un révolution blanche, conférence prononcée au collège de Jamhour le 2 mai 2005

* 372 - Nawaf KABBARA, Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project, op.cit. p. 231

* 373 - Georges NACCACHE, « Un nouveau style : le chéhabisme», op.cit. p. 397

* 374 - Bassem EL JISR, Fouad Chéhab, cet inconnu ... op.cit. p. 146

* 375- Nawaf KABBARA, Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project, op.cit. p. 34

* 376 - Charles RIZK, Le régime politique libanais... op.cit. p. 121

* 377 - Hamid FRANGIE, « Considérations sur l'Etat», les années Cénacle, Dar Annahar, 1997, p. 327

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