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Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban

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par Harb MARWAN
Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007
  

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2,2 - L'inefficacité de l'administration du développement.

Depuis la naissance du Liban contemporain et précisément depuis qu'il a été doté d'une administration publique en 1864 ; la question de la corruption et de la nécessité d'y remédier a été et reste toujours un des principaux obstacles devant la construction d'un Etat moderne au Liban.350(*)

L'organisation de l'administration libanaise se caractérise par une forte centralisation, l'exiguïté du territoire, les composantes sociologiques du pays et l'exemple français ont conduit à remettre au pouvoir central l'essentiel de l'administration, sauf à reconnaître une autonomie limitée à des collectivités locales et à des établissements spécialisés, encore l'importance des prérogatives laissées aux autorités étatiques leur laisse-t-elle la véritable direction de toute l'administration. Le caractère unitaire de l'Etat, affirmé par la Constitution libanaise (art.1) a ainsi très fortement marqué les institutions administratives.

« Si, conformément au schéma classique du droit administratif, il faut distinguer au Liban une administration d'Etat et une administration décentralisée, on doit toujours garder présente à l'esprit l'idée que, d'une manière ou d'une autre, et dans tous les domaines, c'est autour des organes centraux qu'est aménagée l'administration libanaise.»351(*)

Centralisée, l'administration libanaise est également très concentrée. Les mêmes motifs qui ont conduit à ne remettre qu'une faible autonomie à des collectivités administratives secondaires ont entraîné, au sein de l'administration étatique, l'attribution du pouvoir de décision aux autorités supérieures les agents subordonnés de l'Etat, et spécialement ses représentants locaux, n'ont guère de liberté d'action. Si les ramifications territoriales de l'Etat encadrent l'ensemble du pays, elles ne sont que des structures destinées à assurer l'autorité de l'administration centrale. Celle-ci est le pôle de toute l'organisation administrative, l'administration locale lui est étroitement subordonnée. On a déjà souligné la place essentielle et le rôle décisif du président de la République au sein des institutions politiques : ils se retrouvent de la même manière dans l'organisation administrative.

Pièce dominante de l'édifice constitutionnel, le chef de l'Etat est aussi l'organe capital de l'administration. La décentralisation et la concentration de celle-ci convergent vers lui : si l'administration d'Etat l'emporte sur les administrations autonomes, les autorités centrales de l'Etat sur ses représentants inférieurs, le président de la République prédomine sur le tout. La pratique peut donner à ces pouvoirs une portée variable; elle tend en général à leur pleine utilisation.

A côté du président, le gouvernement, les départements ministériels et les conseils apparaissent souvent comme des auxiliaires. Sans doute ont-ils leur rôle propre et ne peuvent-ils être considérés comme négligeables. Mais leur organisation et leurs fonctions s'établissent par rapport au chef de l'Etat. L'administration territoriale de l'Etat, on la dit, est fortement concentrée. Les services extérieurs des ministères, pour être repartis entre les différentes régions du pays, sont soumis à une étroite autorité de l'administration centrale. Ils sont regroupés sur une base géographique et sous la direction d'administrateurs à compétence générale, représentant le gouvernement dans chaque circonscription.

Le Liban est en effet divisé, en vertu du décret législatif no 11 du 29 décembre 1954, en cinq mohafazats Beyrouth, Liban-Nord (chef-lieu : Tripoli), Mont-Liban (Baabda), Liban-Sud (Sada), Bekaa (Zahlé). Les mohafazats sont eux-mêmes subdivisés en cazas, au nombre de vingt-quatre. Ni l'une ni l'autre de ces circonscriptions n'ont la personnalité morale; ce sont de simples divisions administratives de l'Etat.

Cette organisation administrative a été profondément remaniée par le décret législatif no 116 du 12 juin 1959. Celui-ci n'a pas touché à des circonscriptions inférieures, les villages, qui, à côté des municipalités dotées de la personnalité morale, ne sont que des circonscriptions territoriales de l'Etat.

La déconcentration maintient ainsi l'unité de l'institution et permet à la personne morale déconcentrée de rapprocher l'action administrative des administrés. Elle permet donc à l'État d'agir avec une plus grande efficacité et plus rapidement. Pour garantir le principe de l'unité de la nation, l'Etat garde un contrôle sur le fonctionnement des collectivités territoriales par le biais de ses services déconcentrés. Il s'agit d'une recherche d'exigence et d'une plus grande efficacité de l'action publique, pour :352(*)

1-Trouver le niveau territorial le plus à même de mener de manière efficace certaines politiques,

2-Recentrer les compétences de l'État sur ses fonctions principales et fondamentales : affaires étrangères, défense, justice, sécurité, politique économique et sociale de la nation, législation et réglementation.

La déconcentration permet à l'État de conserver l'unité de la nation, tout en donnant la possibilité aux autorités de l'État de gérer efficacement les affaires étatiques. Le caractère assez faible de la décentralisation au Liban s'explique par la faible étendue du pays, l'homogénéité relative de ses différentes parties, le nombre assez limité d'agents administratifs compétents rendent nécessaire le maintien d'une intervention poussée du pouvoir central sur tous les aspects et toutes les parties de l'administration. La structure municipale a été modifiée à plusieurs reprises, notamment en 1947 et 1954, sans compter les amendements partiels.

Sous le mandat Chéhab elle a été fixée par la loi no 29 du 29 mai 1963. Selon la loi de 1963, la municipalité est une personne publique, dotée de la personnalité morale et jouissante de l'autonomie administrative et financière elle peut donc réaliser des opérations juridiques correspondant à ses besoins (art.1). Charles Issawi considère l'administration locale décentralisée « comme une école pour les électeurs et une pépinière d'hommes d'Etat.» Car dit-il « d'un côté, la décentralisation remet la solution des problèmes régionaux ou municipaux à ceux qui s'y intéressent le plus directement, les habitants de la localité même, qui sont autrement plus qualifiées pour que des fonctionnaires assis dans une capitale lointaine. Par ailleurs, le développement de l'administration locale donne à des centaines ou des milliers de personnes la possibilité de participer au gouvernement et de s'entraîner à la marche des affaires353(*). »

L'appareil administratif dont la structure a été exposée plus haut était-il apte à assumer les tâches nouvelles qui lui incombaient ? Le grand effort pour « passer d'un gouvernement existant et d'une administration existante à un gouvernement et à une administration de développement » 354(*)  a-t-il été accompli ?

L'édifice administratif paraît impressionnant et le pays bien encadré. Cette structure paraît cependant surtout théorique : sa complexité et sa précision ne doivent pas faire illusion. Les cadres constitués par les textes ne sont pas toujours remplis - ou du moins avec efficacité. Les moyens mis en oeuvre pour la réalisation de la planification ne sont pas non plus toujours suffisants pour en faire une activité essentielle de l'administration.

En effet, à la question « la planification est-elle possible au Liban ? » que s'est posée Georges Corm en 1964 dans l'introduction de son oeuvre « Politique économique et planification au Liban », il y répond dans la conclusion en ces termes : « je voudrais cependant, dans cette conclusion, récapituler les principales lacunes qui font que la planification telle qu'elle a été définie dans l'introduction n'est pas encore tout à fait possible au Liban. Ces lacunes ont trait surtout aux moyens de la planification, aussi bien les moyens d'élaboration que les moyens d'exécution355(*). »

Pour la mission IRFED, à laquelle fut confiée en 1959 la tâche de proposer une organisation nouvelle pour l'administration du développement au Liban, deux formules étaient concevables356(*) :

- La première apportait une solution en profondeur : elle consistait à réformer, en fonction du développement, l'administration existante. En liant réforme administrative et développement économique, on mettait l'administration au service du développement, qu'on dotait ainsi d'un outil d'exécution rendu approprié; en même temps qu'on faisait du développement l'occasion et le levier de la réforme administrative.

- La deuxième formule consistait au contraire à récuser en bloc et d'une manière simpliste l'organisation administrative en place, et à créer de toutes pièces un ensemble parallèle, un corps de « janissaires » de la planification.

« C'est hélas, cette deuxième formule dont l'incongruité est évidente qui fut adoptée. Elle repose sur l'erreur fondamentale résultant de ce que l'accent y est mis sur le rôle du ministère du Plan, responsable à la fois de la préparation et de l'exécution du plan. D'où les conflits entre ce ministère et les autres organismes administratifs, aux deux niveaux, central et régional 357(*) Le père Lebret fait remarquer que « la réforme administrative a été faite, avant, hélas, que le programme de développement n'ait été défini358(*). » 

Par conséquent, Charles Rizk relève les points faibles de cette réforme administrative qui concentrait les prémisses de son échec éventuel :

« Au niveau central tout d'abord, l'idée même de créer un ministère spécialement chargé de la planification est en contradiction totale avec la nature même du développement, activité de coordination et de synthèse globales, qui met en jeu tous les secteurs de la vie nationale et, partant, l'ensemble de l'administration publique. Celle-ci doit, dans toutes ses parties, participer, par ses propositions, à l'élaboration du plan, chaque département selon sa spécialité. Se sentant consultées et écoutées, toutes les administrations adhéreront au plan et l'exécuteront avec plus d'efficacité. Cette tâche d'exécution doit d'ailleurs, en tout état de cause, leur appartenir : que peuvent, dans un pays en voie de développement, faire les administrations d'autre que d'administrer le développement, qui doit éclairer d'une lumière nouvelle toutes leurs actions, même les plus quotidiennes ?

A ces arguments d'ordre technique et psychologique s'ajoutent des raisons politiques. Confier le plan à un ministère, c'est donner à un ministre un droit de supervision et de contrôle sur les autres ministères et les autres ministres, ce qui n'est guère conforme à l'esprit du parlementarisme. C'est aussi donner à un politicien, représentant aujourd'hui une communauté confessionnelle, le pouvoir d'infléchir au profit de son groupe particulier le plan national359(*). »

De même, en voulant accélérer la réforme administrative, plusieurs étapes ont été brûlées, ce qui entraîna des dérives dans ce processus. En effet, le père Lebret reconnaît qu' «en définissant le cadre de chacun des services publics, en supprimant le recrutement arbitraire, en se rapprochant de plus en plus de la sélection par le mérite, en fondant un Institut d'administration, en essayant d'accélérer les processus administratifs (tours de force en réalité), peut-être a-t-on voulu trop vite atteindre une perfection à laquelle les pays démocratiques les plus évolués ne sont pas encore arrivés. Peut-être en est-il résulté quelques chocs, quelques accrocs et trop de freins. » Mais il défend cette accélération en disant qu' « il était a peu près fatal que ceci se produise, la souplesse pouvant peu a peu rectifier l'excès de rigidité d'une construction qui devait d'abord être rigide360(*). » 

Cependant, comme toute greffe sur un organisme vivant, l'importation de l'Etat bureaucratique dans une société à fortes traditions culturelles particularistes peut alimenter des comportements de rejet, favoriser une intensification des tensions intérieures, bref, introduire une forme de désordre. Bertrand Badie361(*) a souligné les effets déstabilisateurs de cette importation du modèle étatique occidental dans des sociétés aux univers de références qui lui sont largement étrangers. Pour l'essentiel, il y voit le risque d'une perte de sens des institutions politiques et administratives. Elle affecte aussi bien les innovations modernistes, altérées par leur milieu de réception, que les systèmes traditionnels de légitimation politique en péril de devenir obsolètes.

En effet, l'Orient, pourtant un journal dirigé par un chéhabiste constate que « jamais les services publiques n'ont été plus désorganisés et les formalités plus lentes que depuis la promulgation des fameux décrets-lois de 1959 ; jamais les agents de l'Etat n'ont pris moins d'initiatives362(*). »

* 350 - Kamal JOUMBLATT, La vérité sur la révolution Libanaise (en arabe), Quatrième édition, Almoukhtara, Aldar altakadoumia, 1987, p. 11

* 351 - Pierre DELVOLVE, L'Administration libanaise, Editions Berger-Levrault, Paris ( ÉVe), 1971, p. 13.

* 352 - DIEDERICHS Olivier et LUBEN Ivan, La déconcentration PUF, coll. « Que sais-je », 1995. p.4

* 353 - - Charles ISSAWI, « Fondements sociaux et économiques de la démocratie», les années Cénacle, Dar Annahar, ( page 121 à 129), p. 127

* 354 - Louis-Joseph LEBRET, «Le Liban au tournant », op.cit. p. 442

* 355 - Georges CORM, Politique économique et planification au Liban, op.cit. p.129

* 356 - Charles RIZK, Le régime politique libanais, L.G.D.J, op.cit. p. 161.

* 357 - Ibid, pp.161-162.

* 358 - Louis-Joseph LEBRET, «Le Liban au tournant », op.cit. p. 442

* 359 - Charles RIZK, Le régime politique libanais, L.G.D.J, op.cit. pp. 161-162-163

* 360- Louis-Joseph LEBRET, « Le Liban au tournant », op.cit. p. 442

* 361 - Bertrand BADIE, L'Etat importé : l'occidentalisation de l'ordre politique, Coll. L'espace du politique, Fayard, Paris, 1992 (334 pages)

* 362 - L'Orient, du 16 mai 1960

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote