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Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban

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par Harb MARWAN
Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007
  

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Section ÉÉ

L'essoufflement du projet moderniste-chéhabiste

2,1 - La solitude présidentielle face à la classe des leaders

Bassem El-Jisr précise que pour comprendre le chéhabisme, il faut connaître la personne de Fouad Chéhab. Il n'était pas un politicien à la recherche du pouvoir, mais un homme de devoir. « Fouad Chéhab était un militaire, non un politicien, un homme de devoir rompu à la réflexion et au travail en silence, non un tribun charismatique. » Le président Chéhab est rentré dans le champ politique malgré lui, « il n'a pas le profil d'un homme politique libanais réussi341(*)» dit Hudson. Il a été projeté par la logique des événements pour jouer un rôle auquel il n'aspirait pas.

L'une des limites du chéhabisme est la solitude du chef de l'Etat face à la classe des leaders, qualifié de « l'homme au sifflet342(*) » par René Aggiouri. L'efficience et la stabilité du système, si on se réfère au modèle consociatif, dépendent de la coopération des élites des groupes sociaux distincts.

Pierre Rondot relève les premières difficultés du cabinet de coalition, peu décidé a secondé une oeuvre de longue haleine : « Le général Chéhab est-il destiné à demeurer seul ? Autrement dit, les impulsions généreuses des Phalanges et du Parti progressiste socialiste, représentées dans le conseil des ministres lui-même par Pierre El-Gemayel et Kamal Joumblatt, seront-elles décidément stérilisées par l'affrontement personnel de ces deux leaders ? C'est ici que se pose le problème politique capital : les conditions contradictoires de l'action (...). Transposé des barricades au tapis vert, le conflit intime du Liban restera resserré, comme entre les rares protagonistes d'une tragédie classique, afin de mieux vider le débat.»343(*) Le pouvoir au Liban est appelé à être largement consensuel, voire « unanimmitaire » donc le pouvoir ne peut être concevable que s'il est issu du plus large consensus interconfessionnel, fondé sur le plus large respect populaire.

Sur le plan intérieur, le chef de l'Etat ne peut pas être au Liban un chef de parti. Georges Naccache rapporte cette phrase historique : « le Roi de France doit oublier qu'il a été Duc d'Orléans. » C'est quand le Président Béchara El Khoury est redevenu Khouriste, et Chamoun Chamouniste leur autorité a été contesté et s'est désagrégée. De même que Rondot, Naccache souligne cette solitude présidentielle : « Est-il besoin de refaire le tableau de cet été sinistre : les deux moitiés du Liban retranchées derrière les barricades, et ce soldat seul, entre les feux croisés, gardant la tête froide au milieu de la démence générale, n'ayant d'autre stratégie que d'empêcher un massacre confessionnel ? Dans les circonstances qui, en 1943 et 1952, les avaient amenés au Pouvoir, ses deux prédécesseurs étaient entrés au Sérail par la rue - avec la rue. Ils n'ont jamais pu se libérer de cette terrible hypothèque (...). C'est dans un Beyrouth désert que le Général d'armée Chéhab a été élu par une Assemblée que les fureurs civiles avaient empêché de se réunir depuis 90 jours. Il n'y a pas de pouvoir politiquement plus solitaire (...). Non seulement il n'est rattaché à aucun des partis traditionnels, mais il y a chez lui une incapacité native à s'intéresser aux jeux des clans qui passionnent tous les Libanais. Dans les conditions où il est venu, il doit son pouvoir à tout le monde : c'est-à-dire qu'il ne le doit à personne.» 344(*) 

« Il est apparu dit le président Chéhab que je suis incapable de concrétiser les réformes que je veux faire. »345(*)

L'élan des réformes a été affaibli au fur et à mesure que le président Chéhab constatait que la réforme du système politique risquerait de faire éclater le système tout entier. Les hommes politiques que le président qualifiait de « fromagistes » et les forces traditionnelles s'opposèrent farouchement à toute réforme moderniste du système politique car cette dernière risque de leur priver du pouvoir et de l'autorité qu'ils monopolisent entre leurs mains. Conscient de cette réalité, mais décidé à persévérer dans sa réforme, le président Chéhab à travers sa démission en 1960, tenta de contourner les hommes politiques, et de « se  ressourcer » d'une légitimité qui émane directement du peuple. « Ce n'est pas moi que les Libanais ont élu : je ne représente que l'impossibilité où ils se trouvaient d'en élire un autre.»346(*) Le président Chéhab retourna au pouvoir par la volonté du peuple et non plus par celle des hommes politiques, il se libéra de ses derniers et redonna à son programme politique une légitimité populaire susceptible de lui permettre d'amorcer les réformes qu'il comptait faire. Mais « il a trouvé autour de lui un peuple divisé qui conserve l'allégeance à ses leaders, bien que les intérêts de ce peuple soient grignotés par ces leaders. Le président s'est trouvé devant le choix difficile : la soldatesque a été son peuple et son parti347(*). »

Tenté par l'autoritarisme, Chéhab aurait dit : « je pensais envoyer les soldats au Parlement ramasser tous les députés et les rendre à leur maison. Mais j'y suis revenu en disant : tant que c'est le peuple qui les a voulus, que sa volonté soit faite. » 

De même, il révéla son « dégoût » de la réalité à laquelle il a dû faire face, il aurait dit : « je suis las des fromagistes et des capitalistes extrémistes. La situation au Liban exige des réformes rapides. Le pouvoir direct serait indiqué pour une telle réorganisation, mais le pouvoir direct ne peut être « digéré » par le Liban. On ne peut au Liban imposer par la force une réorganisation politique. Cela serait en contradiction avec la Constitution et aboutirait à une véritable dictature. J'aurais pu le faire, mais cela aurait été contraire à la démocratie qui est la base de la vie politique au Liban.»348(*)

La solitude du président dans le système politique libanais est d'autant plus marquée par le peu de ressources qu'il détient et par son identité confessionnelle spécifique « peu compatible avec le caractère universaliste du projet modernisateur ». Ainsi explique Antoine Messarra, « les forces traditionnelles ne retiraient que peu d'avantages d'une collaboration avec le président modernisateur, à l'encontre, en Occident, de l'aristocratie de cour, des élites financières ou des chantres du gallicanisme. La différence tient à l'inégalité des ressources détenues par le président, mais elle est liée surtout à la logique d'exclusion qui anime les stratégies néo-patrimoniales et qui conduit les divers acteurs sociaux à promouvoir leurs intérêts hors de la scène politique et alternativement en des espaces traditionnels.»349(*)

* 341 - Michael HUDSON, The precarious Republic, op.cit.

* 342 - L'Orient, du 8 Août 1970.

* 343 - Pierre RONDOT, «Quelques réflexions sur l'expérience politique du « Chéhabisme» au Liban», In L'Orient, n0 16, (p. 43 à 50) , 1960, p. 45

* 344 - Georges NACCACHE, op.cit. p. 396

* 345 - Toufic KHOURY,  Le chéhabisme et la politique de la décision, op.cit. p. 244

* 346 - Toufic KHOURY,  Le chéhabisme et la politique de la décision, op.cit. p. 244

* 347 - Cité par Antoine Messara, op. cit. p. 198

* 348 - L'Orient, 16 septembre 1964.

* 349 - Antoine MESSARA, Le modèle politique libanais et sa survie, essai sur la classification et l'aménagement d'un système consociatif, Publications de l'Université Libanaise, Beyrouth 1983, p. 230

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams