WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban

( Télécharger le fichier original )
par Harb MARWAN
Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion

Il est indéniable que la période appelée « chéhabiste » et précisément le mandat du président Fouad Chéhab fut une période décisive dans la trajectoire historique du Liban-Etat. Le Président a réalisé que le Liban ne peut progresser et se développer en tant qu'Etat stable et souverain que s'il ne transcende les causes de sa division interne qui le déchire, à savoir l'injustice sociale dans sa dimension spatiale et populaire.

Toute la philosophie du chéhabisme était tournée vers la création des conditions objectives et subjectives qui permettent l'émergence du citoyen-individu. L'émergence du « je », du subjectum, est le premier pas dans le long cheminement de la modernité. Il en est le moyen et la fin.

Ainsi, le président Chéhab essaya de développer et de moderniser les différents secteurs de l'économie nationale, et en même temps d'encourager le secteur privé à investir dans des domaines susceptibles de favoriser la croissance économique à moyen et long terme.

De même, il réalisa que les clivages confessionnels empêchent l'émergence d'une identité nationale commune. Il essaya d'affaiblir les forces confessionnelles extrémistes, et épaula de nouveaux courants et de nouvelles forces politiques modérées, et a introduit de nouvelles figures académiques et technocrates dans les milieux décisionnels. Parallèlement, il tenait toujours un discours politiques modéré et unificateur.

Tout ceci nécessite un changement dans la pratique administrative et institutionnelle. Et c'est ce que le Président tenta d'accomplir à travers la réforme et la rationalisation administrative et la construction d'institutions modernes et efficaces.

Dans sa déclaration du 4 août 1970, le président Chéhab expose les obstacles et les difficultés qui ont barré la route à la modernisation du système politique libanais. Voici le texte de la déclaration :

« Face aux pressions dont j'ai été l'objet pour m'amener à poser ma candidature à la première magistrature, j'ai estimé de mon devoir, avant de prendre une décision définitive, de procéder à l'examen approfondi des données de la conjoncture et de ses implications dans tous les domaines. J'ai entrepris cela pour apprécier les possibilités qui s'offrent à moi en vue de servir mon pays confortement à ma conception personnelle du devoir et des impératifs du devenir.

Me fondant sur l'expérience acquise dans l'exercice de mes multiples responsabilités, notamment à la tête de l'Etat; tenant compte de l'évolution politique, économique et sociale; m'inspirant de ma conception propre de l'autorité et de la mission de l'Etat, ainsi que du prestige qui doit s'y attacher, et me conformant à ma méthode de travail et à ce que les libanais attendent d'un homme qui a l'expérience du pouvoir, j'estime que la situation se présente comme suit :

Les institutions politiques libanaises et les moeurs traditionnelles de la vie publique ne me semblent pas constituer un instrument adapté aux impératifs du redressement libanais tels que le commande dans tous les domaines la décennie qui commence. Nos institutions politiques sont, à beaucoup d'égards, en retard sur les régimes politiques modernes, qui s'inspirent du souci d'assurer l'efficacité de l'Etat.

Nos lois électorales répondent à des données provisoires et passagères. Quant à notre régime économique, les vices de son application favorisent le développement des situations de monopole. Tout cela laisse peu de place à une oeuvre sérieuse sur le plan national.

L'ambition d'une telle oeuvre est l'établissement d'une démocratie parlementaire authentique et durable, la suppression des monopoles, la garantie d'une vie digne et d'une existence meilleure pour les libanais, dans le cadre d'une économie véritablement libérale où sont assurés le travail et l'égalité des chances, et où tout le monde pourra bénéficier des bienfaits d'une démocratie économique et sociale vraie.

Mais les nombreux contacts que j'ai établis et l'analyse à laquelle j'ai procédé m'ont confirmé dans ma conviction que le pays n'est pas encore prêt à admettre ces solutions de fond que je ne saurai d'ailleurs envisager que dans le respect de la l'égalité et des libertés fondamentales, auxquelles j'ai toujours été attaché.

C'est pourquoi j'ai décidé que je ne serai pas candidat à la présidence de la République : En rendant publique cette décision, je remercie les députés, les hommes politiques, les autorités et les citoyens qui m'ont accordé leur confiance. Je leur souhaite de réussir au service du Liban.»

Si les efforts entrepris par le chéhabisme pour remédier aux carences du système politique libanais n'ont pas aboutis, cela est dû aux « pas manqués » du chéhabisme ; à des causes étrangères au Liban lui-même, et à des tares introduites dans la structure de son système politique.

En effet, l'échec du chéhabisme fut le résultat de causes subjectives d'une part, et de causes objectives d'autre part.

La défaite de 1967 a mené à l'affaiblissement du nassérisme, qui était un puissant allié du chéhabisme. L'entente avec Nasser a assuré au chéhabisme une assise de stabilisation sociale et politique. L'opposition et les forces nasséristes qui avait bouleversé le mandat du président Chamoun avaient été intégrées et encadrées par le chéhabisme.

Parallèlement à l'affaiblissement de Nasser, le Moyen-Orient assistait à la montée en puissance de la Résistance palestinienne. Ainsi, avec l'affaiblissement de Nasser et l'émergence de la Résistance palestinienne, l'équilibre politique au Liban commença à montrer des symptômes de déstabilisation.

Les chrétiens se sentaient menacés par la montée de la Résistance palestinienne et sentaient que le Liban allait payer le prix d'une guerre à laquelle ils n'ont pas assisté et que les arabes ont perdu. Suite aux changements intervenus dans l'opinion publique chrétienne, Pierre El Gemayel s'allia avec les deux opposants chrétiens les plus farouches du chéhabisme à savoir  Raymond Eddé et Camille Chamoun et formèrent l'Alliance Tripartite.

Quant à Kamal Joumblatt qui avait énormément bénéficié du règne des chéhabistes, se transforma d'un allié puissant des chéhabistes en un allié de la Résistance palestinienne.

Par le fait, le chéhabisme perdit deux puissants alliés qui lui ont assuré un équilibre confessionnel, politique et social sur une dizaine d'années. L'édifice chéhabiste est devenu fragile face aux transformations régionales qui allaient subvenir, d'autant plus que les sentiments confessionnels s'exacerbaient de plus en plus.

Le Deuxième Bureau dont l'unité et la force étaient assurées par Fouad Chéhab d'un côté et par l'équilibre politique a perdu la protection et la couverture confessionnelle et politique avec le ralliement de Pierre El- Gemayel à l'alliance Tripartite et Kamal Joumblatt à la résistance palestinienne. Les officiers du Deuxième Bureau ne se protégeaient pas par « leurs muscles », mais par l'armée et les hommes politiques chéhabistes tels : Sabri Hamadé, Rachid Karamé, René Mouais, Kamal Joumblatt, Pierre El-Gemayel qui leur assuraient une couverture politique. Cette couverture a été retirée, ainsi, les officiers se sont retrouvaient face à eux-mêmes et face à leurs exagérations et dérives autoritaires.

L'Union Soviétique a exercé des pressions sur Kamal Joumblatt pour empêcher le candidat chéhabiste de gagner les élections présidentielles en estimant que l'élection d'Elias Sarkis serait un facteur de renforcement du Deuxième Bureau et de l'Armée et seraient par la suite capables de contrôler la Résistance palestinienne et les partis de gauche, « le levain de la Révolution arabe ». Ainsi, après deux ans du mandat Frangié, les chéhabistes devinrent minoritaires dans l'armée et l'administration publique, et les élections de 1972 sont venues pour diminuer le nombre des députés chéhabistes.

Ces transformations dans la situation régionale et dans les alliances entre les forces politiques libanaises qui ont transformé l'espace et les conditions de survie du chéhabisme s'ajoutèrent à ses propres limites :

- Le président Chéhab abandonna « l'éventail » en pleine mer en refusant de continuer lui-même ce qu'il avait commencé. Après tout, il était un homme régulateur de conflits capable de résoudre les crises politiques et d'amener les hommes politiques à coopérer entre eux et avec lui, et non pas un révolutionnaire décidé et ferme qui prendrait les risques nécessaires.

- Le chéhabisme avait cru que le développement équilibré, la croissance économique, la redistribution de la richesse nationale et la justice sociale suffiraient pour entamer une modernisation politique et créer une conscience nationale. Mais ce coup d'Etat démocratique ne peut se faire qu'à travers une nouvelle loi électorale qui brise le monopole de la ploutocratie libanaise qui se montrait hostile aux véritables mesures de modernisation.

- Aucune mesure ne fut prise pour absorber et introduire les nouvelles forces sociales dans le système politique en vue de favoriser et de générer du développement politique. Il est apparu qu'il est plus aisé de générer du changement que de l'absorber et de le contenir.

- L'écart entre la parole et la pratique est largement perceptible car peu de ce qui pouvait être fait a été réalisé.

- Lorsque les officiers du Deuxième Bureau perdirent la couverture des hommes politiques, ils se trouvèrent face à eux-mêmes et à leurs dérives ;

- Les chéhabistes n'ont pas pu ou voulu construire un parti politique bien structuré, par le fait le chéhabisme s'est essoufflé en ne bénéficiant pas d'un mouvement politique structuré et d'une réforme constitutionnelle qui lui aurait permis de dépasser le Pacte National.

- La plupart des hommes politiques libanais et des leaders chéhabistes, à l'exception du président Chéhab ne comprenaient et ne savaient pas comment réaliser le programme chéhabiste ; les chéhabistes n'ont pas été chéhabistes jusqu'au bout.

- Le temps n'a pas été suffisant pour introduire des transformations réelles dans le système politique libanais et pour que le projet chéhabiste passe à la maturité.

- L'appareil administratif n'a pas été apte à assumer les tâches nouvelles qui lui incombaient.

- Les chéhabistes ont perdu le contrôle de la présidence de la République qui était indispensable pour la survie du chéhabisme.

A ces fissures dans la mise en pratique du chéhabisme viennent se greffer les carences du système politique libanais qui institutionnalise les clivages ; favorise et se nourrit du clientélisme ; qui est atteint d'une crise de l'autorité ; qui est dirigé par une ploutocratie ; et, qui est figé dans une inertie « de rouille » qui risque de le briser à chaque fois que l'on essaye de le développer. En plus de ces carences, l'application des réformes introduites dans les Accords de Taëf devront faire face à l'éclatement de la centralité du pouvoir et de l'autorité, sources et moteurs de tout projet de modernisation.

Il est nécessaire de préciser que tout projet de modernisation politique au Liban est confronté après tout à cette question cruciale soulevée par Georges Naccache au début de l'expérience chéhabiste et qui relève d'un certain pragmatisme aliénant  : « C'est avec les Libanais comme ils sont, avec les politiciens, valent ce qu'ils valent, c'est avec eux et à travers eux qu'il faut faire un Etat libanais... avec cette conscience amère de la nécessité, pour aboutir, de passer à travers les hommes mêmes qui ont avili l'autorité et dégradé le pouvoir.»

En effet, la modernisation au Liban est prisonnière d'une crise sans horizons. Les décisions de la modernisation souhaitée sont aux mains de ceux qui n'ont pas intérêt à ce que le Liban pénètre dans la modernité. Cette modernisation est synonyme de suicide politique pour la ploutocratie gouvernante qui monopolise le pouvoir et par le fait la modernisation. Quant à la société civile elle est assez dispersée et faible. Ses composantes sont manifestement occupées et préoccupées par des enjeux différents qui expliquent l'absence de perspective.

Aucun moyen d'échapper à cette crise que par l'éducation démocratique, par une prise de conscience populaire et la création d'une opinion publique libanaise qui impose la modernisation par la force. Et avec les interférences étrangères dans les cercles des décisions politiques, l'intérêt national a disparu et la cause libanaise dans la construction d'un Etat moderne est perdue ou presque.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo