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Aspects et fonctions du récit initiatique dans la tradition théosophique de l'Islam

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par Docteur Aboura
Université Aboubekr belkaid Tlemcen - magistère 2002
  

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Chapitre Deux DEUXIEME PARTIE

CHAPITRE PREMIER

L'ORALITE

INITIATIQUE

INTRODUCTION

Depuis l'oeuvre magistrale de Hayy Ibn Yaqdhân d'Ibn Thophaïl, la tradition théosophique de l'islam est sortie de son statisme religieux et a introduit dans son univers initiatique un nouveau mode d'initiation: L'ORALITE INITIATIQUE.

La persécution des maîtres soufis, leur exécution par la doxa religieuse, ainsi que la condamnation de leurs ouvrages ont fait que, les initiés au soufisme ont du vivre dans la totale marginalisation.

Leur espace d'expression fut limité à la Zaouia, lieu ésotérique où les disciples s'initient aux valeurs et symboles de ce nouveau mode. C'est la naissance de la poésie chantée « sama' » et sa transmission de génération en génération qui permettra la continuité de la chaîne spirituelle où chaque école mystique développera son champ métaphorique et marquera les frontières de son univers verbal.

Tout d'abord ce furent les soufis d'Andalousie qui créèrent une tradition de communication avec les mystiques de l'Afrique du Nord. Tous les symboles forgés par Ibn Thophaïl trouvèrent leur terrain d'application dans l'oralité initiatique. C'est ainsi que le concept de l'unité de l'existence a développé une symbolique aussi bien verbale (prose) que poétique.

Du maître au disciple, la chaîne spirituelle s'est transmise par l'oralité prosaïque et poétique. Chaque disciple se devait d'apprendre les vers de son maître et de ceux qui ont précédé. Lorsque la poésie était chantée dans la Zaouia, elle servait de support à la mise en transe mais lorsqu'elle était reprise par les profanes, elle avait une toute autre fonction: entretenir une éthique dans la vie des membres de la communauté ( l'amour platonique, l'amour d'autrui, la modestie, la sincérité, la charité etc...).

C'est dans ce terroir que certains écrivains africains d'expression française sont nés et ont développé leur sensibilité esthétique.

Nous dirons tout de suite que la transition entre le discours sacré et le discoure littéraire s'est opérée grâce à cette oralité et en particulier à cette symbolique poétique chargée de toute la sémantique ésotérique.

Comment s'est opérée sur le terrain cette transition entre le discours sacré qui alimenta le récit initiatique de Hayy Yaqdhân et l'oralité initiatique qui va alimenter les récits initiatiques de certains écrivains africains d'expression française?

Peut-on parler d'une évidente filiation entre l'oeuvre d'Ibn thophaïl, et nos corpus de vérification: cours sur la rive sauvage de Mohammed DIB et l'Aventure Ambiguë de C. Hamidou Kane?

Tout d'abord sur le plan de l'histoire, Tlemcen, la ville natale de Mohammed DIB connut tous les enseignements mystiques développés en Andalousie musulmane à l'époque d'Ibn Thophaïl. Ce fut le Cheikh Moulay Abdel Qader Djilani qui propagea ces enseignements par l'intermédiaire de Sidi Boumédiène mort à Tlemcen (1). En Afrique Noire, plus particulièrement au Sénégal, l'ordre de la Tidjaniya (2) dominait et organisait même le mode de vie et de pensée aussi bien dans la diversité ethnique que les luttes politiques pour le pouvoir. Cette présence mystique était d'une telle ampleur que la littérature n'en put s'échapper:

On racontait les miracles des maîtres, on chantait leur poésie on allait même ne jurer que par leur nom. Le Général P.J. André nous rapporte que « le tidjanisme qui supprime tous les échelons mystiques des autres congrégations, rattache directement la Baraka de ses chefs au prophète Mohammed, ordre de la paix et de la science par excellence, il devint en Afrique noire un ordre guerrier, en raison du caractère de ses chefs locaux. L'ordre s'est développé de la Mauritanie au Kordofan. »(3).

Il faut comprendre que sur le plan de l'histoire, que toute l'oralité africaine avait un contenu théosophique, même s'agissant de l'organisation politique des tribus et des ethnies.

Du discours sacré à l'oralité initiatique, le même auteur cité supra nous explique qu'au « saint visionnaire, à l'ascète, à l'école des « qadrias » conduisant à l'extase hystérique, à celle des « khalouatïas » provoquant des éclats extatiques par des méthodes différentes d'entraînement physiologique, succède la philosophie qui revient aux principes substantiels du soufisme, et sans pratiques bruyantes parvient aussi à l'anéantissement de l'individualité et à l'absorption de l'âme dans l'essence de Dieu  »(4).

Sur le plan de la littérature, DIB, qui aura tenté son récit initiatique à contenu théosophique nous rend compte de cette extase dans l'écriture, par la bouche de son narrateur-témoin :

« mais la vie n'est pas toujours notre vie, elle est sommeil succinct dans les schistes, dissolution dans les eaux; immobilité et écoulement; nuit. Il doit en être ainsi, de toute nécessité. En sécurité pourtant, me voici en sécurité. Aspergé de ce sang qui s'écoule de ma poitrine, de mes lèvres, de mes yeux, sang dont j'ai le goût à la bouche, l'odeur aux narines, je t'appelle parfois, Hellé, et ne reçois jamais de réponses: » Cours sur la rive sauvage.P. 158 (5).

En abordant l'étude du récit de DIB, nous permettons à l'analyse littéraire de se libérer d'un préjugé longtemps entretenu par certains auteurs qui ont cru que l'écriture de DIB relève soit de l'utopie, de la science fiction ou encore du surréalisme. Se cantonner dans ces orientations de lecture, c'est priver la littérature maghrébine d'expression française d'un de ses aspects les plus fondamentaux: l'écriture initiatique à contenu théosophique.

Concernant le roman de Kane, l'Aventure ambiguë, il exprime aussi cette littérature mystique qui ne réussit pas à dire son nom puisque la langue française empêche cette oralité initiatique d'apparaître au grand jour. Kane s'en remet à l'autobiographie, mais charge son écriture de toutes les questions ontologiques de son peuple confronté à l'occident qui menace son identité séculaire.

Par conséquent, il s'agit dans cette étude de comprendre comment cette oralité africaine a pu conditionner tous les écrits littéraires africains. Concernant notre genre, le récit initiatique, c'est à partir de la parole du maître que toutes les possibilités de l'écriture vont se concrétiser mais sur le terrain du conflit entre le « même » et « l'autre », entre la vision du monde d'un peuple enraciné dans sa culture ancestrale et celle de « l'autre » qui se voyait donner la mission de civilisateur (l'homme occidental).

Inévitablement, l'oralité africaine qui initialement avait pour seule fonction de transmettre un patrimoine culturel se devait maintenant d'initier l'homme africain à se réconcilier avec sa divinité. La mission est d'autant plus difficile car l'homme africain a trouvé un autre modèle: l'Occident. Sur le terrain du choix conflictuel, les littératures africaines témoignent de cette lutte du modèle et notre genre initiatique ne put en échapper.

A ce sujet, Mohammadou Kane nous dit que » la prééminence du thème de l'échec s'explique par la convergence du manichéisme et du pessimisme, elle permet de se demander si le progrès est possible et à quelles conditions, s'il est concevable sans la tradition. Elle légitime la considération attentive des tensions et conflits dans l'univers romanesque qui semblent inhérents à la situation de confrontation entre la tradition et le progrès et qui constituent, au regard de la création littéraire, autant de techniques de dramatisation. » (6)

Cette confrontation des deux cultures, l'une dominante par son fait historique et non parce qu'elle est le substitut civilisationnel, l'autre, dominée aussi par le fait colonial et non pas parce qu'elle ne répond plus aux besoins du progrès, crée le dynamisme même de l'écriture et marque la spécificité du roman africain où les personnages sont en réalité les types-actants de ce conflit et non les modèles de personnage représentatifs de l'africanité stéréotypés par l'homme blanc.

Le modèle le plus significatif de cette oralité initiatique à contenu théosophique est pour l'Afrique noire, Tierno BOKAR (7) et pour l'Afrique du nord, CHEIKH AHMED EL ALLAOUI (8). Ces deux maîtres mystiques musulmans ont synthétisé tous les enseignements de la tradition théosophique de l'islam et ont créé deux écoles qui se rejoignent sur le fond mais diffèrent sur la forme.

Nous avons pris ces deux oeuvres pour l'étude de cette oralité initiatique parce que ces deux maîtres de la parole ont permis à la littérature africaine d'expression française de puiser leurs référents aussi bien sur le plan esthético-verbal que sur le plan symbolique.

Rappelons que le Sénégal et le nord de l'Afrique ont été marqués par cette culture orale mystique depuis plusieurs siècles. Une étude de l'administration coloniale française nous rapporte que:

«Les confréries religieuses musulmanes en Afrique noire de même qu'en Afrique du nord, filiales des grands ordres religieux du monde islamique issus du soufisme, se sont adaptées à la mentalité et au particularisme des africains. Il semble même, qu'à l'instar des conquérants toucouleurs d'autrefois certains affiliés songent, de même que le tentent les darqaoua, à réaliser un jour l'union des diverses congrégations. Cette union spirituelle et temporelle, notamment celle des qadria et des Tidjaniya pourrait remplacer sur un autre plan l'ancien empire musulman dont rêvaient les peuhls et les toucouleurs.

Le cheikh Si Ahmed El Tidjani d'Algérie a en 1953-54 fait une tournée en Afrique Noire pour essayer de renouer les liens disparus entre les deux rives du Sahara » (9).

Nous ne voulons pas ici faire toute l'histoire du soufisme en Afrique car ce n'est pas ici l'objet de notre étude mais nous renvoyons par les deux notes citées supra, aux études qui ont été faites à ce sujet.

Notre intention est de montrer que la filiation dont nous avions parlé entre le discours théosophique d'Ibn Thophaïl et l'oralité initiatique ne peut être que confirmée. Quant à l'africanité de Dib, c'est en 1964, date d'apparition de Cours sur la rive sauvage qu'il déclare lui-même «  être Africain quand il fallait l'être » il est «  rendu à ses propres problèmes personnels »; il va donc tenter «  l'Aventure littéraire » comme le fera Hamidou Kane en tentant pour sa part «  l'Aventure ambiguë ». Ces deux auteurs vont laisser surgir leur oralité en contrat de quête spirituelle.

Il convient maintenant d'étudier cette oralité initiatique afin de découvrir les espaces symboliques et référentiels d'où surgiront les écritures de ces deux auteurs africains d'expression française.

1-EMERGENCE DE L'ORALITE INITIATIQUE.

Tout d'abord qu'entendons-nous par oralité initiatique?

C'est la parole du Maître qui remonte des profondeurs de son âme, c'est encore la parole des Maîtres du soufisme qui font part de leurs intuitions extatiques et les confient à leurs disciples, jaloux des secrets de la sagesse illuminative.

C'est ensuite la parole qui exorcise et qui dénoue cette angoisse existentielle en réconciliant l'homme avec sa divinité.

C'est encore la parole principielle chargée de la Mémoire de l'Etre et que l'homme doit toujours répéter au risque de l'anéantissement absolu. Cette parole, Hamidou Kane lui donne la fonction de mortificatrice et, par la bouche de son personnage, le maître des Diallobé, la fait répéter sans cesse au jeune initié Samba Diallo:

«  Sois précis en répétant la parole de ton Seigneur... Il t'a fait la grâce de descendre son Verbe jusqu'à toi. Ces paroles, le Maître du Monde les a véritablement prononcées. Et toi, misérable moisissure de la terre, quand tu as l'honneur de les répéter après lui, tu te négliges au point de les profaner. Tu mérites qu'on te coupe mille fois la langue... «  L'Aventure Ambiguë P.14

L'oralité initiatique est enfin la parole que les maîtres de l'Afrique ont enseignée durant des siècles afin de préserver le patrimoine de l'Humanité.

Dans la tradition théosophique de l'Islam, le Maître est l'intermédiaire entre la parole principielle et celle contingente. L'oralité initiatique doit avant tout émerger de la bouche du maître de la parole. Dans sa littérature mystique, le Cheikh Ahmed El Allaoui nous explique la fonction du maître dans l'univers mystique de cette oralité:

« Si celui qui appelle vient à offrir son aide, en faisant allusion

à la Vérité qu'il a réalisée, à la station suprême.

garde-toi d'insouciance et considère avec soin ses paroles.

Interroge-le sur l'Union et vois s'il la reflète.

S'il dit qu'elle est lointaine, il en est lui-même éloigné.

Mais s'il affirme proche, tiens-le pour le plus digne d'être suivi;

pour toi, il aplanira le chemin vers la vérité

par laquelle tu pourras rechercher la face de Dieu .

Dés la première rencontre, sur-le-champ, il s'emparera de toi

et sur le sentier du Seigneur il placera ton pied,

fixe dans l'oeil de ton âme les lettres du Nom,

par la grâce du maître, sur les horizons tu verras resplendir

ces lettres qui ne sont ailleurs que dans ton coeur,

et le Nom devenu tien, toute distraction s'évanouira.

Alors, agrandis ces lettres autant que tu pourras,

sur toutes choses, grandes ou humbles, trace-les.

en fixant en ton oeil le Nom, tu t'élèveras par sa lumière

jusqu'au point ou les mondes en néant s'évaporent.

Cela à l'ordre du seul Cheikh, non au tien toutefois.

Il est l'index de Dieu .

Aussi fais-lui confiance pour t'enlever aux liens qui t'emprisonnent

t'emmenant vers la liberté des libertés, vers le premier,

vers celui qui précède tous les commencements,

En l'essence duquel, comme rien, tu vois l'univers tout entier.

Moins que rien dans l'infinité du Seigneur.

tu t'évanouis dés que l 'infini apparaît,

parce que « tu » n'as jamais été, pas même un seul instant.

tu ne vois pas qui tu es, car tu es, mais non « toi ».

Tu subsistes, mais non comme toi même; il n'est puissance que de Dieu .

Après ton extinction, à l'éternité tu dois naître,

à l'éternité de l'éternité.

Au sommet de toute altitude; et voici que nos cavaliers s'arrêtent face à face avec la Vérité ». (10)

La fonction de la parole du Maître de la parole est, avons-nous dit, de réconcilier l'homme avec sa divinité tout en lui redonnant la parole puisqu'il se doit lui même être créateur de sa propre parole. Il est à considérer que l'univers référentiel de l'Afrique est avant tout celui du maître de la parole car les enseignements ne sortent ni du livre ni de l'école tels qu'on les conçoit dans le monde occidental. Amadou Ampâté Bâ nous dit que « lorsqu'un vieillard meurt en Afrique, c'est une bibliothèque qui brûle . »

Pourquoi donner une si grande importance au Maître en Afrique? C'est parce que la notion de personne en Afrique est paradoxalement différente de celle donnée en occident:

La parole est extrêmement liée à la catégorie de personne qui la donne. Amadou Ampâté Bâ nous explique encore que la « parole, (Kuma) permet d'extérioriser le génie des grands esprits. C'est par elle que la haute pensée prend un beau corps. Quelle que soit la qualité ou la rudesse d'un esprit, si « Kuma » n'intervenait, il passerait inaperçu. C'est grâce à « Kuma » que la pensée prend corps et devient langage. »

La tradition peule (11), de son côté, enseigne qu'il existe 9 catégories de personnes, en relation avec les 9 ouvertures symboliques du corps, les 9 os du crâne et les 9 nombres-mères fondamentaux

Ces 9 catégories se subdivisent en trois parties, de trois fractions chacune.

«La partie le plus élevée correspond aux sages, aux êtres supérieurs, élevés par la qualité de leur être et de leur intelligence. Ce sont ceux que «  Gueno » (Dieu) a envoyés et qui se dévouent pour le bien des hommes ». (12)

Nous voyons par ces explications données par Ampâté Bâ, que la notion de personne en Afrique Noire est identique à la vision mystique que lui donne le Cheikh al-Alaoui «  garde-toi d'insouciance et considère avec soin ses paroles », « il est l'index de Dieu», « aussi fais-lui confiance pour t'enlever aux liens qui t'emprisonnent ».

Ces mêmes paroles sont devenues source de réflexion sur l'univers des hommes. Le narrateur du récit initiatique conçoit donc ces paroles comme le méta-texte d'où émergera le phénotexte. Seule une lecture qui arrive à décoder ce méta-texte pourra effectivement comprendre les référents du texte initiatique. Nous allons voir donc comment s'opère la narration à partir de cette poésie citée de Cheikh al-Allaoui.

2-LA NARRATION DANS LA NARRATION..

Lorsque nous avions étudié le récit de Hayy Ibn Yaqdhân, nous avions traité la question de la narration en soulignant la notion d'instance narrative. Nous avions dit que le récit de Hayy mettait en place les trois instances narratives: le « je » du discours de la théosophie musulmane, le « je » de l'auteur qui écrit son autopsychégraphie et le « je » du narrateur qui se soumet aux contraintes de la langue avec laquelle il traduit les états de contemplation du narrateur initié.

Concernant l'écriture de l'oralité initiatique, le « je » du discours de la théosophie devient authentique par la symbolique poétique, puisqu'il connaît les sentences de mort qui ont été exécutées à l'encontre de ses prédécesseurs. Sa parole doit être donc métaphorique voire allégorique. L'univers de la parole doit aussi être soutenu par un ésotérisme déroutant.

Dans cette oralité initiatique, le narrateur du récit initiatique va lui aussi masquer les vérités du Maître de la parole pour ne faire apparaître que l'aspect esthétique. La poésie de Cheikh al-Allaoui est l'exemple de ce jeu des « je » des instances narratives. Par conséquent, un contrat de confiance doit s'installer entre le maître et son disciple. Il doit informer son contractant, du moins du code de lecture et de la connaissance du registre des mots et symboles utilisés.

3-LE CONTRAT DE LA PAROLE.

Nous avions vu dans le récit de Hayy Ibn Yaqdhân que le contrat fiduciaire mettait en situation de contrat un demandeur d'initiation et un initiateur, « tu m'as demandé, frère généreux et sincère (...) de te révéler ce que je pourrais des secrets de la philosophie illuminative communiqués par le Maître, le prince des philosophes, Abou Ali Ibn Sina (Avicenne). Sache le bien: celui qui veut la vérité pure doit chercher ces secrets et travailler à en obtenir la connaissance. » H.I.Y.P.2

Cette formule d'envoi du récit initiatique d'Ibn Thophail supposait un demandeur que nous avions conceptualisé comme étant le premier opérateur du récit.

Concernant l'oralité initiatique exprimée poétiquement dans les vers chantés de cheikh al-Allaoui, c'est le Maître qui convoque l'initiation « si celui qui appelle vient à offrir son aide, en faisant allusion à la vérité qu'il a réalisée, à la station suprême, garde-toi d'insouciance et considère avec soin ses paroles ».

Le chant ou le champ de l'oralité initiatique sont l'expression de ce « kuma » africain qui devient un contrat implicite entre le maître de l'oralité et le demandeur de l'initiation. Il devient l'interprète de cette oralité dans la langue de « l'autre » et doit traduire cette union entre l'initié et Dieu sans réveiller les soupçons de la doxa religieuse qui ne trouve aucun répit à harceler les mystiques musulmans.

Le lieu du dire de la Parole qui initie provient indiscutablement de cet espace contractuel entre le Maître de la parole et le disciple, demandeur d'initiation. L'univers de l'oralité en Afrique est semblable à celui de l'instance narrative développée par les mystiques de l'Andalousie musulmane. La seule différence réside dans l'écriture du discours théosophique. Nous avions déjà pris le soin d'expliquer ce transfert des valeurs initiatiques, opéré par la mise en place d'un discours ésotérique, transposé de la prose vers la poésie. L'initié doit décoder toute la sémantique poétique de ses maîtres et en garder jalousement les secrets:

« par la grâce du maître, sur les horizons tu verras resplendir ces lettres (comprendre ces mots) qui ne sont ailleurs que dans ton coeur, et le Nom devenu tien, toute distraction s'évanouira. » (poésie citée supra).

Le contrat fiduciaire change ainsi son statut et son registre de lecture, il se transpose au registre de la parole: « fixe dans l'oeil de ton âme (ici, il s'agit de l'écoute) les lettres du nom (ici les sons de la Parole) ». Tandis que dans la tradition initiatique orale développée par le discours théosophique de H.I.Y , il se confie plutôt à l'écriture: « accepte ce que tu vois et laisse là, ce que tu as entendu dire. » « Quand le soleil se lève, il te permet de te passer de Saturne. » H.I.Y.P.14 « cette sagesse peut servir d'exemple pour ceux qui savent comprendre et  d'avertissement pour tout homme qui a un coeur, ou prête l'oreille et voit » (Coran L.36 cité par Ibn thophaïl.P.18..

Rappelons, pour le besoin de notre cause, une note de l'histoire de la littérature en Afrique coloniale: Nous savons que les écrivains africains d'expression française étaient interdits d'écriture sinon pour glorifier les nations colonisatrices, en développant le discours de l'assimilation ou de l'intégration. Durant toute la période de colonisation, les Maîtres africains ont préservé leur culture grâce à cette oralité qui a pu sauver la culture africaine. L'exemple des griots est très significatif.

La force et la fonction de cette oralité africaine sont plus pertinentes dans la littérature orale. Lorsque Amadou Ampâté Bâ viendra à témoigner de ses mémoires, il nous dira que « dès l'enfance, nous étions entraînés à observer, à regarder, à écouter, si bien que tout événement s'inscrivait dans notre mémoire comme dans une cire vierge. Tout y était: le décor, les personnages, les paroles, jusqu'à leurs costumes dans les moindres détails. Quand je décris le costume du premier commandant de cercle que j'ai vu de près dans mon enfance, par exemple, je n'ai pas besoin de me « souvenir », je le vois sur une sorte d'écran intérieur, et je n'ai plus qu'à décrire ce que je vois. Pour décrire une scène, je n'ai qu'à la revivre. Et si un récit m'a été apporté par quelqu'un, ce n'est pas seulement le récit que ma mémoire a enregistré, mais toute la scène: l'attitude du narrateur, son costume, ses gestes, ses mimiques, les bruits ambiants, par exemple les sons de guitare dont jouait le griot Diêli Maadi tandis que Wangrin me racontait sa vie, et que j'entends encore... » et plus loin il généralise cette grande faculté de mémorisation à tous les africains, « c'est pourquoi il est très difficile à un africain de ma génération de « résumer ». On raconte en totalité ou on ne raconte pas. On ne se lasse jamais d'entendre et de réentendre la même histoire, La répétition pour nous n'est pas un défaut. » (Amkoullel, l'enfant peul; mémoires, actes sud, 1991. P.13)

Par ce témoignage d'autorité de la grande mémoire africaine, nous ne devons plus douter de la force de cette oralité.

Transposant cette faculté caractérielle africaine sur le plan de l'oralité initiatique, Amadou ampate Bâ nous rapporte les enseignements de son vénéré maître, le Sage de Bandiagara, Tierno Bokar:

« La parole est un fruit dont l'écorce s'appelle « bavardage », la chair « éloquence » et le noyau « bon sens ».Dés l'instant où un être est doué du verbe, quel que soit son degré d'évolution il compte dans la classe des grands privilégiés, car le verbe est le don le plus merveilleux que Dieu ait fait à sa créature.

Le verbe est un attribut divin, aussi éternel que Dieu lui-même. C'est par la puissance du verbe que tout a été créé émanant à l'homme; le verbe, Dieu lui a délégué une part de sa puissance créatrice. C'est par la puissance du verbe que l'homme, lui aussi, créé. Il crée non seulement pour assurer les relations indispensables à son existence matérielle, mais aussi pour assurer le viatique qui ouvre pour lui les portes de la béatitude. Une chose devient ce que le verbe lui dit d'être. Dieu dit: « soit » et la créature répond « je suis ».(13)

Nous voyons ici que la notion de parole est distincte de celle que les occidentaux lui donnent. Le mot est « un attribut divin », la tradition théosophique de l'islam lui donne la fonction de créateur « une chose devient ce que le verbe lui dit d'être ». Au plan de la littérature orale, il garde la même fonction puisque le verbe transmis dans l'espace de l'initiation doit permettre à l'initié de se reproduire dans le langage et d'accéder à la station de contemplation destinée. Les mots vivent l'histoire de la création, ils ne racontent pas mais transforment le sens en essence. Celui qui parle, reproduit la création, et celui qui écoute y participe.

Dans la littérature initiatique africaine, la force du verbe met l'écriture en situation conflictuelle puisqu'elle doit rendre compte d'un état d'âme et respecter les normes de la diégèse; ce qui lui donne un style tout différent. Pour l'auteur de l'Aventure ambiguë, Mohammadou Kane nous dit « qu'il tient bien peu compte du milieu naturel, comme chez bon nombre de romanciers africains, il restreint son attention au milieu humain. La réussite d'un passage comme celui de « la nuit du Coran » reste inséparable de l'attention au milieu culturel (p.91) ». L'auteur y unit la majesté du verbe à la profondeur de la nuit et au scintillement des étoiles.(...) On comprend l'impatience de Pierre Henri Simon (in le Monde, 26 juillet 1961) qui devant ce manque de sensibilité, l'éclat du style et la densité des propos, reproche à l'auteur de « faire parler ses personnages comme à un congrès de philosophes ». (14)

L'oralité africaine, par conséquent, est plus chargée de communiquer une culture, une vision du monde et des vérités que d'identifier la communauté linguistique par le simple langage. Hampaté Bâ conforte nos propos concernant cette parole créatrice en nous disant que « dans ce pays où, pendant des millénaires, seuls les sages eurent le droit de parler, dans ce pays où la tradition orale a eu la rigueur des écrits les plus sacrés, la parole est devenue sacrée. Dans la mesure où l'Afrique noire a été dépourvue d'un système d'écriture pratique, elle a entretenu le culte de la parole, du « verbe fécondant ».(15).

Pour notre part et, concernant l'étude de cette oralité initiatique qui va permettre, durant des siècles, à l'écriture initiatique de se conserver puis de se métamorphoser en écriture symbolique, nous avions dit que c'était seulement l'espace des zaouiat qui a entretenu les discours théosophiques en le confiant jalousement à la poésie mystique et en le transmettant d'un maître de la parole à son successeur.

Afin d'être plus explicite dans nos arguments, il est nécessaire de passer en revue la chaîne spirituelle depuis Ibn thophaïl, notre grille de lecture, jusqu'aux maîtres de la Parole contemporains à nos écrivains africains d'expression française. Nous renvoyons nos commentaires à la note,« la chaîne spirituelle »,  en fin de chapitre.

Martin Lings nous explique que « cet arbre de la généalogie spirituelle des Alawiyyah a été tiré principalement de Irshâd al-Raghibin par Hassan Ibn-Abd al-Aziz, disciple du Cheikh et complétée à partir d'un manuscrit appartenant à un autre disciple, et de l'ouvrage Al-Anwâr al-Qudsiyya, pp. 15 à 42. Muhammad Zâfir al-Madani. »(16).

Pour comprendre le mode de transmission de la chaîne spirituelle, il serait intéressant de lire comment un maître de la parole mystique recevait le « Idn », l'autorisation de créer une école mystique; en voici un exemple, celui du Maître de la Parole initiatique qui alimenta le discours théosophique en Afrique du Nord, le Cheikh Ahmed El-Alaoui de Mostaganem.Il dit:

« Quand j'eus recueilli le fruit du dhikr (17)-- et sont fruit n'est rien de moins que la connaissance de Dieu par la voie de la contemplation-- je vis clairement la minceur de tout ce que j'ai appris sur la doctrine de l'Unicité Divine et je compris le sens des paroles de mon Maître à ce sujet (18). Il me dit alors d'assister une fois encore aux enseignements que j'avais suivis antérieurement, et, lorsque je le fis, je me trouvais doué d'une compréhension totalement différente de ce qu'elle était avant. Je comprenais maintenant les choses par anticipation, avant que le Cheikh qui nous enseignait eût fini de les exposer.(...) Pour en revenir à ce que je disais, lorsque après de longs jours, je fus libéré de l'obligation de me consacrer exclusivement au Nom Divin, mon Maître me dit: « Maintenant, il te faut parler et guider les hommes vers cette voie; puisque maintenant tu sais avec certitude où tu te trouves. « Je dis: »Crois-tu qu'ils me comprendront? » et il répondit: « Tu seras comme un lion: tout ce sur quoi tu mettras la main, tu en seras le maître. « il en fut comme il l'avait affirmé: chaque fois que je parlais à quelqu'un dans l'intention de le conduire vers la voie, il était guidé par mes paroles et suivait le chemin que je lui indiquais; ainsi grâce à Dieu cette confrérie s'accrût. »

Ailleurs il dit: « Notre maître Sidi Muhammad Al-Bûzîdî, nous pressait toujours de visiter la tombe du Cheikh shùaîb abù medien (19) à Tlemcen. Il parlait de lui avec grande vénération, affirmait que les prières faites sur sa tombe étaient exaucées. (20)

Depuis la naissance du soufisme ou théosophie musulmane, les modes de transmission de la chaîne furent ainsi: Un Cheikh fait la formation de son disciple et lui recommande de s'en remettre à un autre de rang plus élevé comme ce fut le cas d'al-Alaoui de Mostaganem et de Tierno Bokar du Sénégal ( le sage de Bandiagara).

Quant au contenu de cette oralité initiatique, il est étonnant de constater que partout dans les sphères de l'initiation, les mêmes signes et symboles sont utilisés aussi bien dans les zaouiat que les verbes poétiques chantés dans les mises en transe.

4-LE VERBE INITIATIQUE .

Nous définissons le verbe initiatique comme étant l'acte de parole par lequel le disciple accomplit son initiation. Il est tenu pour vrai et non contradictoire. Ne peut faire l'objet de spéculation ou de remise en cause. C'est le « Wird » par excellence (21). La parole devient souffle. Nous retrouvons là l'ouverture du récit de Hayy Ibn Yaqdhân lorsque Ibn Thophail dit: « tu m'as demandé, frère généreux et sincère de t'insuffler « abûthû » ce que je pourrais des secrets de la sagesse illuminative. « H.I.Y.P.I

Nous comprenons par là que le verbe initiatique est injonctif dans le sens ou il rétablit l'ordre dans le désordre de la pensée profane. Pour ce faire, le maître de la parole doit en respecter les degrés d'initiation, « maquamat » et respecter les stations dans le parcours initiatique: la mortification, la descente en enfer et enfin la résurrection.

5-LA MORTIFICATION DANS/PAR LA PAROLE.

Tout d'abord, il convient de construire le schéma de la parole en parodiant le schéma de la communication:

a) l'émetteur: Le Maître de la parole ou l'incarnation de Dieu sur terre. C'est la théophanie du Verbe, le « Wird » par essence, le « soit » de la création.

b) Le Récepteur: Le « murid », le demandeur d'initiation, celui qui doit tuer sa propre parole et revivre par la seule parole du Maître.

c) Le Canal: les images métaphoriques de la langue arabe.

d) Le Code: Les signes et symboles, les mythes et rites de la culture du terroir.

e) Le bruit: La raison des autres ou le I/3 exclus: la raison et la connaissance des profanes sont des empêchements « awarid » à l'acquisition des sciences ésotériques.

Par conséquent, La mortification dans/ par la parole doit être le procédé par lequel les mots conventionnels doivent disparaître douloureusement au profit du Verbe initiatique. Pour Tierno Bokar, La puissance du Verbe créateur, comme d'ailleurs, de toute parole professée, était liée aux vibrations.

Il dit:  « Dans l'univers, et à tous les niveaux, tout est vibrations. Seules les différences de vitesse de ces vibrations nous empêchent de percevoir les réalités que nous appelons invisibles.  » Tierno Bokar donnait, pour illustrer cette puissance du verbe, l'exemple de l'hélice d'un avion qui, à partir d'une vitesse de rotation, devient invisible mais explique que dès que la parole créatrice est écrite, son mystère peut être approché à travers la science traditionnelle des lettres et des nombres.

Nous comprenons par là que chaque parole a sa propre vibration en fonction de la puissance de son contenu. Ainsi par ces forces vibratoires, la doctrine soufie ou théosophie a pu développer son propre discours dans la poétique mystique qui sert de relais initiatique entre l'écriture et l'oralité puis revenir à l'écriture lorsque les conditions de la littérature libre se voient réunies.

Cette dialectique entre l'écriture et l'oralité demeure en perpétuel mouvement de submersion et d'émergence tant que les pouvoirs politico - religieux n'assurent pas cette liberté de culte dans le respect des croyances. Mais grâce à la poésie mystique (oralité initiatique), la Doctrine théosophique a pu se perpétuer sans altérations majeures. Elle a fonctionné comme un véritable relais initiatique.

6-LES RELAIS INITIATIQUES

Par cette oralité poétique, la littérature initiatique à pu s'enrichir de métaphores et de symboles. Voici à titre d'exemple une poésie générique de toute la sémantique initiatique développée aussi bien dans l'oeuvre de Mohammed Dib que dans celle de Hamidou Kane.

6.1. Le Vin, « Khamra »

Douceur de la boisson des gens: La saveur dont je parle

ne saurait désigner ni le vin ni le miel.

Mais un breuvage antique surpassant tout ce que j'en puis dire;

car toujours les mots manquent à celui qui décrit la beauté.

la coupe est comme le Nectar, elle peut aussi être bue,

quelle soit elle-même suffisante, je l'affirme.

Coupe merveilleuse par elle seule étanchant toute soif,

et faisant d'elle même ,à la ronde le tour des amoureux.

Parmi ses qualités, se trouve sur son bord une inscription magique.

Qui regarde ce sceau, toute force le quitte.

O Merveille, je n'ai point divulgué son secret.

Un autre que moi, l'ayant bue n'eût plus jeûné ni prié.

L'imam apercevant l'éclat de sa beauté

S'inclinerait vers elle plutôt que vers la Mecque.

Venant, en leur leçon, à sentir son parfum

les docteurs sur-le-champ, cesseraient d'enseigner.

Le pèlerin courant de safâ à Marwah

s'arrêterait s'il voyait sa splendeur et ne reviendrait pas

faire le tour de l'antique demeure ni baiser la Pierre noire.

Bien plus, bord de cette coupe ordonne à chacun qu'il la baise

là ou il voit, en son propre reflet

le but de sa recherche, comment donc se contiendrait-il

celui qui s'était cru vil et d'honneur se trouve comblé?

Du triomphe et d'allégresse, il lui faut briser les limites

ce vin très vieux, le plus rare qu'il soit,

N'incite pas au mal et tu n'as pas à vaincre d'être troublé par lui.

En lui, chaleur ni froid,

il ne fait point faillir les esprits par ses brumes.

ce vin subtil, insaisissable, échappe à ce que j'en puis dire

car toujours les mots manquent à celui qui décrit la beauté. (23)

C'est, par conséquent, cette oralité poétique qui a libéré la littérature des mains de la doctrine puriste. L'écrivain, reprenant l'univers de la métaphore et l'allégorie rejoint les registres d'Ibn Thophail et manifeste son incapacité à décrire par les mots dénotés les images mentales qui rendent compte du parcours initiatique de son personnage: « quant à la condition dont nous avons parlé, elle est autre; mais elle est la même en ce sens que rien ne s'y révèle qui diffère de ce qui révélé, de celle-ci. Elle s'en distingue seulement par une plus grande clarté, et parce que l'intuition s'y produit avec une qualité que nous appelons force par pure métaphore, faute de trouver, soit dans la langue générale, soit dans la terminologie technique, des mots propres à rendre la qualité avec laquelle se produit cette sorte d'intuition »H.I.Y.P.4

C'est dans cette descente en enfer (l'enfer des mots)que le verbe du néophyte doit périr pour ne laisser que l'image métaphorique créée par la parole du maître de la parole. C'est l'unique relais initiatique contracté dans cette relation fiduciaire dont nous avions parlé dans notre première partie.

Quant à cet univers métaphorique, nous énumérons à titre d'exemple les sèmes récurrents dans cette oralité poétique initiatique à partir de la poésie mystique du Maître soufi de la confrérie allaouite citée supra.

6.2.Le Goût sublime.

« Mais dans un breuvage antique surpassant tout ce que j'en puis dire » : il s'agit ici du regard de l'âme polie et tournée vers son essence. Cette âme qui après la descente en enfer se mire et se reconnaît dans la face de Dieu qu'elle contemple. Nous retrouvons ici la correspondance avec un passage de Hayy Ibn Yaqdhân lorsque le narrateur dit:

« parvenu à l'absorption pure, au complet anéantissement de la conscience de soi, à l'Union véritable, il vit intuitivement que la sphère suprême, possède une essence de matière, qui n'est pas l'essence de l'unique, du Véritable, qui n'est pas non plus la sphère elle même, ni quelque chose de différent de l'une ou de l'autre, mais qui est comme l'image du soleil reflétée dans un miroir poli: cette image n'est pas le soleil, ni le miroir, ni quelque chose différent de l'un ou de l'autre. Il vit que l'essence de cette sphère, essence séparée, a une perfection, une splendeur, une beauté trop grande pour que la langue puisse les exprimer, trop subtile, pour revêtir la forme de lettres ou de sons. Il vit que cette essence atteint au plus haut degré de félicité, de la joie, du contentement et de l'allégresse, par l'intuition de l'Essence du Véritable, du Glorieux. « H.I.Y.P.93

Nous voyons par cette étude comparative qu'une seule métaphore pourra remplacer tout un discours théosophique. Par conséquent nous serons crédibles de poser cette fonction: La métaphore dans le récit initiatique à contenu théosophique remplace tout un discours théosophique doctrinal.

Nous situons, à ce niveau d'expression, les débuts de la métamorphose du récit initiatique. Cela nous permettra plus loin de comprendre le récit impossible engagé par Mohammed Dib, « cours sur la rive sauvage ».L'expression métaphorique irradie sur la diégèse et lui donne cet aspect que l'on avait qualifié d'utopie ou de surréalisme.

6.3.L'inscription magique.

« Coupe merveilleuse, par elle seule étanchant toute soif,

et faisant d'elle même, à la ronde, le tour des amoureux »

« parmi ses qualités, se trouve sur son bord une inscription magique . » :

L'allusion est faite ici aux initiés qui se trouvent dans leur union extatique autour de la même flamme qui les anime: l'amour de Dieu dans son sens platonicien et panthéique. Quant à l'inscription magique dont parle le poète mystique, ce sont les lettres qui commencent certains versets du Coran: « alif » « alif-lam », « alif » « lam » « -mim », « Kaf-ha-ain-çad » etc... Ce sont certaines voyelles et consonnes de l'alphabet arabe qu'aucun exégète n'a pu déchiffrer et qui demeurent le plus grand mystère des textes coraniques. Les soufis prétendent en connaître les significations par intuition extatique. Certains soufis prétendent aussi que c'est l'anagramme du nom véritable de Dieu, d'autre spéculent enfin que ce sont les clés des cieux et des secrets du monde sublunaire dont parlait le maître Ibn Sina (Avicenne). et qu'Ibn Thophail a repris dans son récit, Hayy, (page 93).

De part cette hypothèse et connaissant la valeur des mots et des lettres, la tradition théosophique de l'islam a développé un des niveaux de son discours ésotérique en réutilisant la magie de ces mots. Ce qui a permis plus tard à la littérature mystique d'investir les signes et symboles (nous renvoyons à ce sujet au commentaire de Moise de Narbonne (1300-1362) sur le Hayy Ibn Yaqdhân) (24).

Transposant ces valeurs initiatiques sur le plan de la littérature africaine d'expression française et en particulier son genre initiatique on parlera plutôt de transcription d'un état d'âme, de matérialisation d'une pensée mythique et/ou mystique dans un univers romanesque livré aux contraintes de la langue française.

A partir des inscriptions magiques de ces valeurs religieuses se sont développés d'autres transcriptions magiques dans l'univers de l'esthétique littéraire où le secret mystique et l'intrigue romanesque se laissent combiner dans une texture très complexe.

6.4.Le secret mystique.

« qui regarde ce sceau, toute force le quitte

Ô Merveille! je n'ai point divulgué son secret:

Un autre que moi, l'ayant bue, n'eût plus jeûné ni prié »:

Ces vers que la littérature mystique a investi dans la poésie d'initiation rendent compte de tout un discours théosophique entrepris à l'époque d'Ibn Thophail lorsqu'il nous affirme dans son épître: « voilà l'histoire de Hayy Ibn Yaqdhân, Açal et Salàman. Ce récit comprend beaucoup de choses qui ne se trouvent dans aucun écrit et qu'on ne peut entendre dans aucun des récits oraux qui ont cours. Il relève de la science cachée (...) en le publiant, nous nous sommes écartés de la conduite suivie par nos vertueux prédécesseurs, qui étaient jaloux d'un tel secret et s'en montraient avares. H.I.Y.P.113.

La métamorphose du récit initiatique dans l'oeuvre de Dib, Cours sur la rive sauvage, réactualise la notion de secret initiatique par le procédé de la quête de l'absence dont nous avions parlé en citant Todorov dans notre étude de la problématique du Contrat Fiduciaire.

Nous annonçons déjà que le secret dans les récents récits initiatiques fonctionne comme un système où les structures narratives subissent des transformations en fonction de l'évolution de la quête du récit. Cet aspect est la substance même du récit, car le concept d'énigme se voit manipulé sous forme de mutation narrative: La structure matricielle du récit étant la recherche de cette absence et sa protection continue.

L'intuition de ce secret qui demeure la quête perpétuelle de l'initié dans la voie des soufis va développer toute une littérature où tout est permis. « L'Amoureux » rejette toutes les thèses théosophiques allant même à l'hérésie gnostique et stoïque. le poète mystique récite ces vers extatiques:

« L'imam apercevant l'éclat de sa beauté

s'inclinerait vers elle plutôt que vers la Mecque »

Il rejoint l'état de Hayy Ibn Yaqdhân lorsque le narrateur nous dit que « lorsqu'il vit que le tourbillon du châtiment les enveloppait, que les ténèbres de la séparation les couvraient, que tous, à peu d'exception prés, ne saisissaient de leur religion que ce qui regarde ce monde (...) il comprit, avec une certitude absolue, que les entretenir de la vérité pure était chose vaine, qu'arriver à leur imposer dans leur conduite un niveau plus élevé était chose irréalisable ». H.I.Y.P.III

Nous comprenons que depuis l'écriture du récit initiatique de Hayy, neuf siècles plus tard, jusqu'à la réécriture du genre, le contenu théosophique n'a pas changé mais ce qui a changé ce sont seulement les mots qui rendent compte de ces expériences mystiques: ce qui était dit et énoncé clairement revient sur la scène littéraire mais métaphoriquement.

Nous verrons plus tard avec l'analyse du récit de Dib, « cours sur la rive sauvage », que le narrateur s'ingénie à occulter ces secrets dans une trame narrative encore plus complexe. Le lecteur se voit dérouté mais subjugué par les structures oniriques puisqu'il a lui aussi besoin de fuir la réalité et de se désengager des contraintes de ses croyances souvent récupérées par la doxa dominante.

C'est l'horizon d'attente du lecteur potentiel, La contre littérature sauve le lectorat des schémas du roman traditionnel où le héros ne suggère plus rien mais ne fait que rendre compte de l'homme à l'homme sans poser la question ontologique: Qui suis-je? Où vais-je? Et quelle sera ma destinée? c'est à partir de ce questionnement que le récit initiatique à contenu théosophique tente de proposer des réponses en se faisant accoucheur de rêve, ce n'est plus le discours puriste que propose la raison religieuse.

De se fait, et sans nous éloigner de notre étude de cette oralité initiatique qui a maintenu le relais entre le récit initiatique authentique et les récits éclatés de Mohammed Dib, nous retenons que cet espace a développé des paroles génériques de provenance mythique et a destination mystique et il nous importe, pour le besoin de notre cause, d'en énumérer les matrices; ce qui nous permettra d'établir notre grille de lecture des récits que nous étudierons à titre de corpus de vérification.

7. LES PAROLES GENERATIVES.

Nous définissons la parole générative comme un élan de l'âme de l'initié vers des stations de contemplation de la vérité divine. Chaque mot est un terme générique de tout un univers sémantique. Il rend compte d'un degré d'initiation comme l'affirment les Soufis: « likouli maqâm maquâl » c'est à dire à chaque station, son verbe. Ces paroles dans leur énonciation initiale n'ont point subi d'altération. On les retrouve clairement énoncées depuis la naissance de la théosophie musulmane jusqu'à l'ésotérisme verbal qui alimente le discours des confréries mystiques jusqu'à nos jours.

La mystique avicennienne nous explique que:

« l'ascension mystique va se présenter avant tout comme une dialectique ascendante. Les principales étapes nous en sont décrites, sous mode mythique dans la « risâla de Hayy Ibn Yaqdhân par exemple, et sous mode psychologique dans l'avant-dernier chapitre des « Ichârât »(25).

On peut dire qu'elles sont le fruit d'une double purification: morale, intellectuelle, la première étant, comme chez Plotin, la condition de la seconde, mais sans fin en soi. L'ascèse n'a pas chez Ibn Sîna de valeur autonome; elle est nécessaire à la réussite intellectuelle en laquelle se consomme l'union, qui est vision (non transformante). Il faut que l'âme ait dominé, puis éliminé tout attrait sensible, ne gardant avec son corps que la stricte attache « indispensable » pour qu'elle puisse vivre de sa vraie nature de substance intelligible. « Alors, elle n'est pas loin de ressembler à l'âme universelle, encore que celle-ci lui soit, sous un aspect, supérieure ». L'homme qui s'écarte des biens de ce monde est l'ascète, le renoncé (zâhid).(26)

Sur le plan de littérature mystique, l'expression de ce renoncement consiste tout d'abord à renoncer aux mots des « autres », à détruire leur schéma conventionnel, à dérouter le profane et intéresser le néophyte. Le renoncement du monde des « autres »; Mohammed DIB, l'engage dés le début de son roman, « cours sur la rive sauvage » par l'unité prédicative: « nous partîmes »(p.7). Nous étudierons l'écart des deux discours, théosophique et littéraire, lorsque nous aborderons l'étude proprement dite du récit impossible de Dib.

Nous retrouvons cette idée du renoncement chez un Saint musulman du vingtième siècle, Cheikh al-Alaoui lorsqu'il dit dans sa poésie:

A nul autre que Dieu n'accorde ton amour.

Hors de lui, toutes choses ne sont que pures mirages.

Si tu peux recevoir quelques conseils, voici le notre.

toujours en leur bien-aimé sont absorbés les Gens du Souvenir. »

En effet, dans l'oralité initiatique, l'idée du renoncement a pris une place considérable puisqu'elle a développé un champ lexical très dense dans l'univers des Zaouiat. Certains Soufis ont donné à cet état des exercices de renoncement; ils partent en exil à la recherche d'un état second, prennent l'allure de mendiant ou de fou, se mortifient dans l'abstinence et le jeûne ou encore se taisent à jamais dans un mutisme pareil à celui de Hayy Ibn Yaqdhân dans son île déserte. (nous renvoyons aux différents récits de renoncement rapportés par Farid-ud-Din Attar, le mémorial des saints.O.P.Cité.

Nous concevons donc que c'est de la parole générique d'où émergeront des champs lexicaux ainsi que des structures narratives complexes, le narrateur détruit le réel, brise la logique du sens et enracine une tension sémantique de type « Dragons remuant le fond de l'avenue » DIB, cours sur la rive sauvage, p.7.

8. LA TENSION SEMANTIQUE.

C'est le procédé de sens par lequel le maître de la parole met en tension les sèmes pertinents d'une unité de sens; le choc du langage, l'exorcisme du verbe par le verbe. L'effort de l'entendement que provoque cette tension doit déclencher la crise existentielle, l'angoisse de l'être qui ne croit devoir s'identifier qu'au langage conventionnel; celui où il se sent le plus sécurisé.

La parole se veut être générative de l'angoisse existentielle. Très typique du soufisme est cette parole de Hasan al-Baçri(27): « Celui qui connaît Dieu L'aime et celui qui connaît le monde s'en détourne. » Ces paroles reflètent non seulement l'extrême simplicité de certaines formules coraniques, mais aussi la simplicité de certaines paroles Mohammédiennes dont la sobre objectivité met chaque chose à sa vraie place: « sois en ce monde comme un étranger ou un passant » et « qu'ai-je de commun avec ce monde? Je suis à l'égard de ce monde comme un cavalier qui se met à l'abri sous un arbre, puis reprend son chemin et laisse l'arbre derrière lui ».(28)

Sur ces propos cités par Martin Lings, nous voyons aussi l'effet de cette tension sémantique à la source de la théosophie. Quant à sa fonction dans l'univers de la poésie mystique, elle prend naissance dans l'amour le plus sublime, elle permet la théophanie du langage puisque sont mélangés des sentiments de l'Eros avec ceux du sacré théologique comme le montre cette poésie de Al-Allaoui:

« Entendant son appel, je me suis rapproché de la demeure de

Laïla

O puisse cette voix si douce ne se taire jamais!

Elle m'accorda sa faveur et m'attirant vers elle,

M'introduisit en son domaine

elle me fit asseoir près d'elle, plus près encore s'approcha

et retira ses vêtements qui la voilaient à mes regards,

Me plongeant dans l'éblouissement,

m'émerveillant par sa beauté.

je fus ravi, ébloui.(29)

Lorsque le néophyte entend ces paroles, il est mentalement soumis à cette tension sémantique et dans l'effort de l'initiation, se crée le champ notionnel et esthétique de sa propre quête. C'est l'effet produit par toute lecture du genre initiatique. On ne décode pas la parole, on la subit telle la boisson d'un exil miraculeux tout en attendant l'effet que peut produire l'alchimie du verbe.

Naget KHEDDA, étudiant l'oeuvre de Mohammed DIB, nous signale cet aspect de l'alchimie du verbe et nous rapporte dans son analyse d'une des oeuvres de Dib,  qui se souvient de la mer , que si l'Islam apparaît aussi dans son aspect culturel plutôt que proprement religieux, un mysticisme où l'on repère aussi bien des traces de l'Ismaélisme que de la kabbale, gagne la plus des comportements des acteurs et notamment les tribulations du narrateur à travers la ville apparaissent comme une recherche alchimique de la vérité. (30)

Pour notre part cette tension sémantique entraîne le lecteur dans un labyrinthe. D'après le dictionnaire des symboles de J. Chevalier, il a une fonction magique et serait, à la fois voie qui mène au centre « où se livre le combat des deux natures » celle qui tend vers l'ésotérisme, et l'autre qui tire vers l'exotérique, chemin que l'adepte doit parcourir pour revenir à la lumière. Plus le voyage est difficile, plus les obstacles sont nombreux et ardus, plus l'adepte se transforme, et au cours de cette initiation itinérante il acquiert un nouveau soi (31).

Si Naget KHADDA investissait le sens de l'oeuvre dans un rapport étroit avec la mystique ismaélite ou kabbalistique, nous voyons, pour notre part, que le récit initiatique et les tensions sémantiques qui provoquent la quête ne peuvent trouver leur explication dans les seules pratiques mystiques des sectes mais aussi dans la mystique même du langage car nous concevons en accord avec la pensée de Nietzsche que « ce qui a de mystique chez l'homme ce n'est pas sa pensée mais son langage ». De là, il nous sera plus facile de comprendre que la tension sémantique est une des fonctions ésotériques du langage. Lorsque le narrateur initié dit: « entendant son appel, je me suis rapproché de la demeure de Laïla », c'est un simple langage dans la subversion théologique.

Par conséquent, la parole générative a pour effet de sens de provoquer cette tension sémantique qui fera éclater le récit où s'enchâsseront des micro-univers. Chacun tend à rendre compte des différentes stations de contemplation du narrateur initié; leur interaction discursive manifeste sur le plan de la langue cette fonction de l'alchimie du verbe dont nous avions parlé supra.

L'oralité initiatique dans sa fonction de relais a donc pris en charge toutes les valeurs du récit initiatique mais en les soumettant au langage. Les paroles génératives seront les lieux du dire, comme fut le mythe pour le récit de Hayy Ibn Yaqdhân. Ajoutons que ces paroles fonctionnent elles aussi comme un mythe générateur pour reprendre cette citation de Franz Boas: « On dirait que les univers mythologiques sont destinés à être pulvérisés à peine formés, pour que de nouveaux univers naissent de leur débris ».

 Entre mythe et langage, nous dirons à la suite de Claude-Lévi-Strauss que le mythe fait partie intégrante du langage; c'est par la parole qu'on le connaît, que  l'étude des mythes nous amène à des constatations contradictoires. Tout peut arriver dans un mythe, il semble que la succession des événements n'y soit subordonnée à aucune règle de logique ou de continuité. Tout sujet peut avoir un quelconque prédicat; toute relation concevable est possible.(32)

La lecture de certains récits initiatiques et en particuliers de nos corpus de vérification, Mohammed DIB, Cours sur la Rive Sauvage et Hamidou Kane, l'Aventure ambiguë nous laisse croire que leur discours est effectivement cet éclatement du mythe. Toutefois, précisons que dans la théosophie musulmane, il ne s'agit pas du simple mythe de la création ou des forces initiales que l'on retrouve en ethnologie religieuse, mais du mythe de l'Homme-Dieu, de la pensée unitive, où l'homme est aussi acteur dans la création: D'où le concept de « wahdat `el wûjûd », (Unité de l'existence) développé dans tous les récits initiatiques à contenu théosophique.

9. L'UNITE DE L'EXISTENCE, LIEU DU DIRE FICTIONNEL.

Tous les récits initiatiques à contenu théosophique tendent sans exception vers cette unité existentielle. H.I.Y. en a été le modèle le plus explicatif. Fidèle à son maître Ibn Sina, il a transposé tout le contenu doctrinal sur le plan de la littérature. Son héros, au terme de sa quête est arrivé  «  à  l'évanouissement de la conscience de soi, à l'absorption dans l'intuition pure de l'être Véritable; et il y réussit. Tout disparut de sa mémoire et de sa pensée, les cieux, la terre, et ce qui est entre eux , toutes les formes spirituelles, toutes les facultés corporelles, toutes les facultés séparées de toute matière, à savoir les essences qui ont la notion de l'être véritable; et sa propre essence disparut avec toutes ces essences. » « Tout cela s'évanouit, se dissipa  comme des atomes disséminés . Il ne resta que l'Unité, le Véritable; l'Etre permanent. » H.I.Y.P.86

Nous verrons avec l'analyse de nos corpus de vérification que le mythe éclaté de l'Unité de l'existence a engendré sur le plan de la littérature une implosion des valeurs unitives. Le méta-texte est l'unité de l'existence; le phénotexte est le dire fictionnel où tout sujet peut avoir un quelconque prédicat et où toute relation concevable (dans la narration est possible comme l'avait souligné CL. Strauss.)

Cependant, pour le besoin méthodologique de notre cause, il est important d'étudier cette pensée unitive sur le plan doctrinal puisqu'elle est inévitablement le lieu du dire fictionnel de nos romanciers.

Louis Gardet, reprenant les explications d'Ibn Sina (33) nous explique à son tour qu'au  sommet de son ascension, nous disent les « Ishârât », l'initié ou gnostique (ârif) atteint un état stable où l'intime de l'âme  (sirr), devient  un miroir poli orienté vers la vérité première . Stade terminal qui comporte psychologiquement deux degrés. Au premier temps, le gnostique regarde tantôt son âme (le miroir) où il reconnaît les traces de la vérité, tantôt Dieu lui même l'objet reflété), et va ainsi de l'un vers l'autre. Au deuxième temps, il perd de vue le miroir (son âme, son  « soi »), pour ne plus voir (reflété) que la Majesté Divine: « Et si même il jette un coup d'oeil sur son âme, c'est en tant qu'elle est en train de regarder (de s'offrir à Dieu comme un miroir), et non en tant qu'elle est embellie, et là se réalise l'union, « wûssûl ».(34).

Ce va et vient entre le « soi » et le « miroir » est la dynamique propre du récit de DIB. le regard intérieur est symbolisé par la quête interminable de sa femme radia-héllé, et le regard extérieur est symbolisé par l'apocalypse où la ville-nova consomme la ville des humains.

Sur le plan de l'oralité initiatique que nous concevons comme le relais du récit initiatique, voici une des poésie chantée dans les milieux ésotériques, terroir où nos romanciers se sont initiés au verbe:

« Brille ma lumière, une est Mon Essence,

en toute chose, l'on Me voit. Et qui fut jamais vu

si ce n'est Moi? Le voile de la création, j'en ai fait

un écran pour la vérité, et dans la création résident

des secrets qui soudain jaillissent comme des sources.

Celui qui sous mon voile ignore mon essence,

demande où je suis. En vérité, « je suis  sans « où »

car, en mon être nul hiatus que d'un « où » à un autre

pose seulement le « raïn » le point du « zaïn »

et regarde: la tache est ornement et, grâce au point,

le « raïn » devient parfait. Alors viens à la l'union,

à l'union avec l'éternel. Auprès de lui est-il aucune chose

qui lui soit opposable?

Non certes, il était seul; il l'est et le sera.

je suis donc, Absolu en essence, Infini,

mon seul « où » est « en moi-même je suis »

ignora ce que de me connaître « ici » ou « là »

nulle cime ne limite l'Au-dessus de tout au-dessus

il n'est de plus profond abîme que le dessous de tout au-dessous

je suis le secret de l'Essence, l'inscrutable trésor

Ma largeur est sans fin et sans fin Ma longueur

je fus évident au sein de l'intérieur

avant qu'il ne fût extérieurement manifesté, je m'interrogeais

sur moi-même et la réponse fut affirmation pure,

car dans la vérité de Dieu, autre que

Dieu pourrait-il apparaître

ayant terrifié  il se pencha, ayant submergé il parla.

Je suis essentiellement Un et Solitaire et sur Moi ne peut empiéter

le moindre objet, laissais-je quelque faille,

Quelque espace vacant où puisse un autre se loger?

Car je suis l'intérieur de l'essence elle-même

l'extérieur de la qualité, concentration diffuse

il n'est de « là » vers lequel je ne sois tourné

existe-t-il autre que moi, vide de mon attribut?

Mon Essence est l'essence de l'être, maintenant

et toujours, Mon infinité n'est pas limitée par le moindre

Grains de moutarde. La création

trouverait-elle où s'introduire dans l'infini de la vérité?

Quand tout est plein, où serait autre qu'elle?

Union et séparation sont dans le principe même chose

et la création est la vérité même

pour qui l'interprète comme vraiment elle est

alors, interprète à la lumière de : il est le proche

pour participer toi-même à cette proximité.

mais ne prends pas cela pour localisation. Ce sera impossible

car en aucune place il ne vient résider

exalte d'Essence de Dieu, autre qu'elle

ne peut l'atteindre. Rien ne saurait la porter

elle ne porte aucune chose; en sa manifestation cachée,

elle apparaît comme voile sur voile

pour recouvrir sa propre Gloire.(35)

Cette poésie unitive de Cheikh Al-Alaoui de Mostaganem (Algérie) que Martin Lings a intitulée « l'omniprésente vérité » est le modèle archétypal de cette pensée unitive qui a alimenté de nombreuses Zaouiat depuis l'époque almohade de l'Espagne musulmane jusqu'à nos jours. Elle forgea ses propres concepts dans l'univers de l'oralité initiatique et son chant pénétrait les demeures les plus modestes aussi bien en Afrique du Nord qu'en Afrique Noire; le soufisme s'étant propagé avec l'avènement du Tidjanisme. (cf.Note 15 de ce chapitre).

Partant de cette parole générative, de ce lieu du dire fictionnel qui a pris source, comme nous l'avion montré, dans la doctrine du grand maître Avicenne puis récupérée par le récit de Hayy Ibn Yaqdhân, la littérature mystique d'expression française et en particulier le genre initiatique à contenu théosophique va travailler la langue et, des débris éclaté du mythe, produire d'autres images verbales. Nous pouvons dés maintenant faire l'inventaire des mythèmes, sources de structures narratives potentielles.

Nous adoptons la méthodologie de Claude-Lévi-Strauss qui nous explique que « pour reconnaître et isoler les mythèmes sachant qu'elles ne sont assimilables ni aux phonèmes, ni aux morphèmes, ni aux sémantèmes, mais se situant à un niveau plus élevé: sinon le mythe serait indistinct de n'importe quelle forme du discours. Il faudrait donc les chercher au niveau de la phase. »(36)

IO. LE MYTHE DU « MOI » SUBLIME.

En étudiant la poésie citée supra, nous constatons que le narrateur s'identifie avec l'objet de sa connaissance gnostique, « brille ma lumière, une est Mon Essence » le poète voulait dire, brille la lumière de Dieu, Une et Son Essence. Ce mythème substitue la parole de l'homme à celle de Dieu. Nous dégageons ici une structure anthropomorphique d'une divinité, elle engendrera les sèmes constituants du mythème: la vision, le topos , le secret et l 'union :

La vision

le topos

le secret

l'Union

en toute chose l'on me voit.

En vérité je suis sans « ou »

dans la création résident des secrets

Une est mon essence.

Et qui ne fut jamais vu.

Le voile de la création.

j'en ai fait un écran celui qui sous mon voile.

Et regarde: la tâche est ornement.

je suis donc absolu en essence, infini mon seul ou est « en moi-même je suis » ignorance que de me connaître « ici » ou « là »

nulle cime ne limite l'au-dessus de tout au-dessus car je suis l'intérieur de l'essence elle-même je fut évident au sein de l'intérieur avant qu'il ne fut extérieurement manifesté.

je suis le secret de l'essence, l'inscru-table trésor

en sa manifestation cachée

elle apparaît comme voile sur voile pour recouvrir sa propre gloire.

alors vient à l'Union a l'Union avec l'éternel.

Il était seul, il l'est et le sera.

Je suis essentiellement un et solitaire

Union et séparation sont dans le principe même chose.

Ainsi fonctionnent des structures narratives dont les mythèmes sont des paroles génératives. Tout récit initiatique ne peut fonctionner en dehors de ces mythèmes que nous avions retrouvés dans nos corpus de vérification; la vision, le topos, le secret et l'Union engendreront par éclatement du mythe (structures matricielles),des structures narratives de surface.

Quant à la description, elle fonctionne dans le récit( initiatique comme une sorte de « verbiage » littéraire pour combler le vide que laisse l'émergence du mythe dans l'écriture. J.P.Goldenstein nous conforte dans nos propos lorsqu'il nous dit qu'on a souvent repproché à de nombreux romanciers leur goût pour la précision maniaque dans la description qui enlise véritablement la narration sous une accumulation de détails. Cette attitude débouche sur un effet littéraire et non sur la peinture exacte d'un décor extra-littéraire que le roman se chargerait d'exprimer. (37)

Or, ce qui donne au récit sa structure en labyrinthe, c'est son ambiguïté de vouloir décrire un mythe qui en réalité ne peut se dire dans le seul univers de la parole. C'est pourquoi nous parlerons désormais dans notre chapitre suivant de la métamorphose du récit initiatique par comparaison au récit authentique de H.I.Y. dont l'écriture est totalement dénuée de description.

Par conséquent, la pensée unitive ou lieu du dire fictionnel est aussi bien le destinateur que le destinataire de l'écriture initiatique. Chaque récit se résume en cette phrase:  « c'est moi qui parle à moi-même ici et non ailleurs, je me cherche et en fin des parcours c'est moi que je trouve confronté à moi-même ». Pour confronter notre hypothèse voici un passage du récit initiatique de Hamidou Kane qui montre clairement cette pensée unitive:

« je suis deux voix simultanées. L'une s'éloigne et l'autre croît. Je suis seul. Le fleuve monte: je déborde où es-tu? qui es-tu?. -Tu entres où n'est pas ambiguïté. Sois attentif, car te voilà arrivé.. te voilà arrivé. Goût retrouvé du lait maternel, mon frère demeuré au pays de l'ombre et de la paix, je te reconnais. Annonciateur de fin d'exil, je te salue. (...) au coeur de l'instant voici que l'homme est immortel, car l'instant est infini ». l'Aventure ambiguë.((Page 190)

Le mythe du moi sublime dans l'oralité initiatique a libéré l'initiative littéraire comme le romantisme a libérer la pensée classique.

Si le romantisme est à la littérature ce qu'est la révolution à la politique, le mythe du « moi sublime » est à la religion ce qu'est le panthéisme à l'église catholique. Ces considérations épistémologiques de la pensée littéraire doivent être prises en considération dans toute lecture d'un oeuvre initiatique à contenu théosophique.

La tradition orale est l'expression de cette révolution déjà engagée par l'écriture du récit de Hayy Ibn Yaqdhân: « Nous- nous sommes écartés, en le publiant, de la ligne de conduite suivie par nos vertueux ancêtres qui étaient jaloux d'un tel secret et s'en montraient avares (...) Ce qui nous a décidé à la divulguer et à déchirer le voile, ce sont centaines opinions malsaines apparues de notre temps, mises à jour par des philosophes de ce siècle et ouvertement exposées par eux »H.I.Y.P113.

La ligne de conduite dont parlait Ibn thophaïl dans ce passage interdisait toute publication ou divulgation des sciences ésotériques qui demeuraient le discours du 1/3 exclus. La littérature prit pour son compte l'écart du discours afin d'éviter à certains auteurs mystiques les sentences graves prononcées contre eux (nous l'avions déjà souligné dans notre première partie).

Par conséquent le sacré devient mythe et le secret devient quête dans l'écriture. C'est aussi grâce à cette oralité initiatique que les mythes ont pu être régénérés; successivement au mythe du « moi sublime » émergera le mythe de la divinité-femme.

11. LE MYTHE DE LA DIVINITE-FEMME.

L'expression la plus significative de cette théophanie du langage est son expression poétique. Nous l'avions souligné, la poésie s'érige en relais afin de transmettre les valeurs théosophiques de l'Islam-soufi.

Avant de citer cette poésie du grand Maître mystique de Mostaganem, Cheikh Al-allaoui; nous annonçons que le récit de DIB, cours de la rive sauvage est structuré, sur le plan de la quête, comme l'est cette poésie, nous serons même étonné devant cette similitude.

LAïLA

Entendant son appel, je me suis approché

de la demeure de Laïla.

O puisse cette voix si douce ne se taire jamais;

Elle m'accorda sa faveur et m'attirant vers elle,

m'introduisit en son domaine,

avec des paroles pleines d'intimité,

elle me fit asseoir prés d'elle, plus prés encore s'approcha

et retirât le vêtement qui la voilait à mon regard.

Me plongeant dans l'éblouissement,

m'émerveillant dans sa beauté,

je fus ravi, ébloui,

au plus secret d'elle même, abîmé,

jusqu'à penser qu'elle était moi,

pour rançon, elle prit ma vie,

elle me changea, me transfigura, de son propre sceau me manqua,

me pressa contre elle, m'accorda un privilège unique,

me nomma de son Nom.

M'ayant tué et réduit en lambeaux,

elle trempa ces restes dans son sang.

Puis me ressuscita:

Mon astre en son firmament brille.

Où est ma vie? où est mon corps?

où est la volonté de mon âme?

leur vérité pour moi rayonne,

Secrets qui jusqu'alors m'avaient été caché,

mes yeux n'ont jamais vu qu'elle:

ils ne peuvent que d'elle témoigner.

en elle sont comprises toutes les significations.

Gloire à Dieu qui l'a créée:

Pour moi qui aimerait décrire la beauté,

de son éclat voilà quelques reflets.

Reçois-le de ma science.

Ne le tiens pas par chose vaine.

Mon coeur n'a pu mentir en révélant

le secret de ma rencontre avec elle.

Même si la proximité s'efface,

en sa substance je subsiste toujours. »(38)

Laïla, cette femme-divinité que l'on retrouve dans le récit initiatique de DIB sous le nom de Radia-Hellé est l'expression allégorique de l'arrivée du gnostique (arif) dans l'univers de la contemplation sublime de la vérité unitive ou se confondent sujet et objet de quête amoureuse. Nous pouvons prématurément recouper les mythèmes constitutifs entre l'oralité (poésie mystique chantée) et l'écriture (l'oeuvre de DIB).

11.1. L'Appel.

«  entendant son appel, je me suis approché

de la demeure de Laïla

O puisse cette voix si douce ne se taire jamais »

Ce mythème de l'appel de l'au-delà, par éclatement de sens engendre les tensions sémantiques que nous retrouvons dans cette structures narrative du récit de Mohammed DIB:

« (...) cette voix. Ma peau se hérisse. Est-ce « elle » qui a parlé? je lève les jeux. ses contours n'ont pas changé; elle conserve son attitude absente.

Je l'implore:

- Pourquoi, lorsque nous voyons quelque chose, faut-il

toujours que...

- Ne confondrez vous pas? celui qui voit « quelque chose »

doit vouloir de moi; et de ces lumières, de ce ciel, de

ce décor, et de ces autres...

C'est « elle » qui me répond, j'en suis sûr. Mais sa voix

provient d'au-delà des choses et, pour cette raison elle

inquiète.

je me bouche l'oreille pour ne pas entendre la suite:

ce que j'ai déjà entendu me paraît suffisamment abominable.

Elle s'est tue (...) elle reprend:

- rien de plus compréhensible, je vous le dis comme un ami.

Mon chagrin et mon angoisse se muent brusquement en une

exaltation qui croît et me devient torture après ces mots.

C'est précisément la déclaration que je redoutais. Je l'espérais

aussi, je l'avoue, Dés le premier instant, j'avais tout saisi.

Je pensai toutefois à une fausse impression ne méritant aucun

crédit. L'espace ou je me suis engagé est celui de l'épreuve...

« il pourrait devenir aussi celui de la récompense, de la libération, de l'amour. Il pourrait...  »  cours sur la rive sauvage page 61 .

L'écho de cette voix qui provient de la nuit des temps ne cesse de se faire entendre. Moïse l'a entendu des profondeurs du Mont de Sinaï, Jésus Christ en fut l'incarnation propre; Mohammed en a fait le message de la paix. Aussi la littérature en fût l'espace privilégié puisqu'il lui appartient, à elle aussi, de prendre le relais des textes sacrés. La conscience du narrateur initié est au prise avec cet appel tandis que le scripteur se doit d'en interpréter le sens profond. Chaque scripteur traduira cette voix selon la voie spirituelle d'où émergera son lieu du dire. La tradition théosophique de l'Islam marquera le lieu de l'énonciation par les frontières de la pensée unitive dont nous avions parlé:

« Toi et moi ne sommes qu'une seule image se regardant de part et d'autre du miroir de mes yeux ».

« -Tu es venue envers moi, Hellé:

- J'étais en toi, Iven Zohar.

- Ou avais-je pu te rencontrer, ou avais-je pu te voir?

- Partout: partout ou tu étais. » cours de la rive sauvage p.154

Il est naïf de croire que le narrateur de Mohammed DIB ne sait pas d'où provient son dire, ni le but de sa narration.

La conscience narrative obéit à l'instance narrative de la théosophie. L'auteur aura tenté son aventure mystique par/dans la langue de « l'autre ». Aura-t-il réussi? le narrateur le dévoile « l'espace ou je me suis engagé est celui de l'épreuve... » il pourrait devenir aussi celui de la récompense, de la libération, de l'amour. Il pourrait... »(p.61.)

Cet aspect de l'interlocution met en évidence l'Idéologie de l'auteur, le mythème de l'appel interpelle cette interlocution et permet le fonctionnement de la polyphonie discursive: plusieurs voix s'enchâssent et rendent ambiguë la voix du narrateur. Les trois instances narratives: le « JE » de la théosophie, le »Je » de la parole du maître de la parole, le « JE » de l'auteur et enfin le « Je » du narrateur initié constituent la Parole du récit. La dynamique du récit initiatique n'est pas comme l'entend la lecture traditionnelle, une suite d'événements intra-textuels mais plutôt « une bousculade » de voix narratives où chacune tente d'émerger comme dans un congrès sans ordre du jour restrictif.

Lorsque le narrateur de Dib dit « c'est elle qui me répond. J'en suis sûr. Mais sa voix provient d'au-delà des choses et, et pour cette raison elle inquiète. »(p.61), il reprend cette parole initiatique du Maître:

« au plus secret d'elle même, abîmé

jusqu'à penser, qu'elle était moi

pour rançon, elle prit ma vie.

elle me changea, me transfigura,

de son propre sceau me marqua»

Nous comprenons dés lors qu'il s'agit de l'appel de cette vérité unitive. L'écriture mystique est légitimée dans sa filiation. Les images mentales qui actionnent la main du scripteur sont les mêmes que celles qui ont motivé Ibn thophaïl à écrire son roman. Serait-il encore légitime pour notre part de dire que les récits de DIB seraient une autre manière d'écrire cette oralité initiatique qui prend source dans la poésie chantée (samâa). Serait-il encore plus légitime de dire que le récit de DIB est une poésie en prose. Si nous nous basons sur l'esquisse de cette étude comparative entre la poésie de Cheikh Al-Allaoui, le saint musulman du vingtième siècle, nous serons confortés de dire que le récit initiatique de Mohammed DIB est une réécriture de cette oralité initiatique puisqu'il prend, comme lieu du dire, le mythe générateur de l'écriture: le Moi sublimé par la pensée unitive.

Rappelons que nous définissons le mythème comme étant l'unité de sens d'un mythe fondateur de la pensée théosophique. De l'appel ou s'enchâssent les voix narratives que nous venons d'étudier supra, correspond sur le plan du discours théosophique médiéval à ce que Louis Gardet nomme « l'âme motrice »; il nous explique dans son essai « la pensée religieuse d'Avicenne » :

« le mode de connaissance du destinateur de l'appel doit être envisagé comme corporel, soumis à mutation et variation, et non dépouillé de matière. Bien plus, il est dans le même ordre de rapport à la sphère céleste que notre âme animale par rapport à nous. Il lui appartient cependant en propre d'intelliger un certain mode d'intellection mêlé de matière. Et ses fantasmes, ou ce qui en lui, ressemble à des fantasmes, sont exactes et vrais; et ses imaginations, ou ce qui est semblable à des imaginations, sont vrais. »(39).

Par conséquent, le mythème de l'appel (de la vérité ontologique) et la mystique de l'appel (de l'âme universelle) se conjuguent dans le récit initiatique dans un seul unité prédicative: « je suis la Nature » C.S.R.S. P.62 . Le narrateur initié explique cet état de conscience de cette unité dans le mythique et le mystique:

« je m'aperçois que je ne perds pas conscience. Je continue à recevoir, sensations et images, je jouis de toutes mes facultés » (CSRS page 61).

N'est-ce pas ici un avertissement de l'auteur par la bouche de son narrateur que son écriture se fait dans la totale lucidité spirituelle? Nous comprenons ceux qui ont lu l'oeuvre de DIB, la classant parmi l'utopie, le surréalisme ou encore le délire onrique. Nous dirons encore que L'imagination est une valeur trop sûre pour qu'on la traite de délirante.

L'appel à l'errance, l'appel à l'exil et enfin l'appel à la résurrection donnent au narrateur initié les clés d'ouverture de leur récit. Mohammed DIB ouvre son récit par l'unité prédicative, « nous partîmes » Hamidou Kane ouvre le sien dans la mortification par la parole du Maître de la parole, « - Sois précis en répétant la parole de ton Seigneur... Il t'as fait la grâce de descendre son verbe jusqu'à toi. Ces paroles, le Maître du monde les a véritablement prononcées. Et toi misérable moisissure de la terre, quand tu as l'honneur de les répéter après lui, tu te négliges au point de les profaner. Tu mérites qu'on te coupe mille fois la langue... » (L'Aventure ambiguë page 14).

Ce deuxième corpus de vérification, L'Aventure ambiguë de Hamidou Kane répond lui aussi à cet appel de l'au-delà, d'un ton différent de celui de DIB mais convergent dans sa recherche de la pensée unitive.

La réception esthétique de l'oeuvre du sénégalais peul d'obédience Tidjaniya présente tout d'abord sur le plan de la forme des aspects figuratifs et scripturaux qui mettent le lecteur dans une situation d'intrigue magique. Fasciné en premier lieu par l'image représentée sur la couverture du roman: masque africain au yeux ronds, le lecteur est subjugué par l'expression profonde de ce visage féminin qui exprime aussi bien la mort que la sensualité érotique. Nous retrouvons ici le mythe de la femme-divinité chanté par les poètes mystiques. Déjà à ce niveau plastique de l'oeuvre se conjuguent les paradoxes extrêmes mais qui forment cette unité esthétique ambivalente. L'intention de l'éditeur serait double: s'adressant à un public français, il tente de chatouiller son goût de l'exotisme, ce qui situera l'oeuvre dans une littérature exotique, et s'adressant à un public africain, c'est l'auteur qui tentera de stimuler sa mémoire collective enracinée dans la tradition théosophique ( ou cosmogonique) par le choix de deux thèmes omniprésents dans leur univers ancestral: Eros et Thanatos (mort et plaisir, jouissance dans l'initiation).

Cette représentation transfigurale de la réception esthétique du roman annonce déjà le lieu du dire de l'écriture: l'oralité initiatique dont nous avions parlé supra. Les peuls ont toujours été préoccupés par cette idée fondamentale qui constitue leur croyance: L'angoisse existentielle. ; J.Chevrier le souligne aussi dans sa critique parue dans « le monde » et que l'éditeur a citée sur la couverture du roman: « c'est le problème de l'Existence qui est posé, on voit là comment cheikh Hamidou Kane, échappant à la donnée temporelle et politique de son sujet, l'angoisse d'être noir, débouche sur une réflexion qui nous concerne tous: l'angoisse d'être homme. » 

 L'Aventure ambiguë échappe totalement à la donnée temporelle pour ne laisser apparaître que le débat théosophique issu des enseignements du maître de Bandiagara: Tierno Bokar, le saint mystique Tidjani. Même si les orientations de lecture que nous propose V.Monteil dans la préface du roman, et qui éclairent le lecture selon les préjugés africanistes en situant le noeud de l'affaire dans la problème scolaire: « si je leur dis d'aller à l'école, ils iront en masse, mais apprenant ils oublieront. » s'écrie le chef des Diallobé; « l'école ou je pousse nos enfants tuera en eux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soi à juste prix. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux. Quand ils nous reviendront de l'école, il en est qui ne nous reconnaîtront pas. Ce que je propose c'est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons laissée libre » déclare aussi la Grande Royale, personnage féminin allégorique symbolisant l'Afrique profonde. (l'Aventure ambiguë. page 57).

Le préfacier situe le débat à ce niveau où s'affrontent la modernité et la tradition. Mais c'est une plume indigne qui souffre de ne pouvoir écrire dans son autonomie culturelle sans la tutelle blanche. Pour notre part, nous situons cette oeuvre dans le projet initial de son auteur «Dieu n'est pas un parent »,Kane voulait titrer ainsi son roman .

Son projet était de développer un contre discours à partir des lieux du dire de la théosophie musulmane confrontée à la pensée philosophique occidentale: 

« Pour qu'enfin , chaque heure qui passe apporte un supplément d'ignition au creuset ou fusionne le monde. Nous n'avons pas eu le même passé, vous et nous, mais nous aurons le même avenir, rigoureusement. L'ère des destinées singulières est révolu. Dans ce sens, la fin du monde est bien arrivée, pour chacun de nous, car nul ne peut plus vivre de la seule préservation de soi. Mais, de nos longs mûrissements multiples, il va naître un fils au monde. Le premier fils de la terre. L'unique aussi. (L'Aventure ambiguë. P.92).

Si DIB matérialise sa pensée unitive dans ses oeuvres par le procédé des tensions sémantiques à la recherche d'un compromis dans la langue de l'autre, Kane lance un appel à une nouvelle religion, celle de l'unité de la pensée. L'échec de son appel s'accomplit par la mort suicidaire de son héros, par la main de l'esprit de son Maître, le fou.

Tout deux auront tenté leur aventure spirituelle dans la langue de « l'autre » dans le but de faire fonctionner cette nouvelle foi ontologique qui dépasse les conflits de paroisse. Leur réalisme intérieur, leur source doctrinale, leur autopsychégraphie se proposent de guider le lecteur dans la/les voies de l'initiation à la mystique du langage sans prétention aucune de se substituer aux grands maîtres de la mystique soufie musulmane, bien que leur lieu du dire prenne source dans la tradition théosophique reléguée par l'oralité initiatique du vingtième siècle.

L'anonymat de la littérature orale est remplacée par les possibilités offertes par l'écriture. L'autobiographie permet à l'auteur d'intervenir directement, de prendre le lecteur à témoin, de rétablir les anciens rapports privilégiés entre le conteur et son public; le maître de la parole et ses disciples en milieu traditionnel, elle procède d'un besoin de se donner en exemple et de conférer à l'expérience personnelle une perspective collective. Les possibilités de réécriture du récit initiatique en perpétuelle transformation sont dues au caractère dynamique de la tradition qui comme l'explique l'Encyclopédie universalis « ne se borne pas à la conservation ni à la transmission des acquis antérieurs, elle intègre au cours de l'histoire des existants nouveaux en les adaptant aux existants anciens. Sa nature n'est pas seulement pédagogique, ni purement idéologique; elle apparaît aussi comme dialectique et ontologique. Elle fait être de nouveau ce qui été; elle n'est pas limitée au faire savoir d'une culture car elle s'identifie à la vie même d'une communauté ».

C'est le type même de la tradition théosophique de l'islam. Prenant source dans la doctrine de l'unité de l'Existence et l'éternité du monde, sublimant le « moi », elle a fait être de nouveau ce qui a été tout en s'adaptant à la vie même d'une communauté. Ibn thophaïl aura tenté le récit authentique, son personnage-néophyte, Hayy Ibn Yaqdhân traversant toutes les épreuves de la connaissance subsiste à travers huit siècles pour resurgir dans la littérature africaine à travers les oeuvres de DIB et de KANE.

Il s'appellera Iven Zohar en quête de femme-divine et Samba Diallo en quête d'une divinité asexuée sinon totalement anonyme. L'objet de la quête absolue s'étant éclaté puisque le mythe s'y étant interféré.

Nous étudierons dans notre prochain chapitre le parcours de ces deux personnages à travers les espaces de la théosophie et du mythe où l'écriture se réalisera par sa double structure comme le souligne C.L.Strauss « cette double structure du mythe, à la fois historique et a-historique, explique que le mythe puisse simultanément relever du domaine de la parole (et être analysé en tant que tel) et de celui de la langue (dans laquelle il est formulé) tout en offrant, à un troisième niveau, le même caractère d'objet absolu. (40)

A la fois historique , puisque le discours de la tradition théosophique prend la fonction de Mythe fondateur, et a-historique, puisque la parole génératrice des structures narratives prend la fonction de récit étiologique. Quant à la langue dans laquelle il est formulé, elle exprime cette appartenance au domaine d'un temps irréversible. L'extinction du langage dans le mythe et la théosophie donne le caractère absolu de l'objet. Par conséquent, le mythème de l'appel est une des unités constitutives du récit initiatique; nous avons étudié son aspect au niveau de l'oralité initiatique par la bouche d'un des maître de la parole et par étude comparative, nous avons retrouvé sa fonction dans nos deux corpus de vérification. Mais le lieu de rencontre entre l'interpellé et l'interpellant demeure, nous l'avouons, la grande complexité de l'espace littéraire du récit initiatique: aucune référence à l'histoire, aucun réfèrent extra-textuel si ce ne sont les indications métaphoriques contenus aussi bien dans l'oralité que dans l'écriture: En revenant aux sèmes constitutifs du mythème relevé plus haut « brille Ma lumière une est Mon essence » et duquel nous avons relevé les quatre paroles génératives des structures narratives récurrentes: la vision, le topos, le secret et l'Union; nous tenterons de conceptualiser nos matériaux, outils d'analyse du récit initiatique. Nous dirons à la suite de C.L. Strauss que l'approche ne peut être qu'empirique puisqu'elle ne relève pas des sciences exactes mais de la méthodique spéculation littéraire. Strauss s'étant posé la question méthodologique: »comment procédera-t-on pour reconnaître et isoler ces grosses unités constitutives ou mythèmes?

Nous savons qu'elles ne sont ni assimilables aux phonèmes, ni aux morphèmes, aux sémantèmes, mais se distinguent à un niveau plus élevé: sinon le mythe serait indistinct de n'importe quelle forme du discours. Il faudra donc les chercher au niveau de la phrase. Au stade préliminaire de la recherche, on procédera par approximation, par essais et par erreur, en se guidant sur les principes qui servent de base à l'analyse structurale sous toutes ses formes: économie d'explication unité de solution; possibilité de restituer l'ensemble à partir d'un fragment, et de prévoir les développements ultérieurs depuis les données actuelles (41). Concernant notre méthode spéculative, nous procéderons par recoupements comparatifs des unités constitutives de la poésie gnostique de Cheikh Al Allaoui cité supra et les récits initiatiques, corpus de nos vérification.

12. PROXIMITE vs ELOIGNEMENT .

« Entendant son appel, je me suis approché

de la demeure de Laïla (..)

elle me fit asseoir prés d'elle, plus prés encore s'approcha.

et retira le vêtement qui la voilait à mon regard »

Le sujet métaphorique investi dans ces vers mystiques rend compte d'un des débats les plus controversés dans la tradition théosophique de l'Islam. peut on se rapprocher de la Vérité principielle (Laïla, par allégorie poétique)? Peut on accéder à sa nudité théologique (et retire les vêtements qui la voilaient à mon regard).

Chaque maître de la parole initiatique développe son propre discours amoureux et décrit ses états de contemplations à la recherche du sens le plus rapproché de sa propre station de contemplation. Un autre maître de la parole rapporte la tradition mystique orale avait déclamé ces vers en disant:

« lorsque, nous avions bu les coupes de sa Majesté,

mon amant s'est manifesté dans mon lit

sens propre et sens figuré ».

Toute cette littérature érotique, venant de la bouche de ceux qui ont pour seul souci accéder à l'Union parfaite avec Dieu, a provoqué de graves polémiques au sein même de certaines confréries soufis qui accusent certains initiés de divulguer les secrets mystiques dans la poésie la plus outrageante pour la foi musulmane.

De là, le discours théosophique va encore devenir plus hermétique à l'interprétation au moment où il sera pris en charge par la littérature.

Ainsi nous voyons Mohammed DIB évoquant cette même vérité dire par la bouche de son narrateur:

« Soudain, une voix retentit sur la voûte. Tu peux marcher à présent. La voix de Radia. J'étais en proie à une illusion sans défaut. Je regardais partout à l'entoure: il n'y avait personne »(...) « c'est l'inéluctable suite du choix que j'ai fait à mon insu tout à l'heure, de poursuivre le voyage, reconnu. J'aurais du m'y attendre. » (...) Ma liberté m'était de seconde en seconde plus intolérable à porter. » (C.S.R.S.P.46)

Ici, nous voyons comment cette crainte et cette angoisse du narrateur à poursuivre son voyage initiatique à la recherche de cette vérité incarnée dans le personnage de Radia ( en arabe, ce nom de femme exprime le consentement, »Irrad'a » de Dieu à ne plus jamais éprouver son sujet que dans l'amour).

Dans cette tourmente toujours renouvelée, le narrateur de DIB met le personnage néophyte, Iven Zohar, dans un espace étranger où les mouvements de rapprochement et d'éloignement du but à atteindre: aller de Radia vers Hellé: « Elle set perdue: « ai-je pensé. (...) »je me suis perdu:  « Ce n'était pas encore cela; « Hellé est perdue » (...) j'ai entrevu la vérité: elle existe ailleurs. Un ailleurs dont les murs, les portes que voici, sont autant de frontières, autant de remparts infranchissables. (...) combien de temps m'aura-t-il fallu pour aller de Radia à toi: (C.S.R.S.P.157/159).

La quête du récit engagée dans un labyrinthe en perpétuel recommencement force la narration impossible à affirmer le « Je » du narrateur initié dans la première instance narrative: le « Je » du discours théosophique tourmenté maintenant par son propre discours subversif. Se rapprocher de Radia ( la divinité musulman) met le narrateur dans un conflit du temps, « -qui, sur la rive sauvage, qui parle de cours du temps: (p.159), le temps est par nature irréversible; le cours du temps le ramène inéluctablement vers Héllé (la divinité grecque hellénistique) ce va et vient entre la théosophie musulmane et la divinité grecque est la thématique doctrinale que l'auteur voulait engager dans son récit. Mais l'ambiguïté du récit que le lecteur le plus averti constate, ne sera justifiée que si la critique prend en considération l'intention de l'auteur: réussir la grande oeuvre, l'épopée de l'être-ontologique.

Nous voyons comment DIB aura tenté de concentrer toute l'histoire de l'humanité depuis la nuit des temps dans une oeuvre lourde de conséquence pour l'auteur lui-même puisqu'il l'affirme lui-même par la bouche de son narrateur : « l'espace ou je me suis engagé est celui de l'épreuve... « il pouvait aussi devenir celui de la récompense, de la libération de l'amour. il, pourrait... » (p.61).

Entre le récit de Hayy et celui de Dib, il n'y a que le symbolique qui change puisque nous retrouvons cette dialectique du corps et de l'esprit dans la narration d'Ibn thophaïl:

« lorsqu'il revint au monde sensible après l'excursion qu'il avait faite, il prit en dégoût les soins de la vie d'ici-bas, il éprouva un vif désir de l'autre vie, et s'efforça de revenir a cette station par les mêmes moyens qu'il avait employés précédemment. il y parvint, avec moins de peine que la première fois, et y demeura plus longtemps; après quoi il revint au monde sensible. Puis de nouveau, il s'efforça d'arriver à sa station. Cela lui fut plus facile que la première et la deuxième fois, et il demeura plus longtemps; si bien qu'enfin il parvenait dés qu'il voulait et n'en sortait que lorsqu'il voulait. » Hayy.P.99

Nous remarquerons qu'à la différence de l'initiation grecque ou le héros initié remonte de l'enfer ressuscité; l'initié soufi redescend en enfer autant de fois et en remonte à sa guise puisqu'il en connaît les clés. L'épreuve la plus tragique pour le néophyte étant celle de la connaissance et non comme dans la mythologie grecque, l'affrontement avec le monstre aux portes des divinités. Les seuls monstres à affronter sont ceux des mots ( c'est par la parole que al-hallaj fut décapité et à cause d'une parole incomprise: « je suis l'Etre véritable »).

Nous comprenons aussi pourquoi le narrateur du récit initiatique engage toutes les possibilités de sens de sa quête dans un monde ou il est le seul maître: sauvé par la métaphore et l'allégorie il ne craint plus rien à l'exception du lecteur qui accepte ou refuse son contrat fiduciaire d'initiation.

La parole met le récit dans un espace-temps irréversible, sa lecture aggrave davantage le statut de l'initiation puisque le lecteur interfère son propre texte avec celui qui est proposé par le narrateur.

Il est encore naïf de croire que la création littéraire est un processus unilatéral car il est la rencontre de deux intuitions qui n'obéissent pas forcément aux mêmes règles: l'intention d'écrire et celle de lire. Par conséquent, l'appel de l'au-delà implique sur le plan de la littérature l'appel à la lecture; la lecture de «  l'au-delà » du mot. Le mot est le voile le plus hermétique qui empêche la vérité de dire son nom. C'est ce que voulait dire Djalal-eddine Roumi par ces vers :

Le passé et l'avenir voilent Dieu à notre vue;

consume-les tous les deux avec le feu. Combien

de temps seras-tu cloisonné par ces segments,

comme un roseau?

Tant qu'un roseau est cloisonné, il ne reçoit

pas de secrets, et n'est pas sonore en réponse

à la lèvre et au souffle. (42

« à la lèvre et au souffle ». Nous retrouvons ici un mythème récurrent du souffle. La substance de la parole initiatique étant le souffle. Nous avions déjà souligné cet aspect de l'acte d'initiation dans/par la parole lorsque nous avions cité certains enseignements de Tierno Bokar le sage de Bandiagara. Rappelons que ce saint soufi explique le souffle comme étant des vitesses de vibrations: « dans l'univers, nous enseignait-il, et à tous les niveaux, tout est vibrations. Seules les différences de vitesse de ces vibrations nous empêchent de percevoir les réalités que nous appelons invisibles. »

Qu'en est-il de la matérialisation de ce souffle dans le récit initiatique? Est-ce la vitesse de l'entendement ou l'effet de sens créé par la contiguïté des mots?

13. LE SOUFFLE DE LA PAROLE INITIATIQUE.

Nous avions déjà défini plus haut le verbe initiatique et nous avions dit que c'est l'acte de parole par lequel le disciple accomplit son initiation; c'est le « Wird » par excellence, la parole y devient souffle. Mais lorsque le souffle devient parole, le processus est inversé. C'est la parole réversible qui remonte le temps et impose aux divinités les lois du temps, de l'instant. C'est le disciple qui initie le maître c'est l'homme qui redéfinit Dieu par le processus du langage réifié (chosifié).

La chosification du langage rend crédible l'immanence au détriment de la transcendance. Nous définissons donc le souffle de la parole comme étant la récurrence des sèmes constitutifs de la plus petite unité de sens. On les appellera les méta sèmes. Voici un exemple retenu dans le mythe de la divinité-femme:

« m'ayant tué et réduit en lambeaux,

elle trempa ces restes dans son sang

puis me ressuscita. »

La totale deconstruction de l'être suppose la complète déconstruction de son langage pour ne laisser que le souffle salutaire qui ressuscite le corps dans l'espace de la pure vérité.

Nous retrouvons cet aspect apocalyptique réinvesti dans l'écriture du récit de DIB: 

« les destinées se nouent ici. C'est elle certes, observant la même attitude, mais avec un rien dans son air de légèrement différent. Sans que ses lèvres bougent, elle murmure encore ou cela retentit en moi: nous sommes l'esprit des choses...  »Tandis qu'elle scrute la mer, cette vérité me devient sensible. Tout aux pensée que ces paroles suscitent en moi, je relève à peine que nous sommes arrivés au milieu des gens, en tenue de plage aussi, occupés à ramasser des bras, des jambes, des torses, partout épars sur la plage. Je les considère avec surprise: ils sont en train de faire des tas de ces pièces anatomiques. Leurs tâche n'a rien de triste ni macabre. Les membres et les bustes dispersés, plus grands que naturels présentent des lignes si parfaites qu'ils paraissent avoir appartenu à des divinités. C'est sûrement ce qui exclut, de ce spectacle toute impression de l'horreur. Je me sens moi-même poussé par le désir d'offrir mon aide à ces personnes. (M.DIB. cours sur la rive sauvage. P 85).

Ces méta sèmes qui constituent le souffle de la parole ne sont pas repérables sur le plan du discours mais uniquement sur le plan de la signification au préalable annoncée par l'identification du lieu du dire. Iven Zohar en décrit l'état d'appréhension sans pouvoir l'expliquer:

« les terribles et joyeuses vibrations me traversent et, j'en ai la nette sensation, me purifient, il y a quelque chose d'inexprimable dans la simplicité avec laquelle Radia m'est rendue. » (p.66)

.

Le narrateur du récit initiatique (ou de l'oralité initiatique) se doit de déconstruire les composants du corps ou de la corporéité pour laisser apparaître la divinité; dans le cas du récit de DIB, la vérité illuminative (Radia) et dans le cas de la poésie mystique chantée du saint musulman, Cheikh Al-Allaoui, la présence de l'absence c'est à dire l'objet de la quête du « arrif » ou gnostique.

Nous pouvons continuer dans cet ordre d'idée et relever parallèlement dans l'oralité et l'écriture initiatique les méta sèmes, substance des mots ou verbes initiatiques, jusqu'à épuisement du texte mais nous nous contentons seulement de vérifier dans ce chapitre les hypothèses posées plus haut à savoir que l'oralité initiatique, relais entre l'écriture du récit authentique et le récit littéraire, a sauvegardé les valeurs de la théosophie musulmane en les confiant à la métaphore et l'allégorie.

Pour conclure ce chapitre dans lequel nous avons vérifié la filiation du discours théosophique depuis le récit de Hayy Ibn Yaqdhân jusqu'à nos jours, en particulier dans l'oeuvre de DIB et celle de Hamidou Kane, nous dirons que le lieu du dire fictionnel de nos corpus de vérification émerge d'un espace purement théosophique en passant par sa mise en littératures, relais de l'oralité initiatique ou champ notionnel de l'initiation au soufisme.

Nous avions pris soin d'étudier anaphoriquement ces aspects soulignés dans notre première partie et cataphoriquement par les stations de contemplation du narrateur de DIB et de Kane.

Contrairement aux présupposés de lecture des oeuvres de nos deux auteurs cités qui orientent le lecteur en situant la problématique dans le surréalisme pour le premier (DIB) et dans le rapport conflictuel de la tradition et la modernité pour le second (Kane); nous situons légitimement ces deux corpus dans la tradition théosophique de l'islam. Toute lecture en dehors de ces lieux du dire fictionnel ne serait que fortuite spéculation bien que soumise à la rigueur d'une méthodologie d'analyse.

NOTES

(I) Sidi Boumédiene dont les enseignements mystiques ont marqué toute la communauté tlemcenienne est l'un des maîtres de la théosophie le plus connu dans le monde musulman. Il est enterré à El-Ubad, quartier se situant sur le versant élevé du Sud de Tlemcen. Mohammed DIB était allé plusieurs fois se recueillir sur sa tombe en étant jeune comme ce fut l'obligation de toutes les familles tlemceniennes.

(2) Secte mystique très dominante se répandant de l'extrême nord de l'Afrique au Kordofan. La majorité des penseurs musulmans noirs de l'Afrique occidentale sont adeptes de la Zaouïa des Tidjaniyas. H Amadou Hampaté Bâ et Hamidou Kane en sont des fervents initiés par l'intermédiaire de Tierno Bokar, le sage de bandiagara sous la domination culturelle et théosophique du fondateur de l'empire peul du Macina: Cheikh Amadou. Cf.l'ouvrage de A.H.BA et J.DAGET; l'empire peul du Macina (1818-1853). Les nouvelles Editions Africaines. 1984. Abidjan.

(3) Général P.J André. contribution à l'étude des confréries religieuses musulmanes. OP. cité P. 226

(4) Ibid. P.226

(5) Nous citerons cet ouvrage par les initiales C.S.R.S.

(6) Mohammadoud Kane, le roman africain. OP.Cité.p.341

(7) A.A.BA. vie et enseignements de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara. ED. seuil.1980. Parlant des racines de ce chef spirituel, A.A.BA nous dit que:

« sur le vieux substratum des religions du terroir, l'empire poullo-musulman du macina s'était édifié au début du XI siècle. Un homme de génie, chékou Amadou, avait mis sur pied une construction poétique, sociale et économique qui encadrait des populations habituées à voisiner en conservant jalousement leur originalité. Paysans, pasteurs, artisans et pécheurs étaient unis par des liens religieux dont l'origine mythique se perdait dans la nuit des temps. (...) Mystique Tidjani, Amadou Tafsiro Bâ avait initié Tierno Bokar aux secrets de la pensée du fondateur de l'ordre: si AHMED Tidjani. La perle de la perfection (Djawharatul-Kamal) oraison particulière révélée au cheikh Ahmed Tidjani, et le désir des utilités, commentaire des grands écrits du Maître; avaient été appris et l'on ne cessait de les commenter dans la case d'Amadou Tafsirou. Enfin, l'oeuvre religieuse maîtresse d'El Hadj Omar, Er-Rima'a (les lances), était l'un des ouvrages les plus lus dans le royaume de Bandiagara. (...)

Son vieux maître Amadou Tafsirou Bâ l'invita à devenir maître à son tour et à enseigner à sa place à ses condisciples. « A.A.Bâ. Vie et enseignement de Tierno Bokar. pp. 15/36.

(8) Héritier et fondateur de la théosophie musulmane du Maghreb, il fonda aussi la grande confrérie Alaouiya.

(9) P.J.André. contribution à l'étude des confréries religieuses. OP. cité.p.127.

(10) Martin Lings. un saint musulman du vingtième siècle; OP cité.p.250

(11) Amadou Hampaté Bâ. L'empire peul du Macina.O.P.cité.

(12) C.N.R.S. La notion de personne en Afrique Noire.A.A.Bâ.P 181O.P. cité.

(13) A.A.Bâ. Vie et enseignement de Tierno Bokar .O.P.cité.P.126

(14) Cité par Mohammed Kane. Le roman africain .O.P.cité.P.152

(15) A.A.Bâ. Vie et enseignement de Tierno Bokar .O.P.cité.P.125

(16) Cette chaîne spirituelle dont Al-allaoui fait partie a été rapportée par Martin Lings. Un saint musulman du vingtième siècle, ouvrage précédemment cité page 226.

(17) Le Dikr est pour le soufi un exercice mystique qui consiste à se concentrer sur des noms divins afin de permettre à son âme de se libérer de son enveloppe corporelle. Dans le cas du récit de Hamidou Kane, l'Aventure ambiguë, il correspond à l'étape de mortification imposée au jeune Samba Diallo dans le foyer Ardent de son Maître.

(18) Wihdat'el'Wûjûd ou unité de l'Existence (dans la doctrine de la philosophie éternelle, cela correspond à l'éternité du monde).

Cet état de contemplation de l'Existence dans la théosophie musulmane est le dernier stade de l'initiation. L'initié doit contempler en toute chose la présence de l'essence Divine en dehors du temps et de l'espace. cf. Les traités des « frères de la pureté », «Ikhuan eçafa » Ives marquet (thèse de doctorat).O.P.cité.chapitre II: le triade (l'intellect universel, l'âme universelle, l'âme et la Matière première).PP.49-82).

(19)SHU'AÏB ABU MADIYAN. Né à Cantillana, prés de Séville (Espagne) vers 520/1126 sous le règne du sultan almohade Ali, fils de Youçouf Ibn Tachfine, celui là même qui acheva de construire la Grande Mosquée de Tlemcen en avril 1136.

(20) Martin Lings. Un saint Musulman du Vingtième siècle. O. P . Cité.p.71

(21) Wird, littéralement contingence dans l'illumination. C'est le verbe que reçoit le mystique en transe et qui traduit le souffle ou l'esprit de Dieu réactualisé à l'image du contenant.

(22) A.A.Bâ, vie et enseignement de Tierno Bokar.O.P.Cité.P.129.

(23) Cette poésie mystique chantée dans les Zaouiat allaouiat a été traduite de l'arabe par Martin Lings, un saint musulman du vingtième siècle.O.P.Cité.P.257.

(24)Hayoun, le commentaire de Moïse de Narbonne.O.P.Cité.P.63/69

(25) Louis Gardet, la pensée religieuse d'Avicenne.O.P.Cité.P.175.

Soulignons que l'auteur de cet ouvrage nous définit indirectement le statut de la conscience du narrateur du récit initiatique. Il nous dit que « ce qui distingue en propre le gnostique, c'est donc le tendre à la vérité première pour elle même; et sans aucun motif, ni crainte de châtiment, ni espoir de récompense. Qui recherche la vérité première non comme un but absolu, mais comme un moyen pour éviter les souffrances ou jouir des récompenses de l'autre vie, ne pourra connaître les vrais délices du bonheur inaccessible. » (P.176)

(26) Ibid.p.175

(27) Farid-Ud-Din Attar. Le mémorial des saints .O.P.Cité.P.34.

(28) Martin Lings. Un saint Musulman du Vingtième siècle. O. P . Cité.p.55

(29) Ibid.P.258

(30) Naget Khadda. L'oeuvre romanesque de Mohammed DIB .O.P.U.Alger 1983.P.300

(31) Ibidem.P.302

(32) Claude Lévi Strauss. Anthropologie structurale. OP.Cité.P.259

(33) Arif- celui qui a la connaissance intellectuelle, intuitive et savoureuse de Dieu, « le Gnostique ».

(34) Louis Gardet. La pensée religieuse d'Avicenne.O.P.Cité.P.147

(35) Martin Lings. Un saint Musulman du Vingtième siècle. O. P . Cité.p.252

(36) Claude Lévi Strauss. Anthropologie structurale.O.P.cité.P.233

(37) J.P.Goldenstein. Pour lire le roman.O.P.Cité.P.20

(38) Martin Lings. Un saint Musulman du Vingtième siècle. O. P . Cité. P.268

(39) Louis Gardet. La pensée religieuse d'Avicenne.O.P.Cité.P.55

(40)Claude Lévi- Strauss. Anthropologie structurale.O.P.cité.P.231

(41) Ibidem.P.233

(42) Aldous Huxley. La philosophie éternelle.O.P.Cité.P.226

2ème partie

chapitre II

LE RECIT IMPOSSIBLE

INTRODUCTION

L'étude de nos deux corpus de vérification, cours sur la rive sauvage de Mohammed DIB et l'Aventure Ambiguë de Hamidou Kane permettra de vérifier nos hypothèses sur cette polyphonie discursive sous-tendue par un hypers-discours à contenu théosophique profondément enraciné dans la culture mystique d'essence théocratique et soufie. Ses auteurs ont tenté par leur attitude narrative de s'intégrer dans la tradition du roman expérimental à portée initiatique tout en développant un contre-discours littéraire, celui de la négation de l'autre dans une sorte de stratégie discursive du 1/3 exclus. Le procédé de narration fera réussir ou échouer le projet d'écriture engagé aussi bien dans son intention éthique qu'esthétique.

Nous verrons cohabiter les registres de la fiction littéraire et ceux des vérités ontologiques où se confrontent les aspects de la Foi et ceux de la littérature. L'Ecriture ayant toujours tenté de substituer aux textes sacrés ses propres textes d'où le conflit entre la Foi et la raison; l'esprit et la matière, le réel et l'imaginaire.

C'est à travers ce cheminement de la pensée religieuse sans cesse rénovée par les possibilités de l'écriture que nos deux auteurs tentent leur propre aventure littéraire.

Concernant Hamidou Kane, c'est le témoignage autobiographique sous-tendu par une expérience profondément mystique qui traite en surface le rapport entre la tradition de la modernité, le « même » et « l'autre »: l'Aventure Ambiguë est l'histoire de l'élite africaine confrontée aux problèmes d'identité que pose l'Africain à lui-même face à l'occident. Samba Diallo, le personnage-opérateur du récit, successivement élève de l'école coranique, disciple d'un maître mystique de la confrérie Tidjaniya et aussi élève de l'école française sera l'enjeu d'un pathétique affrontement entre les deux cultures, Africaine et Occidentale.

Du « Foyer Ardent », « Zaouia soufi, il recevra l'éducation la plus sévère du Maître des Diallobé. Le cheikh voit en lui son futur successeur et même le garant des traditions de son peuple. Membre de l'élite traditionnelle, il doit faire partie de l'élite nouvelle. Le Maître des Diallobé qui s'y connaît en individualité forte et prometteuse proclame « qu'il est la graine dont le pays des Diallobé faisait ses Maîtres...et Les Maîtres des Diallobé étaient les Maîtres que le tiers du continent se choisissent pour guide sue la voie de Dieu en même temps que dans les affaires humaines » .L'A.A.P.22

Ce jeune initié dans la voie de Dieu en quête d'autres vérités mystiques mais profondément imprégné par l'aspect le plus eschatologique de l'islam trouble la conscience des gens du village en ne cessant de leur rappeler la fatalité de la mort au point de semer l'angoisse:

« Gens de Dieu: songer à votre mort prochaine, éveillez-vous: Azraël, l'Ange de la mort, déjà fend la terre sur vous, il va surgir à vos pieds, gens de Dieu: La mort n'est pas cette sournoise qu'on croit, qui vient quand on ne l'attend pas, qui se dissimule si bien que lorsqu'elle est venue plus personne n'est là » l'A.A.P.23

Alertée par ses imprécations, la Grande Royale qui symbolise la Nouvelle Afrique des temps futurs, fou furieuse s'oppose radicalement à la manière dont est éduqué le petit prince des Diallobé, elle dit que «  le temps est venu d'apprendre à nos fils à vivre. Je pressens qu'ils auront affaire à un monde de vivants ou les valeurs de morts seront bafouées et faillies ». L'A.A.P.38.

Cependant au village, le vieux maître mesure chaque fois son désarroi et son impuissance devant un monde qui ne comprend plus. Inquiétant et prophétique, un étonnant personnage, celui du fou qui symbolise le dilemme de l'écriture (la folie d'écrire dans la langue de l'autre) témoigne de l'impossibilité d'union de ces deux cultures. Samba Diallo, après un séjour en Europe, achève ses études de philosophie à Paris, mais le doute l'habite, revenu au pays, il est possédé par l'ivresse extatique de sa propre expérience mystique et échoue à concilier les tendances contraires qui le déchirent et, à l'ambiguïté, il préfère, sous une forme suicidaire, mourir des mains du fou.

Cette mort symbolique du héros de l'Aventure Ambiguë survient en étage terminal du parcourt initiatique de Samba Diallo, elle exprime sémiotiquement la mort de la parole du maître de la parole puisqu'elle est incapable de trouver son statut dans le langage exotérique. Nous retrouvons ici une caractéristique ancestrale du peul « Bi Dimo » c'est à dire noble. A.A.Bâ nous rapporte dans ses mémoires qu'une femme peule avait délibérément choisi pour lui la mort plutôt que l'anonymat qui n'est qu' une autre façon de mourir: »je préfère le voir mort et enterré sous son vrai nom plutôt que rester en vie sans identité »(I).

Un peul écrit son oralité au risque de son péril. S'il se met à écrire ce n'est que pour accéder à des vérités supérieures car « il n 'abandonne son troupeau de vaches que pour une tâche plus noble » telles sont les paroles de pâte poullo devant le fondateur de l'empire toucouleur, el hadj omar, grand maître de la confrérie tidjaniya; « ...car, à un peul qui a abandonné ses troupeaux, on ne peut rien demander qui vaille davantage. Si je te suis, c'est uniquement pour que tu me guides vers la connaissance de Dieu, Un.(2).

Le programme narratif du récit initiatique de Kane est essentiellement cette conjonction de deux systèmes de signes; l'un théosophique et l'autre scriptural (écriture de l'oralité peule fondamentalement théocratique). Samba Diallo est un personnage historique qui poursuit une genèse confrontée à la tradition soufie de la confrérie Tidjaniya et son évolution dans un univers où l'occident s'érige comme une barrière:

« Le bonheur n'est pas fonction de masse de réponses, mais de leur répartition. Il faut équilibrer...Mais l'occident est possédé et le monde s'occidentalise. Loin qu'ils se débordent au délire de l'occidentalisation le temps qu'il faut pour trier et choisir, assimiler ou rejeter, on les voit au contraire, sous toutes les latitudes; trembler de convoitises, puis se métamorphose en l'espace d'une génération, sous l'action de ce nouveau mal des ardents que l'occident répand »L'Aventure Ambigue.P81.

Ainsi s'exprima douloureusement le père de Samba Diallo quand il reçut la lettre de la Grande Royale l'informant de la décision des chefs des Diallobé d'envoyer son fils à l'école française appelée La nouvelle école.  en recevant cette lettre, le chevalier sentit comme un coup dans son coeur « Ainsi la victoire des étrangers était totale » A.A.P.80

Sur le plan de la théosophie, ce dilemme symbolise le conflit sanglant qui opposa « les douze grains » aux « onze grains ».Ce sont les deux sous sectes de la Tidjaniya du Sénégal qui divisèrent l'empire peul du Macina par les seuls grains de leur chapelet :

Les « onze grains » manifestent la transcendance de la Parole divine sans aucun anthropomorphisme intervenant. Elle permet selon l'essence Tidjaniya le retour de l'être vers son essence initiale. Sa parfaite solitude dans le verbe se réalise dans une forme d'amour informel.

Les « douze grains » supposent la parole divine inachevée qui nécessite l'implication de l'homme (délégué de Dieu) . Elle permet selon le « fayd », émanation de la connaissance gnostique du maître (pôle des pôles), de redynamiser le temps en le mettant en accord avec l'action et la connaissance du présent: « l'école ou je pousse nos enfants tuera en eux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre. Peut-être notre souvenir lui même mourra-t-il en eux. Quand ils nous reviendront de l'école, il en est qui ne nous reconnaîtront pas. Ce que je propose c'est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons laissée. » A.A.P.57.

Cette forme de raisonnement est unique dans la littérature africaine. Nous avons trouvé qu'il n'était possible que dans le contexte d'une réflexion théosophique issue de la confrérie des tidjaniya et dont notre auteur est un fervent disciple. Le voyage en occident de samba Diallo est un parcours initiatique dans le temps mystique des « douze grains ».

L'échec du récit n'est pas provoqué par l'occident mais par le narrateur de vouloir concilier entre les deux cultures. Le dilemme entre l'authenticité et l'efficacité débouchera sur cette volonté «de  mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons laissée libre » avec l'unique raison «  d'apprendre à vaincre même lorsqu'on n'a pas raison ».

Les orientations de lecture de la préface de V.Monteil du récit de Kane semblent ne situer le noeud du problème que dans le rapport entre la tradition et la modernité. En effet une lecture orientée vers cette dualité peut aboutir à une analyse concluante du roman. Mais pour notre part cela voudrait dire que c'est toujours une plume indigente qui souffre de son indigence à pouvoir écrire dans son autonomie culturelle et spirituelle et qui ne peut prétendre à l'écriture que sous la tutelle de l'homme blanc. Le récit de Kane est une invitation à la cohabitation des deux cultures au risque de la mort de l'oralité soumise à l'empire despotique de l'écriture.

Cependant, Hamidou Kane avait initialement voulu intituler son roman «Dieu n'est pas un parent ». Il aura tenté un contre discours théologique en s'adressant à la foi chrétienne (en réponse aux missionnaires blancs) qui octroie la paternité à Dieu par le procédé de la trinité; et aussi à la foi musulmane qui s'approprie la divinité en développant un discours eschatologique égocentrique. A ces discours, il oppose celui qui prend pour partie édifiante, la pensée panthéiste et la théosophie musulmane. Nous sommes renvoyés ici à la problématique augustinienne et par- delà platonicienne qui fonde l'individuation de l'homme dans la pensée divine en tant qu'Idée. Point de convergence de la théosophie musulmane, de la thèse augustinienne et de la cosmogonie peule L'Aventure ambiguë fait fonctionner la foi ontologique de l'être en dépassant les conflits de paroisses.

Nous avons retrouvé cet aspect de la cosmogonie africaine qui soutient qu'« avant la création, l'homme était présent dans le « mawazo » (pluriel de wazo idée, pensée) de Dieu et n'était ni homme ni femme ni jeune ni vieux, ni blanc ni noir, il était pure forme dirions nous de l'intelligence divine. C'est pourquoi le « mawazo » devient une sorte de lien spirituel unissant l'humanité au delà du tribalisme, en une seule famille, en une unique « jammaa » (colloque international du C.N.R.S) (3).

Cette conception de l'individuation a investi certaines littératures africaines et en particulier son genre initiatique. L'Aventure ambiguë qui se veut être un récit initiatique à contenu théosophique engage l'initiation de Samba Diallo dans le cheminement de cette cosmogonie:  « il est grand temps que tu reviennes, pour réapprendre que Dieu n'est commensurable à rien, et surtout pas à l'histoire, dont les péripéties ne peuvent rien à ses attributs. Je sais que l'occident ou j'ai eu le tort de te pousser, a le dessus, une foi différente, dont je reconnais l'utilité, mais que nous ne partageons pas. Entre Dieu et l'homme, il n'existe pas la moindre consanguinité, ni je ne sais quelle relation historique...Dieu n'est pas un parent. IL est tout entier en dehors du flot de chair, de sang et d'histoire qui nous relie. Nous sommes libres. » l'A.A.P.175.

Ce passage nous conforte dans notre analyse puisque nous avions annoncé que le projet d'écriture de cette oralité initiatique soutient le contre discours théosophique à démarche initiatique. Rappelons que cette autobiographie de Kane procède d'un besoin de se donner en exemple et de conférer à l'expérience personnelle une perspective collective ( d'où la fonction du contrat fiduciaire).

C'est l'oeuvre d'Ibn Thophaïl, Hayy Ibn Yaqdhân qui ouvrit la voie à ce genre se proposant ouvertement comme guide dans la philosophie illuminative, « falasafat'el `ichraq. », toute notre première partie en a cerné les aspects et fonctions. Nous retrouverons tout au long de l'itinéraire initiatique de Samba Diallo les « Maqamat » ou stations de contemplations que son prédécesseur Hayy avait parcourues. Nous verrons que le récit initiatique a intégré au courant de son histoire des existants nouveaux en les adaptant à des existants anciens. Sa nature nous apparaîtra comme dialectique et ontologique. elle fait être de nouveau ce qui a été tout en s'identifiant à la vie même de la communauté peule.

C'est donc spécifiquement l'écriture de la foi qui est engagé dans ce roman. Ce sont par conséquent deux systèmes qui se conjuguent et conjuguent le récit de Kane: religion et roman, deux façons d'écriture, de se lire et de se commenter, deux « voix » d'auteur dans des textes en fiction et en vérité. Cela engagera une intention éthique et esthétique à la fois. Le narrateur comptera sur les effets de sens et la magie des mots pour se faire un chemin dans l'univers de la littérature. Le seul danger est que la littérature n'implique pas forcément la vérité, d'où la notion de récit impossible que nous aurons à évoquer et qui concerne ce genre.

L'émergence du récit initiatique dans la littérature africaine, et spécifiquement, celui à contenu théosophique, s'est opéré grâce au fondateur de l'empire peul du Macina: Lorsque en 1862, apparut El Hadj Omar, Grand maître de l'Ordre Tidjaniya (4). Il conquit l'empire du Macina, cet empire avait commencé déjà à se désagréger spirituellement sous le règne de Amadou (ou « Amadou III »), petit fils du fondateur Chékou Amadou » (5)

Le récit de Kane débute par glorifier les fonctions initiatiques du maître du Foyer Ardent qui ne ménage aucun effort à initier les enfants Diallobé qui lui seront confiés. Cet aspect autobiographique nous renvoie inévitablement à l'histoire de la Zaouia de Bandiagara ou le grand Maître Tierno Bokar enseignait les principes du soufisme à obédience Tidjaniya: A.A.Bâ nous rapporte que c'est « en 1937 que la vie de Tierno Bokar entra dans sa phase finale. Le maître s'engagea alors dans ce que l'on pourrait appeler la voie de la mystique active, qui fut également pour lui la voie de la souffrance. A soixante-deux ans, Tierno Bokar était rompu à tous les exercices de l'esprit. Il avait arpenté les sentiers mystiques qui lui avaient été révélés, ne s'égarant jamais dans leurs dédales. Il avait en lui la solide assurance de sa foi orthodoxe, fil d'Ariane infaillible. Les variations les plus audacieuses sur le thème de Dieu et de son Unicité lui étaient familières. Il gardait la tête froide là où d'autres auraient rencontré le vertige. (6)

Sur les traces de Tierno Bokar et dans l'audace de l'écriture, l'écrivain Hamidou Kane exprime dans son roman cette exposition fatale de la pensée mystique confrontée à la raison discursive de l'occident:

« L'occident est en train de bouleverser ces idées simples, dont nous sommes partis. Il a commencé, timidement par reléguer Dieu « entre des guillemets ». Puis deux siècles après, ayant acquis plus d'assurance, il décréta «Dieu est mort. « De ce jour là date l'ère du travail frénétique. Nietzsche est contemporain de la révolution industrielle.Dieu n'était plus là pour mesurer et justifier. N'est-ce pas cela l'industrie? L'industrie était aveugle quoique, finalement il fut encore possible de domicilier tout le bien qu'elle produisait...Mais déjà cette phase est dépassée. Après la mort de Dieu voici que s'annonce la mort de l'homme. L'A.A.P.113

Ce thème de la mort est omniprésent dans le récit de Kane qui s'achève même par la mort suicidaire de Samba Diallo, victime de sa propre crise mystique « peut-être, après tout contraindre Dieu...lui donner le choix entre son retour dans votre coeur, ou votre mort, au nom de sa gloire » (p.187) pensa le fou avant d'exécuter sa sentence qui prit l'aspect d'un sacrifice initiatique.

La mort de l'initié est symboliquement comparable à la mort de la raison des « autres ». Dans le cas du récit initiatique de Hayy Ibn Yaqdhân, cette mort est exprimée sous sa forme métaphorique par le retour de Hayy dans son île déserte: « lorsqu'il eut compris les diverses conditions des gens, et que la plupart d'entre eux sont au rang des animaux dépourvus de raison, il reconnut que toute sagesse, toute direction toute assistance, résident dans la parole des Envoyés, dans les enseignements apportés par la loi religieuse, que rien d'autre n'est possible, qu'on y peut rien ajouter; qu'il y a des hommes pour chaque fonction, que chacun est plus apte à ce en vue de quoi il a été crée. « telle a été la conduite de Dieu à l'égard de ceux qui ne sont plus. Tu ne saurais dans la conduite de Dieu trouver aucun changement » H.I.Y.P.112

Concernant notre deuxième corpus de vérification, cours sur la rive sauvage de Mohammed Dib, c'est le type même du récit initiatique métamorphosé puisque soumis entièrement aux contraintes de la langue de « l'autre ». C'est le récit éclaté, et qui procède à l'éclatement des métaphores développées dans les « samaa » ou chants amoureux mystiques produits par l'oralité initiatique(nous avions déjà souligné cet aspect au début de cette deuxième partie).

Cours sur la rive sauvage est l'histoire d'un personnage néophyte, Iven Zohar qui provient d'un espace mythique, ne cesse d'évoluer dans un espace mystique soumis à toutes les épreuves d'un « au-delà » fantastique. Il surgit dans la diégèse avec sa fiancée Radia qui disparaît dans les labyrinthes d'une cité magique (la cité Nova). En quête perpétuelle de sa fiancée, c'est une véritable quête de soi que le narrateur entreprend. Toutes les vérités qui s'offrent à lui ne sont en fait que des illusions. La femme se métamorphose en cité (cité-Radia) et son propre être se confond avec une unité anthropomorphique divine: Héllé. Se substituant l'une pour l'autre, il croit trouver Radia mais c'est héllé qui surgit au terme de chaque épreuve douloureuse. Le récit est un véritable tourbillon où chaque mot doit être décrypté à la lumière des sciences ésotériques de l'Islam pour lui redonner sa juste fonction dans la quête de Dieu qui ne dira jamais son nom puisqu'il s'agit là d'une poésie mystique en prose du même registre que les poésies des grands maîtres soufis (cf. notre premier chapitre de cette partie).

Béida chichi (7) avait vu juste lorsqu'elle nous a rapporté que « cours sur la rive sauvage » se présente comme ces créations poétiques hantées par les rêves, les mythes, les symboles et les images, comme proposition à déchiffrement qui s'écrivent en dehors de toute considération contraignante et relativisante et se donnent comme totales. » (8)

Nous dirons aussi à sa suite que  tout comme Aragon, Dib veut cesser de vivre « par procuration » et propose son « moi » comme une forme vide qui s'ouvre aux révélations de signes jusque là inconnus mais sans toutefois ignorer le risque qu'il entreprend « l'espace où je me suis engagé est celui de l'épreuve... « il pourrait devenir aussi celui de la récompense, de la libération, de l'amour. Il pourrait... » C.S.R.S.P.61.

Dib est conscient de son aventure car en engageant son écriture il engage son « moi » et là, est une autre forme d'autobiographie que nous avions nommée « l'autopschégraphie » ou écriture de sa propre âme.

Entre le récit d'Ibn Thophaïl et celui de DIB, la quête est la même: l'ascension vers l'unité de l'Existence est la même, seul le registre des mots a changé:

« Toutes les essences divines et les âmes souveraines sont libres de tout corps; elles en sont aussi exemptes que possible, sans lien avec eux, sans dépendance par rapport à eux. Que les corps disparaissent, qu'ils existent ou qu'ils n'existent pas, cela est différent. Elles n'ont de lien et de dépendance que par rapport à l'essence de L'Un » H.I.Y.P.98.

___________________________________________________________

« Nous sommes immortels.Ces mots sitôt émis, un dôme de lumière, bleu vif, adamantin, rompu de cours éclairs, recouvre la mer et la plage. Il en ruisselle une fraîcheur perçante. Il est de par le monde des lieux qui conserveront toujours notre image et les images de ceux que nous aimons, poursuis-je (...)- Les destinées se nouent ici. Nous sommes l'esprit des choses... »Cours de la rive sauvage.P.84

Cette dépendance de l'esprit des choses est le géno-texte commun des deux récits. Ibn Thophaïl s'en remet à la théosophie pure, DIB s'en remet à la littérarité du texte dans une intention commune à force ontologique.

Nous ne sommes pas les premiers à savoir que c'est un récit initiatique qui obéit forcément au modèle grec: mort/ténèbres/descente en enfer/résurrection et lumière, François Desplanques avait lui aussi appréhendé cette structure du récit de Dib mais en la réduisant à sa plus simple expression structuraliste. L'allusion au contenu théosophique n'a été fait que par Mostefa-Kara Fewzi (Sari) (10).

Voici le schéma global du récit tel qui a été analysé par François Desplanques et que nous reconnaissons comme convergent à notre analyse mis à part son contenu théosophique que nous soutenons dans notre travail:

Structure de Cours sur la rive sauvage

N° des S

Indication sur le contenu

Structure gle

S/ensemble

1-

Le trolley (première descente vers le centre)

T

E

I° mariage

P

2-

Le mariage étrange

N

R

3-

La dislocation de la ville

E

O

4-

Don des anneaux: Radia disparaît ville nova

B

R

L

O

5-

Ière exploration de la ville: Les vorasques

E

S

G

U

E

6-

Réflexions sur la ville nova

 

I° entrée ville nova

7-

Les statues

D

E

F Q

E U

8-

Radia-étoile, deux fois retrouvée et perdue

S

C

E

M E

M T

E E

9-

Les femmes endormies

N

/

10-

L'inconnue de la plage

T

E

S D

T U

A

11-

Le vieux sage: les deux descentes aux enfers

 

T T

U U

E

12-

La ville du soleil. Nouvelle apparition. de l'inconnue

L

U

M

 

13-

La ville du feu: les takas

I

E

QUETE DU « JE 

14-

Nouvelles réflexions sur la ville; les 3 « moi »

R

E

 

15-

Le navire

M

2° mariage

16-

HELLE semble vaincue

O

 

17-

HELLE repart triomphante

N

EPILOGUE

= Séquences stratégiquesAbordant l'analyse du récit sous sa forme purement structuraliste, nous aboutirons nécessairement à ces conclusions et nous aurons singulièrement déconstruit le texte en séquences narratives. Or nous l'avions souligné, l'Instance narrative première est la théosophie musulmane. Elle en est le Destinateur, le destinataire étant la quête de l'âme dans son Unicité; d'où l'unicité close du récit dans sa pluralité polyphonique. Nous retenons tout au long de notre analyse les trois structures globales: la Mort, la descente aux enfers et la résurrection de l'initié dans la lumière de la connaissance (concernant la littérature, la résurrection dans l'écriture est par l'écriture.)« Le discours méta-textuel fait du narrateur le sujet d'une initiative et propose une définition du mythe qui suppose une quête de la perfection de l'origine; et proposant un nouveau commencement, il est tout à la fois mémoire et création et définit le passé idéalisé qui à un avenir « il nomme implicitement le projet de l'auteur et transformer une mythologie en objet littéraire: « Toutes les mythologies du passé, écrit Aragon, à partir du moment ou l'on n'y croit plus, se transforment en roman » ( II)Là où Beida Chikhi parlera du mythème nous parlerons d'Instance narrative première: la théosophie. Nous concevons que les symboles dans le mythe s'apparentent à ceux du soufisme. Nous n'avons pas trouvé jusque là deux méthodologies distinctes. Une « mythification » n'est pas forcément une mystification mais tout deux s'identifient dans l'univers de la littérature. Toutefois, nous dirons, sachant où nous mettons les pieds, que l'investigation mystique focalise son lieu du Dire dans le mythe de la création, fil d'Ariane qui remonte vers les Vérités premières, voire à l'idée platonicienne de l'être.Mohammed Dib réinvestit les quatre éléments (feu-lumière, eau-vie, terre-mort et cieux-immortalité) dans son récit en leur donnant leur fonction principielle, glorifier l'unicité de la seule vérité qui les conjugue: le privilège d'un bonheur: « J'eus instantanément la perception de l'homme de vent en quoi j'avais été transformé, et de l'être de feu qu'il était aussi, et je sus de même qu'aucun obstacle ne serait plus assez fort pour m'arrêter ou me détourner de ma recherche, désormais.- Nul sortilège, triomphais-je, ni pouvoir:Ce qui subsistait de moi était inévitablement promis au bonheur. La circonstance se préparait depuis longtemps en quelque lieu, comment dire? Privilégié:... » médita Iven Zohar après avoir réussi les épreuves des quatre éléments que lui imposa la divine Radia dans cette course folle dans l'univers des signes. (10) C.S.R.S.P.138) Certes, il s'agit là d'une cosmogonie poétique puisque nous l'avions dit, le récit initiatique de Dib est une poésie en prose (Dib étant poète avant d'être écrivain). D'ailleurs il ne peut s'empêcher de laisser surgir cette vocation puisque dans l'attente de la délivrance sublime, du but ultime de « là-bas » (p.140): « je murmurais en réponse à la captivante, l'insondable nostalgie de ces vocalises:Berce mon corps, dissous mon ombreDans une clairière diurne,Toi qui as rompu mille rêvespour t'éveiller sous ma poitrineDans une clairière diurne,Un territoire de hasard,un tremblement léger de feuillesou un feu dispersé au vent,Et l'autre flamme qui rassembleUne architecture de brumeLoin sur les vagues de la merM'accueillera peut-être un jour. » (P.141)Si nous traduisons ces vers en arabe nous serons étonnés de constater que c'est absolument le même registre des signes utilisé, par les mystiques soufis voulant évoquer l'univers de leur contemplation. Nous en avions déjà souligné les fonctions dans l'espace de l'oralité initiatique (cf.CH.I. de cette 2°partie). Voici quelques vers de Cheikh Ahmed El-Allaoui à titre de rappel:« Au plus secret d'elle même,abimé,jusqu'à penser qu'elle était moi,pour rançon, elle prit ma vie.Elle me changea, me transfigura,De son propre sceau me marqua,Me pressa contre elle, elle m'accorda un privilège uniqueM'ayant tué et réduit en lambeaux,elle trempa ces restes dans son sang,me nomma de son nom » (12)Nous constatons que ce sont là deux registres identiques exprimant une quête commune: la recherche de l'amant sublime dans l'extinction sublime du « moi ».Il n'y a aucun doute que Mohammed Dib puisait ses métaphores dans l'univers de la poésie mystique tout en écrivant dans la langue de « l'autre ».Quant à Hamidou Kane, l'echec de son récit est provoqué par la métamorphose inachevée de son personnage Samba Diallo. D'où l'échec de son itinéraire initiatique dans l'univers hybride de la philosophie et de la théosophie. ECHEC D'UN ITINERAIRE. (Cas de Samba Diallo)

1. LA MORTIFICATION.Mourir dans la parole et ressusciter par la parole, tel est l'incipit du roman de Kane. Tout un arsenal de la souffrance est déployé dans la rhétorique de l'ouverture du récit de l'Aventure Ambiguë : « comme s'il eût marché sur les dalles incandescentes de la géhenne », « il avait saisi Samba Diallo au gras de sa cuisse, l'avait pincé.... » , « le petit enfant avait haleté sous la douleur », « ses ongles s'étaient rejoints à travers le cartilage du lobe qu'ils avaient traversés »« l'oreille, déjà blanche de cicatrices à peine guéries »« Ses yeux étaient implorants, sa voix mourante, son petit corps était moite de fièvre, son coeur battait follement ».L'A.A P.14/17Cette ouverture du récit rejoint les épreuves de l'initiation imposées aux jeunes néophytes dans quasi tous les rites d'initiation africains. Ces pratiques païennes et animistes ont gardé leur valeur de mortification même avec l'avènement de l'Islam( nous n'avons pas trouvé ces pratiques dans le christianisme noir) ce qui montre que l'animisme africain a pu garder certaines de ses pratiques en Islam.Cependant, les pratiques de mortification ont toujours été gardées dans certaines sectes chrétiennes; seules les méthodes et rites diffèrent. Il nous est rapporté dans la préface du livre, « le sens de la souffrance » de Max Scheller, que « la souffrance est toujours liée au sacrifice , le sacrifice de la partie pour le tout, de ce qui a une valeur inférieure au profit de ce qui a une valeur supérieure, qu'elle est inséparable de la mort et de l'amour: de la mort, puisque si la partie meurt, c'est pour que le tout soit sauvé, de l`amour puisqu'une valeur supérieure ne peut nous commander l'immolation d'une valeur inférieure parce que nous l'aimons davantage. Ainsi la souffrance nous oblige à subordonner notre vie sensible à une activité spirituelle de plus en plus haute. Et c'est pour cela qu'elle est purificatrice. Elle est donc l'amie de l'âme. Le souffrir du chrétien « épuise jusqu'au fond de la souffrance en adoucissant l'âme dans une égale piété de soi-même et d'autrui » (13)Le thème de la mortification évolue progressivement dans le récit puisqu'il fonctionne comme un actant opérateur de la diégèse et nous voyons se construire les transformations narratives dans une sorte de littérature potentielle:«  Le maître lâcha l'oreille sanglante »(P.15) «  Le maître qui tenait maintenant une bûche ardente tirée du foyer tout proche ... »(P.15) « La bûche ardente lui roussit la peau. Sous la brûlure, il bondit.. » (P.16). Ainsi le thème de la mort et de la souffrance se poursuit dans le deuxième chapitre « Gens de Dieu, songez à votre mort prochaine...La mort n'est pas cette sournoise... »(P.23).Ce n'est qu'avec l'émergence de la Grande royale que le thème de la mort s

2. ubit une transformation isotopique afin de passer à un niveau supérieur celui de la vie (mort VS vie) elle dit:  « Néanmoins, je suis inquiète, maître. Cet enfant parle de la mort en terme qui ne sont pas de son âge . Je venais vous demander, humblement, pour l'amour de ce disciple que vous chérissez, de vous souvenir de son âge, dans votre oeuvre d'édification » (P.35).Cette séquence discursive agira sur la transformation de l'état initial (l'incipit), cette unité de sens mythique (la souffrance vs mort) va engendrer des séquences narratives qui feront éclater ce mythe et permettre au récit de progresser dans l'univers de la mort symbolique; ce qui va donner des discours de type:« Longtemps, l'enfant, près de son amie morte, songea à l'éternel mystère de la mort et, pour son compte rebâtit le paradis de mille manière » (P.53), « après la mort de Dieu voici que s'annonce la mort de l'homme »(P.113; « Il me semble qu'au pays des Diallobé l'homme est plus proche de la mort, par exemple il vit plus dans sa familiarité. Son existence en acquiert comme un regain d'authenticité. Là-bas il existait entre elle et moi une intimité, faite tout à la fois de ma terreur et de mon attente. Tandis qu'ici, la mort m'est redevenue une étrangère » (P.62)Cette récurrence du thème de la mort issu de la mortification (incipit du récit) donnera au récit sa substance initiatique puisque le néophyte, Samba Diallo, s'aventure sans la spéculation intuitive de l'au-delà de la même manière que Hayy Ibn Yaqdhân s'aventure sur ce « quelque chose » qui a quitté le corps de sa mère adoptive ( la gazelle) la laissant inerte et sans vie. La seule différence est que l'univers de Hayy est celui de la théosophie pure tandis que celui de Samba Diallo, celui de la philosophie discursive à portée initiatique.La souffrance est messagère de la mort mais redonne la vie, l'autre vie, Samba Diallo goûtera l'expérience de la mortification puisqu'elle va prendre d'autres dimensions encore plus graves et plus conséquentes pour les Diallobé:  « l'école où je pousse nos enfants tuera en ceux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin à juste titre. Peut être notre souvenir lui-même mourra t-il en eux (..) nous acceptons de mourir en nos enfants.. »(P.57)Par cette vérité avouée douloureusement par la Grande Royale, le narrateur est convaincu que la tradition théosophique peule ne répond plus aux exigences des temps modernes. La mort est salvatrice pour permettre la résurrection dans les nouvelles valeurs forgées par l'Occident. Mais « il arrive que nous soyons capturés au bout de notre itinéraire, vaincus par notre aventure même. Il nous apparaît soudain que, tout au long de notre cheminement, nous n'avons pas cessé de nous métamorphoser, et que nous voilà devenus autres. Quelquefois, la métamorphose ne s'achève pas, elle nous installe dans l'hybride et nous y laisse. Alors nous nous cachons, remplis de honte. » (P.125) Samba Diallo a conscience de l'Aventure Ambiguë et de l'impossibilité d'accéder à la connaissance parfaite de Dieu en empruntant la voie des philosophes: « j'ai choisi l'itinéraire le plus susceptible de me perdre »(P.125) Nous retrouvons ici la cause primordiale qui a poussé Ibn Thophaïl à écrire son roman Hayy Ibn Yaqdhân puisqu'il s'agissait de montrer l'impossibilité d'accéder à la connaissance stoïque de Dieu par les voies de la philosophie: » Quant aux livres d'Abou Narç El-Farabi qui sont arrivés jusqu'à nous, le plus grand nombre est relatif à la logique. Ceux qui sont parvenus sur la philosophie sont pleins d'incertitudes.(...)Il conduit ainsi tous les hommes à désespérer de la miséricorde divine; il met les bons et les méchants sur le même niveau, puisque, d'après lui ce qui les attend tous c'est le néant »H.I.Y.P.12Nous retrouvons dans le récit que cette idée du néant est rejetée (ou imposée): « ils disent que l'être est écartelé de néant, est archipel dont les îles ne se tiennent pas par en dessous, noyées qu'elles sont de néant. Ils disent que la mer, qui est telle que tout ce qui n'est pas elle y flotte, c'est le néant. Ils disent que la vérité, c'est le néant et l'être avatar multiple. « L'A.A.P.139.C'est ainsi que Samba Diallo passe de l'épreuve de la souffrance du corps à celle de la souffrance de l'esprit puisqu'il doit passer par le chemin de la philosophie (d'où le récit autobiographique de l'auteur).2. LA TYRANNIE DU « JE » AUTOBIOGRAPHIQUE.Ecriture autobiographique, cheikh kane le reconnaît lui même. Dans la famille on l'appelle « Samba » qui est le nom de rang du deuxième fils. Samba Diallo le personnage principal du roman s'interpose entre le récit imaginaire et l'autobiographie. Son expérience mystique ou plutôt celle de l'auteur laisse sous-entendre un point de vue moderniste de l'écriture de la foi par la confrontation des idées: « l'autobiographie permet au romancier de donner libre cours à sa nostalgie du passé, d'éclairer, d'expliquer les particularités du monde qu'il décrit, ou tout simplement de faire prévaloir un point de vue moderniste. » dira Mohamadou Kane (14).Le cas de notre auteur est de donner à une expérience personnelle des perspectives collectives, de se donner en exemple, de tracer un itinéraire initiatique où le narra taire est invité à en faire le parcours.Si le maître des Diallobé est dépassé par les événements qui succèdent et qu'il ne veut pas faire un choix dont il a la certitude qu'il le dépasse, Cheikh Hamidou Kane prend la responsabilité de trancher sur la question et soumet son oralité au dilemme de la confrontation entre les deux cultures, occidentale et africaine. Il le dit dans son interview recueillie par B.Kotchy: « Le Maître des Diallobé quant à lui est un homme de Dieu. Sa caractéristique principale, c'est d'être un mystique, Tout entier pénètre de Dieu et du Dieu de l'Islam, du Dieu Unique. Ce Maître des Diallobé, on lui demande maintenant de sortir de son rôle de pédagogue chargé de former les enfants pour dire si la société doit accepter de s'ouvrir ou pas. Très honnêtement, lui aussi, refuse de dire oui et refuse de dire non. Il dit que son rôle est d'éduquer. Eduquer sur le plan religieux, mais éduquer la totalité des élèves, des enfants confiés à sa garde. Il ne veut pas choisir, il ne veut pas faire un choix dont il a l'impression qu'il le dépasse un peu. » (15)Kane prend en charge ce dilemme au risque de l'échec du roman africain comme le souligne Mohamadou Kane: « La prééminence du thème de l'échec s'explique par la convergence du manichéisme et du pessimisme. Elle permet de se demander si le progrès est possible et à quelle condition, s'il est concevable sans la tradition. Elle légitime la considération attentive des tensions et conflits dans l'univers romanesque qui semblent inhérents à la situation de confrontation entre la tradition et le progrès et qui constituent au regard de la création littéraire, autant de techniques de dramatisation » (16).La tyrannie du « je » autobiographique procède de ce défi. Le narrateur-auteur s'aventure fatalement d'où le titre du roman: «  L'Aventure Ambiguë ». Les personnages sont ceux de la réalité historique, le « je » est celui de l'autobiographie et, « l'histoire de la vie de Samba Diallo est une histoire sérieuse » (l'.A.A.P.62).Il serait erroné de dire que la narration à la première personne suppose uniquement le « je » autobiographique car, c'est plus complexe que cela. L'autobiographie dans le récit initiatique est la convergence de trois instances du « je »: 1) l'instance de la théosophie. 2) l'instance de l'histoire. 3) l'instance de l'auteur.2.1. Le « je » de la Théosophie.Cette instance n'apparaît qu'au chapitre huit du roman avec l'incantation du maître du foyer ardent soumis au dilemme du choix entre les nouveaux temps et la tradition africaine: « Mon Dieu, vous avez voulu que vos créatures vivent sur la coquille solide de l'apparence. La vérité les noierait. Mais Seigneur de vérité, vous savez que l'apparence prolifère et durcit. Seigneur, préservez-nous de l'exil derrière l'apparence » L'A.A.P.95Cette notion d'apparence trouve son explication dans la tradition théosophique de l'Islam, on la nomme « dhahir » par rapport à ce qui est caché ou « bathin ». L'Afrique ancestrale garde jalousement ses secrets ou la (les) divinité (s) est vécue dans/par les mythes et récits étiologiques; soumettre ces valeurs à l'écriture par la langue de « l'autre » c'est profaner les tombes des anciens qui ont longtemps travaillé à transmettre leurs enseignements par initiation, et dans le respect des valeurs authentiques africaines. C'est l'écriture de cette instance qui provoquera une grave crise dans l'individuation de l'africain: « Les hommes du Diallobé sentaient le drame et pensaient à leur maître avec compassion et reconnaissance tout à la fois » p.95.La nouvelle apparence de l'Etre est maintenant celle de la technologie, de la science enseignée par l'Occident, « apprendre à lier le bois au bois », « apprendre à vaincre même lorsqu'on a pas raison » « apprendre à mourir en nos enfants » comme le dira la Grande Royale.La tradition théosophique est donc le destinateur du récit, c'est l'instance profonde (le génotexte, dira Kristeva.j). La théorie sémanalytique nous définit le génotexte comme étant « un niveau abstrait du fonctionnement linguistique qui, loin de refléter les structures de la phrase, et en précédent et excédant ces structures, fait leur anathèse. »« Il s'agit donc d'un fonctionnement signifiant qui, tout en se faisant dans la langue, n'est pas réductible à la parole manifestée dans la communication (dite normale), à ses universaux et aux lois de leur combinaison. Le génotype opère avec des catégories analytico-linguistique (pour lesquels nous devrions trouver à chaque fois dans le discours théorique des concepts anlytico-linguistiques) et dont la limite n'est pas de générer pour le phénotexte une phrase (sujet-prédicat), mais un signifiant pris à différents stades du processus du fonctionnement signifiant. Cette séquence peut être dans le phénotexte un mot, une suite de mots, une phrase minimale, un paragraphe, un « non sens » etc. » (17)A notre niveau d'analyse de ce génotexte ( le discours théosophique) le processus d'engendrement du phénotexte s'opère par la mise en texte du dialogue dans le récit ( dans le roman de Kane le dialogue occupe une place prépondérante), cette forme discursive que certains critiques qualifient de « congrès de philosophes » constitue la signifiance de l'oeuvre.2.2. Problématique du style direct.Le style direct est l'engagement ouvert de la parole, il prend à témoin directement le lecteur. Il est le procédé didactique récurrent dans le récit initiatique aussi bien de Dib que de Kane. Il introduit l'instance de la théosophie car il permet dans sa forme dialogiste de confronter les idées. Il a une intention plutôt éthique qu'esthétique. Le dialogue entre le Maître et le disciple montre la valeur de la soumission de l'acte de s'initier dans l'humilité. Quant à la thématique de l'écriture de la foi. elle est clairement annoncée à la page 19: « les trois hommes s'étaient longuement entretenus des sujets les plus divers, mais leurs propos revenaient régulièrement sur un sujet unique: celui de la foi et la plus grande gloire de Dieu . » (P19).C'est grâce à la mise en dialogue du récit que nous savons qu'il s'agit de la confrontation non plus d'idées mais d'écoles: -(...) l'école apprend aux hommes seulement à lier le bois au bois... pour faire des édifices de bois... » or le mot école, « prononcé dans la langue du pays, signifiait bois. » « les trois hommes sourirent d'un air entendu et légèrement méprisant à ce jeu de mots classique à propos de l'école étrangère. » (P.19)« Apprendre à lier le bois au bois » sera apprendre à lier une école à une autre, l'école du « foyer ardent » à celle de l'étranger. Le style direct engage donc aussi le procès négociant; que faut-il concéder? Et que faut-il conserver?«  - J'ai mis mon fils à votre école et j'ai prié Dieu de nous sauver tous, vous et nous.- Il nous sauvera, s'il existe.- J'ai mis mon fils à l'école parce que l'extérieur que vous avez arrêté nous envahissait lentement et nous détruisait.Apprenez-lui à arrêter l'extérieur.- Nous l'avons arrêté.- l'extérieur est agressif. Si l'homme ne le vainc pas, il détruit l'homme et fait de lui une tragédie (...) l'Occident érige la science contre ce chaos envahissant, il l'érige comme une barricade. (A.A.P.91)Dans la nouvelle vision du monde les peuls mystiques, l'occident est une des faces de Dieu, il est le « Dahir » par opposition au « Bathin » (intérieur), les mystiques l'ayant compris, ils s'en remettent à son école afin de « se préserver de Dieu par Dieu » Se préserver de son apparence par sa connaissance. Dans la tradition théosophique de l'Islam, à toute descente ontologique (lier le bois au bois) lui répond une attraction du désir d'amour nécessaire. Ibn Sina, l'un des fondateurs de la théosophie musulmane nous explique: «A la descente ontologique du flux émanateur qui est la lumière, répond donc une attraction de désir et d'amour nécessaire. Le Bien est diffusif de soi, et Dieu ne peut pas ne pas épancher son flux émanateur. Et chaque être ne peut pas ne pas désirer sa perfection dont le principe suprême est en Dieu. » (17)L'aspect doctrinal à contenu théosophique dans le récit d'Ibn Thophaïl ne devient opérant dans le récit de Kane que par le procédé du discours au style direct. Il ne s'agit donc plus du didactisme autoritariste (roman à thèse) mais d'une littérature proposée.Par conséquent, le dialogue devient l'expression scripturale de l'instance narrative générative ( la théosophie). Loin de définir l'esprit d'une époque ( Gistesgeschichte), le récit initiatique à contenu théosophique redéfinit la notion de foi monothéiste et la soumet naïvement à l'espace de la parole « il n'y a pas antagoniste entre l'ordre de ma foi et l'ordre du travail. La mort de Dieu n'est pas une condition nécessaire à la survie de l'homme » L'A.A.P.117C'est aussi avec l'anéantissement de l'être ( homme-religion) et par l'émergence de l'écriture ( l'occident -scriptum) que s'engage le renouveau de l'être ( sans condition d'idéologie dominante): « c'est au coeur même de cette présence que naquit la pensée, comme sur l'eau un train d'ondes autour d'un point de chute. » Dira l'instance narrative (P.117).Aucun personnage n'incarne totalement l'instance narrative de la théosophie. On ne peut appréhender cette instance que par inférence, c'est à dire par déduction sémantique issue de la signification engendrée par les différents dialogues entre les différents personnages-actants dans le récit; de là nous exposons les différents thèmes abordés par cette instance de la théosophie:2.3. Le travail.Après le thème prépondérant de la mort (thème omniprésent), c'est celui du travail qui émerge dans le récit. Tout le rapport tradition/modernité est axé sur ce thème qui fera l'objet d'une discussion passionné entre le chevalier et son fils Samba Diallo. « Si l'occident ne prie pas c'est parce qu'il travaille » à ces propos de Samba Diallo, le chevalier rétorque en redéfinissant le travail en fonction de la théosophie:« - Veux-tu maintenant que nous élargissons et examinons ces idées en fonction de Dieu?- Oui, prenons le cas où le travail vise à conserver la vie.Raisonnons sur lui, puisqu'il est le cas de rigueur. Mêmedans ce cas, le travail diminue la place de Dieu dans l'attentionde l'homme. Cette idée me blesse par quelque côté. Ellem'apparaît contradictoire. La conservation de la vie - doncle travail qui le rend possible - doit être pie parexcellence » (L'A.A.P.110)Samba Diallo qui maintenant fait son initiation à la pensée occidentale en lisant d'abord Pascal et Descartes se réjouit de savoir que les paroles de son père et celles des philosophes de l'occident se rejoignent dans les fondements de la pensée monothéiste: « ainsi, se dit-il, les maîtres sont d'accord. Descartes, ainsi que le maître des Diallobé, ainsi que son père, ont tous éprouvé la dureté irréductible de cette idée.  La joie de Samba Diallo s'accrut de cette convergence; le travail n'est pas une source nécessaire de conflit entre eux... » (P.116).L'initiation dans la pensée positiviste occidentale est le parcours de l'initié en quête d'une foi ontologique réifiée ( ce que nous avions expliqué lorsque nous avions évoqué la quête des douze grains) « la perspective mystique étant toujours et partout essentiellement la même, en dépit des modifications particulières dues au milieu dans lequel elle s'épanouit et à la forme religieuse sur laquelle elle s'appuie, on voit des systèmes éloignés et sans parenté entre eux, présenter une similitude extraordinairement étroite et coïncider même en bien des modalités d'expression... Nombres d'auteurs écrivant sur le soufisme n'ont pas tenu compte de ce principe, d'où la confusion qui a longtemps régné. »A la lumière de cette opportune remarque de Nicholson (18) nous serons à notre tour réconforté de dire que les parcours initiatiques sont différents dans leur forme mais convergents dans leur contenu théosophique. Nous voyons donc ce transfert du contenu doctrinal vers l'univers de la littérature où le voyage initiatique se réalise en occident.Conjointement au thème du travail, c'est celui de l'Apocalypse qui à son tour renforce le ton classique de l'auteur.3. L'APOCALYPSE.«Dieu en qui je crois, si nous ne devons pas réussir, vienne l'Apocalypse: prive-nous de cette liberté dont nous n'aurons pas su servir. Que ta main, alors, s'abatte, lourde, sur la grande inconscience. Que l'arbitraire de Ta volonté détraque le cours stable de nos lois » A.A.P.93C'est sur cette incantation que se termine tout un chapitre (VII) sur la vision apocalypse du narrateur.Ce chapitre évoquant l'apocalypse suit celui ou le narrateur raconte les derniers instants de Samba Diallo dans le foyer ardent ou il reçut les vérités des paroles mystiques de son maître. Il doit maintenant quitter tous ceux qui ont contribué à son éducation religieuse pour aller à L. Ville de sa deuxième étape, son deuxième parcours: l'école étrangère où il doit apprendre  « à lier le bois au bois », « à vaincre même lorsqu'on n'a pas raison ». C'est le départ douloureux puisqu'il doit abandonner des valeurs qui l'ont vu naître pour des valeurs qui ne connaît pas encore, « longtemps, dans la nuit, sa voix fut celle des fantômes aphones de ces ancêtres qu'il avait suscités. Avec eux, il pleura leur mort; mais aussi longuement, ils chantèrent sa naissance. A.A.P.85Le thème de l'apocalypse n'est pas venu fortuitement puisque le narrateur sait ou il va. Toutes les séquences narratives depuis l'incipit jusqu'à l'explicit sont engendrées par le rapport Mort/Vie sauf que dans le récit initiatique, l'apocalypse ne survient que pour les « autres » car pour le narrateur initié cela suppose la vraie vie dans un univers ou tout s'effondre. La première initiation étant l'extinction du « Moi » sublime par la mortification: tout actant ou acteur doit périr au profit de l'ultime vérité: Dieu. Par conséquent, le thème de l'apocalypse engage cataphoriquement la mort de Samba Diallo: Il a dû mourir dans la parole du maître au foyer Ardent; mourir dans l'école étrangère et mourir ensuite par la main du fou qui accomplit la sentence rituelle de la mise à mort. « puis, après tout. Contraindre Dieu...lui donner le choix, entre son retour dans votre coeur, ou votre mort, au nom de sa gloire. » (P.187).La récurrence des sèmes apocalyptiques est évidente tout au long du récit: « comment le sauver (Dieu)? Lorsque la main est faible, l'esprit court de grands risques, car c'est elle qui le défend... » (P.20), même au prix de son sacrifice? » (P.21), « gens de Dieu, songez à votre mort prochaine. » (P23), gens de Dieu, vous êtes avertis, reprit Samba Diallo. On meurt lucidement, car la mort est violente qui triomphe, négation qui s'impose. Que la mort dés maintenant soit familière à vos esprits » (P.24) « Après la mort de Dieu, voici que s'annonce la mort de l'homme » (P.113) etc..La récurrence des sèmes apocalyptiques entraîne sémantiquement les séquences narratives vers l'issue fatale du récit.Sur le plan de la théosophie et en reprenant l'approche sémanalytique de Kristeva, les mots ainsi que les séquences narratives du récit ne sont que l'expression phéno-textuelle d'un géno-texte, un « engendrement de la formule ». La structure profonde du récit dans la théosophie, la narration substructurelle trouve son lieu du dire dans les fondements même de la théosophie. Sur les traces d'Avicenne, Louis Gardet nous explique que: « Pour Plotin, L'Un, Pensée pure et indifférenciée, « ne connaîtra ni les autres ni lui même ». Pour Aristote au contraire, Dieu se contemple lui-même, dans la perfection suprême de sa propre essence. Il est le pensée qui se pense en un acte immanent où est abolie toute dualité de sujet et d'objet. Mais en cet acte se consomme l'activité parfaite de Dieu. Il n'a besoin de rien connaître hors de lui, bien plus, il ne le peut, car toute activité et toute connaissance ad-extra serait incompatible avec son immutabilité. » (19.Par conséquent, le récit va vers une unité extra-textuelle. L'affrontement des idées, le conflit du  « même » et de « l'autre », le parcours dans la pensée occidentale, le dilemme entre la tradition et la modernité ne sont que des structures de surface. Le récit doit parvenir a sa propre destruction et de ce chaos doit émerger «  la pensée qui se pense en un acte immanent ou est abolie toute dualité de sujet et « d'objet » (plotin).Nous verrons tout au long du récit cette entropie actancielle opérer en opposant successivement les actants qui doivent à leur tour périr dés que le narrateur avance vers l'étage terminal de l'apocalypse du récit:Chapitre premier:Séquence de mortification dans la parole du Maître+perte des valeurs traditionnelles du foyer ardent, lieu séculaire d'initiation au profit de la nouvelle école « Monsieur le Directeur d'école, disait le maître, quelle bonne nouvelle enseignez-vous donc aux fils des hommes pour qu'ils désertent nos foyers ardents au profit de vos écoles. » (19)Chapitre IISéquences de mortification dans l'univers eschatologique de la mort- démystification de la mort par le surgissement de la Grande Royale: « je crois que le temps est venu d'apprendre à nos fils à vivre. Je pressens qu'ils auront affaire à un monde de vivants où les valeurs de mort seront bafouées et faillies. » (P.38)Chapitre IIISéquences de prise de conscience du narrateur qu'à la lourdeur du corps ( de la foi) doit se substituer le poids de la décision fatale d'envoyer les enfants des Diallobé à la nouvelle école (française): « Les hommes du Diallobé voulaient apprendre à « mieux lier le bois au bois » ils s'inquiètent de la fragilité de leur demeure, du rachitisme de leur corps, les Diallobé voulaient plus de poids. » Ainsi le poids de la tradition séculaire doit laisser la place au bonheur de la vacuité. L'exemple de la courge est signifiant pour le maître des Diallobé: « la courge est une nature drôle, dit enfin le maître. Jeune, elle n'a de vocation que celle de faire au poids. De désir que celui de se coller amoureusement à la terre. Elle trouve sa parfaite réalisation dans le poids. Puis, un jour, tout change. La courge veut s'envoler. Elle se résorbe et s'évide tant qu'elle peut. Son bonheur est en fonction de sa vacuité. De la sonorité de sa réponse lorsqu'un souffle l'émeut. La courge a raison dans les deux cas. » (14)L'opposition lourdeur/poids vs vacuité/bonheur accentue l'entropie actancielle aggravée par les propos de cette femme mystérieuse. La Grande Royale provoque la réponse qui délivre le récit de ce dilemme:   « Si je ne dis pas aux Diallobé d'aller à l'école nouvelle, ils n'iront pas. Leurs demeures tomberont en ruine. Leurs enfants mourront ou seront réduits en esclavage. La misère s'installera chez eux et leurs coeurs seront pleins de ressentiments... - La misère est, ici-bas, le principal ennemi de Dieu »  . (P.44)Nous voyons que le programme narrative apocalyptique poursuit son entropie en posant les dualités puis en les résorbant au profit du récit initiatique jusqu'à son épuisement sémantique (la mort du récit = la mort de Samba Diallo).Chapitre IVAnnulation des oppositions souffrance/bonheur, lourdeur/ vacuité et émergence des séquences transformatives, corporéité vs spiritualité. Chez la Grande Royale: « Samba Diallo se laissait gâter avec apparemment la même profonde égalité d'âme que lorsqu'il subissait les mauvais traitements du foyer » (P49)Il est étonnant de constater que l'émergence de la spiritualité chez le jeune Samba Diallo se réalise dans la même univers de Hayy Ibn Yaqdhân lorsqu'il se trouva en face du cadavre de sa mère adoptive ( la gazelle) et se mit à méditer sur ce quelque chose qui quitta le corps, le laissant inerte et sans vie jusqu'à découvrir par intuition spéculative les secrets de l'âme et par extrapolation l'Etre éternel.(cf notre première partie sur le H.I.Y d'Ibn Thophaïl).Pour le cas de Samba Diallo, c'est la mort de la vieille Relia, la douce nourrice protectrice qui le rendit malheureux. Il revint souvent méditer sur sa tombe en se souvenant de son corps et de son image; mais il comprit vite que la corporéité n'est que le contenant du secret de la vie et de l'âme: « cet engloutissement physique de la vieille Relia par le néant, lorsque le garçonnet en prit conscience, eut pour effet de la rapprocher davantage de sa silencieuse amie. Ce qu'il perdait d'elle, de présence matérielle, il lui sembla qu'il le regagnait d'une autre façon, plus pleine (...) longtemps, l'enfant, prés de son amie morte, songea à l'éternel mystère de la mort et, pour en compte, rebâtit le paradis de mille manières » (A.A.P.53)Le cas de Hayy Ibn Yaqdhân est identique concernant cette séquence transformative du récit, prenant comme support d'ascension mystique le corps de sa mère adoptive alors qu'elle mourut, il se remit à l'évidence que ce qu'il recherche est d'ailleurs :« alors, le corps entier lui parut vil et sans valeur auprès de cette chose qui, selon sa conviction y demeurait un temps et le quittait ensuite. Il concentra donc uniquement ses réflexions sur cette chose, se demandant ce qu'elle était et ce que c'était. Qu'est-ce qui l'avait attachée à ce corps, où elle s'en était allée, par quelle issue elle était passée quand elle était sortie du corps, quelle cause l'avait chassée, au cas où son départ avait eu lieu par contrainte, ou bien quelle cause avait rendu le corps si odieux pour qu'elle s'en séparât, au cas où son départ avait été volontaire.(H.I.Y.P.37).Cette analogie des séquences transformatives n'est pas fortuite car dans la tradition théosophique de l'Islam, l'amour de l'être physique est un obstacle ( awarid) dans le parcours initiatique. Le néophyte doit reconsidérer sa vision des êtres (les plus chers) et ainsi dépasser l'entendement commun de l'amour. Il doit se passionner pour le contenu et non pour le contenant (pour la substance et non pour la forme). L'exposé abordant ce thème dans le récit de Hayy Ibn Yadqhan est le méta-texte de toutes les séquences transformatives de la corporéité vs spiritualité:« (...) de la transformation des uns dans les autres, que de tout ce qui est à la surface de la terre rien ne conserve sa forme, mais que la génération et la corruption s'y succèdent indéfiniment; que la plupart de ces corps sont mélangés, composés de choses contraires, et c'est pourquoi ils tendent vers la corruption, qu'il ne s'en trouve aucun de pur, et que ceux qui se rapprochent de la pureté, de l'absence de mélange et d'adultération, sont très peu sujets à la corruption, comme l'or et l'hyacinthe. Or, les corps célestes sont simples, purs; par suite, ils ne sauraient être sujets à la corruption, et les formes ne s'y succèdent point » (H.I.Y.P.74). C'est dans cet esprit de discernement et d'élévation que se poursuit la quête de tout initié au soufisme mais lorsque le support de l'expression de ces états d'âme est la littérature par l'écriture, les champs lexicaux subissent un écart sémantique puisqu'ils glissent vers l'univers métaphorique et/ou allégorique ( le cas de cours sur la rive sauvage de Mohammed Dib est plus édifiant).Continuellement dans cette démarche apocalyptique, le narrateur de l'Aventure Ambiguë procède par transformation d'un niveau à un autre tout en aggravant le ton des dialogues entre les différents personnages actants du récit ainsi qu'en annulant les paradoxes après les avoir confrontés à la vision occidentale de l'être ( dans la foi).Le chapitre qui va suivre est lui aussi cataphorique, il annonce l'histoire troublante de Samba Diallo qu'il prépare à la fin tragique et pathétique dans la même stratégie narrative de la mise en opposition des actants duels.Chapitre VL'ordre nouveau apporté par les blancs et la mise en scène de deux protagonistes du drame africain: le fils de Delacroix (par allégorie, le christianisme) et Samba Diallo (par allégorie, l'Islam noir) et la rencontre de deux religions monothéistes dans un espace privilégie (l'école des blancs):« ceux qui n'avaient point d'histoire rencontraient ceux qui portaient le monde sur leurs épaules. Ce fut un matin de gésine. Le monde connu s'enrichissait d'une naissance qui se fit dans la boue et dans le sang. (L'A.A.P.59)Voici un énoncé à valeur d'antithèse: « l'histoire de la vie de Samba Diallo est une histoire sérieuse. Si elle avait été histoire gaie, on vous eut raconté quel fut l'ahurissement des deux enfants (....) Mais il ne sera rien dit de tout cela, parce que ces souvenirs en ressusciteraient d'autres, tout aussi joyeux, et égaieraient ce récit dont la vérité profonde est toute de tristesse. » (P.62)La récurrence du thème de l'apocalypse maintient le narrateur en éveil stratégique d'écriture puisqu'il l'avoue lui-même; il ne peut donner une tournure gaie du récit même s'il le pouvait. Il doit procéder par entropie actancielle fidèle à son programme narratif d'où, nous voyons émerger une de ses structures profondes (mort vs vie) dans ce petit dialogue entre les deux représentants de ces deux cultures:« - Regarde, Jean, comme cette fleur est belle. Elle sent bonIl se tut un instant puis ajouta, de façon inattendue.- mais elle va mourir...Son regard avait brillé, les ailes de son nez avaient légèrement frémi quand il avait dit que la fleur était belle.il avait eu l'air triste l'instant après.- elle va mourir parce que tu l'as coupée, risqua Jean.- Oui, sinon, voilà ce qu'elle serait devenue.il ramassa et montra une espèce de gousse sèche et épineuse. » (P.69)La vision des choses est différente chez Samba Diallo; elle est prémonitoire chez le narrateur « cette belle fleur doit mourir dans tous les cas » la mort de Samba Diallo est évidente mais il doit avant tout donner un sens à son sacrifice lorsque tout périt à ses yeux pour ne laisser la place qu'au sens qu'il veut donner à sa quête ontologique.Il est toujours question de cette vacuité qu'il doit remplir par la connaissance qu'il a héritée de ses maîtres. L'Occident travaille les contenants, l'Africain a science des contenus, Hamidou Kane en fait le parcours initiatique. Par la bouche de son narrateur, il tue la forme, admire la substance, démystifie le néant et enfin rejoint l'idée matricielle de l'Unité de l'Existence enseignée par ses prédécesseurs dans la voie des mystiques. Il se le rappelle dans cet énoncé autobiographique par la bouche de son personnage Samba: « Mon Dieu, Tu ne Te souviens donc pas? Je suis bien cette âme que tu faisais pleurer en l'emplissant. Je t'en supplie, ne fais pas que je devienne l'ustensile que je sens qui s'évide déjà (...) Souviens-toi comme tu nourrissais mon existence de la Tienne. Ainsi le temps est nourri de la durée. Je te sentais la mer profonde d'où s'épandait ma pensée et en même temps qu'elle, tout. Par toi, j'étais le même flot que tout. » (P.139)Chapitre VIILa raison d'un exil et la parole ressuscitée. Les séquences narratives de ce chapitre ne sont plus transformatives dans la dynamique de l'entropie actancielle mais catalysantes. Le narrateur par la bouche du chevalier justifie l'exil de Samba Diallo et par la même de son peuple dans l'univers de ceux qui ont su maîtriser l'extérieur et parfait l'outil. Cependant les signes précurseurs de l'apocalypse du récit sont toujours distribués sémiotiquement. La métaphore du fleuve est là pour catalyser le programme narratif de l'apocalypse engendré par l'instance de la théosophie:« du fond des âges, il sentait sourdre en lui et s'exhaler par sa voix un long amour aujourd'hui menacé. Progressivement se dissolvait, dans le bourdonnement de cette voix, quelque être qui tout à l'heure encore était Samba Diallo. Insensiblement, se levant des profondeurs qu'il ne soupçonnait pas, des fantômes l'envahissaient tout entier et se substituaient à lui. Il lui semblait que sa voix était devenue innombrable et sourde comme celle du fleuve certains soirs » (P.84)Dans la tradition théosophique, la symbolique du fleuve qui emporte tout dans son passage lorsqu'il est en crue exprime la force destructrice du destin imprévisible; elle est la constante de l'univers où flottent les apparences d'un extérieur trop fragile. Nous retrouvons ici un des précieux enseignements de Tierno Bokar, le Maître de la parole de Bandiagarra:« La féerie des nuages multicolores qui saluent le soleil à son lever et à son coucher s'évanouit quelques instants après l'aurore ou le crépuscule. De même le charme de la vierge ne tarde pas à se faner. Au cours de ses ans, la jouvencelle devient une laideronne aux traits ravinés. Et qu'en est-il des mets délicieux? A peine la bouchée de nourriture a-t-elle dépassé la luette qu'elle se noie dans les liquides organiques du corps.O Toi, adepte, encore au seuil de cette Zaouia ou nous souhaitons voir briller pour nous tous et pour tout ce qui vit la flamme sacrée du bon conseil, sache que la beauté purement physique est aussi éphémère que les feux du crépuscule ou le rougeoiement de l'aurore. Détourne tes efforts de la recherche exclusive de cette beauté et dirige-les vers l'acquisition de la véritable et immuable beauté: la beauté intérieure, celle qui fleurit dans les prairies spirituelles. Cherche en Vérité et cherche encore: cherche dans les ténèbres de la vie matricielle et, quand tu l'auras méritée de Dieu, l'étoile brillante dont il est question dans le livre saint te guidera dans le jardin des beautés réelles et éternelles. (20Chapitre VIIRécurrence du thème de l'Apocalypse:« Paul Lacroix, debout derrière la vitre fermée, attendait qu'attendait-il? Toute la petite ville attendait aussi, de la même attente concernée, le regard de l'homme erra sur le ciel ou de longues barres de rayons rouges joignaient le soleil agonisant à un Zénith qu'envahissait une ombre insidieuse. « Ils ont raison, pensa-t-il, je crois bien que c'est le moment. Le monde va finir, l'instant est fragile. (A.A.P.86)La récurrence du thème de l'apocalypse n'est pas fortuite, le narrateur consciemment sème l'angoisse existentielle même chez ses personnages les plus cartésiens. En fait il est toujours fidèle à son programme narratif puisqu'il doit sémantiquement entraîner son récit vers sa propre apocalypse et en méta-texte c'est la vision apocalyptique de ses maîtres ( Tierno Bokar) qui engendre le discours. Chapitre VIIILe dilemme d'un choix et la vision de « l'autre » par le « même » (vision toujours apocalyptique)« Mon Dieu, vous avez voulu que vos créatures vivent sur la coquille solide de l'apparence. La vérité les noierait. Mais, Seigneur de vérité, vous savez que l'apparence prolifère et durcit. Seigneur, préservez-nous de l'exil derrière l'apparence » (A.A.P.95)Cette prière du Maître des Diallobé surgit du dilemme de son choix décisif pour envoyer les enfants des Diallobé à l'école des étrangers. Le fou, enfant des Diallobé connaît déjà « l'autre monde » où l'enveloppe de la coquille étouffe la grande vérité du corps, le fou qui avait déjà connu l'exil au pays des blancs en ayant même participé à une de leur guerre décrivant la cité des blancs en employant un lexique issu de sa propre vision du monde( la notion de personne y est totalement différente):« il n'y avait aucun pied. Sur la carapace dure, rien que le claquement d'un millier de coques dures. L'homme n'avait-il plus de pieds de chair? (...) depuis, que j'avais débarqué, je n'avais pas vu un seul pied.(...) Cette vallée de pierre était parcourue, dans son axe par un fantastique fleuve de mécanique engagée (...) Là, devant moi, parmi une agglomération habitée, sur de grandes longueurs, il m'était donné de contempler une étendue parfaitement inhumaine, vide d'hommes. Imagines-tu cela, maître, au coeur même de la cité de l'homme, une étendue interdite à sa chair nue, interdite aux contacts alternés de ses deux pieds. » (P.104)Parallèlement au thème de l'apocalypse nous voyons que le narrateur engage par anticipation le thème de l'exil. C'est le récit impossible doublement puisque ce qui attend Samba Diallo c'est l'accomplissement de l'apocalypse ou l'exil dans une métamorphose inachevée entre sa culture dans la parole du Maître et celle où l'enveloppe est dominante.Au sujet de cette notion de personne en Afrique Noire, Roger Bastide nous explique que « pour l'Africain, on ne peut dire que le principe d'unité soit le corps, puisqu'il y a plusieurs âmes corporelles; et même s'il existait une unicité corporelle, le corps ne pourrait communiquer à l'âme son unité. Car il y a plusieurs âmes spirituelles; force vitale, ombre, double... et nous devons reconnaître l'indépendance de ces divers principes. On sait que la pensée africaine est une pensée par correspondance mystique et non pas, comme la nôtre par « emboîtement » logique ». (21)Réconforté par cette approche du CNRS il nous paraît légitime nous concernant ( sur le plan de la littérature) de ne concevoir l'étude d'une oeuvre africaine à contenu théosophique que par le retour aux principes fondateurs de la pensée africaine.Le récit de Kane voulant engager la métamorphose du « même » dans l'univers de « l'autre » déclenche l'apocalypse du récit qu'il ne peut plus dominer.  « Ce que je propose c'est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons laissée libre » dira la Grande Royale qui, comme nous l'avions dit symbolise la nouvelle Afrique.L'Africain a perdu la guerre contre les blancs; la défaite est totale; il s'agit maintenant de gagner la guerre des mots sur le champ de bataille qu'est la littérature. Tous les écrivains africains l'ont compris et notre genre initiatique est celui de la confrontation des idées ontologiques. Mais là aussi l'Aventure Ambiguë est le drame de l'échec évident (puisqu'il faut aussi écrire dans la langue de « l'autre »).Nous ne négligeons pas qu'il y a aussi un élan associationniste et assimilationniste dans le récit de Kane fidèle à la nouvelle éducation africaine prônée durant la période coloniale par les mouvements d'assimilation:  «  une culture Franco-Africaine s'ébauche qui, puisant son inspiration dans la pure tradition française, plonge dans la source profonde de la vie indigène...Notre éducation africaine doit avoir un regard tourné vers la France pour recevoir la lumière, un regard tourné vers l'Afrique pour y puiser des énergies d'actions... Il faut développer une culture africaine qui révélera à l'indigène son pays et son âme, pour la faire accéder par degré à cet idéal de la culture Franco-Africaine qui sera le ciment d'une association féconde et définitive. »(Education Africaine N° 87. 1934).Mais le thème de l'échec est aussi présent que celui de l'association. Lucien Goldman abordant la caractéristique du roman nous dit que « le roman se caractérise comme l'histoire d'une rencontre de valeurs authentiques sur un monde dégradé, dégradation qui, en ce qui concerne le héros, se manifeste principalement par la médiation, la réduction des valeurs authentiques au niveau implicite et leur disparition en tant que réalités manifestées » (22).Chapitre IX (cf. notre étude sur le thème étudié supra: Le Travail.)Nous voyons que dans ce chapitre ce n'est plus l'homme indigène que glorifie son maître blanc mais c'est l'homme africain qui plaint l'homme blanc de ne pouvoir percevoir les vérités profondes de la vie et se propose de ne pas l'abandonner dans la construction commune de la cité idéale: «  la cité future, grâce à mon fils, ouvrira ses baies sur l'abîme, d'où viendront de grandes bouffées d'ombre sur nos corps desséchés, sur nos fronts altérés. Je souhaite cette ouverture de toute mon âme. Dans la cité naissance, telle doit être notre oeuvre, à nous. » (P.93).« Nous ne pouvons abandonner nos frères qui ne croient pas. Le monde leur appartient autant que nous. Le travail est une loi autant qu'à nous. Ils sont nos frères. Leur ignorance de Dieu, souvent, elle leur sera advenu comme un accident de travail, sur les chantiers ou s'édifie notre demeure commune. Pouvons-nous les abandonner? » (P.117)Par les enseignements de la théosophie et à la lumière de la parole de Tierno Bokar, ces énoncés narratifs que nous avons rapportés ne sont pas fortuits, ils expriment la profondeur de la pensée ontologique ( ainsi que sa portée universaliste). Voici un extrait du dialogue entre le Maître et le disciple concernant la relation avec les gens d'une autre foi:« Tierno, lui demandai-je un jour, est-il bon de converser avec les gens d'une autre foi pour échanger des idées et mieux connaître leur Dieu?Pourquoi pas? Je te dirai: il fait causer avec les étrangers si tu peux rester poli et courtois (...) croire que sa race et sa religion, est seule détentrice de la vérité est une erreur. Cela ne saurait être. En effet, la foi est comparable (d'une nature) à celle de l'air, comme l'air, elle est indispensable à la vie humaine et l'on ne saurait trouver un seul homme qui ne croie véritablement et sincèrement à rien. La nature humaine est telle qu'elle ne peut pas ne pas croire en quelque chose: Dieu ou diable, force ou fortune, chance ou malchance. »(23)Le narrateur de l'Aventure Ambiguë aura tout tenté avant l'Apocalypse du récit. Cette technique de dramatisation du texte tient le rôle d'énigme dans le récit classique (sujet vs objet, adjuvant vs opposant) la volonté de communier avec « l'autre » engage le procédé d'équilibre (mais vite rompu) par le programme apocalyptique de la narration.La première partie du récit s'achève dans la mise en texte de cette entropie actancielle où le thème de l'apocalypse est omniprésent. La deuxième partie du récit amorce la descente en enfer de l'initié, il doit maintenant s'initier au projet civilisationnel de l'occident. Le narrateur a voulu qu'il aille terminer ses études de philosophie en France non pas dans le cadre de l'assimilation ni celui de l'association mais plutôt pour aggraver le processus apocalyptique de son récit. Il sait que Samba Diallo est déjà mort symboliquement, les épreuves de mortification subies au Foyer Ardent lui ont ôté toute idée d'intégration ou d'assimilation. La Parole du Maître est douloureusement incrustée dans le plus intime de son moi: « Le maître, lui, a un corps fragile qui déjà est très peu présent. Mais de plus, il a la parole qui n'est faite de rien, mais qui dure... qui dure. Il a le feu qui embrase les disciples et éclaire le foyer. La disparition de ce corps peut-elle rien à tout cela? L'amour mort laisse un souvenir, et l'ardeur morte? Et l'inquiétude? le Maître, qui était plus riche que la vieille Rella, mourrait moins complètement qu'elle; Samba Diallo le savait »(A.A.P.75)Le narrateur a pris soin d'anticiper cette vérité pour permettre l'aboutissement de son programme narratif (la mort du récit). Mais avant de livrer son récit totalement à l'échec, il prend soin d'installer la métamorphose inachevée qui accomplit le destin fatal. .4. LA METAMORPHOSE INACHEVEE.« il arrive que nous soyons capturés au bout de note itinéraire, vaincus par notre aventure même. Il nous apparaît soudain que, tout au long de notre cheminement, nous n'avons pas cessé de nous métamorphoser, et que nous voila devenus autres. Quelquefois, la métamorphose ne s'achève pas, elle nous installe dans l'hybride et nous y laisse » (A.A.P.125)Sur ces propos de l'auteur par la bouche de son personnage, le lecteur peut lui aussi anticiper l'explicite du récit surtout lorsque le narrateur fait dire à Samba Diallo cette phrase fatale » j'ai choisi l'itinéraire le plus susceptible de me perdre. » (P.125)Samba Diallo savait qu'en quittant le foyer Ardent, il irait à sa perte mais l'instance de la théosophie est plus forte que la logique du récit, le méta-texte tyrannise le texte (phénotexte) car aborder l'initiation dans la tradition théosophique de l'Islam c'est rompre avec le quotidien des hommes pour ne percevoir que la pensée qui se pense en dehors de toute dualité.Si nous faisons une approche comparative entre ce chapitre et l'ouverture du roman d'Ibn Thophaïl, nous constatons que les deux se désengagent rhétoriquement de la pensée des philosophes en s'affranchissant ainsi de la philosophie (bien que Diallo fasse ses études en philosophie).Cas de Hayy Ibn Yaqdhân:« Ne crois pas que la philosophie qui nous est parvenue dans les écrits d'Aristote, d'Abou Naçr El-Farabi et dans le livre de la Guérison d'Avicenne, satisfasse au désir qui est le tien; ni qu'aucun des Andalous ait écrit de suffisant sur cette matière » H.I.Y.P.10.Cas de Samba Diallo:« -Il m'a semblé que cette histoire avait subi un accident qui l'a gauchie et, finalement, sortie de son projet. Est-ce que vous me comprenez? Au fond, le projet de Socrate ne me paraît pas différent de Saint Augustin, bien qu'il y ait eu le Christ entre eux. Ce projet est le même jusqu'à Pascal. C'est encore le projet de toute la pensée occidentale » (l'A.A.P.125)Le projet dont parle le narrateur par la bouche de son personnage est celui de la pensée unitive où s'effondre toute dualité du sujet et de l'objet. Samba Diallo l'ayant compris, sa descente en enfer se fait dans la pensée philosophique de « l'autre », le contre discours d'Ibn Thophaïl est repris dans le récit de Kane puisqu'il doit lui aussi réfuter la thèse des philosophes en aggravant le processus de la métamorphose.Dans la tradition théosophique de l'Islam, la philosophie n'est nullement le lieu du dire du discours ésotérique mais le lieu éventuel de vérification des thèses unitives des Soufis de tous les temps: « Les pensées.. Hum! Pascal. C'est certainement l'homme d'Occident le plus rassurant, mais méfie-toi de lui. Il avait douté. Lui aussi a connu l'exil. Il est vrai qu'il est revenu ensuite, en courant; il sanglotait de s'être égaré, et en appelait au «Dieu d'Abraham, d'Issac et de Jacob » contre celui des « philosophes et des savants. Son itinéraire de retour commença comme un miracle et s'acheva comme une grâce. Les hommes d'Occident connaissent de moins en moins le miracle et la grâce. »(P.108)Chapitre II:La mort de la parole et la tyrannie de l'instant: La parole initiatique doit se pérenniser au profit de la parole du maître des Diallobé. La durée l'emporte sur l'instant. C'est dans cet univers théosophique que le maître des Diallobé remet le « Turban » de la succession à Demba en l'absence de Samba Diallo. Dans le rituel de la passation des pouvoirs que lui avaient conférés ses maîtres, il fit cette réflexion qui n'est pas sans grande importance dans la métamorphose du récit initiatique soumis maintenant à la durée et non à l'instant:« - Je ne suis rien, dit le maître haletant. Je vous supplie de sentir avec moi, comme moi, que je ne suis rien. Seulement un écho minuscule qui prétendit, le temps de sa durée, se gonfler de la parole. Prétention ridicule. Ma voix est un mince filet, qu'est ce qui n'est pas ma voix? La parole dont prétendit se gonfler ma voix est l'universel débordement. Ma voix ne peut pas faire entendre son bruit misérable, que déjà la durée par deux fois ne l'ait bouchée et emprisonnée. L'être est là, avant qu'elle s'élève, qui est intact, après qu'elle s'est tue . Sentez-vous comme je suis l'écho vain? » (L'A.A.131).La durée tend vers l'Apocalypse, l'instant construit l'histoire de la pensée unitive confrontée à l'apparence (dhahir).Le narrateur est conscient de la trajectoire fatale de la parole (où la durée l'emporte sur l'instant).En abordant l'aspect du temps et de la durée nous ne pouvons pas ne pas empiéter dans un domaine qui vient de se frayer une place dans l'analyse du roman africain: L'ethnopsychiatrie et l'organisation spatio-temporelle de la personne en Afrique Noire.Cette approche nous aidera à cerner l'aspect spatio-temporel du récit initiatique s'agissant de l'oeuvre de Kane. écoutons tout d'abord l'intervention du groupe du CNRS (J.Broustra, P.Martino, et M.Simon) :« Dans l'univers mythique, « les espaces sont toujours de véritables temples et les temps sont des fêtes » disait M.Mauss, la révélation entre le temps et le domaine sacré est, nous le savons bien, évidente. Les rites, qui réactualisent les mythes, abolissent le temps profane, introduisant au temps primordial restauré, véritablement revécu et non simplement commémoré. Il s'agit là d'un temps qualificatif, justement sous-tendu par ces rites qui font revivre l'univers mythique. Pour reprendre encore M.mauss: « les qualités du temps ne sont pas autre chose que des degrés ou des modalités du sacré », (...) le temps vécu se traduit en une série de temps juxtaposés (...) A intérieur de ces temps juxtaposés, l'individu peut se trouver dans chacun d'eux successivement ou simultanément dans plusieurs à la fois. (...) Ainsi la notion du temps et la notion d'être ne se distinguent pas l'une de l'autre. Le mythe est véritablement une manifestation de l'être, il est une parole. » (24)Le récit de Kane raconte toute une histoire, celle de l'élite africaine confrontée au temps laïque mais son aspect autobiographique à contenu théosophique rend l'univers spatio-temporel du roman encore plus complexe: se conjuguent la durée mythique de la théosophie, la durée autobiographique et la durée de la diégèse; c'est ce qui donne cet aspect de temps juxtaposés où nous sommes encore loin de la linéarité temporelle (suite d'événements cohérents régis par le principe de la causalité). Le narrateur rend compte de ses états de conscience (autopsychégraphie) et non d'un univers extra-linguisuique. C'est une des caractéristiques propres à tous les récits initiatiques (nous avions déjà étudié cette question dans notre première partie cf. ch. l'oeuvre en genèse).Disons tout de suite à la lumière de ce que nous venons de citer plus haut que le narrateur est à l'intérieur d'une durée où il est successivement ou simultanément dans plusieurs temps à la fois, temps mythique et temps laïque, temps des ancêtres et temps de la modernité, temps de la parole et temps de l'écriture; la mise en opposition de cette ambivalence engage le temps apocalyptique de roman. Nous concevons le temps apocalyptique comme étant l'instant ultime où s'arrête la durée. Avec la mort de la parole du maître s'engage la mort de l'instant des ancêtres et l'émergence de l'instant de « l'autre » mais le péril est là, la parole du maître morte est plus profonde et agissante que lorsqu'elle était dominante sur les gens des Diallobé. La descente en enfer de Samba Diallo dans « l'autre parole » ne fera qu'aggraver la conscience séculaire et au lieu de la véritable illumination (résurrection) c'est une remontée encore plus angoissante puisque l'interférence de la pensée occidentale brouille la lucidité unitive de Samba Diallo: « ils disent que l'être est écartelé de néant, est un archipel dont les îles ne tiennent pas par en dessous noyées qu'elle sont de néant. Ils disent que la mer, qui est telle que tout ce qui n'est pas elle y flotte c'est le néant. Ils disent que la vérité, c'est le néant, et l'être avatar multiple. »(A.A.P.139). Le doute s'installe, non pas dans la foi de Samba Diallo, mais dans sa connaissance de Dieu. La théosophie musulmane se voyait en échec avec la réussite de l'apparence: « c'est avec la mort de Dieu que l'occident immortalise l'homme,  et toi, tu bénis leurs errements. Tu lui attaches le succès comme l'endroit à l'envers. Sous le flot de leur mensonge qui s'étend, la richesse cristallise ses gemmes. Ta vérité ne pèse plus très lourd, mon Dieu.. »(A.A.P.139)Chapitre III:Emergence de la conscience africaine face au colonialisme français + alourdissement de la durée dans les temps laïques.C'est le seul chapitre du récit où surgit le personnage historique. S'il s'agissait d'une littérature de combat comme se fut le cas de plusieurs écrivains contemporains à Kane. Pierre Louis est le combattant farouche pour la libération du peuple noir mais le narrateur de l'Aventure Ambiguë le met dans un Univers où « on y rencontre des objets de chair, ainsi que des objets de fer » (p.140) « on y rencontre aussi des événements. « Les consécutions encombrent le temps, comme les objets encombrent la rue. Le temps est obstrué par leur enchevêtrement mécanique. On ne perçoit pas le fond du temps et son courant lent ».(p.140)Si le narrateur a consciemment fait surgir ce personnage dans cet univers c'est parce que le combat qu'il mène n'est pas celui de la liberté de l'homme mais de celle de la conscience universelle. C'est pourquoi J.Chevrier avait vu juste en soulignant cette analyse: « au-delà de cette confrontation c'est finalement le problème de l'Existence qui est posé. On voit par là comment cheikh Hamidou Kane, échappant à la donnée temporelle et politique de son sujet, l'angoisse d'être noir, débouche sur une réflexion qui nous concerne tous: l'Angoisse d'être homme.» (A.A. couverture finale).Concernant l'attitude romanesque dans la littérature africaine d'expression française, l'analyse du roman africain ne peut saisir la place centrale du thème des traditions. Tout semble se déterminer en relation à lui, sur le plan de la forme commune, celui de la signification, il s'agit toujours d'évaluer le chemin parcouru d'un processus d'évolution, de dessiner ou de préciser le visage du roman, mais toujours à partir d'une situation de départ, d'une tradition. De même qu'on ne peut analyser le dessein narratif sans référence au discours traditionnel, de même on ne peut saisir l'angoisse, la détresse de l'individu déshérité dans le contexte urbain si on ne garde à l'esprit les formes traditionnelles de la vie en milieu rural.On peut distinguer trois attitudes des romanciers au regard du problème des traditions:a-Tradition. On réhabilité la tradition en développant le sentiment de la spécificité culturelle africaine (contre le colonialisme).b- Tradition et progrès: l'intention n'est pas de s'appesantir sur le divorce entre la tradition et le progrès, mais de montrer leur interaction, la représentation des personnages de ces deux réalités, leur mutation, le bouleversement du paysage culturel et les efforts des uns et des autres soit pour s'identifier à un passé révolu, soit pour postuler un monde dont on ignore tout (personnage énigmatique ou/et problématique).C- Traditions et perspectives: Tout se résume en un conflit culturel qui remet tout en cause, les romanciers n'ont pas d'ambition d'ouvrir des voies nouvelles. Ils décrivent les rapports de l'individu au groupe social, ils les critiquent, ils en proposent le réaménageront. Presque tous se prononcent dans la conciliation de la tradition et du modernisme.L'interaction entre la parole du « même » et celle de « l'autre » est pertinente dans le récit de kane; le style direct employé dans la dramatisation des séquences narratives est là, certes, pour justifier cet aspect mais nous l'avions dit, la mise en dualité où l'interaction des actants duels n'est qu'un procédé de l'entropie actancielle. Toute l'opposition doit périr au profit d'une unité mystique: celle de l'unité de l'Existence. Le narrateur doit forcément donner l'apparence d'un conflit entre le « même » et « l'autre » mais ce n'est que le prétexte de support du phénotexte puisque tout est régi par l'Instance de la théosophie.Le romancier tente de réhabiliter la tradition en développant le sentiment de la spécificité culturelle africaine mais puisque le « je « de la tradition théosophique est tyrannique, le récit va vers son échec.Dans cette catégorisation du roman africain proposée par Mohammadou Kane (25), notre genre initiatique, de par sa singularité et le ton classique de son récit, n'obéit à aucun des types soulignés plus haut; bien que la trame narrative et l'émergence de certains personnages (Pierre Louis) pourrait le classer dans le deuxième type (tradition et progrès). Mais comme nous l'avions souligné ce genre initiatique échappe à toute donnée temporelle et politique de son temps. Son lieu du dire est la parole initiatique, et l'espace de sa dynamique est le mythe de la pensée unitive. C'est pour cette raison qu'en fin de parcours aucune perspective n'est donnée à cette littérature puisque le héros accomplit son suicide rituel qui symboliquement entraîne la mort du récit et l'extinction de ce genre.Nous retrouvons comparativement cette phrase d'Ibn thophaïl s'agissant de l'écriture de la théosophie; « la langue ne saurait le décrire, ni le discours en rendre compte; car il est d'un autre ordre et appartient à un autre monde ». (H.I.Y.P.2)Chapitre IV:Samba Diallo est toujours confronté aux idées progressistes; Lucienne, personnage représentatif de cette jeunesse progressiste qui milite dans le parti communiste n'arrive plus à comprendre l'élan idéologique de son hôte, étudiant avec elle en philosophie. Leurs combats sont totalement différents. L'une combat pour la liberté des hommes, l'autre pour Dieu:« - Lucienne, mon combat déborde le tien dans tous les sens »(p.125)« - Par là, mon combat est loin derrière le tien, dans la pénombre de nos origines. »(P.153)« - Ne nous cachons rien, cependant. De ton propre aveu, lorsque tu auras libéré le dernier prolétaire de sa misère, que tu l'auras réinvesti de dignité, tu considéreras que ton oeuvre est achevée. Tu dis même que tes outils, devenus inutiles, dépériront, en sorte que rien ne sépare le corps nu de l'homme de la liberté. Moi, je ne combats pas pour la liberté, mais pour Dieu. »(P.154)Le narrateur de l'Aventure Ambiguë aura tout tenté pour que l'occident ait raison, pour que son récit rejoigne la catégorie des romans africains confrontés aux problèmes de la modernité mais l'Instance de la théologie tyrannise le projet et la parole du maître resurgit :»- Lucienne, ce décor, c'est du faux: Derrière, il y a mille fois plus beau, mille fois plus vrai: Mais je ne trouve plus le chemin de ce monde .  »  (p.157)Dans la tradition théosophique nous retrouvons cet état de contemplation où l'initié dans la voie de Dieu revient toujours à cette euphorie extatique. Hayy Ibn Yaqdhân avant lui ne cessait de l'évoquer: « Parvenu à l'absorption pure, au complet anéantissement de la conscience de soi, l'Union véritable, il vit intuitivement que la sphère suprême, au-delà de laquelle il n'y a point de corps, possède une essence exempte de matière, qui n'est pas l'essence de l'Unique, du Véritable, qui n'est pas non plus la sphère elle même, ni quelque chose de différent de l'une et de l'autre, mais qui est comme l'image du soleil reflétée dans un miroir poli: cette image n'est pas le soleil, ni le miroir, ni quelque chose de différent de l'un et de l'autre. Il vit que l'essence de cette sphère, essence séparée, a une perfection, une splendeur, une beauté trop grandes, pour que la langue puisse les exprimer, trop subtiles pour revêtir la forme de lettres ou de sons. »(H.I.Y.P.92)Ce passage du récit initiatique authentique constitue le méta-texte du récit de kane. Le narrateur sait comme le savait celui de Hayy que le récit est impossible mais il aura tenté l'écriture au péril de la parole.C'est surtout le souvenir de ces contemplations extatiques que Samba Diallo éprouvait alors qu'il était dans l'univers mystique du foyer ardent qui provoque le désarroi. Comme son prédécesseur Hayy, il doit retourner dans son île déserte, celle où la raison même religieuse de l'homme n'a plus le droit de s'interférer entre l'homme et son «  Amant » . Ainsi, ces séquences narratives progressent vers l'Apocalypse. Samba Diallo, dans sa descente en enfer, (au pays de la parole de « l'autre ») prépare son suicide et avec lui celui du récit:     «  Je crois que je préfère Dieu à ma mère » (p.156).Nous comprenons qu'ici le mot mère symbolise la France. Cette rhétorique camusienne fonctionne dans ce chapitre comme le verdict final de la narration; d'ailleurs plus que quelques pages nous séparent du drame existentiel voulu aussi bien par la narration impossible que par l'Instance de la Théosophie: le récit initiatique pur doit périr au profit de l'Ecriture comme l'ont été les textes sacrés au profit des littératures.Chapitre V: Le récit avorté.Voulant être le plus objectif avec sa narration à la troisième personne, le narrateur introduit son personnage néophyte dans l'univers vécu de l'immigration. Ce thème n'est abordé qu'accidentellement dans le parcours de Samba Diallo. C'est sa rencontre fortuite avec Pierre Louis dans le chapitre précédent qui engage ce chapitre. Le narrateur s'ingénie, dans une description soignée du cadre des présentations avec les membres de la famille de Pierre Louis, à investir le style descriptif narratif. L'allure du récit allait vers le roman psychologique puisqu'il tente de mettre en évidence les structures mentales des personnages immigrés en quête de leur identité africaine.Cependant, réengager le récit dans le contexte de l'immigration signifierait que Samba Diallo, personnage néophyte est un actant de dramatisation du processus d'assimilation ou d'intégration. Il a fallu l'intervention de la première instance, la théosophie, pour avorter ce programme narratif et permettre ainsi au premier contrat « fiduciaire » de poursuivre son itinéraire:« Il me semble qu'en venant ici, j'ai perdu un mode de connaissance privilégié. Jadis, le monde m'était comme la demeure de mon père: toute chose me portant au plus essentiel d'elle-même, comme si rien ne pouvait être que par moi. Le monde n'était pas silencieux et neutre. Il vivait. Il était agressif. Il diluait autour de lui. Aucun savant jamais n'a eu de rien la connaissance que j'avais alors de l'être» (...) ici, maintenant, le monde est silencieux, et je ne résonne plus. Je suis comme un balafon crevé, comme un instrument de musique mort, j'ai l'impression que plus rien ne me touche. »(A.A.P.163)Ce double engagement du narrateur à vouloir tenter le récit de fiction tout en respectant le contrat d'initiation ratifié par la première instance de la théosophie provoquera dans les chapitres suivants la précipitation de la mise en échec de ce même récit: La réduction notable de la mise en texte (en moyenne trois pages pour chaque chapitre contre une moyenne de dix pages pour la première partie), la déclaration de haine « nuancée » de Samba Diallo envers ceux qui l'ont conquis par la force troublante de l'écriture, « c'est peut-être avec leur alphabet. Avec lui, ils portèrent le premier coup rude au pays des Diallobé. Longtemps, je suis demeuré sous la fascination de ces signes et de ces sons qui constituent la structure et, la musique de leur langue »(p.172), le retour de la parole du maître des Diallobé provoqué par la vision fantasmagorique du maître: « il le vit avec une intensité presque hallucinante: là, en face de lui, dans la lumière jaune et parmi la foule entassée, le visage du maître des Diallobé avait surgi. Samba Diallo ferma les yeux, mais le visage ne bougeait pas. »(p.174) et la demande de résurrection (sortir de l'enfer de la parole des « autres »), « j'implore en grâce ta clameur dans l'ombre, l'éclat de ta voix, afin de me ressusciter à la tendresse secrète... » (p.174) font que le récit va inéluctablement vers son apocalypse. Le narrateur initié n'a plus rien à espérer dans cette descente en enfer ni rien à ajouter en transformations narratives. Le retour de Samba Diallo au pays des Diallobé est imminent: » il est grand temps que tu reviennes, pour réapprendre que Dieu n'est commensurable à rien, et surtout pas à l'histoire dont les péripéties ne peuvent rien à ses attributs. Je sais que l'occident, où j'ai eu le tort de te pousser, a là-dessus une foi différente, dont je reconnais l'utilité, mais que nous ne partageons pas. Entre Dieu et l'homme, il n'existe pas la moindre consanguinité, ni je ne sais quelle relation historique. (...)Dieu n'est pas notre parent. Il est tout entier en dehors du flot de chair, de sang et d'histoire qui nous relie. Nous sommes libres: (p.175)Ces propos du chevalier sont l'émergence déclarée du géno-texte, la victoire du soufisme théologique sur la parole de « l'autre », la résurrection dans l'unité de l'Existence, le retour à la parole initiatique première, celle de Hayy Ibn Yaqdhân où toute dualité périt au profit de la seule unité existentielle: l'éternité du monde en dehors de l'histoire des hommes. Le narrateur a tenté de vaincre même « lorsqu'on a pas raison » mais en provoquant la mort de l'être hybride (Samba Diallo) et par la même celle du récit.5. LA MORT DU RECIT.C'est la mort du maître des Diallobé, la mort de la parole même ressuscitée, la mort de la foi eschatologique de Samba Diallo et la mort du rituel religieux qui sont les conséquences dramatiques de la mise en conflit des deux paroles, du même et de l'autre; de la modernité et de la tradition, de l'écriture et de la parole des ancêtres. Le récit s'arrête, il ne dit plus rien qui vaille pour la narration, il ne raconte plus rien. Tous les personnages ont disparu comme par enchantement. Le fou qui incarne maintenant la véritable ambiguïté exécute sa sentence. Il tue Samba Diallo parce qu'il ne veut plus aller faire sa prière ni reconnaître qu'il est le successeur spirituel du maître des Diallobé.C'est la mort de l'Occident aux yeux des mystiques peuls et qui résume dans cette simple description: « Maître, ils n'ont plus de corps, ils n'ont plus de chair, ils ont été mangés par les objets. Pour se mouvoir, ils chaussent leurs corps de grands objets rapides. Pour se nourrir, ils mettent entre leurs mains et leur bouche des objets en fer..., C'est bien vrai, dit Samba Diallo, pensivement » (P.183)Le récit meurt et dans son apocalypse, il laisse le terrain totalement à la théosophie. L'instant disparaît au profit de la Durée. L'Ecriture elle même périt devant la tyrannie de la parole initiale; celle que Hayy Ibn Yaqdhân défendait tout au long de sa thèse unitive:Tout le dernier chapitre du récit manifeste cette mort du récit par la seule émergence de la seule voix ( le méta-texte). C'est la voix de la pensée unitive, de la théosophie musulmane qui se dédouble pour revenir définitivement à son unité indivisible:« - Je suis deux voix simultanées. L'un s'éloigne et l'autre croît. Je suis seul. Le fleuve monte: Je déborde... Où es tu? Qui est tu?- tu entres où n'est pas ambiguïté. Sois attentif, car te voilà arrivé... te voilà arrivé.- Salut! Goût retrouvé du lait maternel, mon frère demeuré au pays de l'ombre et de la paix, je te reconnais. Annonciateur de fin d'exil, je te salue.- je te ramène ta royauté. Voici l'instant, sur lequel tu régnais...- L'instant est le lit de fleuve de ma pensée. Les pulsations de l'instant ont le rythme des pulsations de la pensée; le souffle de la pensée se coule dans la sarbacane de l'instant. Dans la mer du temps, l'instant porte l'image du profil de l'homme, comme le reflet du Kaïlcédrat sur la surface brillante de la langue. Dans la forteresse de l'instant, l'homme, en vérité, est roi, car sa pensée est toute puissante, quand elle est. Où elle a passé, le pur azur cristallise en formes, Vie de l'instant, vie sans âge de l'instant qui dure, dans l'envolée de ton élan indéfiniment l'homme se crée. Au coeur de l'instant, voici que l'homme est immortel, car l'instant est infini, quand il est. La pureté de l'instant est faite de l'absence du temps. Vie de l'instant, Vie sans âge de l'instant qui règne, dans l'arène lumineuse de ta durée, infiniment l'homme se déploie. La mer: Voici la mer: salut à toi, sagesse retrouvée, ma victoire: La limpidité de ton flot est attente de mon regard. Je te regarde, et tu durcis dans l'être. Je n'ai pas de limite. Mer, la limpidité de ton flot est attente de mon regard. Je te regarde et tu reluis, sans limites, je te veux, pour l'éternité. » (L'Aventure Ambiguë)... Fin du récit.Tout l'investissement des images et des métaphores déployées dans ce chapitre qui clôture l'écriture de l'initiation dans la tradition théosophique de l'Islam est un retour au texte initial de Hayy Ibn Yaqdhân. L'instant dont parle le narrateur initié est celui de l'écriture de cette oralité initiatique mais la durée appartient à la théosophie. Cela correspond à la station de contemplation de cette unité existentielle chez Hayy où l'être devient immortel dans la durée de l'éternité du monde puisque, selon les soufis, le temps c'est Dieu lui-même.(cf. l'éternité du monde chez Avicenne).(26)La mort du récit est la conséquence de l'entrechoque de deux systèmes: Celui du monde matériel et celui du monde spirituel. Pour la littérature traditionnelle, le combat doit se dérouler ou bien dans le monde matériel ou bien dans celui des idées; il est terrestre ou céleste, mais non les deux à la fois. Si ce sont deux idées qui se battent, le sang de Samba Diallo ne peut être versé, son seul esprit est concerné. Maintenant le contraire, c'est enfreindre une des lois fondamentales de notre logique, qui est la loi du tiers exclu. Ceci et le contraire ne peuvent pas être vrais en même temps, dit la logique du discours quotidien. Tout événement a un sens littéral et un sens allégorique.Cette conception de la signification est fondamentale pour le récit initiatique à contenu théosophique (métamorphosé) et c'est à cause d'elle que nous avons du mal à comprendre où va la quête de Dieu dans la même quête du récit, entité à la foi matérielle et spirituelle.L'intersection impossible des deux contraires est pourtant sans cesse affirmée: « souviens-toi, comme tu nourrissais mon existence de la tienne. Ainsi, le temps est nourri de la durée. Je te sentais la mer profonde d'où s'épandait ma pensée et en même temps qu'elle, tout par toi, j'étais le même flot que tout. » (P.139) soupirait Samba Diallo devant le dilemme du choix entre l'ici-bas et l'au-delà. Le dynamisme du récit ne repose que sur la fusion des deux en un. C'est pour cela que nous avions annoncé dés le début que la véritable quête de Dieu entrave la quête du récit car il est logiquement impossible d'accomplir les deux en même temps. Le monologue du dernier chapitre est signifiant: Le récit périt ne laissant parler que l'instance de la théosophie.Concernant la structure du récit, il est plus régi par une causalité philosophique que par une causalité événementielle car son organisation se situe au niveau des idées et non à celui des événements.Le récit est d'autant plus impossible parce que les significations sont plus arbitraires et plus dangereuses que le langage ordinaire ( récit événementiel régi par la loi de la causalité). Les opérateurs de la narration et ceux de la théosophie se servent du même scripteur pour accomplir leur dessein.La substitution d'une logique par une autre ne se produit pas sans problèmes. Dans ce mouvement, la quête du récit et celle de Dieu révèlent une dichotomie fondamentale, à partir de laquelle s'élaborent différents mécanismes. Il devient alors possible d'expliciter certaines catégories générales du récit.6. LES CATEGORIES GENERALES DU RECIT.Prenons le cas des épreuves de mortification suivies de celles subies dans la descente en enfer par Samba Diallo ( voyage dans la parole de «l'autre», l'Occident)), épreuves des plus fréquentes dans les récits initiatiques. L'épreuve est déjà présente dans l'incipit; elle consiste en la réunion des deux événements, sous la forme logique d'une phrase conditionnelle: « Si X fait telle ou telle chose, alors il lui arrivera ceci et cela. » En principe, l'événement de l'antécédent offre une certaine difficulté, alors que celui du conséquent est favorable au néophyte, avec leur variation: épreuves positives; au foyer Ardent, Samba Diallo réussit à toutes les épreuves de mortification pour s'initier à la parole de maître; et négative ou tentations (Samba Diallo réussit à ne pas succomber aux charmes d'un occident qui « vainc toujours même lorsqu'il n'a pas raison »; épreuves réussies (celles dans la parole du Maître au foyer Ardent) et épreuves manquées (celles de faire soumettre la durée de la théosophie à l'instant de l'occident) . Nous l'aurions appelée « l'épreuve des douze grains ».Nous aurons donc deux séries d'épreuves symétriques: épreuve-réussite-récompense ou épreuve-échec-punition.Mais c'est une autre catégorie qui permet de mieux situer les différentes épreuves. Si l'on compare les épreuves que subit Samba Diallo au foyer Ardent ( l'incipit), d'une part, avec celle qui subit dans la parole de l'autre (la descente en enfer dans la parole de l'occident) de l'autre, on s'aperçoit d'une différence essentielle. Avant l'épreuve du foyer Ardent, Samba Diallo n'était pas digne de continuer la Quête de Dieu: « -sois précis en répétant la Parole de ton Seigneur... Il t'a fait la grâce de descendre son Verbe jusqu'à toi. Ces Paroles, le Maître du monde les a véritablement prononcées. Et toi, misérable moisissure de la terre, quand tu as l'honneur de les répéter après lui, tu te négliges au point de les profaner. Tu mérites qu'on te coupe mille fois la langue... »(p.14). Après elle, s'il réussit, il l'est. Il en est de même en ce qui concerne les épreuves dans la parole de « l'autre » (l'Occident); dès le premier chapitre du récit, Samba Diallo est désigné comme étant l'élu des Diallobé, celui qui est digne de succéder à tous les maîtres du soufisme: « votre fils, je le crois, est de la graine dont le pays des Diallobé faisait ses maîtres... Et les maîtres des Diallobé étaient aussi les maîtres que le tiers du continent se choisissait pour guides sur la voie de Dieu en même temps que dans les affaires humaines (p.22). Il est impensable que Samba Diallo échoue aux épreuves; la forme conditionnelle de départ n'est plus respectée. Samba Diallo n'est pas élu parce qu'il réussit les épreuves mais réussit les épreuves parce qu'il est élu.De là nous comprendrons mieux l'impossibilité du récit: l'instance de la théosophie veut qu'il réussisse aux épreuves parce qu'il est élu tandis que celle de la narration (le récit logique) provoque l'échec du récit parce qu'elle ne peut plus assumer son programme de départ, « la langue ne saurait le décrire ni le discours en rendre compte » disait Ibn Thophaïl dans l'ouverture de son récit Hayy Ibn Yaqdhân.La quête du récit est donc construite sur la tension entre ces deux logiques: la narrative et la théosophie, ou, si l'on veut, la profane et la sacrée. On peut les observer toutes les deux: les épreuves, les obstacles (telle l'opposition de la Grande Royale à maintenir le jeune initié au foyer ardent afin qu'il accomplisse son initiation au soufisme, et sa volonté ferme à la remettre à l'école des blancs): « je viens vous dire ceci: moi, Grande Royale, je n'aime pas l'école étrangère. Je la déteste. Mon avis est qu'il faut y envoyer nos enfants cependant... La parole se suspend, mais la vie, elle, ne se suspend pas. »(p.56) révèle de la logique narrative, en revanche, l'apparition du Maître -c'est à dire de l'instance de la théosophie- se rattache à la logique initiatique. Par conséquent le surgissement du temps sacré dans les temps laïques est fondamentalement la cause ultime de la mort du récit.7. TEMPS LAÏQUES ET TEMPS SACRE.L'articulation de ces deux logiques se fait à partir de deux conceptions contraires du temps. La logique narrative implique, idéalement, une temporalité qu'on pourrait qualifier comme étant celle du « présent perpétuel ». Le temps est constitué ici par l'enchaînement d'innombrables instances du discours (de la théosophie); or celles-ci définissent l'idée même du présent; il y a parallélisme parfait entre les séries d'événements dont on parle et la série des instances du discours: » ainsi, le temps est nourri de la durée. Je te sentais la mer profonde d'où s'épandait ma pensée et en même temps qu'elle, tout. Par Toi, j'étais le même flot que tout » (p.139); « l'instant, comme un radeau, vous transporte sur la face lumineuse de son disque rond, et vous niez tout l'abîme qui vous entoure »(p.92) .En fait le discours n'est jamais en retard, jamais en avance sur ce qu'il évoque à tout instant, les personnages vivent dans le présent, et dans le présent seulement.En revanche, la logique théosophique repose, elle, sur une conception du temps qui est celle de l'éternel retour » : la parole initiatique revient toujours pour chasser la parole profane, le discours chasse le récit; le méta-texte chasse le phénotexte et s'accomplit l'autopsychégraphie (d'où le vide gnostique dont nous avions parlé dans notre première partie). Dans les deux cas (logique narrative et logique de la théosophie) le temps est en quelque sorte suspendu, mais de manière inverse: la première fois par l'hypertrophie du présent, la seconde par sa disparition. Mais dans tous les cas, la seconde logique ainsi que la temporalité du type «éternel retour » sortent ici (dans le récit initiatique à contenu théosophique) vainqueurs du conflit entre les deux.La logique narrative était sans cesse en retrait devant une autre logique, rituelle et sacrée; le récit est le grand vaincu de ce conflit parce qu'il se rattache à l'histoire des hommes plutôt qu'à l'histoire de Dieu (et c'est légitime), les valeurs traditionnelles sont contestées et mêmes bafouées, le maître du foyer ardent demeure incapable de retenir les enfants des Diallobé dans l'univers traditionnel. Le Chevalier admire la parole de « l ' autre » (l'Occident), au détriment de la parole du maître, il ne se ressaisit que vers la fin du récit, mais en vain.Cependant la logique théosophique refuse précisément la logique narrative: la contiguïté événementielle, les aventures amoureuses (Samba Diallo a raté l'occasion d'avoir des relations amoureuses avec Lucienne, étudiante avec lui en philosophie): « Lucienne a souvent parlé de vous à la maison. Elle a été très impressionnée par la passion et le talent avec lesquels vous menez vos études de philosophie. »  l'instance de la théosophie revient à la charge et empêche le récit de prendre cette voie sentimentale: « votre fille est trop bonne, monsieur. Elle aura trouvé cette façon élogieuse pour moi de vous dire quel mal considérable me donnent ces études. » (p.124) Mais le récit ne manque pas de se venger, d'ailleurs, les passages les plus beaux sont ceux où le narrateur excelle dans la description de la beauté:« devant lui, souriante, se tenait une jeune fille. Samba Diallo ne bougea pas, malgré l'invite, comme fasciné par l'apparition. Elle était grande et bien prise dans un jersey serré, dont la couleur noire rehaussait le teint chaud de soleil couchant du cou, du visage et des bras. Une masse pesante de cheveux noirs auréolait la tête et descendait en un pan lourd jusqu'aux épaules, où elle se confondait, à ne plus s'en distinguer, avec le noir brillant du jersey. Le cou était gracile sans être mince et sa sveltesse soulignait le poids d'une gorge ferme. Sur le soleil rouge éclatait le jet des yeux immenses, le reflet tout retenu et offert du sourire timide ». (P.158.) Alors qu'avec Samba Diallo, il ne peut y avoir à proprement parler de récit. Il est un aiguillage, le choix d'une voie plutôt que d'une autre, le chemin que suit Samba Diallo a beau se diviser en deux. Il suivra toujours celui que l'instance de la théosophie lui a tracé. Le roman est fait pour raconter des histoires terrestres; or L'Aventure ambiguë tend vers une entité céleste, d'ailleurs le narrateur fait parler Samba Diallo même après sa mort (avec sa divinité retrouvée).L'auteur de l'Aventure ambiguë avait raison de vouloir intituler initialement son roman «Dieu n'est pas un parent » car il savait qu'il ne réussirait pas à écrire le Roman mais plutôt l'essai, le contre discours théologique mais ce n'est pas Dieu qui est ambigu et polyvalent dans ce monde, c'est le récit. Il a voulu se servir du récit terrestre à des buts célestes, et la contradiction est restée à intérieur du texte. En définitive, l'Aventure ambiguë est non seulement quête d'un code et d'un sens, mais aussi d'un récit. Le narrateur aura tenté sa chance mais l'instance de la théosophie conservera son statut autoritaire dans la diégèse NOTESAmadou Hampaté Bâ: Amkoulel. L'enfant peul. Acte sud 1991. P.37 Ibidem. P.23CNRS (édition du) n° 544. La notion de personne en Afrique Noire. Paris 1971Amadou Hampaté Bâ. Vie et enseignement de Tierno Bokar. OP.Cité P.241.Ibidem. P.15Ibid. P.54Beida Chikhi. Problématique de l'écriture dans l'oeuvre romanesque de Mohammed DIB.L'approche analytique concernant « cours sur la rive sauvage » faite par Beida CHIKHI nous réconforte dans nos hypothèses. Mohammed Dib avait construit son récit sur la base des métaphores poétiques empruntées aux différents « Samaâ » ou poésies mystiques chantées dans les zaouiat pour la mise en transe des initiés avons-nous dit. Pour sa part Beida CHIKHI avait souligné que: « cette oeuvre, nous l'avons appelée « récit poétique » parce qu'elle se présente comme un phénomène de cumul de techniques romanesques, proposant une relation événements des personnages, un espace et un temps, et des procédés de narration empruntant au poème. Ce qui pourrait apparaître comme le lieu « d'un conflit constant entre la fonction référentielle avec ses tâches d'évocation et de représentation, et la fonction poétique qui attire l'attention sur la forme du message (le récit poétique P.U.F). Hommage à Mohammed Dib .O.P.U. Alger (1985. P.75Beida Chikhi. Problématique de l'écriture dans l'oeuvre romanesque de Mohammed Dib. OP. Cité P.155Mostefa Kara Fewzia (Sari). Fantastique, mythes et symboles dans cours sur la rive sauvage de Mohammed Dib. Montpellier, 1971. Beida Chichi. Problématique.... Ibid. P.185. Martin Lings. Un Saint musulman du 20ème siècle OP.Cité. P.259 Max Scheller. Le sens de la souffrance. Ed. Monteil, philosophie de l'esprit. P.511 Mohamadou Kane. La littérature africaine, tradition et modernité, OP. Cité. P.65. Interview recueillie par B. Kotchi dans études littéraires, littérature négro-africaine n° 3.Dec. 1974. P.483.Mohammed Kane. Le roman africain... OP. Cité. P.341 Julia Kristeva. Recherche pour une sémanalyse. Ed. Seuil. 1969. P.221 A Literary story of the Arabs P.384. Cité par Martin Lings, un saint musulman du 20ème siècle OP.Cité P.148. Louis Gardet, la pensée musulmane religieuse d'Avicenne OP. Cité P.73 Amadou H.Bâ. vie et enseignement de Tierno Bokar.O.P.Cité. P.166Roger Bastide. La notion de personne en Afrique Noire.CNRS. OP. Cité p.40 Lucien Goldman. Pour une sociologie du roman. Paris Gallimard 1964. P.35 Amadou.H. Bâ. vie et enseignement de Tierno Bokar.O.P.Cité P.149. C.N.R.S. La notion de personne en Afrique Noire P.507 Amadou Hampaté Bâ. Roman africain et tradition OP. Cité. P.30 Louis Gardet. la pensée religieuse d'Avicenne. OP. Cité P.38DEUXIEME PARTIEChapitre IIILe Récit Métamorphosé INTRODUCTION COUR SUR LA RIVE SAUVAGE « Est un roman qu'on avait qualifié de récit de science fiction (1), de récit utopique(2), de récit poétique(3) même de récit au parcours initiatique (descente en enfer et résurrection)(4).Mis à part ces axes d'analyse cités, nous n'avons pas rencontré jusqu'à présent une étude qui intègre le récit de DIB dans un contexte théosophique. Dans notre premier chapitre de cette deuxième partie, nous avions expliqué les raisons de ce choix: Récit initiatique à contenu théosophique. Nous soulignons à titre de rappel trois raisons essentielles du choix de ce corpus:A- La raison historique.Mohammed DIB est foncièrement Tlemcenien. Il nous paraît légitime d'affirmer, vu notre appartenance à cette communauté, que tout Tlemcenien de l'époque pré-coloniale ou coloniale ne pouvait pas ne pas recevoir une éducation rituelle soufie. Quasi chaque « derb » ou « haouma » (quartier) avait sa Zaouia; l'éducation soufie conditionnait les comportements les plus élémentaires; les poésies chantées ou « sammaâ » des saints mystiques étaient psalmodiées par nos mères et grands-mères à tout moment et à chaque festivité. Mohammed DIB, enfant ou adulte ne pouvait pas ne pas être imprégné « jusque dans ces rêves » de cette culture fondamentalement théosophique. En aucun cas il n'a fait allusion au lieu du dire de son écriture: la théosophie musulmane; si ce n'est l'espace et la structure de certains de ses récits qui l'ont trahi . Cours sur la rive sauvage est l'expression de cette autopsychégraphie; c'est le méta-texte par excellence mais dans l'ambiguïté, il en est aussi l'émergence et l'étage terminal, le caché et l'apparent, la forme et la substance, le signifiant et le signifié. Le mérite revient au narrateur qui a su manipuler la langue de « l'autre » pour occulter le « même ».B- La métaphore: Lieu du dire fictionnel.Radia est l'objet de la quête d'Iven Zohar. Forme idéale ou divinité, elle demeure le sens allégorique de la quête de Dieu. Tous les Saints mystiques implorent son nom, Leïla, Selma ou Hadra (présence de Dieu), chacun lui donne sa féminité troublante. Anthropomorphisme ou théophanie, ses Amants subliment sa description dans leurs poésies mystiques au risque de l'hérésie. Mohammed Dib à son tour fait évoluer ce personnage mythique dans un univers mystique. Radia signifie littéralement « la consentante », celle qui approuve et sait se faire aimer; c'est aussi un des noms de la divinité coranique. L'itinéraire d'Iven Zohar de Radia vers Hellé est celui des épreuves et de l'errance.Hellé est la récompense des épreuves réussies imposées par Radia. L'univers théosophique conduit le néophyte vers l'univers hellénistique. Le choix de ces personnages n'est pas fortuit, le narrateur est conscient de son projet car lui seul sait où il va alors que le lecteur naïf croit à la thèse du labyrinthe. Seul l'univers métaphorique le subjugue, le mot est invitation au spectacle magique mais le récit n'initie personne à l'exception du narrateur.C- L'allégorie: le destinataire de la quête.Le trolley, le mariage, la dislocation de la ville, le don des anneaux, les vorasques, la ville nova, les statues, les femmes endormies, l'inconnue de la plage, le vieux sage, la ville du soleil, la ville de feu, les takas, le navire, Radia et Hellé; tout est allégorique dans le roman de Dib. L'univers où nous mène le narrateur n'a aucun référent au hors-texte. Seule une approche théosophique peut nous permettre de décrypter le sens du récit. Annonçons que ce sont les fameux « maquamat » de Hayy Ibn Yaqdhân ou stations de contemplation lorsque son âme atteint les différents étages de la vérité.1. LA STRUCTURE DU RECIT.Cours sur la rive sauvage se présente comme un récit initiatique itinérant. Le narrateur engage son personnage Iven Zohar dans un parcours jalonné d'épreuves. Il part d'un point A qui ne nomme pas (provenance inconnue) vers un point B au delà de tous les lieux: « je vais déboucher sur le paysage qui veille derrière tous les autres; il chemine à travers toi, Hellé » (p.158). Cet itinéraire qui apparemment se réalise dans un univers spatio-temporel s'avère être un univers purement Stoïque. « combien de temps m'aura-t-il fallu pour aller de Radia à toi! » (p.159). Combien de temps a-t-il fallu au narrateur initié d'aller de la connaissance mystique musulmane à la connaissance hellénistique? Toute la structure du récit est construite sur ce principe. La dynamique est double: celle du récit formel et celle du récit substantiel, en d'autres termes (dans les concepts de Kristéva) la dynamique d'un méta-texte et celle d'un phénotexte.La provenance d'où émerge la dynamique du récit double ne peut être que mythique « nous partîmes », le narrateur ne donne aucune indication du lieu ou de l'événement qui permettra d'ouvrir le récit. Le passé simple est ici un temps achevé à la différence du passé composé qui est un temps inachevé. Cela suppose que le sujet-prédicat de la rhétorique de l'ouverture du roman est en fait la fermeture d'un récit préalable ou contigu. Le parcours initiatique avait bien commencé avant l'écriture mais où? là se pose toute la problématique de la création littéraire et en particulier celle de notre genre.Partir (fin d'une aventure épique) pour déboucher sur un « monde de flammes » ne peut être que l'éclatement d'une métaphore « gnostique » qui, de ses débris surgira le récit. En effet, Radia, femme allégorique et objet sublime de l'amour de Dieu consent à accompagner le néophyte dans son propre univers (l'essence de Dieu ) mais sans garantie de ce qui pourrait lui advenir au terme de ses épreuves. Seul son amour pour lui pourra le sauver ou simplement le récompenser de son attachement à elle (la vérité).Au niveau des catégories du récit, elles sont du type épreuve-réussite-récompense ou épreuve-échec-pénitence. Le personnage néophyte est mis en épreuve dans la connaissance théosophique. S'il réussit, il atteindra la connaissance hellénistique (Hellé). S'il échoue, il persistera dans on angoisse existentielle (Radia). Mais dans cette dialectique réussite-échec c'est le récit qui se construit puis se détruit au gré des épreuves soumises par Radia. Pourquoi le récit métamorphosé? Parce que le lecteur de Hayy Ibn Yaqdhân (notre gille de lecture) est conscient du projet du narrateur. Il est annoncé clairement (la connaissance stoïque de Dieu). Tandis que celui de cours sur la rive sauvage est totalement dérouté, la quête de Dieu se métamorphose en une quête de sens. Là où le narrateur de Hayy a échoué, celui de cours sur la rive sauvage tente de réussir: permettre au mot de dire ce que la foi ne peut exprimer et, sauver ainsi la littérature mystique.Pour ce faire Mohammed Dib, auteur du roman, a recours à des types de phrases bien spécifiques à son écriture: une contiguïté sémantique ambivalente et paradoxale: « Dragons remuant le fond de l'avenue, des eaux et des nuées envahies de mouettes attaquaient, sans l'atteindre, l'or du ciel tendu au-dessus de nous et au-delà d'arbres, de jardins profonds, mais dévoraient les hauteurs, les villas, les rares passants qui s'éloignaient ou se rapprochaient sur des lignes infinies. Nous- nous réfugiâmes dans une forêt où les chemins s'entrecroiseraient sans trouver d'issue, puis nous revînmes vers la perspective balayée par la charge des vagues, nous débouchâmes sur un monde de flammes. »(P.7).Ces deux phrases formant le premier paragraphe de la rhétorique de l'ouverture du roman suffisent (incipit) à dévoiler la stratégie du narrataire (les dragons, l'eau, les mouettes, l'or, le ciel, le jardin, les arbres, les villas, les passants, les lignes infinies, la forêt, l'issue, les vagues (la mer), le monde de flammes sont tous des actants opposants ou adjuvants de la quête itinérante. Déjà la typologie verbale est annoncée afin de marquer le caractère itinérant du récit (nous partîmes, s'éloignaient, se rapprochaient, nous nous réfugiâmes, puis nous revînmes, nous débouchâmes etc.)Par conséquent, la stratégie narrative se résume en deux catégories principales:1- Provenance - destination inconnue- épreuve- réussite récompense- quête positive (initiation faite).2- Provenance connue- destination inconnue- épreuve- échec- pénitence- quête négative (initiation ratée).Lorsque le néophyte réussit la quête (épreuves imposées) c'est qu'il est élu (il ne peut pas ne pas réussir); mais lorsqu'il échoue aux épreuves, c'est parce qu'il n'est pas prédestiné à telle ou telle station de contemplation. Exemple: il ne put affronter le dragon puisqu'il n'est pas prédestiné à être un héros (son initiation se fait dans l'univers de la connaissance et non celui de la bravoure).Connaissant maintenant la structure du récit où chaque micro-récit obéit forcément à la stratégie narrative annoncée, nous allons étudier successivement les différentes stations de contemplations à l'issue de chaque épreuve ( ce qu'on nomme, dans l'initiation grecque, la descente en enfer).2. LA DESCENTE EN ENFER.2.1. L'épreuve de la substitution.Dans la tradition théosophique de l'Islam, il s'agit pour le néophyte de ne pas perdre de vue (clairvoyance) son premier amour (Dieu) bien que dans ses théophanies il se substitue et prend forme subversive:« Cette femme perdue n'était pas Radia. La substitution avait dû être si prompte que personne sur le moment ne s'en était avisé, et pas plus moi que les témoins. Je restai un instant recroquevillé et aveuglé. J'ignorais de quel côté chercher.Avec précaution, je réfléchis:« Qui la délivrera? Qui affrontera le mystère? Qui conjurera le malheur? Moi? » (p.11)Le projet de la théosophie, instance suprême de la narration se confirme par la bouche d'Iven Zohar, « C'était aussi la manifestation de l'apparence »(p.12) (...)parviendrais-je, soutenu par mon amour, à détruire le miroir qui me sépare d'elle? » « Serais-je détruit moi-même? »(P12).Rappelons que dans la tradition théosophique de l'Islam, l'apparence est subversive dans la connaissance stoïque de Dieu, il faut casser le miroir de l'apparence et donc détruire son ego pour parvenir à contempler une des vérités immuables de l'essence divine. Nous renvoyons à la théorie des miroirs étudiée dans notre première partie.Cependant, le narrateur de Cours sur la rive sauvage, semble déjà initié dans l'univers de Hayy Ibn Yaqdhân; lorsqu'il a évoqué la manifestation de l'apparence ainsi que la théorie des miroirs, il les conçoit aussi comme lieu du dire fictionnel, les séquences narratives qu'il construit ne sont que l'expression phéno-textuelle de ce lieu privilégié de la théosophie.A chaque fois que Radia fera sa substitution, Iven Zohar doit réussir à cette épreuve, « je saurai la retrouver, nous remarcherons côte à côte » Ainsi le narrateur rejoint avec succès le parcours de tous les « arifin » ,saints connaissants, dans leur itinéraire:« brille ma lumière, Une est mon essence, en toute chose l'on ne me voit. Et qui fut jamais vu si ce n'est moi? Le voile de la création, j'en ai fait un écran pour la vérité, et dans la création résident des secrets qui soudain jaillissent comme des sources. Celui qui sous mon voile ignore mon Essence.Demande où je suis. En vérité « je suis » sans « où ».(5)L'épreuve de la substitution est réussie non pas par le néophyte mais par le narrateur déjà initié. Il connaît l'aboutissement de l'épreuve et fait gagner du temps à son personnage. Le parcours initiatique est connu d'avance, le récit est achevé, il s'agit pour le narrateur de tenter la métamorphose puisque c'est dans la langue de « l'autre » qu'il faut occulter le « même ». Le sujet de la création littéraire est conscient de son projet; c'est son objet (le récit) qu'il faut rénover.Concernant le récit initiatique authentique de Hayy Ibn Yaqdhân, nous retrouvons cet aspect d'apparition et de disparition, de production et de destruction du monde sensible dans l'univers de la connaissance stoïque:« il vit, au même rang, des essences semblables à la sienne, ayant appartenu à des corps qui avaient existé puis disparu, et des essences appartenant à des corps qui existaient dans le monde en même temps que lui; il vit que la multiplicité de ces essences dépasse toute limite s'il est permis de leur appliquer le vocable de pluralité, ou que toutes ne font qu'un s'il est permis de leur appliquer le vocable d'unité. Et il vit que sa propre essence et ces essences qui sont au même rang que lui ont, en fait de beauté, de splendeur, de félicité infinies,  « ce qu'aucun oeil n'a vu, qu'aucune oreille n'a entendu, qui ne s'est jamais présenté au coeur d'un mortel » que peuvent décrire que ceux qui savent décrire, que seuls peuvent comprendre ceux qui sont arrivés à parvenir à l'Union extatique. Il vit un grand nombre d'essences séparées de la matière, comparables à des miroirs rouillés, couverts de saleté, qui, avec cela, tournent le dos aux miroirs polis où se reflète l'image du soleil, et détournent d'eux leurs faces. Il vit en ces essences une hideur et une défectivité dont il ne s'était fait jamais une idée. Il les vit plongées dans des douleurs sans fin, des gémissements incessants, enveloppées dans un tourbillon de tourment, brûlées par le feu du voile de la séparation, partagées entre la répulsion et l'attraction comme par des mouvements alternatifs de scie.Outre ces essences en proie aux tourments, il vit là d'autres essences apparaître puis s'évanouir, se former puis se dissoudre. Il s'y arrêta longuement, les considérant avec soin, et il vit une immense terreur, de vastes choses, une multitude agitée, une sagesse ordonnatrice efficace, parachèvement et insufflation, production et destruction ». (Hayy Ibn Yaqdhân p.95).La description de cette union extatique dont parle le narrateur de Hayy, celui de cours sur la rive sauvage la réinvestit dans son récit mais en métamorphosant le champ sémantique du récit originel. Les essences séparées dont parle le narrateur de Hayy deviennent des unités de sens assimilables à notre lexique quotidien (le dragon, les eaux, l'or du ciel, les jardins, les flammes, etc.)C'est pour cette raison que certains critiques ont qualifié cette oeuvre d'utopie, de surréaliste ou de récit poétique car ils se sont arrêtés au mot ou à la contiguïté sémantique. L'approche du méta-texte a été évacuée. Or c'est précisément la pluralité les lectures (littérature comparée) qui nous a permis de relire certaines oeuvres pour découvrir cette filiation.Il serait aisé d'étiqueter les romans de DIB, les classant dans telle ou telle catégorie mais sachant que le genre littéraire n'obéit pas forcément à tel ou tel courant littéraire et reprenant les orientations de la théorie de la littérature, écoutons Blake et Christopher Smart nous dire « des hommes pénétrés par une conception irrationnelle ou antirationnelle du monde peuvent transformer la diction poétique ou retourner vers une phase très primitive d'elle »(6). Concernant le problème du sens que posent ces genres (ici le récit initiatique) « peut-on nous permettre de lire un mot dont le sens nous échappe et ainsi de procéder au « reconstructionisme » historique de sa possibilité et de sa convenance »(7).C'est ce que nous tentons de faire, un reconstructionisme historique d'une oeuvre dont le sens nous échappe (sens conventionnel). Certes, certains diront que ce n'est que de la spéculation littéraire mais outre ces appréhensions épistémologiques, aucune oeuvre ne pourrait être abordée dans sa pluralité. Faire un reconstructionnisme historique c'est pour nous restituer l'oeuvre dans l'univers de la pensée illuminative.2. 2. L'épreuve de lumière.Il s'agit pour le néophyte d'affronter la force de la divinité non pas par la raison mais par son seul amour. Dans l'ascension mystique, cette force se manifeste par l'épreuve de la lumière. Si l'initié arrive à dépasser le monde de la lumière c'est qu'il est prédestiné à une connaissance plus grande et plus subtile:« Elle ébaucha bientôt un signe de la main à l'un de ses suivants qui s'approchât aussitôt. Il lui présenta une boîte faite d'un métal vert dont il souleva lui-même le couvercle. Radia en retira quelque chose qui vrilla l'air: une aiguille de lumière, eut-on dit. S'avançant alors vers moi, sans valence mais avec décision, elle me l'enfonça dans la poitrine. (...) Elle me donna cinq coups consécutifs. Cinq étoiles de sang s'ouvrirent en cercle sur ma poitrine (...) je ne comprenais pas le sens de cette aventure » C.S.R.S. P.18.Iven Zohar, toujours élu par l'Instance de la théosophie doit réussir à ces épreuves et ainsi le narrateur lui fait dire cette phrase qui lui permettra de survivre à l'apocalypse qu'il va provoquer. Lorsqu'il prononcera le nom « d'Hellé »: « elle m'a frappé de son arme. Je connais son signe à présent. Je le reconnaîtrai toujours » (p.18).A partir de cette séquence rituelle, le récit sera l'enjeu d'une dualité omniprésente où s'affronteront les paradoxes jusqu'à l'extinction de toute dualité. La quête unitive aura ainsi accompli son dessein. L'évocation de la divinité grecque (Hellé) dans l'univers de la théosophie musulmane (Radia) va provoquer l'Apocalypse du récit:« Je ne savais quelle détermination adopter mais me voyais dans la nécessité d'en prendre une. Je prononçais à haute voix le mot: « Hellé ».Ces syllabes n'avaient pas plus tôt effleuré mes lèvres que les murs des salles s'effondrèrent avec un long grincement. De toutes les gorges, un cri jaillit, remplit l'espace et ne se répéta plus. L'assistance se trouva dispersée, ou engloutie par les crevasses qui s'étaient ouvertes autour de nous. »(p.21)Ce qu'Ibn Thophaïl concevait dans la théosophie pure, Mohammed DIB le conçoit par/dans la littérature. L'allégorie et la métaphore se substituent aux textes sacrés. L'initiation doit se faire ou s'achever dans/par le mot. La littérature se propose de sauver la religion lorsque celle-ci n'arrive plus à se justifier dans la cité des hommes.Les deux cités doivent s'affronter, l'une doit périr au profit de l'autre, la cité invisible (Hellé) engloutira celle que les hommes croyaient être leur cité idéale: « c'en était fait de la ville, de ses habitants. Et pour ceux qui resteraient allait commencer une vicissitude pire: l'invasion dont nous venions d'être les victimes n'admettait pas la mort » (p.24)Nous sommes là renvoyés à l'idée de l'éternité du monde et donc à la conception avicenienne de l'Existence et par-delà augustinienne.
Voici à titre de rappel ces deux conceptions qui se rejoignent aussi bien dans la mystique chrétienne que celle musulmane:« Pour Ibn Sîna, les êtres spirituels et les corps simples (corps célestes) ne peuvent, par nature; être soumis à l'altération; ils ne peuvent cesser d'être; et Dieu ne pouvant pas ne pas être créateur en acte de toute éternité, ils ne peuvent pas ne pas avoir été. Ils sont les effets contingents et éternels de la cause nécessaire. Par contre, les êtres composés soumis à la génération et à la corruption portent en eux-mêmes le principe de leur non-durée éternelle. Ils commencent et finissent. Mais ils ne sont pas moins pris par le déterminisme universel. (...) Leur commencement et leur fin dépendent des grandes lois qui régissent, l'action convergente de l'intellect agent sublunaire « donateur des formes » et des sphères célestes chargées d'amener au degré de préparation voulue la matière sublunaire. Dès là qu'ils sont, ils ne pourraient pas dans l'ordre de l'existence, ne pas être.(...) leur possibilité métaphysique est en somme du même ordre et du même degré que celle des êtres créés éternels. Qu'ils aient un commencement ou une fin temporels; est, par rapport à cette possibilité, un accident. Ou si l'on veut chacun de ces êtres sujets à l'altération (et parce que tels) n'est pas vraiment un tout, le tout c'est le monde sublunaire, avec son intellect agent unique et sa matière première, et qui, est éternel. » (8)C'est ce que voulait dire Iven Zohar « l'invasion dont nous venions d'être victimes n'admettait pas la mort ». Il s'agit maintenant pour le narrateur de Cours sur la Rive Sauvage de déployer son arsenal sémantique de l'immortalité, de l'éternité et d'un au-delà idéal sans sortir pour autant de l'univers des hommes (anthropomorphiser la divinité dans la cité éternelle): « la ville-nova se matérialisant autour de nous était un havre, un lieu de répit. Je me surpris moi-même murmurant une prière pour qu'il en fît ainsi. Et pour toujours, si ce n'était pas trop demander. »(P.36)L'épreuve de lumière doit par conséquent aboutir à l'idée de l'éternité du monde; la cité-radia doit se laisser engloutir par la cité-hélle, la dynamique de l'intégration ou de la fusion est laissée à la stratégie narrative. Les personnages ne seront plus désormais que des entités spirituelles accomplissant le projet de l'instance de la théosophie. Ce seront des apparitions divines ou plutôt des manifestations de la vérité recherchée par la théosophie.2.3. L'épiphanie romanesqueA la différence de Hayy Ibn Yaqdhân et de l'Aventure Ambiguë, cours sur la rive sauvage est l'unique récit initiatique à contenu théosophique qui exprime cette épiphanie des personnages-divinités. Radia exprime cette manifestation de la connaissance stoïque mais le personnage le plus troublant est celui de Hellé: « nom mystérieux transmis d'un autre espace » pensait le narrateur mais l'instance de la théosophie nous en dévoile les secrets:« j'ai surpris un secret. Je n'ai pas découvert la clé qui m'en ouvrirait le sens, et c'est le secret qui m'a pris au piège. »(P.78) puis d'expliciter son projet en nommant clairement son objet:« une illumination me vient. Si je prononçais le nom mystérieux: « Hellé » qui m'a été transmis d'un autre espace et que j'ai gardé au fond de ma mémoire? Je me reproche de n'y avoir pas pensé plus tôt. Je murmure alors, tel un mot de passe:- Hellé.».« Et une femme flamboyante de se détacher de l'ensemble des autres, de s'élancer vers moi. Elle sourit du centre d'un foyer incandescent; son corps détruit en un clin d'oeil ses factices répliques, les chambres et leurs meubles, les couloirs. Ces radiations sans frein propagent puissance, mais passions aussi. Pendant que le souffle inconnu passe sur moi, je l'entends dire:- Ne sois pas alarmé et sache ce que tu as risqué. Tu as gagné. Il faudra pourtant en perdre tout savoir et tout souvenir. »(p.78).Nous voyons que le narrateur-initié est aussi conscient de l'exigence de l'épiphanie: mourir dans /par son ego pour ne laisser la place qu'au Bien-Aimé (l'objet de sa quête: ici Dieu). Cette « blanche incarnation de la puissance » (p.16) est en fait le substitut de Radia pour ne pas dire son dédoublement ce qui signifie que c'est une vérité à deux faces, l'une mythologique, l'autre théosophique. Beida cheikhi avait vu juste lorsqu'elle nous dit que « le personnage féminin fortement socialisé dans la situation initiale est désagrégé au profit de sa mystification: lorsque Hellé se substitue à Radia, c'est un peu le mythe qui se substitue à la réalité. L'imaginaire va donc travailler sur le doublet Radia/Héllé qui apparaît comme le support des représentations mentales du héros-narrateur (...) la femme, plus encore que le narrateur, est définie par sa finalité. Elle est l'intercesseur qui permettra au héros de réaliser sa quête. Radia-Hellé chargée d'un pouvoir magique entraîne le héros dominé sur un chemin inconnu.(9). Ce sera donc l'épreuve du chaos qui sera la plus déterminante pour l'initiation du personnage. 2.4. L 'épreuve du chaos.Cours sur la rive sauvage défie toute spatialité et temporalité, toute matérialisation et toute forme: suppression des repères spatio-temporels, les êtres et les formes perdent leur statut privilégié. L'unité est pluralité et la pluralité est unité. Les limites sont poussées jusqu'à l'extrême du possible. Aucun contour n'est stable, le moi et l'univers se confondent dans une unité indivisible (et stoïque). Hellé se substitue à Radia; la ville de feu ressemble à la ville du soleil et toutes les deux se confondent dans la ville-nova. La civilisation connue de nos jours investit les trois villes tout en se désagrégeant dans le néant. Le Chaos règne partout sans laisser la place à la vacuité. Tout est plein et vide en même temps. Tout est errance et itinéraire conscient à la fois... Et pourtant c'est un récit qui avance d'un point A vers un point B.Dans la tradition théosophique de l'Islam, le Chaos est une station de contemplation; le narrateur doit forcément faire traverser son personnage dans cet univers chaotique pour permettre à l'entropie actancielle de progresser vers cette unité existentielle où toute dualité doit périr.Par ce procédé du chaos, la signifiance dégagée est corollaire à la non-existence dans l'existence supposée. Djalal-Eddine Roumi ayant atteint cette station déclama ces vers mystiques:« Je suis mort minéral, et suis devenu plante.Je suis mort plante, et me suis relevé animal.Je suis mort animal, et suis devenu homme.Pourquoi craindrais-je? Quand ai-je été amoindri en mourant?Pourtant, je mourrai encore une fois, comme homme pour planerAvec les anges bienheureux; mais même après l'état d'angeIl faudrait que je passe au-delà. Tout périt, sauf Dieu.Quand j'aurai sacrifié mon âme-ange,Je deviendrai ce que nul esprit, jamais, n'a conçuO, laissez-moi ne pas exister; Car la non-existence proclame:« Nous retournerons en lui » (Roumi D.E)(10)C'est cet univers en perpétuelle réincarnation que le narrateur de Cours sur la rive sauvage métamorphose dans la cité des hommes puisque la fonction onirique est dominante (je suis accoucheur de rêve avait dit Mohammed DIB dans une interview). Mais il s'agit, à la lecture de son récit, du rêve transcendant; celui qui matérialise les images de la connaissance, celui qui émerge d'un subconscient angoissé par l'existence (angoisse existentielle). Freud avait expliqué que le rêve était toujours une réponse à l'angoisse de la mort puisqu'il nous transpose assez fréquemment dans l'univers de l'immortalité. Iven Zohar et son narrateur expriment cet aspect récurrent dans le récit:« Trois hommes en moi viennent d'être séparés: l'homme d'eau, l'homme de pierre et l'homme de vent. »J'avançais encore un peu, me promenais parmi les frustes, quasi minérales figures enfonçant leurs racines dans la plaine qui fuyait à perte de vue. Le sang de la source arrivait sur mes talons et me suivait partout. Je m'immobilisais, essayai de réfléchir. Et moi de pierre demeura là.Le bruit de la source reprit et s'entendit plus loin. Un ruissellement transparent couvrait à nouveau des dalles: il venait lécher les pieds de moi de pierre; et moi d'eau partit avec l'eau.Je ne quittai pourtant pas cet espace habitué. Moi de vent volait au-dessus de la cité endormie. Il dessinait des cercles de plus en plus étendus sur son sommeil dérouté par le soleil déclinant autour de la colonne chanteuse...Et moi de vent gagna les profondeurs vives du ciel. (C.S.R.S p.136).Nous voyons comment le narrateur utilise le même registre de la réincarnation utilisé par Roumi dans sa poésie mystique mais le chaos n'est pas aussi chaotique dans le récit initiatique puisque les fonctions sémantiques retrouvent leur équilibre dans la narrativité:. « Ce qui subsistait de moi était inévitablement promis au bonheur » (p.138), et leur l'unité dans la pluralité (aquatique, minérale et céleste).Sur le plan doctrinal de cet aspect théosophique (lieu du dire de la création du genre initiatique, nous renvoyons au traité d'Ibn Sina (Avicenne), l'un et le multiple. Déterminisme de l'existence.(11) Avicenne n'a pas eu le privilège à lui seul d'établir des gnoses de l'éternité du monde nous avons aussi retrouvé cet aspect dans la philosophie éternelle d'Aldous Huxley:« Toutes les créatures ont existé éternellement dans l'essence divine comme en leur exemplaire. Dans la mesure où ils se conforment à l'idée divine, tous les êtres étaient, avant la création, une même chose, une même chose avec l'essence de Dieu (Dieu, en le faisant entrer dans le temps, ce qui était et est dans l'éternité). Eternellement, toutes les créatures sont Dieu en Dieu. Dans la mesure où elles sont en Dieu, elles sont la même vie, la même essence, la même puissance, le même Un, et rien de moins. » (12)Il s'agissait donc pour le narrateur initié de Cours sur la rive sauvage de dramatiser cette pensée unitive dans une écriture palimpsestique:« - Toi et moi sommes qu'une seule image se regardant de part et d'autre du miroir de mes yeux.- Tu es venue vers moi, Hellé!- J'étais en toi Iven Zohar.- Où avais-je pu te rencontrer, où avais-je pu te voir?- Partout: Partout où tu étais!- Quand cela a-t-il commencé?- Le jour de notre mariage. Et...- Je me suis marié avec Radia!- Mais c'est moi qui ai ouvert les cinq étoiles dans ta poitrine- C'est Radia qui m'a donné le double anneau!- Mais la ville-nova, c'est moi.- Radia m'a guidé!- Mais c'est moi que tu as rencontrée partout.- Là où arrivait Radia, tu t'effaçais!- Je ne transformais, mais je demeurais autour de toi, en toutes choses.- Pourquoi cette fascination?- Pour te permettre de parcourir le labyrinthe au bout duquel tu te retrouveras; pour changer le labyrinthe en route droite devant tes pas.- Où me retrouverai-je? Dans quelle contrée?- Dans la ville de lumière.- Je n'y parviendrai jamais!- Je t'y transporterai.- Mais je ne serai plus.- Hellé souleva sa chevelure et la fit s'envoler en flammèches incandescentes autour de sa tête. Tout semblait avoir été dit. » Cours sur la rive sauvage (p.154).Le même registre des mots à portée unitive est investi dans le dernier chapitre de l'Aventure Ambiguë de Cheikh Hamidou Kane et que nous avions étudié dans notre chapitre précédent; ce qui nous réconforte dans notre thèse du contenu théosophique des récits initiatiques dans la tradition soufie. Les deux chapitres des deux récits initiatiques correspondent sur le plan de l'itinéraire (ascension mystique) à la troisième étape: l'arrivée, wûçul ou la résurrection (dans l'initiation grecque).3.LA RESURRECTION. (wûçûl).« - sois attentif, car voici que tu renais à l'être. Il n'y a plus de lumière, il n'y a plus de poids, l'ombre n'est plus. Sens comme il n'existe pas d'antagonisme » l'Aventure Ambiguë. (P.189).« il n'y a pas de réponse. Mais il y a une autre vie. Au dedans de moi, elle s'étire, tendre pellicule, recouvrant un printemps en train de reverdir. Je vais déboucher sur le paysage qui veille sur tous les autres; il chemine à travers toi Hellé. Je te dédie cette dernière pensée. Combien de temps n'aura-t-il fallu pour aller de Radia à toi? - Qui sur la rive sauvage, qui parle de cours du temps!Le rire fou de Hellé s'est répercuté d'un bord à l'autre du monde. Cours sur la rive sauvage (p.158)En comparant ces passages des deux récits initiatiques, nous constatons que les deux sont régis par l'instance narrative de la théosophie. Le contenu doctrinal se manifeste explicitement alors que durant tout le récit il ne s'exprimait que par les forces métaphoriques ou allégoriques à travers les épreuves subies dans les descentes en enfer.Nous dégagerons donc les différentes stations de contemplation atteintes par Hayy Ibn Yaqdhân et évoquées par Ibn Sina dans le traité de la sagesse illuminative.3.1. L'ascension mystique:Louis Gardet (13) nous explique que l'ascension mystique va se présenter avant tout comme une dialectique ascendante. Les principales étapes nous en sont décrites, sous mode mythique dans la risâla (épître) de Hayy Ibn Yaqdhân (14) et sous mode psychologique dans l'avant-dernier chapitre des « ishârât(15). On peut dire qu'elles sont le fruit d'une double purification: morale, intellectuelle, la première étant, comme chez Plotin, la condition de la seconde (16), mais sans fin en soi. L'ascèse n'a pas chez Ibn Sinâ de valeur autonome; elle est nécessaire à la réussite intellectuelle en laquelle se consomme l'Union, qui est vision (non transformante). Il faut que l'âme ait dominé, puis éliminé tout attrait sensible, ne gardant avec son corps que la stricte « attache indispensable » pour qu'elle puisse vivre de sa vraie nature de substance intelligible. « Alors, elle n'est pas loin de ressembler à l'Ame universelle, encore que celle-ci lui soit, sous un aspect, supérieur »(17). L'ascension mystique dans/par la littérature correspond à l'initiation authentique (ascension spirituelle vécue par l'auteur et transmise au narrateur qui se chargera de la faire vivre à ses personnages). Le cas de Cours sur la rive sauvage est d'une singularité troublante. Il engage directement son néophyte dans la descente en enfer en le prédestinant à l'élection (il est déjà élu par l'instance narrative à réussir à toutes les épreuves de la connaissance): Son initiation avait commencé avec son mariage avec Radia:« - Quand cela a-t-il commencé?- Le jour de notre mariage. Et...- Je me suis marié avec Radia!- Mais c'est moi qui ai ouvert les cinq étoiles dans ta poitrine.(p.154)Hellé avait choisi son amant Iven Zohar mais c'est Radia qui se chargera de son initiation, selon la symbolique de l'allégorie, la divinité hellénistique avait choisi Iven Zohar mais c'est la connaissance théosophique musulmane qui se chargera de l'accompagner sur le parcours des épreuves:« - C'est Radia qui m'a donné le double anneau!- Mais la ville-nova, c'est moi.- Radia m'a guidé- Mais c'est moi que tu as rencontrée partout. »(p.154)La station de contemplation la plus récurrente dans le récit est celle de l'unité existentielle (Dieu et l'univers ne font qu'un, indivisible):- toi et moi sommes qu'une image se regardant de part et d'autre du miroir de nos yeux.(p.154)Le temps est aboli dans l'univers de l'unité existentielle:« la curiosité me prit de jeter un coup d'oeil à ma montre. L'unique chiffre que portait le cadran avait disparu! »(P.27)L'espace aussi disparaît dans la connaissance stoïque:Là où nous nous trouvions, ce n'était nulle part, et il n'était guère possible de deviner où nous émergerions »(p.35)Nous voyons que le temps mystique dans le récit initiatique est la négation du temps laïque, aussi l'espace du roman ne peut être que l'espace de la connaissance unitive: Cours sur la rive sauvage, l'autre versant de l'Existence où le mythe et la théosophie sont les seuls actants: « -Qui, sur la rive sauvage, qui parle de cours du temps! » dira Hellé triomphante sur les préjugés existentiels des hommes (p.159).Iven Zohar doit pouvoir reconnaître la vérité partout où la ville de lumière s'acharnera sur lui (Radia ou Hellé), cité théosophique ou cité hellénistique; le narrateur brouille sa logique humaine en jalonnant son parcours par des symboliques anthropomorphiques (humanité-divinité et cité se confondent et se substituent l'un pour l'autre). Il s'agit donc pour le lecteur de supprimer les écarts et d'établir les correspondances entre l'esthétique du verbe et les stations de contemplation ou vision (non transformante chez Ibn Sina). Rappelons aussi que ZOHAR est le nom du livre doctrinal de la Kabbale juive. Dib avait introduit ce nom allégorique sachant que la Kabbale juive rejoint l'univers initiatique soufi dans plusieurs de ses aspects. (voire le commentaire de Moïse de Narbonne sur ce sujet ).4. LES CORRESPONDANCES.Théosophie (visions)Esthétique du verbeElection (la vérité ta choisie)Séquences du mariage: « c'est la première fois que je me marie. Ces anneaux-, je ne les perds pas » (pp. 7.21)L'ascension nuptiale (mortification)Agonie de l'EgoAgonie du temps: « c'était le dernier que l'unique heure inscrite au cadran aurait permis de prendre » Transformation de l'univers: « nous débouchâmes sur un monde de flammes »Détachement de la réalité humaine: « j'adressai alors un sourire d'adieu à des ombres, à une maison. »Poursuite de la mortificationet détachement des êtres les plus chersrupture du cordon ombilical: « mon père et ma mère se tenaient là près et loin l'un de l'autre. Pourtant ni l'un ni l'autre n'ouvrait la bouche(...) puis je compris. Ils avaient déjà parlé. A quel moment? Je ne le savait pas, je ne le savais plus. Il y avait longtemps, sans doute. »Naissance du doute stoïqueIl arrive dans l'itinéraire initiatique que la doute s'installe ainsi que la peur de continuer dans un univers qui s'annonce dangereux pour le néophyteLa vérité brouillée par l'apparence« Parviendrais-je, soutenu par mon amour, à détruire le miroir qui me sépare d'elle?(...) Nous retrouverions-nous, passé ce moment?(...) Serais-je détruit moi-même? »L'accomplissement de la purification dans la certitude:Louis Gardet, faisant référence à cette station nous dit que: l'intime, le sirr, est devenu apte à recevoir les avertissements célestes, nous dit Ibn Sina, selon le lexique soufi par lui adopté en ces descriptions. D'un point de vue psychologique et phénoménologique, nous avons donc passage d'une activité « active » à une « passivité ».(18)La mort du doute + le sceau de la lumière: « c'est elle et pas une autre, je ne m'étais pas trompée, « elle me donna cinq coups consécutifs. Cinq étoiles de sang s'ouvrirent en cercle sur ma poitrine »(p.18)(La passivité d'Iven Zohar est concluante). Il n'agit plus, mais ne fait que subir les visions qui s'imposent à lui rituellement),  « de nombreuses personnes m'entourèrent et, d'un mouvement concerté, me soulevèrent... tel un gisant. »(P.20) L'autre versant de la connaissance: la limite:Louis Gardet nous dit que la « limite » à laquelle l'ascèse a conduit l'âme permet à cette dernière, sans rupture de niveau ni changement de plan, ou, mieux encore: la met inévitablement à même de recevoir les premières illuminations supérieures. Ce sont tout d'abord des « vols rapides » comme des éclairs, des « instants » (waqt) de saisie illuminée, et selon un rythme alterné de lumière et d'obscurcissement. L'initié en vient à voir en tout l'image, la trace de Dieu ; mais ce n'est pas encore pour lui, la paix vraiment stable, et il reste, sous les « rencontres » (wajd) de Dieu , comme accablé et défaillant »(19)Les limites du premier étage initiatique seront franchies dans un univers apocalyptique.Iven Zohar prononcera le nom qui lui sera révélé d'un autre monde: l'autre versant de la rive sauvage: Hellé: « je prononçais à haute voix le mot: « Hellé ».Ces syllabes n'avaient pas plus tôt effleuré mes lèvres que les murs des salles s'effondrèrent avec un long grincement. De toutes les gorges, un cri jaillit, remplit l'espace et ne se répéta plus. L'assistance se trouva dispersée, ou engloutie par les crevasses qui s'étaient ouvertes autour de nous(...) l'air qu'on respirait n'était pas vivant ni de ce monde; il soufflait d'un monde invisible qu'on n'eût pas cru tapi si près du nôtre. » C.S.R.S.P.21Ayant franchi les limites de la connaissance (du moi sublime) le narrateur engagera le récit dans un processus de destruction vs construction; lumière vs obscurité; mort vs vie; monde visible vs monde invisible. Cela correspond chez l'ascèse à l'instabilité de l'âme qui ne trouve pas encore la paix: le rythme est alterné de lumière et d'obscurcissement: « des devantures échappées par miracle à sa férocité -pour un bref laps de temps illuminées, brillaient encore... Mais combien inutiles étaient ces lumières mortes dispensées à flots à des ruines, à des débris de vie! »(P.24)La limite n'est pas à la fin du parcours initiatique mais la mise en épreuve pour un parcours encore plus éprouvant. Cela permet à l'initié d'exploiter toutes ses possibilités spirituelles afin d'atteindre une station de contemplation encore plus sublime: » jusqu'au bout. Jusqu'au bout. Jusqu'à l'épuisement de la dernière parcelle de feu jaillissant en moi. »(P.29)Le narrateur trame son récit dans l'arbitraire des signes et signification, il rejoint le projet d'Ibn Thophaïl en poussant le mot à l'extrême de ses significations. Mais comment se retrouver dans cet arbitraire des significations puisque le langage ordinaire est dépossédé? Le narrateur de l'instance de la théosophie et celui du récit événementiel se servent de la même règle générale « d'identification par le prédicat ». Voulant caractériser le genre initiatique (quête de soi = quête de Dieu = quête de l'âme), Todorov nous explique : «il ne suffira pas que les signifiants et les signifiés, les récits à interpréter et les interprétations soient de même nature. La quête du Graal(20) va plus loin; elle nous dit le signifiant est signifié, l'intelligible est sensible. Une aventure est à la fois une aventure réelle et le symbole d'une autre aventure »Nous serons à notre tour réconforté de dire que notre récit est polyphonique et ambivalent au niveau des prédicats mais univoque au niveau du sujet (la théosophie).En nous permettant de nous substituer à l'analyse de Todorov du récit du Graal, nous dirons que l'intérêt du lecteur ne vient pas de l'énigme ni de la contiguïté événementielle mais de savoir qu'est-ce que Cours sur la rive sauvage? Qui est Radia/Hellé? Ce sont là deux types différents d'intérêt, et aussi deux types de récit. L'un se déroulera sur une ligne horizontale: on veut savoir ce que chaque événement provoque, ce qu'il fait. L'autre représente une série de variations qui s'empilent sur une verticale. Le premier est un récit dans le sens de l'Aventure littéraire, le second, de substitutions: Hellé se substituant à Radia, la ville se substituant à l'une ou l'autre (cité-Radia ou cité Hellé). Ce n'est qu'en comprenant les univers de la théosophie que le récit devient plus passionnant. En définitive, Cours sur la rive sauvage est non seulement quête d'un code et d'un sens ontologique, mais aussi d'un récit.La « limite » avions-nous dit fait passer le néophyte dans un état supérieur, s'il persévère, vient pour lui une nouvelle « station » ou le vol rapide de l'instant est changé en un état de « quiétude » « sakîna », l'éclat rapide de l'éclair devient étoile (ou flamme) brillante, source de joie qui ravit le gnostique en extase tant qu'elle dure; mais le plonge encore, en s'éteignant, dans la tristesse. Et lorsqu'il en jouit, il est comme hors de soi, comme invisible tout en étant présent: « -qu'est-ce qui vous manque? Fait à ce moment la voix, planant dans le ciel.- Tout.- Appréhendez-vous ce qui va se produire?- Je m'interdis toute crainte. »(p.61)Au sommet de l'ascension mystique.« Mais ce degré même doit être dépassé. Il ne suffit plus de dire que le gnostique s'élève à volonté à une telle connaissance; elle devient son état conscient et constant, « son bon plaisir est dépassé ». Il n'est rien qui ne le sollicite à abandonner le monde des apparences pour se tourner vers le monde de la vérité. C'est la consommation où l'âme vit, autant qu'il lui est possible de la vie même des intelligences et Ames célestes »(22)Au sommet du mot surgit la poésie:Berce mon corps, dissous mon ombre. Dans une clairière diurne, toi qui as rompu mille rêves pour t'éveiller sous ma poitrine; Dans une clairière diurne, un territoire de hasard, un tremblement léger de feuilles ou un feu dispersé au vent, et d'autres flammes qui rassemblent à une architecture de brume loin sur les vagues de la mer m'accueillera peut-être un jour. » Cours sur la rive...(p.141)Nous avons pu constater, après avoir établi ces correspondances, que l'instance narrative de la théosophie manipule le texte à son gré tout en laissant le soin au narrateur de puiser ses métaphores de l'univers de la poésie mystique et de construire ensuite son récit qui avions-nous dit à tout l'air d'une poésie mystique en prose. Du récit initiatique authentique (Hayy Ibn Yaqdhân) au récit initiatique métamorphosé, le relais initiatique (la parole du maître) a fait tout le chemin pour retomber dans les bras de la littérature qui accomplit sa fonction noble de « sauveur » des textes sacrés sinon de « l'Ecriture ».Concernant le concept d'autopsychégraphie» que nous avons rendu fonctionnel dans notre étude, il nous appartient maintenant de le redéfinir à la lumière des correspondances que nous avons établies. Nous dirons à la suite d'Ibn Sina (Avicenne) que la passivité de l'âme à l'égard de l'illumination divine reste de soi identique à sa passivité normale à l'égard de l'intellect agent (ici, l'Ecriture).Disons seulement que le réceptacle des formes qu'était l'âme humaine, en est devenue, par purification active progressive (épurer le mot continuellement), le « miroir », est un miroir qui peut atteindre un pouvoir si total de réfléchir les lumières (l'entendement), qu'il en oublie, mais non supprime, sa propre existence, (l'âme s'éternise par l'écriture); c'est ce qui lui permet de ne plus seulement recevoir les formes intelligibles abstraites, mais de refléter directement les intelligibles subsistants, et de ne plus opposer d'obstacle aux irradiations de la source suprême (l'Ecriture a devancé d'Essence). Car les substances intelligibles, et l'Ame humaine qui vit de leur vie, ne cessent en l'intime d'elles-mêmes, de contempler cette source dont elles émanent, et, par l'amour nécessaire de nature qu'elles lui portent, de s'avancer vers sa lumière.Ainsi dans la descente en enfer des mondes possibles, la résurrection se réalise dans /par l'Ecriture. Mohammed Dib aura tenté l'expérience.Notes(1) Hommage à Mohammed DIB. Kalim. Alger 1986. p.197(2) Ibid. p.49(3) Beida Chikhi. Problématique de l'écriture dans l'oeuvre romanesque de Mohammed Dib. OP.U. Alger. 1986. p.155(4) Hommage à Mohammed DIB. Kalim. OP. Cité. p.69(5) Martin Lings, un Saint musulman du 20ème siècle OP.Cité. p.252(6) R. Wellek et A; Warren, théorie de la littérature. Madrid. BR.H.I.1985. p.212(7) Ibid. p.212(8) Louis Gardet, la pensée religieuses d'Avicenne.O.P.Cité. p.46(9) Beida Chikhi, problématique de l'écriture dans l'oeuvre romanesque de Mohammed Dib. OP.Cité. p.164(10) Aldous Huxley, la philosophie éternelle.O.P.Cité. p.253(11) Louis Gardet, la pensée religieuses d'Avicenne.O.P.Cité. p.48(12) Aldous Huxley, la philosophie éternelle.O.P.Cité. p.75(13) Louis Gardet, la pensée religieuses d'Avicenne.O.P.Cité. p.175(14) Ibid. p.175. Note (1) traité mystique:  «reprise du mythe dans la rissalat al-qadr. La transposition des personnages de Salâman et d'Absâl (isharat, p.199): « Sache que Salâman est une allégorie qui te désigne toi-même, et Absâl une allégorie qui représente ton degré d'initiation (irfân) »(15) Ibid. p.175. Note (2)(16) Ibid. p.175. Note (3): «détachement du monde sensible, se confond avec une « via negativa », sorte de théologie discursive, qui permet de passer de la multiplicité pure du monde sensible au monde intelligible. »(17) Traité d'Avicenne « Icharât » p.199, Cité par Louis Gardet. p.175(18) Ibid. p.178(19) Ibid. p.179(20) Todorov. Poétique de la prose OP.Cité. p.75. La quête du Graal(21) Ibid. p.66(22) Louis Gardet, la pensée religieuses d'Avicenne.O.P.Cité. p.181ConclusionAu terme de notre travail, nous concluons que le récit initiatique a contenu théosophique se présente comme un genre littéraire en totale mutation, depuis son émergence avec l'épître d'Ibn Thophaïl Hayy Ibn Yaqdhân jusqu'aux nouvelles écritures. Tenter une expérience mystique par le biais de la littérature est une tâche non sans grande difficulté; Ibn Thophaïl lui-même avait avoué dans l'introduction de son épître que « la langue ne saurait le décrire, ni le discours en rendre compte; car il est d'un autre ordre et appartient à un autre monde. Le seul rapport que cet état ait au langage c'est que, par suite de joie, du contentement, de la volupté qu'il inspire, celui qui y est arrivé, qui est parvenu à l'un de ses degrés, ne peut se taire à son sujet et en cacher le secret: il est saisi d'une émotion, d'une ardeur, d'une exubérance et d'une allégresse qui le portent à communiquer le secret de cet état en gros et d'une façon indistincte.»(P.2)Communiquer le secret de cet état en gros et d'une façon indistincte, tel fut le cas de Hamidou kane et Mohammed DIB. Le roman ne peut prendre en charge que la fonction esthétique du verbe, il ne peut rendre compte des secrets de l'âme (l'autopsychégraphie) et c'est pour cette cause que le récit demeure ambigu, il ne peut pas être à la fois terrestre et dans « l'au-delà » comme l'avait souligné Todorov.Pour notre part nous avions tenté d'établir les correspondances entre ces deux registres: la foi et la fiction littéraire, mais nous ne prétendons pas avoir cerné totalement cette question de la littérature mystique et nous laissons le soin à d'autres chercheurs d'approfondir celle-ci surtout que le phénomène des sectes mystiques s'amplifie considérablement de nos jours.La vision apocalyptique des nouvelles générations est-elle une réponse à l'impuissance de la littérature de ne pouvoir ouvrir des horizons d'espoir ou y-a-il saturation du temps laïque pour que nous revienne en force le temps sacré?Nous ne pouvons mieux répondre à ces questions et nous laissons le soin à la littérature de terminer son oeuvre de conscience comme le fera le narrateur de l'Aventure Ambiguë par la bouche de son personnage, le Chevalier:« En vérité, ce n'est pas d'un regain d'accélération que le monde a besoin: en ce midi de sa recherche, c'est un lit qu'il lui faut, un lit sur lequel, s'allongeant, son âme décidera une trêve. Au nom de son salut: Est-il de civilisation hors l'équilibre de l'homme et sa disponibilité: l'homme civilisé, n'est-ce pas l'homme disponible? Disponible pour aimer son semblable, pour aimer Dieu surtout. Mais, lui objectera une voie en lui-même, l'homme est entouré de problèmes qui empêchent cette quiétude. Il naît dans une forêt de questions. La matière dont il participe par son corps -que tu hais- le harcèle par une cacophonie de demandes auxquelles il faut qu'il réponde: « je dois manger, fais-moi manger? » ordonne l'estomac, « Nous reposerons-nous enfin? Reposons-nous, veux-tu? » lui susurrent les membres. A l'estomac et aux membres, l'homme répond les réponses qu'il faut, et cet homme est heureux. « Je suis seule, j'ai peur d'être seule... cherche-moi qui aimer », implore une voix. J'ai peur, j'ai peur. Quel est mon pays d'origine? Qui m'a apporté ici? Où me mène-t-on? » interroge cette voix, particulièrement plaintive, qui se lamente jour et nuit. L'homme se lève et va chercher l'homme. Puis, il s'isole et prie. Cet homme est en paix. Il faut que l'homme réponde à toutes les questions. Toi, tu veux en ignorer quelques-unes... Non, objecta le chevalier pour lui-même. Non! Je veux seulement l'harmonie. Les voix les plus criardes tentent de couvrir les autres. Cela est-il bon? La civilisation est une architecture de réponses. Sa perfection, comme celle de toute demeure, se mesure au confort que l'homme y éprouve, à l'appoint de liberté qu'elle lui procure. Mais précisément les Diallobé ne sont pas libres, et tu voudrais maintenant cela? Non. Ce n'est pas ce que je veux. Mais l'esclavage de l'homme parmi une forêt de solutions vaut-il mieux aussi? ».BibliographieOuvrages étudiés:- Cheikh Hamidou kane: l'Aventure Ambiguë, juillard, 1961 (roman)- Dib Mohammed: Cours sur la Rive Sauvage, Seuil, 1964 (roman)- Ibn Thophaïl: Hayy Ibn Yaqdhân, Traduction française de Léon Gauthier Beyrouth, imprimerie catholique, 1936 (roman)- Martin Lings: Un Saint musulman du vingtième siècle, Le Cheikh Ahmed al Alaoui, Editions traditionnelles, Quai Saint-Michel. Paris V 1978(Héritage et testament spirituels)- Tierno Bokar : Vie et enseignement de Tierno Bokar par Amadou Hampaté Bâ, Edition du seuil, 1980, (Biographie)Ouvrages cités:- Aldous Huxley: La philosophie éternelle, librairie Plon, édit. Seuil 1977- André Breton: Manifeste du surréalisme, Gaillimard. 1944- André P.J. (Général): Contribution à l'Etude des Confréries religieuses Musulmanes, Edition la maison des livres, Alger, 1956- Amadou ampâté Bâ: L'empire peul du Macina, les nouvelles éditions africaines 84. Abidjan- Amadou Ampâté Bâ: Amkoullel, l'enfant peul , (mémoires, Actes Sud, 1991- Blanchot Maurice: L'espace littéraire, Gallimard, 1955- Bernard Gros: Profil d'une oeuvre, Hatier, 1981- Bennabi Malek: Le problème des idées dans le monde musulman,Ed. El-Bayinnate, Alger 1990.- Beida Chikhi: problématique de l'écriture dans l'oeuvre romanesque de Mohammed DIB, O.P.U. Alger, 1989- Bourneuf Roland: L'organisation de l'espace dans le roman, études littéraires. Québec, les presses de l'université, laval, 1970- C.L. Strauss: Anthropologie structurale, Plon, 1958 et 1974- C.N.R.S.: La notion de personne en Afrique Noire, Ed. du C.N.R.S. N° 54, Paris 1981.- Derrida Jacques: L'écriture et la différence, collection « tel quel » ed. le Seuil 1967.- E. Husserl: La structure de détermination d'une oeuvre littéraire, Paris, 1931.- Eva de Vitray meyerovitch: Anthologie du soufisme, Col. Sidbad, Paris 1978.- Farouk Saad: Ibn Thophaïl, Hayy Ibn Yaqdhân, Dar el Fath, Beyrouth, 1970.- Farid-ud-Din-Attar: Le mémorial des Saints, Seuil, 1976.- Groupe d'Entreverne: Analyse sémiotique des textes, Ed. Toubkal, Casa, 1987.-George Labika: Ibn Thophaïl, le philosophe sans maître, E.N.L. Alger 1985.- G.Picon: Introduction à une esthétique de la littérature, l'écrivain et son ombre. I. 1953.- Hayoun Mr: Le commentaire de Moïse de Narbonne (1300-1362) sur le Hayy Ibn Yaqdhân d'Ibn Thophaïl (mort en 1185), volume 55 I.N.I.S.T C.N.R.S. Archives d'histoire doctrinale et littéraire de moyen-age, 1988.- I.P.N.: Livre de lecture de 5AF, Ministère de l'Education Nationale, Alger, 1980.- Ives Marquet: La philosophie des ikhwan eç-câfâ, thèse de Doctorat, S.N.E.D. Alger, 1973.- J. Arnaud, Z.Ali Benali, Ch. Bonn, M.Cadi, b. Chikhi, J.Dejeu, F.Desplanqes, M.Djaïder, N.Khadda, F.Sari, P.siblot, K.Vanat, M.Yelles Chaouche: Hommage à Mohammed DIB, Kalim, O.P.U. Alger 1985.- Joëlle Redouane: La traductologie,O.P.U., Alger, 1985.- J. Goldenstein: Pour lire le roman, Ed. J.Duculot, Paris, Gembloux, 1985.- Jacques Bens, Claude Berge et Paul braffor: Formule de littérature potentielle, Gallimard, 1981.- Julia Kristéva: Recherche pour une sémanalyse, Ed. Seuil, 1969.- Léon Gauthier: Ibn Thophaïl, sa vie, ses oeuvres, Paris Leroux, Editeur, 1909.- Léon Gauthier: La théorie d'Ibn Rochd sur les rapports de la religion et de la philosophie, Ernest Leroux, Editeur, 1909.- Louis Gardet: La pensée religieuse d'Avicenne, (Ibn Sina), Paris Librairie philosophique J. Vrin, 1951.- Moussa el-Moussaoui: « de al-schahrawardi à el-aschirari », Ed. Dar el Massira, Beyrouth, 1979, (en arabe).- Max Scheller: Le sens de la souffrance, Ed. Montaigne, Paris, 1936.- Mohammadou kane: Roman africain et tradition, Les nouvelles éditions africaines, 1982, Dakar.- Naget Khadda: L'oeuvre romanesque de Mohammed DIB, O.P.U., Alger, 1983.- René Wellek et Austin Warren: Théorie de la littérature, Ed. Gredos, -Madrid, 1985 (tradition espagnole).- Tzvetan Todorov: Poétique de la prose, Ed. Seuil, 1971.- Vladimir Propp: Morphologie du conte, Ed. Seuil 1970.Bibliographie Générale:1- Sur la mystique musulmane (théosophie).- Abd al-Bâdi Surûr: Muhyî-al-Dîn Ibn Arabî, Le Caire, 1955.- Allard, M.: Le problème des attributs divins dans la doctrine d'Al-Asch `ari et de ses premiers grands disciples, beyrouth, 1965.- Anawati, G. et Gatdet L.: Mystique musulmane, Paris, 1961.- Asin Palacios, M.: El Islam cristianizado, estudios del sufismo a través de las obras de Abenarabi de Murcie li Taçawwuf al-islâmi, Tunis, 1384/1965.- Burckhard, Titus: Abd Al karîm al -jîlî: de l'homme universel, Lyon, 1953.- Burchhard, Titus: Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam, Paris, 1969.- Burchhard, Titus: Muhyl-d-Dîn Ibn Arabi: la sagesse des prophètes, (Fuçuc al-Hikam), Paris, 1956.- Corbin, Henry: Histoire de la philosophie islamique.- Corbin, Henry: L'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi, Paris, 1958- Gardet, Louis et anawati, M.: Introduction à la théologie musulmane, Paris, 1948.- Guenon, René: Les états multiples de l'être, Paris, 1947.- Laoust, Henri: La classification des sectes dans le Farq d'al-Baghdadi, Paris, 1961- Massignon, Louis: Recueil de textes inédits concernant l'histoire de la mystique en pays d'Islam, Paris, 1929.- Massignon, Louis: Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, 1954- Al-Qushayri: Al-Risâla al-qushayriyya, Le Caire, 1939/1940.2- Sur la mystique Chrétienne:- Augustin, Saint: Confessions, Paris, Flore, 1947.- Bernard, Saint,: Oeuvres mystiques, Traduction par Albert Béguin, Paris, Ed. Seuil, 1953.- Jean de la Crois (Saint): Oeuvres complètes, Traduction de P.Grégoire de Saint-Joseph, Paris, Ed. Seuil, 1949.3- Sur la mystique en Inde:- Coomaraswamy Ananda K.,: Hindouisme et Bouddhisme, Traduction par René Allar et Pierre Ponsoye, Paris, Gallimard, collection « Idées ».Ouvrages théoriques:- Baudrillard, Jean: L'échange symbolique et la mort, Paris, Gaillimard, 1976.- Bourneuf, Roland et Ouellet, Réal: L'univers du roman, Paris P.U.F., 1972.- Brémond, Claude: La logique des possibles narratifs, in Analyse structurale du récit, communication 8, Ed. Seuil, 1981.- Brémond, Claude: Logique du récit, Paris, Ed. du Seuil, 1973.- Bakhtine, M.: Esthétique et théorie du roman, Ed. Gallimard, 1978,- Butor,M: Essais sur le roman, idées, Gallimard, 1964.- Cohen, J.: Structure du langage poétique, Flammarion, 1966.- Dubois, J.: Surcodage et protocole de lecture, poétique n°16, Seuil, 1973- Eliade, M.: Aspects du Mythe, Gallimard, 1963.- Genette, Gerard: Discours du récit, figure III, Seuil, 1972.- Greimas. A.J.: Eléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythique, communication n°8.- Macherey, P.:pour une théorie de la production littéraire, Maspéro, Paris 1974.- Mouralis Bernard: Les contre-littératures, PUF. Collection Supérieure, 1965.- Masseron, Caroline et Petit Jean, Brigitte: Pour une définition du personnage, L'ensemble de Germinal, Pratiques, n°22/23, 1979..- Sollers, P.: L'écriture et l'expérience des limites, Points, Seuil, 1968.- Todorov, Tzvetan: - Personnages, Dictionnaire encyclopédique des Sciences du langage, Seuil, 1972.- Théorie de la littérature, textes des formalistes russes réunis, traduits, collection « tel quel », Paris, Seuil, 1965- Les catégories du récit littéraire, communication n°8.- Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970.

TABLE DES MATIERES:

SOMMAIRE ..........................................................................................

INTRODUCTION..................................................................................

1Le choix d'un corpus.......................................................................... 7

2 La doctrine.......................................................................................... 9

3. Le modèle..............................................................................10

NOTES...............................................................................................................14

PREMIERE PARTIE: HAYY IBN YAQDHAN................15 ( GRILLE DE LECTURE )CHAPITRE UN: L'OEUVRE EN GENESE..................................16 1. Le constat..............................................................................................17 2. Les traductions......................................................................................27 3. Hayy et Robinson Crusoé....................................................................33 4. Hayy dans l'intertextualité..................................................................35 5. Hayy et l'histoire du Criticon..............................................................38 6. Problématique de la Traduction.........................................................41 7. La genèse du personnage.....................................................................45 8. Le Personnage en genèse.....................................................................48 8.1. Le cycle de l'animalité...................................................................48 8.2. Le cycle de la corporéité...............................................................50 8.3. Le cycle de l'âme............................................................................52 8.4. La quête de l'essence.....................................................................55 8.5. Le cycle du langage......................................................................59 8.6. Le cycle de la conjonction............................................................62 8.7. Le cycle de l'echec........................................................................67CONCLUSION................................................................................................70Notes de chapitre............................................................................................71CHAPITRE DEUX: LE CONTRAT FIDUCIAIRE......................82introduction...................................................................................................

...831. Une rhétorique de l'ouverture....................................................................832. Les relations fiduciaires...............................................................................88 2.1. Le désengagement rhétorique...89 2.2. L'instance de l 'auteur narrateur.........................................................923. L'engagement de la parole initiatique........................................................93 3.1. La mort symbolique..............................................................................94 3.2. La descente en enfer..............................................................................974. L'engagement de l'écriture autopsychégraphique....................................1005. Le mythe, source de l'écriture.............................................1026. L' île du Vivant fils du Vigilant..................................................................1077. Le mythe de la création................................................................................1108. L'état conjoint................................................................................................1129. L'état disjoint.................................................................................................11510. La fonction heuristique de l'imagination.................................................120 10.1. L'éloignement........................................................................................122notes de chapitre...............................................................................................125 CHAPITRE TROIS: ITINERAIRE INITIATIQUE DE HAYY.129intoduction........................................................................................................1301. Personnage vs antipersonnage....................................................................1322. La caractérisation..........................................................................................1323. La descente en enfer.....................................................................................1364. La présence de l'absence.............................................................................1385. La vacuité pleine...........................................................................................1436. La mort ou le crime originel........................................................................1447. Etats et transformations...............................................................................146 7.1. Les énoncés d'état..................................................................................146 7.2. Bas vs Haut.............................................................................................149 7.3. La chaleur...........................................................................150 7.4. Le goût....................................................................................................152 7.5. Le goût du néant ou vide gnostique...................................................153 7.6. La lumière..............................................................................................155 7.7.La lumière prophétique........................................................................156 7.8. Les sphères...........................................................................................1598.L'espace du récit initiatique.........................................................................161 8.1. Le regard intérieur..................................................................................162 8.2. Le regard extérieur.................................................................................166 8.3. Du synchrétisme....................................................................................1689.La dichotomie être essentiel vs être accidentel...........................................172 9.1.L'association vs dissociation...................................................................174 9.2 l'endotopie vs exotopie177notes de chapitre..............................................................................................187CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE.............................190DEUXIEME PARTIE: LA VERIFICATION..................194CHAPITRE UN: L'ORALITE INITIATIQUE.............................195introduction1961. L'émergence de l'Oralité Initiatique...........................................................2012. La narration dans la narration....................................................................2053. Le contrat de la Parole..................................................................................2054. Le verbe initiatique.......................................................................................2115. La mortification dans/par la parole...........................................................2126.Les relais initiatiques.....................................................................................213 6.1. Le Vin......................................................................................................213 6.2. Le goût sublime......................................................................................215 6.3. L'inscription magique............................................................................216 6.4. Le secret mystique..................................................................................2177. Les paroles génératives................................................................................2208. La tension sémantique..................................................................................2229. L'unité de l'existence, lieu du dire fictionnel.............................................22510. Le mythe du « moi »sublimé.....................................................................22911. Le mythe de la divinité femme.................................................................232 11.1. L'appel.................................................................................................23412. Proximité vs éloignement...........................................................................24313. Le souffle de la parole initiatique..............................................................247Notes de chapitre..............................................................................................250CHAPITRE DEUX: LE RECIT IMPOSSIBLE..............................255Introduction.......................................................................................................2561. La mortification.............................................................................................2712. La tyrannie du « je » autobiographique......................................................275 2.1. Le « je » de la théosophie......................................................................276 2.2. Problématique du style direct...............................................................278 2.3. Le travail.................................................................................................2803. L'Apocalypse.................................................................................................2824. La métamorphose inachevée.......................................................................2965. La mort du récit............................................................................................3076. Les catégories du récit..................................................................................3107. Temps laïques et temps sacré......................................................................312notes de chapitre...............................................................................................316CHAPITRE TROIS: LE RECIT METAMORPHOSE..................318

introduction.......................................................................................................3191. La structure du récit.....................................................................................3212. La descente en enfer.....................................................................................324 2.1. L'épreuve de la substitution ................................................................324 2.2. L'épreuve de la lumière........................................................................327 2.3. L'épiphanie romanesque.......................................................................330 2.4. L'épreuve du chaos................................................................................3313. La résurrection..............................................................................................335 3.1. L'ascension mystique............................................................................3364. Les correspondances.....................................................................................339Notes de chapitre..............................................................................................345CONCLUSION...............................................................................347BIBLIOGRAPHIE..........................................................................350

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