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Aspects et fonctions du récit initiatique dans la tradition théosophique de l'Islam

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par Docteur Aboura
Université Aboubekr belkaid Tlemcen - magistère 2002
  

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I-Personnage vs anti-personnage.

La tradition littéraire définissait le personnage comme étant l'ensemble des caractérisations que lui donne son auteur ou son créateur. Caroline Masseron et Brigitte Petit Jean (2) nous disent que:

«caractériser un personnage de roman, c'est lui donner, bien que dans la fiction, les attributs que la personne qu'il est sensé représenter posséderait dans la vie réelle. L'élaboration de tout un système de signes qui font le sens s'appuie sur une certaine conception de l'homme qui suppose que l'on tienne implicitement pour fondés les présupposés humanistes garant de la vérité humaine: personne morale et personne physique, corps conçu comme manifestation de l'être, de son caractère, etc ». (3)

Qu'en est-il de notre personnage ?

2-La caractérisation

La caractérisation de Hayy Ibn Yaqdnân est celle de l'être primitif, l'archétypique, celui dont la nature est « adamique ». C'est un être nu, primitif, vulnérable et sans défense. Il est « Adam » confronté à une nature impitoyable, l'esprit éveillé dans un corps débile, l'inné, l'instinctif et le symbole de la vie pure et incorruptible. Il ressent mais ne juge pas, comprend mais ne parle pas, vertueux, sans connaissance du vice et, en parfaite harmonie avec la nature d'où il provient. Il est donc « l'homme biologique » par excellence, puisque notre auteur le fait naître dans une région où la création est spontanée, où l'homme naît sans père ni mère.

Notre auteur approuve cette théorie de la naissance spontanée puisqu'il affirme que «nos vertueux prédécesseurs rapportent que parmi les îles de l'Inde situées sous l'équateur, il y en a une qui est l'île où l'homme naît sans mère ni père. C'est qu'elle jouit de la température la plus égale qu'il soit à la surface de la terre, et la plus parfaite, parce qu'elle reçoit la lumière de la région du ciel la plus élevée possible. »

Puis, par un long exposé, il démontre la possibilité de ce phénomène (pp.19/ 21) et approuve:  " cette théorie exigerait un exposé plus long, que ne comporte pas notre présent objet. Nous ne l'avons signalé à ton intention que parce qu'elle contribue à confirmer la légitimé de l'allégation énoncée, à savoir que, dans cette contrée, l'homme peut naître sans mère ni père » H.I.Y.P.21.

Par cette affirmation , nous pouvons avancer l'hypothèse que le statut que l'auteur donne à son personnage est celui de l'homme biologique (4) et non celui de l'homme-cité (5). De ce fait, son parcours initiatique débutera dans la recherche de son identité biologique puisque, dépassant son animalité, il va à la recherche de son humanité sans prétention d'étaler (pour l'auteur) ses connaissances doctrinales.

L'anti-personnage que nous concevons comme la négation du personnage évolutif dans cet univers d'initiation, est l'ensemble des caractérisations de l'homme-cité; celui qui émane des profondeurs de la cité grecque ou romaine, arabe ou juif, celui qui sait parler le langage des philosophes pour persuader l'autre que la seule vérité c'est lui et que la seule vie possible est dans sa cité, que les valeurs qu'il a forgées depuis la nuit des temps sont celles qui sont écrites dans ses livres, que la religion qu'il professe est la seule vraie, véridique et authentique.

L'initiation de notre personnage va se faire dans la négation de l'homme-cité par le procédé du désengagement rhétorique «  accepte ce que tu vois et laisse là ce que tu as entendu dire » dira Ibn Thophail en reprenant les propos d'Al Ghazali:  "  Ces paroles n'eussent-elles d'autres effets que de te faire douter de ce que tu crois par une tradition héréditaire, ce serait suffisant; car celui qui ne doute pas n'examine pas, celui qui n'examine pas n'aperçoit pas et celui qui n'aperçoit pas demeure dans l'aveuglement et dans la stupeur « H.I.Y.P.14.

Le degré zéro de l'initiation de notre personnage Hayy, équivaut à la mort de l'anti-personnage. Sa véritable initiation débutera avec la mort de la gazelle qui l'a adopté, la quête de Hayy à la recherche de ce «  quelque chose » qui a quitté le corps de sa mère adoptive la laissant inerte.

Le corps subtil qui donne la vie correspondra pour l'initiation religieuse grecque à la descente en enfer. Elle s'opérera dans les profondeurs des entrailles de ce corps animal qui, bientôt deviendra une dépouille repoussante et sans intérêt.

N'est-ce pas là la quête de tout homme à vouloir découvrir le secret de la vie. Toutes les sciences que l'homme a entreprises ne sont-elles pas cette descente en enfer dans le but de s'initier à la vraie vie; celle où la mort est totalement démystifiée, sinon quantifiée.

Qui n'a pas connu cet état de stupeur face à la mort d'un être très cher, cet état ou notre auteur décrit ce sentiment d'impuissance: « Il  désirait ardemment découvrir la place du mal pour l'en délivrer, afin qu'elle revint à l'état où elle se trouvait auparavant; mais rien de tel ne s'offrait à lui, et il était impuissant à lui porter secours » H.I.Y.P.31 .

Le récit initiatique, à ce niveau là, fonctionne comme une super structure tautologique où la structure matricielle ne cesse de se répéter sous d'autres formes syntaxiques. La structure matricielle étant la quête de l'absence comme la soulignera Todorov dans  poétique de la prose :

  «  Le récit (...) s'appuie toujours sur la quête d'une cause absolue et absente. (...) L'effet de cette cause est le récit. L'histoire qui nous est racontée. Absolue, car tout dans ce récit doit finalement sa présence à cette cause. Mais la cause est absente et l'on part à sa recherche; elle est non seulement absente mais la plupart du temps ignorée; tout ce que l'on soupçonne, c'est son existence, non sa nature. On la quête: l'histoire consiste en la recherche, la poursuite de cette cause initiale, de cette essence première. Le récit s'arrête si l'on parvient à l'atteindre. Il y a d'une part une absence ( de la cause , de l'essence de la vérité) mais cette absence détermine tout; de l'autre, une présence ( de la quête) qui n'est pas la recherche de l'absence. (6).

le récit de Hayy est donc précisément l'existence d'un secret essentiel, d'un non nommé, d'une force absente et superpuissante, qui met en marche toute la machine présente de la narration . Nous dirons à la suite de Todorov que le mouvement du récit initiatique est double, et, en apparence contradictoire, ce qui lui permet de recommencer sans cesse. D'une part, il déploie toute ses forces pour atteindre l'essence cachée, pour dévoiler l'objet secret; de l'autre, il s'éloigne sans cesse, le protège jusqu'à la fin de l'histoire, sinon, au-delà. L'absence de cette cause, ou de la vérité, est présente dans le texte, plus, elle est l'origine logique et la raison d'être. La cause est ce qui, par son absence, fait surgir le texte. L'essentiel est absent, l'absence est essentielle. La mort de la gazelle est une structure déterminante puisqu'elle sera la cause essentielle de cette absence. Toutes les transformations narratives découleront de cette structure matricielle.

Selon le modèle quinaire (7) cette structure sera l'étape de transformation de ce récit qui débouchera sur une dynamique de l'action afin de retrouver l'équilibre du récit. Soulignons que cette dynamique n'est pas comme dans le récit traditionnel une suite d 'événements - ce qui n'est pas le cas de notre récit - ces événements n'ont lieu que dans l'univers mental de notre personnage, Hayy. C'est là, un des aspects du récit initiatique dans la tradition théosophique de l'Islam. Nous avions déjà abordé cette question lorsque nous avions étudié l'influence de Yayy sur le Robinson Crusoé.

Le personnage de Hayy Ibn Yaqdhân est donc une simple allégorie de l'Idée en quête de ses idées afin de retrouver l'essence de l'idée de la création, tout d'abord, de Dieu, ensuite.

Ce personnage allégorique va essayer de remonter le courant de sa propre genèse en descendant dans les profondeurs de sa propre corporéité.

Cette descente en enfer sera opérée par la quête de l 'absence dont nous avons parlé plus haut.

3-La descente en enfer.

« Lorsqu'il eut décidé que l'organe lésé ne pouvait être que dans la poitrine de la gazelle, il résolut de chercher à l'atteindre et à l'examiner, espérant peut-être qu'il parviendrait à trouver la lésion et à la faire disparaître. Puis, il craignit que ce qu'il allait faire là ne fût plus dangereux pour la gazelle que le dommage primitivement survenu, et que son zèle ne lui fût nuisible. Il chercha à se rappeler s'il avait vu alors quelques bêtes fauves ou quelque autre animal tomber dans un état pareil et en revenir. Mais n'en trouvant aucun exemple, il désespéra de la voir revenir à son état normal s'il s'abandonnait; tandis qu'il lui restait quelque espoir s'il trouvait l'organe en question et le débarrassait de son mal. Il se décida donc à lui ouvrir la poitrine afin de voir ce qui s'y trouvait. »H.I.Y.P.34.

L'itinéraire initiatique va donc prendre son point de départ avec la mort de la gazelle. Toutes les transformations narratives avons-nous dit, découlerons de cette quête de l'absence dont a parlé Todorov et que nous avons citée plus haut.

Dans la tradition théosophique de l'islam, le corps est le micro- univers où se conjuguent toutes les forces de la nature. Chaque organe correspondra à une sphère céleste. Nous retrouvons cette Doctrine de l'homme universel dans la théosophie des «Ikhuan eçafa », «  les frères de la pureté ».

A ce sujet Yves Marquet explique leur doctrine en disant que:

«  les trois dimensions, dont est doué le corps dans son ensemble, constituent «la première forme du corps », c'est à dire qu'aucun corps particulier ne peut exister, sans être passé par là, autrement dit sans être une partie du Corps Absolu. Et c'est pourquoi il est dit aussi que le « Corps Absolu est une forme de la matière première »; c'est la seule que celle-ci puisse recevoir directement. Bien qu'informé une première fois par l'âme, ce corps a hérité tous les caractères d'imperfection de la matière première; il est d'une substance épaisse, grossière, inanimée (« mortelle »), ignorante, passive (ou gaie) (c'est pourquoi ultérieurement, «  les figures s'amoncelleront et se presseront sur lui  de façon très maladroite, et nous verrons que tous les corps garderont l'imperfection qui est marqué de leur origine. Pour l'instant le corps n'a rien d'autre que les trois dimensions: il est « vide de formes, de dessins et de vie » bien que, par nature, apte à les recevoir. La seule noblesse, si l'on peut dire, du corps, dont Dieu «  donnera possession à l'âme », c'est qu'il est destiné a être le corps du monde entier, de même que l'âme universelle sera l'âme du monde, et que par là, tous les corps seront un seul et même corps , de même que toutes les âmes seront une seule et même âme. »(8)

S'agissant du corps de la gazelle que le narrateur de Hayy a pris comme point de départ de la quête initiatique du personnage opérateur du récit, il intervient avons-nous dit comme une structure de transformation d'où découleront toutes les séquences narratives de surface; ce sera le récit-logique régi par le principe de la causalité. Toutefois, cette quête de l'absence déterminera les structures profondes du récit et par la même, permettra la mise en place de deux récits inter-dépendants dans leur sémantique narrative mais tout a fait autonomes, puisque le premier, le récit littéraire, obéira aux règles de la fiction donc à la création littéraire; et le deuxième, le récit initiatique dans la tradition théosophique, obéira au discours théosophique.

Entreprendre l'analyse du récit du seul point de vue littéraire, c'est ignorer les véritables aspects du récit initiatique puisqu'il se veut donner la fonction du récit de conversion. C'est pourquoi, pour le besoin de notre cause méthodologique, nous étudierons cette ascension de l'âme initiée dans la « descente en enfer » en nous référant à chaque fois à la doctrine soufie qui, comme nous l'avions dit, alimente le récit et oriente même les structures narratives dans une espèce de contrainte sémantique.

La quête de l'absence étant donc la structure matricielle; le narrateur introduit le niveau supérieur que nous appellerons la présence de l'absence.

4-La présence de l'absence.

Ce niveau est engagé par la séquence où le narrateur explique:

«  après qu'il eut examiné tous les corps organiques externes de la gazelle sans y rencontrer aucun empêchement apparent, se trouvant d'autre part en présence d'un arrêt total, qui n'affectait point exclusivement tel ou tel organe, l'idée lui vint que le mal qui l'avait assaillie devait être dans un organe indispensable à chacun des organes externes pour l'exercice de ses fonctions; et que lorsque le dommage l'atteint, le mal se généralise, et il en résulte un arrêt total.H.I.Y.P.32.

Cette présence de l'absence, étant une structure matricielle et atemporelle résorbera l'ordre de la succession chronologique comme le souligne C.Levi-strauss: «  l'ordre de succession chronologique se résorbe dans une structure atemporelle » (9)

Elle est définie dans notre conceptualisation comme étant le procédé par lequel tout écrivain tente de réaliser son projet narratif, d'une part parce que les structures de surfaces auront la fonction de « masquer » le temps, d'autre part, tant que le lecteur sent l'absence du temps social, l'acte de lecteur sera justifié.

Dans le cas du récit initiatique, l'acte de la lecture est une quête de la présence tandis que l'acte de l'écriture est une quête de l'absence puisque l'objet de la narration est simplement cette absence dont parlait Todorov et que notre auteur engage dans la séquence où le héros se met à la recherche de ce quelque chose qui a quitté sa mère adoptive.

Dans la tradition théosophique de l'islam, l'aventure mystique se résume dans cette sagesse: « Ce que tu cherches restera toujours devant toi », « Ina ladi tatlûbûhù amâmaq ». Ce qui nous conforte à dire que le récit initiatique n'est jamais clos. Pourtant le sens que donne la tradition théosophique à cette sagesse est que celui qui cherche à connaître les vérités éternelles ne peut les trouver que devant lui; elle va même à dire que celui qui recherche Dieu ne peut le trouver que devant lui sinon en lui sans recours à l'histoire ni aux religions.

Mais pourquoi la nécessité d'un récit initiatique puisqu'il suffit d'une simple introspection mystique et le but est atteint? La réponse à cette question est en fait toute la problématique de la théorie de la littérature puisqu'elle est la vie elle même, il suffit de la vivre sans avoir besoin de l'écrire; et pourtant l'homme ne peut s'empêcher d'écrire sinon c'est la mort de quelque chose en lui, si ce n'est la vie même qui en pâti.

C'est ici le cas du récit initiatique, Ibn thophaïl nous dit dans son introduction que ceux qui n'ont pas écrit leur expérience mystique n'ont en réalité pas eu de faveur divine car selon lui, la plus grande faveur que peut accorder Dieu est l'Ecriture. Dieu ne s'est pas contenté de parler avec ses prophètes, il leur a révélé les Livres: L'Ancien Testament, les Evangiles et le Coran.

Le récit initiatique est une continuité de la révélation que l'homme a reçue de Dieu.

Pour notre part, nous dirons qu'écrire c'est rechercher cette absence dont nous connaissons l'existence mais dont nous ignorons la nature. Par conséquent, la quête du récit est cette quête de l'absence; aussi longtemps que dure cette absence, le récit ne cessera de se répéter, de se redire sans cesse, autant que dure le langage et l'écriture.

Dans le récit initiatique, l'étape finale proprement dite n'existe pas car elle est en fait l'annonce d'une nouvelle étape. La quête se poursuivant toujours:

« Je ne puis m'empêcher de croire que l'objet de mes recherches s'y trouvait, mais qu'il l'a abandonné, le laissant vide ( le coeur); et c'est alors qu'est survenu dans cet organisme l'arrêt en question, qu'il a perdu la perception et le mouvement. Ainsi, l'habitant de ce logement en avait déménagé avant qu'il eût subi aucune dégradation, et l'avait quitté lorsqu'il était encore intact: il était donc probable qu'il n'y reviendrait pas, maintenant qu'il était ainsi ravagé et béant  » H.I.Y.P.37

Pour ne prendre que ce passage, nous pouvons ainsi affirmer que la quête du récit se poursuit et fonctionne de la même manière que ce micro-récit cité. L'objet de la quête étant l'âme qui se détacha du corps de la gazelle, tout le récit de Hayy Ibn Yaqdnân ne sera que tautologique.

La présence de l'absence est donc continuellement réinstallée au moment où l'équilibre du récit semble atteint: «  alors, le corps entier lui parut vil et sans valeur auprès de cette chose qui, selon sa conviction, demeurait un temps et le quittait ensuite. » (P.37).

Ensuite le récit est relancé par une série de questions qui annoncent les différents niveaux du programme narratif:

«  il concentra donc uniquement ses réflexions sur cette chose, se demandant ce que c'était, comment elle était, qu'est ce qui l'avait arrachée à ce corps, où elle s'en était allée, par quelle issue elle était passée quand elle était sortie du corps, quelle cause l'avait chassée, au cas ou son départ avait eu lieu par contrainte, ou bien quelle cause lui avait rendu le corps assez odieux pour qu'elle s'en séparât, au cas où son départ avait été volontaire. Il se répandit en réflexions sur toutes ses questions, oubliant le corps et l'écartant de sa pensée. H.I.Y.P.37.

Nous voyons dans ce passage que la quête de l'absence est en fait la quête de l'âme. Dans la tradition théosophique de l'Islam l'objet de l'initiation n'est pas foncièrement la quête de l'âme mais la quête de Dieu; cela n'empêchent pas certains soufis de spéculer sur l'âme bien que cette question reste ambiguë pour bon nombre de théosophes.

Seuls les « frères de la pureté » « Ikhûan essafa » ont pu, dans leur doctrine, apporter de la lumière sur ce sujet, bien que contestés par d'autres. Surtout, lorsque  les Ikhwân donnent de l'âme plusieurs définitions qui diffèrent quelquefois par quelques termes, le plus souvent par quelques qualificatifs en plus ou en moins. Elle est dite « un influx émané de l'intellect » (III 232), « la lumière de l'intellect et son influx que Dieu a répandu à partir de l'intellect (III 352).Une faculté jaillie et répandue de l'intellect universel » (III 342) ou une « faculté spirituelle émanée (fadât) de l'intellect » (III 189). Mais le plus souvent elle est qualifiée de « substance » (jawhar) et avec l'ensemble des qualificatifs qui y sont accolés: substance simple (c'est à dire non composée), spirituelle par essence, savante en puissance, active par nature, et aussi puissante et fabriquante par accident, réceptive, émanée de l'intellect (I 294, III 36, 184, 186, 197, 237, 240, 386, 466) (10).

Quant à l'écriture de l'âme dans le récit initiatique de notre auteur, elle s'éloigne du traité proprement dit et s'engage dans la narration pure; celle qui obéit aux règles de la création littéraire et non aux règles de la doctrine puisque le narrateur nous met dans un espace temps fictif, lieu mythique (l'île du Waqwaq) et temps mythique, les âges absolus de l'Homme et les différents cycles de son évolution. L'âme est une « présence- absente » et le narrateur part à sa recherche et, dans cette quête, le récit se réalise. Tantôt il prend l'allure d'un conte, tantôt c'est le discours théosophique qui prend le relais. Le mot cherche sa véritable essence, sa substance originelle et son lieu idéal d'énonciation. Pour ce faire, il remontera le courant de son histoire à travers le mythe; celui de ses premiers pas dans la nature qui l'a vu naître. Le mot est source de vie mais explique la vie avant que celle-ci ne lui donne d'autres attributs, ceux de masquer la vie.

Le récit initiatique est avant tout, une initiation à la lecture originelle. Hayy Ibn Yaqdhân ne connaît pas le mot mais fait découvrir au lecteur les mots qu'il est sensé connaître tout en leur donnant le pouvoir de quitter le sens vers l'univers de l'essence. Le texte initiatique est un prétexte car l'initié n'a besoin que d'un seul mot pour faire son initiation, sa descente en enfer, sa remontée et sa résurrection.

Rappelons que dans la tradition soufie, le « mûrid », c'est à dire le futur initié est mis en situation de solitaire et doit prononcer infiniment le nom d'Allah jusqu'à perdre l'haleine; il ne doit entendre que ce mot jusqu'à ce qu'il fasse corps avec lui; tout autre mot doit disparaître et se fondre dans « le Mot ». Alors s'opère une sorte de cristallisation et l'initié, de voir par l'essence du Mot, tous les textes de l'existence. Il se dispensera du livre et par la même des livres. Ainsi le langage des hommes n'aura plus de sens.

C'est ainsi que s'achève l'histoire de notre héros Hayy. Ayant été découvert par Açal dans on île déserte, il apprit le langage des hommes et raconta son histoire et aussi toutes les vérités métaphysiques qu'il a découvertes par l'observation et la méditation intuitive.

Lorsqu'il fut amené à enseigner aux hommes de l'île voisine les vérités supérieures, il découvrit que « la plupart d'entre eux sont au rang des animaux dépourvus de raison, il reconnu que toute sagesse, toute direction, toute assistance, résident dans la parole des Envoyés, dans les enseignements apportés par la loi religieuse, que rien d'autre n'est possible, qu'on n'y peut rien ajouter; qu'il y a des hommes pour chaque fonction, que chacun est apte à ce en vue de quoi il a été créé » telle a été la conduite de Dieu à l'égard de ceux qui ne sont plus. Tu ne sauras dans la conduite de Dieu trouver aucun changement» (Coran)

« Il se rendit donc auprès de Salaman et de ses compagnons, leur présenta ses excuses pour le discours qu'il avait tenu et s'en rétracta. » H.I.Y. P.II2.

Nous pouvons donc affirmer que le récit ou le texte initiatique n'est qu'un prétexte, puisque l'initiation se fait en dehors du langage et de l'écriture. La seule initiation que nous retenons est celle des mots, donc de la lecture. Chaque mot aura la fonction d'initier le lecteur à pénétrer dans des micro-univers initiatiques, dont la somme équivaut à une seule vérité: celle de l'être éternel et de l'éternité du monde. Par conséquent, l'absence de ce quelque chose qui donne la vie est la vie elle-même. Elle est comblée par la recherche des mots d'où la notion de la vacuité pleine.

5-La vacuité pleine.

Le corps est un des actants à la fois opposant et adjuvant dans la quête initiatique. Ne pouvant pas être l'objet de la quête, puisque c'est l'âme qui est le but à atteindre, la corporéité des signifiants n'est perçue que dans les rapports de sens qu'ils entretiennent entre eux. Les signifiés demeurent extra-linguistiques et participent à l'image mentale non du corps de l'objet-sujet mais de l'idée de la quête. Les signifiants n'expriment rien mais permettent seulement la dynamique du récit:

« il examina de même tous les corps, soit inanimés soit vivants, et vit que l'essence des uns et des autres est complexe et composé de l'attribut corporéité et de quelque chose qui s'ajoute à la corporéité, que cette autre chose soit unique; et ainsi les formes des corps lui apparurent dans leur diversité. « H.I.Y.P.76.

Tous les corps sont vides ou se vident; et dans leur corruption le récit se remplit de mots, par la même, de sa propre substance éternelle (Eons). Le narrateur initie les narrataires désirables à se vider du réel des « autres » afin de rejoindre l'initié dans chaque station de contemplation.

6-La mort ou le crime originel.

Cette structure narrative possède deux fonctions: La première enchâsse le récit par isotopie puisque la plus petite unité de sens, la corruption du corps, permettra l'accession à un deuxième niveau narratif, celui de la quête de l'âme. La deuxième est catalysante puisqu'elle renvoie au crime des fils d'Adam, Cain et Abel:

«  Sur ces entrefaites, le corps commença à se corrompre et à exhaler des odeurs repoussantes. L'éloignement qu'il éprouvait pour lui s'en accrut, et il souhaita de plus la voir. Alors s'offrit à ses regards deux corbeaux qui se battaient. L'un d'eux finit par étendre mort son adversaire. Sur quoi celui qui est resté vivant se mit à gratter le sol jusqu'à ce qu'il eut creusé un trou, y déposa l'oiseau mort, et le couvrit de terre. « Combien est louable se dit l'enfant, l'action de ce corbeau enterrant le cadavre de son compagnon, bien qu'il ait mal agi en le tuant; et moi je dois, à plus juste titre, m'acquitter de ce devoir envers ma mère. « Il creusa une fosse, y déposa le corps de sa mère, et le couvrit de terre. H.I.Y.P.37.

La descente du corps et sa couverture de terre permet une transformation narrative du deuxième niveau; celui de la quête de l'absence. « Puis, il continua de méditer sur cette chose qui gouvernait le corps » (P.38). Concernant la fonction du crime originel dans le récit, elle n'est opérée que dans le but de faire émerger les structures inconscientes du récit. De la même manière que la libido freudienne détermine inconsciemment le comportement de l'homme, le crime originel détermine et provoque même les structures inconscientes du récit.

Tout le procédé littéraire est à notre sens une plaidoirie, un procès d'intention visant à refaire le procès de Cain et Abel. C'est en somme le repentir par l'écriture. A ce sujet, Max Scheler nous dit:

«  parmi ces mouvements de la conscience, le repentir est incontestablement celui qui se comporte en juge, dans son rapport avec le passé de notre existence. Sa nature, sa signification, son lien avec notre vie et son but ont été si profondément et si fréquemment méconnus en raison même de ce désordre du coeur qui affecte le temps présent, qu'il devient nécessaire de déblayer le terrain par une critique des théories modernes, généralement gratuites et superficielles, sur son origine, pour établir une définition positive de son essence ». (II)

Définir l'essence de repentir par le procès littéraire est une action qui vise essentiellement l'Homme. Celui qui écrit prend la défense de celui qui ne le fait pas. Et le récit initiatique revient à éclairer le chemin du repentir puisqu'il remonte des sources de la vie en prenant la faute originelle comme point de départ de l'itinéraire initiatique.

La mort et le crime sont là deux aspect fondamentaux qui déterminent les structures inconscientes de tout acte d'écriture. Concernant notre corpus, elles enchâssent le récit à deux niveaux:

I- Le niveau logico-sémantique.

2- Le niveau narratif.

Concernant le niveau logico-sémantique, il manifeste la pensée rationnelle et son évolution dans l'écriture initiatique.

Notons que le récit de Hayy Ibn Yaqdnân se veut être avant tout la récit de la persuasion voir même de la conversion. de ce fait, il convient de l'étudier plus objectivement en empruntant certains concepts aux sémioticiens et plus particulièrement aux analyses sémiotiques des textes littéraires.

Nous avons déjà introduit certains concepts empruntés au groupe d'Entreverne lorsque nous avions traité le chapitre du « contrat fiduciaire ». Concernant la composante narrative nous ne pouvons parler de la narrativité du récit que si le sens est fondé sur les différences. L'analyse sémiotique des textes est essentiellement une description de ces différences. Nous pouvons les reconnaître en suivant l'itinéraire initiatique de Hayy Ibn Yaqdhân et donc la succession d'états différents de ce personnage.

7-Etats et transformations.

Rappelons que le groupe d'Entreverne insiste sur la différence entre état et transformation. A la base de l'analyse narrative, on pose la distinction entre les états et les transformations, entre ce qui relève de l'être et ce qui relève du faire. Un état s'énonce avec un verbe du type « être » ou « avoir » tandis qu'une transformation s'énonce avec un verbe de type « faire ».

7-1-Les énoncés d'état.

Pour définir plus précisément l'énoncé d'état, on introduit les notions de sujet et d'objet. l'énoncé d'état correspond à la relation entre un sujet et un objet.

Notre sujet est Hayy Ibn Yaqdnân, son sujet est cette quête de l'âme qu'il entreprend. Chaque fois que le sujet rejoint une station itinérante, nous dirons que c'est un énoncé d'état conjoint . Mais lorsque le sujet n'atteint pas son objet, nous dirons que l'état est disjoint.

Il importe de relever les différents énoncés d'état conjoints afin de faire apparaître la narrativité du récit initiatique. Le premier énoncé d'état conjoint que nous prenons comme point de départ pour notre analyse de la narrativité du récit initiatique est le suivant:

« Lorsqu'il eut reconnu que l'essence de cet « esprit » animal, qui avait toujours été pour lui un objet de prédilection , et composé de l'attribut corporéité et d'un autre attribut surajouté à la corporéité, et que l'attribut corporéité lui est commun avec tous les autres corps, tandis que par l'autre attribut, ajouté au premier, il se singularise est s'isole, il se désintéressa de l'attribut corporéité et l'écarta, pour s'attacher au second attribut: c'est à lui qu'on donne le nom d'âme. »(p.51)

Nous aurons donc le rapport suivant:

Enoncé d'état conjoint «  pour s'attacher au second attribut »,

alors qu'il est arrivé à se détacher du premier attribut: la corporéité.

Nous aurons, par la même, dépassé une transformation narrative par le fait de la disjonction :« il se désintéressa de l'attribut corporéité et l'écarta ».

Cette disjonction qui aura enclenché une conjonction, c'est à dire un pouvoir-faire-identifier l'âme aboutira à l'état de disjonction qui va suivre:

« il conclut de ces considérations que le corps en tant que corps est composé essentiellement de deux notions, dont l'un y joue le rôle de l'argile dans la sphère de l'exemple précédent, et l'autre le rôle de la longueur, de la largeur et de la profondeur de la sphère, du cube ou de tout autre figure que peut affecter cette argile: on ne saurait concevoir un corps qui ne soit composé de ces deux notions , et aucune des deux ne peut exister dans l'autre. Celle qui peut changer, prendre maints aspects successifs, et c'est la notion d'étendue, représente la forme qui se trouve dans tous les corps doués de formes. Celle qui demeure dans le même état, et celle qui correspond à l'argile dans cet exemple, est, ce que les philosophes appellent « matière » et « hylé »; elle est totalement dénuée de forme. (P.53)

Cet état conjonctif est l'aboutissement successif de plusieurs états disjoints du type . En voici quelques énumérations pour ne citer que ceux là:

Enoncé d'état disjonctif avec le premier objet conjoncté:

«  Tous les corps terreux, tels que la terre, les pierres, les métaux, les plantes, les animaux, et tous les corps lourds, forment un seul groupe et possèdent en commun une même forme d'où émane le mouvement vers le bas, tant qu'aucun obstacle ne s'oppose à leur descente; et lorsque, après avoir été mus vers le haut par contrainte, ils sont abandonnés à eux même, ils se meuvent en vertu de leur forme, vers le bas. ( p 52)

L'opposition bas vs haut donne au récit deux directions narratives, l'une sur la corporéité et là, elle est déjà disjonctée par l'énoncé d'état disjonctif que nous avons étudié plus haut, et l'autre sur la spiritualité: ce qui va donner au récit toutes les transformations narratives que nous verrons plus loin.

Enoncé d'état disjonctif avec le deuxième objet conjoncté:

« Il chercha donc s'il trouverait une qualité commune à la fois à tous les corps, vivants et inanimés; et il ne trouva rien qu'il ne fût commun à tous les corps, sauf la notion qui retrouve en tous, de l'étendue à trois dimension, auxquelles on applique les noms de longueur, largeur et profondeur. Il reconnut que cette notion appartient au corps doué de cette unique propriété, dépourvu de toute notion surajoutée à l'étendue susdite, et totalement dénué de toutes les autres formes. » (p.53)

Le procédé par exclusion des objets atteints nous donnera la formule suivante: S(H.I.Y) V (corporéité) V (terre vs pierres vs métaux vs plantes vs animaux vs eau vs air vs longueur vs largeur vs profondeur) V (forme). L'élimination de ces éléments de la corporéité débouchera systématiquement sur le rapport bas vs haut. Et donc les états conjonctifs qui vont se succéder donneront au récit un axe partant du bas (la corporéité) vers le haut ( la spiritualité) puisque le narrateur a pris soin d'exclure les sens «  mais les sens ne lui révélaient l'existence d'aucuns corps ». ( p.53)

7-2- Bas vs haut:

Cet énoncé d'état conjoint a déjà été anaphoriquement mis dans la narration par la mise en place de l'élément feu:

«  un jour, il arriva que le feu prit dans les broussailles de fécule par voie de frottement. Quand il l'aperçut, ce fut pour lui un spectacle effrayant, un phénomène de nature inconnue. Il s'arrêta longtemps devant lui, saisi d'étonnement mais il ne laissa d'en approcher peu à peu. Il constata la lumière éclatante de feu, son action irrésistible, par laquelle il se communiquait à tout objet auquel il s'attachait, et le convertissait à sa propre nature. L'admiration que le feu lui inspirait, jointe à la hardiesse et à la force de caractère que Dieu l'avait doué, le portèrent à étendre la main vers lui pour en prendre. Mais dés qu'il y toucha, il lui brûla la main, et il ne put s'en emparer. Il eut alors l'idée de prendre un tison que le feu n'avait gagné en entier, le saisit par le coté intact pendant que l'autre état incandescent, il réussit, de la sorte, à l'emporter vers le lieu qui lui servait d'abri: c'était un antre profond qui lui avait convenu comme demeure. Il ne cessa d'entretenir ce feu avec l'herbe sèche et du bois sec. Il était assidu auprès de lui jour et nuit, tant il l'appréciait et l'admirait, mais c'est surtout la nuit qu'il se plaisait en sa compagnie, parce qu'il lui remplaçait la lumière et la chaleur du soleil. Il éprouvait pour lui un grand amour, et le considérait comme supérieur à toutes les choses qui l'entouraient. Voyant toujours la flamme se dresser verticalement et tendre à monter, il acquit la conviction que le feu était du nombre des substances célestes qu'il apercevait. Il expérimentait l'action du feu sur toutes les choses en les y jetant, et il le voyait en venir à bout, tantôt vite tantôt lentement, suivant que le corps qu'il jetait avait une disposition plus au moins forte à brûler. (...)

(...) Enfin, ce grand amour que lui inspirait la merveille de ses effets et la grandeur de sa puissance l'induisait à penser que la chose disparue du coeur de la gazelle qui l'avait élevé était de même substance ou quelque chose du même genre. Il était confirmé dans cette pensée par cette constatation que les animaux ont de la chaleur pendant toute leur vie et deviennent froid après leur mort, et cela toujours sans exception; et aussi par la grande chaleur qu'il constatait en lui-même dans sa poitrine. »H.I.Y.P.39.

Nous voyons ici que le programme narratif qui est en réalité cette quête de l'âme se déplace à un niveau supérieur catalysé par l'élément feu. En établissant une grille sémique, nous pourrons deviner toutes les transformations narratives qui vont suivre:

Chaleur vs lumière vs ascendance vs réconfort vs subtilité vs goût vs supérieur vs transmission vs destruction vs combustion vs spectacle vs conversion vs brûlure vs compagnie vs amour vs substance céleste vs grandeur vs puissance vs noblesse.

Chaque sème relevé aura donné des séquences correspondantes au champ sémantique de l'élément feu. La spatialité. étant toujours dans l'axe bas VS haut.

7-3-La chaleur.

C'est la première récurrence que le récit met en place par un système d'observateur-observé. Nous sommes là renvoyés aux structures anthropologiques:

« Il observait entre temps tous les animaux et les voyait couverts de poils, laineux, ou de plumes (...) il rencontra un jour un aigle mort et se trouva en mesure de réaliser son désir. Ne voyant point de bêtes fauves s'en effaroucher, il profita de l'occasion, s'approcha de l'oiseau, détacha les deux ailes et la queue, entières et telles quelles, et en étala les plumes d'une façon régulière. Il dépouilla ensuite la bête du reste de sa peau, la partagea en deux parties, et se les attacha l'une sur le dos, l'autre sur le nombril et au dessous. Enfin, il suspendit la queue derrière lui, et les deux ailes en haut de ses bras, il eut de la sorte un vêtement qui le couvrit, lui tint chaud, et le fit craindre de tous les animaux.(p.31)

Cette structure anthropologique intervient dans le récit initiatique pour renforcer les aspects anthropomorphes de la quête puisque l'initiation est en l'Homme par l'Homme est pour l'Homme.

Rappelons que la tradition théosophique de l'Islam considère la chaleur physique (du soleil) comme la forme apparente de l'âme universelle. A ce sujet, « les frères de la pureté » nous disent:

« les actes et attributs propres au soleil sont non seulement la lumière, l'éclat et la majesté, la pureté et la propreté ici-bas, mais aussi le bon ordre (salâh) et l'équilibre (i'tidâl), l'accomplissement, la perfection, et la vie. En effet, l'âme universelle a communiqué au soleil une faculté propre à celui-ci, et c'est à partir du soleil que se répand la force. »(12).

La chaleur est ici un des aspects de cette âme universelle puisque notre narrateur fait découvrir à son héros que l'absence de la chaleur équivaut à la mort; et sa présence, à la vie:

« il fut certain que cette vapeur chaude était chez cet animal le principe du mouvement, que dans le corps de tout autre animal il y en avait une semblable, et qu'aussitôt qu'elle le quittait, l'animal mourrait. » (p.40)  « les animaux ont de la chaleur pendant toute leur vie et deviennent froid après leur mort, et cela toujours sans exception.»(p.39).

C'est aussi cette chaleur qui poussa notre héros à se confectionner des vêtements pour se protéger du froid et effrayer ses prédateurs . Mais c'est surtout sa fonction initiatique aux éléments supérieurs de la vie que cette découverte entraînera. Le récit, partant de cette observation de la vapeur chaude dans tout corps vivant, se poursuivra jusqu'au moment où H.I.Y. découvrira que cette substance est analogue à ce quelque chose qui a quitté sa mère la laissant morte:

« il connût avec évidence que tout individu d'entre les animaux, bien que multiple par ses membres et organes, par la variété de ses sensations et de ses mouvements est un, grâce à cet esprit.« H.I.Y.P.41.

Da la même façon que le langage prend racine dans l'onomatopée; le récit initiatique a contenu théosophique prend racine dans les composants de l'élément feu. Le goût, sème récurrent de l'élément feu est ici développé pour initier le demandeur à en acquérir la saveur spirituelle.

7-4-Le goût.

Dans le récit initiatique, le goût du spirituel n'est pas et ne doit pas être une fin en soi puisqu'il permet de récompenser les efforts de mortification et de spiritualité intensive. L'initié qui en a goûté la saveur mystique se doit de dépasser cette station afin de persévérer dans la contemplation. Saint Jean de la Croix rappelait souvent à ses disciples que « la mouche qui touche au miel ne peut se servir des ailes; de même, l'âme qui s'attache à la douceur spirituelle ruine sa liberté et empêche la contemplation ».

Quant à notre auteur, il en a annoncé le projet dès l'ouverture de son roman en disant que « la demande que tu m'as adressée m'a inspiré une noble ardeur, qui m'a conduit (Dieu en soit loué) à l'intuition d'un état extatique dont je n'avais pas eu l'expérience auparavant, et m'a fait parvenir à une étape si extraordinaire, que la langue ne saurait le décrire, ni le discours en rendre compte. » (p.2)

Tout le récit qui suivra dans son roman est en fait une tentative d'expliquer cette intuition d'un état extatique. Ainsi le goût de la viande cuite qui a suivi la découverte du feu par Hayy est une structure inconsciente qui répond au besoin du projet initial de la quête, le goût de la lecture: « mais c'était un esprit affiné par l'éducation littéraire et fortifié par la culture scientifique ».H.I.Y

7-5-le goût du Néant ou Vide Gnostique:

« il persévéra donc dans ses efforts pour arriver à l'évanouissement de la conscience de soi, à l'absorption dans l'intuition de l'Etre Véritable; et il y réussit enfin: tout disparut de sa mémoire et de sa pensée: « les cieux, la terre, et ce qui est entre eux », toutes les formes spirituelles, toutes les facultés corporelles, toutes les facultés séparées de toute matière, à savoir les essences qui ont la notion de l'Etre Véritable; et sa propre essence disparut avec toutes ces essences. Tout cela s'évanouit, se dissipa comme des atomes disséminés ».(p.87)

Enfin le goût de la solitude puisque la vie en société ne permet pas la persévérance dans cette intuition de l'état extatique:

« quant à la fin de son histoire, je vais te la raconter. Lorsqu'il revint au monde sensible après l'excursion qu'il avait faite, il prit en dégoût les soins de la vie d'ici-bas, il éprouva un vif désir de l'autre vie, et s'efforça de revenir à cette station par les mêmes moyens qu'il avait employés précédemment. »(p.99)

Rappelons que le régime du solitaire fonctionne aussi dans le récit initiatique comme structure matricielle: tout initié doit apprendre d'abord à s'éloigner du monde sensible pour pouvoir pénétrer les sphères de l'âme. Concernant cet aspect de la « Khalwa » (solitude mystique), Martin Lings


1(*) nous rapporte que le cheikh Ahmed el Allaoui de la confrérie de la Allaouiya avait introduit cette pratique dans sa méthode d'initiation puisqu'il devait de perpétuer une pratique déjà traditionnelle dans toutes les voies mystiques qui lui avaient précédé:

«  un des motifs de cette décision était en ce qu'il sentait la nécessité d'introduire, comme élément de sa méthode, la pratique de la « Khalwa » c'est à dire de la retraite spirituelle dans la solitude d'une cellule isolée ou d'un petit ermitage. Il n'y avait rien là de radicalement nouveau, car, si le souvenir de Dieu est l'aspect positif ou céleste de tout mystique, son aspect négatif ou terrestre et le renoncement à tout ce qui est autre que Dieu (...) Or, une aide des plus puissantes pour acquérir la permanence de cette retraite intérieur, est l'isolement corporel qui, sous une forme ou une autre, de façon constante ou temporaire, est une caractéristique de presque tous les ordres contemplatifs. »  (13)

C'est dans cette vision de l'ermitage que notre auteur a mis son personnage dans le régime du solitaire puisqu'il ne pouvait pas développer son récit dans un contexte social, les idées initiatiques ne pouvaient surgir que de la pure spéculation intuitive du personnage initié. Par conséquent, le goût de la solitude est une fonction opératrice qui débouchera sur le goût du néant. Remarquons qu'au niveau sémique, le déploiement du champ sémantique du goût engendre tout le programme narrative de H.I.Y: « l'excellence de son intelligence native » (p.59); «  c'est à quoi il s'appliqua » (p.83); « il se confirma dans cette pensée en considérant cette vérité dont il avait l'évidence »(p.89)

Le goût, comme faculté sensitive se transforme en ivresse mystique dés qu'il peut se détacher du monde sensible. Cela prend la spatialité dans le vecteur bas vs haut et est du seul domaine de l'Homme, c'est l'Homme qui réalise ce désir de l'inconnu en prenant comme support les choses puis les idées. Par contre, concernant la lumière, il demeure passif devant son champ de manifestations: il la reçoit plutôt qu'il ne la donne.

7-6-La lumière.

La notion de la lumière a longtemps été l'objet de réflexion dans toutes les religions et les philosophies sans que l'on puisse la définir exactement. Nous retrouvons les expressions telles que «  la lumière de Dieu», « l'ange de la lumière », « la lumière de l'intelligence », le champ sémantique de cette notion nous renvoie à l'entendement: on dira « éclaircir une idée », « faire de la lumière sur cette affaire », «  cet homme est illuminé », «  son visage est illuminé » ou encore «  son idée est claire »; donc, à chaque fois que l'on utilise cette notion, elle est synonyme d'entendement, de compréhension ou encore de clairvoyance.

Par contre, dés que cette notion est utilisée dans un contexte religieux ou philosophique, nous voyons surgir la difficulté et la complexité de sens qu'elle donne

. Qu'en est-il dans la tradition théosophique de l'islam?

Pour les soufis, contempler Dieu équivaut à contempler le soleil: la lumière vous aveugle, et plus on s'approche du soleil, plus on risque de se brûler, voir d'être anéanti par son énergie. Seule la contemplation de la lune, le reflet du soleil, est possible pour l'initié dans la voie de la connaissance stoïque de Dieu.

Par conséquent, la notion de lumière n'est intelligible que dans la sphère métaphysique de la lune: la théosophie des frères de la pureté nous rapporte que:

«  la sphère de la lune est appelée aussi  « ciel du bas du monde » ou «  ciel intérieur », la lune étant aussi elle même la « petite  lumière ».La faculté spirituelle » qui descends du corps de la lune » est chargée de régir le monde de la génération et de la corruption »; autrement dit,« ses anges sont chargés du monde terrestre ». (...) les facultés issues de la lune sont intermédiaires entre le monde immuable des sphères et le monde de la génération et de la corruption; elles circulent tantôt dans le monde des sphères et tantôt dans celui des éléments; ou plus exactement, la lune reçoit des autres sphères leurs influx venus du monde supérieur, et le répand sur le monde inférieur. (14)

Concernant les fondements théosophiques de la sagesse illuminative dont parle notre auteur dans l'ouverture de son roman et sur la base de la tradition théosophique de l'islam, le concept de lumière est ici symboliquement développé par la découverte du feu et sa sémiotique opératrice dans le programme narratif.

Pour développer d'avantage cette notion métaphysique de la lumière, il est nécessaire d'expliquer la notion de « nûr'l'mohammadi » ou lumière mohammedienne.

7-7-La lumière prophétique « El nûr'l'mohammadi.

« Dieu est la lumière des cieux et de la terre. sa lumière est comparable à une niche ou se trouve une lampe. La lampe est dans un verre; le verre est semblable à une étoile brillante. Cette lampe est allumée à un arbre béni, l'olivier, qui ne provient ni de l'orient ni de l'occident, et dont l'huile est prés d'éclairer sans que le feu la touche. lumière sur lumière, Dieu guide vers sa lumière qui il veut. Dieu donne aux hommes des paraboles.Dieu connaît toute chose » ( qor'an, XXIV,35).

Cette lampe est l'Etre prophétique que l'on appelle aussi « qûtb ` l'aqtab » c'est à dire le pôle des pôles. L'huile est son coeur,. nous entendons par là l'explication qu'ibn Thophaïl a donné en disant à son correspondant: «  par le mot coeur, je n'entends point l'organe corporel, ni l'esprit logé dans sa cavité, mais la forme de cet esprit, forme qui, par ses facultés se répand dans le corps de l'Homme » (p.87) la lumière divine réside en ce coeur et s'y attache; son reflet éclaire et vivifie l'existence de l'univers. La vie réelle appartient à ce pôle qui est soutenu par la lumière divine.

L'intuition dont parlait Ibn thophaïl dans son introduction est une appréhension de cette lumière qui surgit de la mortification dont nous avons parlé plus haut. Cependant, concernant la lumière véritable de la connaissance parfaite de Dieu, elle est très difficile à acquérir puisque toutes les lumières qui l'entourent ont pour rôle de l'occulter.

Le récit initiatique qui traite de la connaissance parfaite de Dieu ne peut utiliser que des allégories ou des paraboles, car le sens des mots qu'il utilise est purement interprétatif. Le langage est donc symbolique. Eva de Vitray nous rapporte une traduction de Sultan Wallad en disant:

Tout ce que l'on voit dans le monde visible est comme un reflet du soleil de ce monde. S.Wallad nous explique en disant : « quand ces mots imagés sont entendus par l'oreille sensorielle, tout d'abord, ils désignent des objet sensibles. Le monde spirituel est infini, comment des mots finis peuvent-ils l'atteindre? Comment les mystères contemplés dans la vision extatique, peuvent-ils être interprétés par des mots? Quand les mystiques traitent de ses mystères, ils les traduisent par des images, car les objets de sens sont comme des ombres de ce monde, et ce monde est comme un enfant nouveau-né, et celui-là comme la nourrice: Je crois que ces mots furent d'abords assignés à ses mystères dans leur emploi originel. Ensuite seulement, ils furent attribués aux objets des sens par l'usage du vulgaire (car que sait le vulgaire au sujet de ces mystères?) et quand la raison a tourné son regard vers le monde, elle a transféré certains termes en provenance de ce lieu. l'Homme sage considère l'analogie, donc il tourne son esprit vers les mots et les mystères. Bien qu'on ne puisse atteindre des analogies parfaites, continue néanmoins à la recherche sans relâche. En ce domaine nul ne peut te juger, car il n'est point de chef à cette secte, sauf la « vérité ».(15).

« La lumière du verbe est ici pareil à des coquillages qui à eux seul tentent d'expliquer la mer,  quelle est cette mer dont la parole est le rivage? », « l'âme s'élance comme un éclair soudain, elle apporte ces lettres à l'oreille attentive, brise donc la coquille, recueille la perle royale, rejette au loin l'écorce, emporte la douce amande: Glossaires, étymologie, morphologie, ne sont que ses enveloppes. »

La lumière au sens dénotatif n'est pas l'objet de reconnaissance ni de connaissance dans le récit initiatique. Il n'y a que le développement du champ sémantique de l'entendement théologique telles que les expressions suivantes: « il se dit au plus profond de lui même: Quelle perfection dans la création! »(p.46), « lorsqu'il vit sa perfection, et sa force fonctionnelle, il comprit que la chose qui a déménagé du coeur de la gazelle qui l'adopta est de la même substance que cet existant ou de quelque chose qui lui ressemble » (p.49) « Et il vit que sa propre essence et ces essences qui sont au même rang que lui ont, en fait de beauté, de splendeur, de félicité infinies. « Ce qu'aucun oeil n'a vu, qu'aucune oreille n'a entendu, qui ne s'est jamais présenté au coeur d'un mortel »(p.95)

.

Le regard de l'initié dans son moi illuminé lui fait découvrir ce que l'oeil ne peut voir ni l'oreille entendre et ainsi le verbe « voir » devient la récurrence narrative du récit: « il me semble voir....; il le voyait un... il vit que l'essence de cette sphère... il vit aussi que la sphère suivante... il vit que ce monde... puis il vit... ect... »

Il ne s'agit pas là de la vision physique mais plutôt de la vision extatique c'est à dire une succession d'images mentales associées à l'idée de Dieu. Cette forme d'obsession de l'idée de Dieu peut aussi provoquer chez certains initiés de très graves confusions, entre ce que voit son ego instruit par la mortification, et ce que voit l'ivrogne en état d'ivresse, c'est à dire, ici, l'ivresse divine. C'est aussi pour cette raison que certains mystiques, se sont vus infligés la peine de mort comme ce fut le cas d'al-Hallaj et de shahrawardi. Ils furent nommés les martyres du soufisme: Ibn thophaïl avait qualifié ces martyres comme des gens dépourvus de culture scientifique, il dit que « si c'est des gens dépourvus de culture scientifique, il en parle sans discernement. L'un, par exemple dira par allusion à cet état, « louange à moi! Combien ma gloire est grande: » ; tel autre, «  je suis l'être véritable »: tel autre enfin, « celui qui est sous ces vêtements n'est autre que Dieu »H.I.Y.P.3

Lorsque nous avions considéré que c'était là une grave confusion, nous voulions rejoindre le point de vue de notre auteur sur la question de la lumière divine puisque toutes les visions extatiques des soufis tendent à associer leur présence à l'Etre Véritable et c'est ce que notre auteur tente lui aussi de développer dans son récit initiatique. Sa démarche emprunte le chemin de la raison et s'écarte méthodologiquement des erreurs de ses prédécesseurs. A ce sujet, il prévient son correspondant de ces erreurs et lui dit:

« ne t'ai-je pas averti précédemment qu'ici le champ de l'expression est étroit, et que les mots de quelque façon qu'on les emploie, prêtent à imaginer des choses fausses si tu as été conduit à imaginer pareille chose, c'est parce que tu as admis que l'objet auquel on compare sont sur le même pied à tout égard. C'est ce qu'il ne faut faire jamais dans les propos ordinaires »(p.98)

Par conséquent, est lumière ce qui reste en dehors du langage, ce que seul l'initié peut recevoir ou donner; de ce fait la notion de lumière est ce que le récit initiatique veut lui donner comme sens dans l'entendement.

Lorsque Hayy Ibn Yaqdhân avait découvert le feu dans son île, il avait remarqué que son mouvement allait du bas vers le haut; il avait saisi intuitivement la notion d'élévation, de noblesse et par la suite de transcendance et c'est dans cette logique spatiale qu'il commença à s'intéresser au ciel et donc aux sphères célestes.

7-8-Les sphères:

Lorsque notre auteur aborde la notion de sphère, il l'explique par ce que seul l'intuition peut donner. il dit au sujet de son héros que lorsqu'il éleva son esprit en suivant le sens métaphysique du feu qu'il avait découvert, il était  parvenu à l'absorption pure, au complet anéantissement de la conscience de soi, à l'union véritable, il vit intuitivement que la sphère suprême, au delà de laquelle il n'y a point de corps, possède une essence exempte de matière, qui n'est pas l'essence de l'unique, du Véritable, qui n'est pas non plus la sphère elle-même, ni quelque chose de différent de l'une et de l'autre. Il vit qu'elle est comme une image du soleil reflétée dans un miroir poli:

« mais cette image n'est pas le soleil, ni le miroir, ni quelque chose de différent de l'un et de l'autre. Il vit que cette essence atteint au plus haut degré de la félicité, de la joie, du contentement et de l'allégresse, par l'intuition de l'Essence du Véritable du Glorieux. »H.I.Y.P.93.

Cette théorie des sphères dans la tradition théosophique de l'Islam a été aussi développée par les « frères de la Pureté »


*(*) Les explications qu'ils donnent se retrouvent chez Ibn Sina comme le souligne Louis Gardet en disant que « les intellects, les Ames, et les corps des sphères célestes représentent pour Ibn Sina les êtres que les dogmatiques de l'islam appellent « anges »(...) Etre nécessaire ou premier, première intelligence séparée, première âme, on retrouve ainsi chez Ibn Sina comme une équivalence des hypostases néoplatoniciens. On y trouve encore, à chaque degré d'émanation, la constante triade: intelligence, Ame et corps de la sphère céleste. »(16)

C'est ainsi que depuis les frères de la Pureté jusqu'à Ibn thophaïl, cette notion de sphères a fait son chemin en conservant le sens que Platon avait développé. Mais le récit initiatique a pu développer cette triade en lui donnant d'autres aspects qui coïncident mieux avec la littérature et ses exigences: l'espace, le temps et le personnage.

8-L'espace du récit initiatique:

L'espace du récit initiatique, nous l'annonçons déjà, est celui de la pensée de l'auteur et quête de la vérité absolue. Cependant, puisqu'il s'agit ici d'un récit de fiction, nous ne pouvons concevoir cet espace en dehors du langage et donc de la narration. Ibn thophaïl venait de sortir de l'espace de sa propre initiation pour rejoindre celui de l'écriture initiatique. Il s'engage à conduire son lecteur par les chemins qu'il a parcourus tout en lui laissant la porte ouverte de la spéculation intuitive, il lui dit: « si nous te présentions les derniers résultats auxquels nous sommes parvenus dans cette voie sans y assurer au préalable tes premiers pas, cela ne te sera pas très utile qu'un précepte traditionnel sommairement énoncé, et il en sera de même si tu nous donnais, toi, ton approbation à cause de notre intime amitié, et non parce que notre doctrine mérite l'attention. Mais nous, nous ne nous contentons pas pour toit de ce niveau, et nous ne serons satisfaits que si tu t'élèves plus haut; car il n'assure pas le salut ni, à plus forte raison, l'accès aux degrés suprêmes. Nous voulons te faire suivre les chemins que nous avons suivis avant toi, te faire nager dans la mer que nous avons déjà traversée, afin que tu arrives où nous sommes nous-mêmes arrivés, que tu vois ce que nous avons nous-mêmes vu, que tu constates par toi même tout ce que nous avons constaté, et que tu puisses te dispenser d'asservir ta connaissance à la nôtre» H.I.Y.P.17.

C'est donc l'espace de l'expérience mystique que notre auteur a vécue qui est redéployé dans son récit mais en prenant comme outil le verbe. Comme dans tous les romans c'est la description qui permet à l'espace romanesque de surgir du langage. Pour le romancier, décrire c'est à la fois écrire et choisir. Parmi les différentes possibilités techniques qui s'offrent à lui, nous retenons pour le besoin de notre cause le schéma descriptif étudié par Michel Strogoff (17):

Le type de description de l'espace romanesque requiert un personnage susceptible de voir quelque chose à partir du lieu du dire fictionnel. Cet espace sera la conjugaison d'un personnage, d'un lieu du dire et d'un objet à décrire. Le personnage est Hayy, le lieu du dire est le mythe et l'objet à décrire est ce « quelque chose » qui a quitté le corps de la gazelle (l'âme).

Quant à l'espace où évolue le personnage, c'est à dire l'île du Waqwaq, nous le considérons comme le prétexte à l'espace véritable de l'initiation.

Il ne servira à rien de faire toute la description des espaces ou se meut notre héros puisqu'ils ne rendent pas compte de l'intention et n'accomplissent pas les clauses du contrat de l'initiation.

Le seul véritable espace qu'il nous faut donc étudier c'est celui de la tradition théosophique de l'islam car nous le voyons actualisé dans le récit d'Ibn Thophaïl par l'intermédiaire de cette nouvelle forme autobiographique que nous avons nommé autopsychégraphie .

Etudier l'espace de l'âme n'est pas une chose si simple lorsque l'on veut appliquer quelques méthodes d'analyse littéraire ( lieux, déplacements, objets à décrire, verbes de mouvement, cadre de la description etc ...).

Concernant le récit initiatique dans la tradition théosophique de l'Islam nous parlerons plutôt de regards, » nadhra »: regard intérieur, regard extérieur, syncrétisme, association , dissociation, endotopie, exotopie et enfin endochronie et exochronie.

8-1. Le regard intérieur.

Toute les traditions théosophiques des religions monothéistes ou animistes évoquent cette notion de regard intérieur lorsqu'il s'agit des contemplations de l'âme. Cette faculté de pouvoir percevoir les lumières de son propre esprit à été constamment rapportée par toute les études philosophiques antérieures. A ce sujet, la philosophie éternelle « philosophia perrennis » nous dit que les rites, les sacrements, les cérémonies, les liturgies; tout cela fait partie du culte public. Ce sont des procédés au moyen desquels les membres individuels d'une assemblée de fidèles se voient rappeler la véritable nature des choses et leur rapport, convenables, les uns envers les autres, envers l'univers et Dieu.

Quant à Ibn Thophaïl , son regard intérieur est celui de son narrateur. L'espace de son champ d'investigation est aussi bien mental que métaphysique, comme l'a fort remarqué Roland Bourneuf:

«  l'espace dans un roman est plus que la somme des lieux décrits »(18).

Les lieux décrits dans le récit de Hayy sont ceux des stations de contemplation du narrateur omnipotent, omniscient et omniprésent, en fait, le Dieu caché . Tantôt c'est le regard intérieur, et c'est le monde divin qui surgit dans la narration, et tantôt, c'est le regard extérieur, et c'est le monde sensible des choses qui resurgit dans le récit:

« Outre cet essence en proie aux tourments, il vit d'autres essences apparaître puis s'évanouir, se former puis se dissoudre. Il s'y arrêta longuement, les considérant avec soin, et il vit une immense terreur, de vastes choses, une insufflation, production et destruction. Mais il ne fût pas longtemps sans reprendre ses sens: il se réveilla de cet état qui était semblable à la pâmoison, son pied glissa de cette station, le monde sensible lui apparût et le monde divin disparut; car ils ne peuvent être réunis dans un même état d'âme. Le monde d'ici bas et l'autre monde sont comme deux co-épouses: tu ne peux satisfaire l'un sans irriter l'autre» (.H.I.Y.P.96).

Ce passage que l'étude de Léon Gauthier considère comme la plus difficile et qui tente d'expliquer en introduisant la notion de métempsychose est en fait la structure maîtresse de l'oeuvre. Il fonctionne en métatexte duquel émanent deux types de phénotextes à deux niveaux: Le niveau de la diégèse, l'histoire de Hayy Ibn Yaqdnan, sa naissance, son évolution dans le monde animal, ses perceptions des fonctions naturelles et surnaturelles; et Le niveau de l'initiation théosophique et par conséquent les enseignements du soufisme que l'auteur a hérités de ses prédécesseurs dont Ibn Sina, Ibn Baja, et Ibn Rochd ( Averroès).

La notion de regard ou focalisation dans l'espace de l'écriture initiatique dans le récit de Hayy pose une problématique sérieuse de l'espace-temps du roman. Le narrateur fait évoluer son personnage Hayy dans un enclos réduit; l'île de Waqwaq, lieu mythique dans la tradition théosophique, elle matérialise le lieu idéal d'où émane la vie et survient la mort. tandis que l'espace de l'initiation va et vient entre l'oralité et l'écriture.

L'oralité, puisque l'auteur nous raconte ce que ses prédécesseurs ont rapporté au sujet de la naissance de Hayy, « Nos vertueux prédécesseurs rapportent (Dieu soit satisfait d'eux) que parmi les îles de l'Inde situées dans l'équateur, il y en a une qui est l'île ou l'Homme naît sans mère ni père. ( P.18). Par cette formule d'envoi du récit, nous sommes tenté de croire qu'il s'agit d'un conte émergeant de l'oralité, mais dés que nous avançons dans la lecture, ce qui apparemment devrait être un conte prend l'allure d'un roman à thèse:

«  cette assertion, à vrais dire, est en opposition professée par la plupart des philosophes et des grands médecins. » ( P.18)

Cependant comment soutenir une thèse théosophique à partir d'un espace mythique?

Todorov nous réconforte en disant que «  tout récit est un mouvement entre des équilibres semblables mais non identiques ». Il ne s'agit pas ici de l'équilibre entre l'incipit ( début du texte) et l'explicit (fin du texte) mais entre deux genres associés ou même enchâssés: le conte et le récit initiatique. Par conséquent quel espace faut-il étudier? Celui du conte ou du récit initiatique?

C'est l' espace de la création littéraire au rythme des contraintes du langage ou « de la recherche d'un lieu de convergence au fond de l'Homme, d'une source commune, d'une terre partagée » pour emprunter cette phrase d'André chedid.

Pour notre part, l'espace du récit initiatique est celui des mots qui rendent compte du sens de la quête:

«  il concentra uniquement ses réflexions sur cette choses, ce demandait ce qu'elle était, comment elle était, qu'est-ce qu'il l'avait attachée à ce corps, où elle s'en était allée, par quelle issue elle était passée quand elle était sortie du corps, quelle cause l'avait chassée, au cas ou son départ avait eu lieu par contrainte, ou bien quelle cause lui avait rendu le corps odieux pour quelle s'en séparât, au cas ou son départ aurait été volontaire. il se répandit en réflexion sur toutes ces questions, oubliant le corps et l'écartant de ses pensées. H.I.Y.P.37.

Ce passage nous le montre bien, l'espace de la quête ne peut être que mental et sur le plan lexical nous voyons se déployer un champ ou les verbes ( prédicats) sont de l'ordre du savoir et non du faire: «  puis il continua de méditer » (p.36), «  il voyait que ... et croyait qu'il .. »(p.36) « enfin, ce grand amour que lui inspirait la merveille de ses effets et la grandeur de sa puissance l'induisait à penser que ... » (p39) et encore plus loin vers l'explicit, lorsque le narrateur fait intervenir le deuxième personnage açal qui découvrit le solitaire dans l'île et lui fait apprendre le langage des hommes, celui-ci se cantonna dans son espace initial ( le regard intérieur) faisant récurrence au monde du narrateur de l'incipit. Açal se mit donc à lui enseigner d'abord le langage. Il lui montrait les objets même en prononçant leurs noms; il les lui répétait en l'invitant à les prononcer. Celui-ci les prononçait à son tour en les montrant. Il arriva de la sorte à lui enseigner tous les noms, et progressivement, il parvint, en un temps très court, à le mettre en état de parler.Açal se mit alors à l'interroger sur lui, sur l'endroit d'où il était venu. » (p107)

Cet univers de questions ontologiques que l'on retrouve tout au long du récit, de la quête, est un des aspects le plus fondamental de la diégèse initiatique.

Ce qui nous laisse croire que la fonction initiale du récit initiatique est essentiellement cognitive. L'histoire racontée, comme performance réalisée par le narrateur s'installe sur trois programmes différents:

1- satisfaire la demande du « Mourid »,narrataire néophyte

2- obéir aux nécessités de la situation narrative (tristesse, douleur de la séparation et quête de cette chose qui quitta le corps de la gazelle)

3- dire la vérité en soutenant la thèse de l'unicité et l'éternité du monde.

L'exploitation de l' espace intérieur du regard, nous l'avons vu, releve de la permanence cognitive du narrateur-initié; le récit prend en compte une des manifestations du comportement de Hayy dans une situation de quête de l'absence. Il s'agit par conséquent d'une permanence puisqu'elle aboutit à la communication du savoir ontologique. Ici la gazelle est le sujet- opérateur de la performance pragmatique à interpréter ( l'absence de vie) et les narrataires sont les destinataires du savoir communiqué.

8-2-Le regard extérieur.

Le regard extérieur fonctionne dans le récit initiatique comme une valeur de vérification c'est à dire que le narrateur vérifie les états conjoints (découvertes intuitives) en les confrontant à l'espace des autres: les hommes de l'île voisine qui découvrirent à leur tour la personne de Hayy et les enseignements qu'il leur donna afin de les introduire dans son espace intérieur. lorsque Hayy Ibn Yaqdhân entreprit donc de les instruire et de leur révéler les secrets de la sagesse il comprit que leur espace était à un niveau bien différent du sien car, «  à peine s'était-il élevé quelque peu au-dessus su sens exotérique pour aborder certaines vérités contraires à leurs préjugés, ils commencèrent à se retirer de lui: leurs âmes répugnaient aux doctrines qu'il apportait, et ils s'irritaient en leurs coeurs contre lui, bien qu'ils fissent bon visage par courtoisie vis-à-vis d'un étranger et égard de leur ami Açal. Hayy Ibn Yaqdhan ne cessa d'en bien user avec eux nuit et jour et de leur découvrir la vérité dans l'intimité et en public. Il n'aboutissait qu'à les rebuter et à les effaroucher davantage. Pourtant, ils étaient amis du bien et désireux du vrai; mais par suite de leur infirmité naturelle, ils ne poursuivaient pas le vrai par la voie requise, ne le prenant pas du coté qu'il fallait, et au lieu de s'adresser à la bonne porte, ils cherchaient à la connaître par la voie des autorités. Il désespéra de les corriger et perdit tout espoir de les corriger» H.I.Y.P.110.

La confrontation des deux regards (interieur et exterieur) transforme l'espace narratif en un espace discursif conflictuel. La composante discursive du récit qui s'organise autour d'un «  je », « ici »; et « maintenant » et qui a permis au narrateur de s'éclipser au profit de l'auteur, Ibn Thophaïl ayant étalé ses connaissances doctrinales sous prétexte de raconter le mythe de l'Homme solitaire va laisser la place désormais à l'anti-personnage, celui qui incarne les contrevérités nécessaires à la survie du récit au-delà de son achèvement. Notons que l'anti-personnage n'est pas forcément explicite dans le récit, il est l'ensemble des structures narratives se posant en contre vérité du discours ésotérique du narrateur initié.

L'agent opérateur du contre discours est le regard duel du narrateur. Il est tantôt l'un ( l'ésotérique), tantôt l'autre (l'exotérique). Il est en fait le dilemme de la narration dans la narration et c'est un des aspects du récit initiatique puisque les deux forces opposées sont en perpétuel conflit. Dans la tradition théosophique de l'islam, Ibn Thophaïl nous dit sous une forme plus métaphorique que « le monde d'ici bas et l'autre monde sont comme deux co-épouses: tu ne peux pas satisfaire l'une sans irriter l'autre » (p.96).

Le regard intérieur et celui extérieur sont les deux faces d'une même réalité sauf que le récit initiatique tend à focaliser la quête dans l'espace du 1/3 exclus puisque le personnage de Hayy Ibn Yaqdnân va revenir à son état initial loin des hommes:

«  ils leur dirent adieu tous les deux, les quittèrent, et attendirent patiemment l'occasion de retourner dans leur île. Enfin Dieu, Puissant le Grand, leur facilita la traversée. Hayy Ibn Yaqdnân s'efforça de revenir à sa station sublime par les mêmes moyens qu'autrefois. Il ne tarda pas à réussir; et Açal l'imita si bien qu'il atteignit presque au même niveau. Et ils adorèrent Dieu tous les deux dans cette île jusqu'à leur mort. « H.I.Y.P.113

L'espace de l'autre a bien opéré la véridiction du discours initial ( le regard intérieur) et la fusion ambiguë des deux regards permettra la réalisation du syncrétisme dont nous avions parlé plus haut.

8-3-Du syncrétisme.

Cette notion que nous allons étudier est l'étage terminal à quoi aspire tout initié dans la voie du soufisme. Nous l'avons appelé syncrétisme puisque il signifie pour le non initié une perception globale et confuse des vérités supérieures. Chez l'enfant c'est son regard premier d'où émergent ensuite des objets distinctement perçus. concernant le récit initiatique, il est cette fusion entre le regard intérieur et le regard extérieur que nous avons étudié plus haut. Dans la tradition théosophique de l'Islam, il rend compte de cet état de fusion de l'être contingent avec l'idée de Dieu et de l'Absolu. Nous sommes là renvoyés à la philosophie panthéiste et néoplatonicienne de l'idée de l'Absolu.

Le commentaire de Moïse de Narbonne sur le Hayy nous explique que:

« cette question des intellects séparés est traitée par Averroès dans son grand commentaire sur la Métaphysique mais aussi, et de façon significative, dans son « épilobe » du même livre d'Aristote. Ce thème revêt une importance particulière puisque pour Narboni que pour son inspirateur musulman, Averroès, Dieu est le premier des intellects. Et le monde ne serait qu'une sorte de calque, de fantôme sans vie, si Dieu cessait de le maintenir dans l'être. C'est d'ailleurs à juste titre que Charles Touati a écrit que Dieu était, dans la pensée de Narboni, l'Archétype intelligible du monde.

L'Homme participe lui aussi de ce niveau ontologique supérieur, en prenant un soin particulier de son intellect qui est la partie immortelle de son âme. C'est par celle-ci que s'effectue l'intellection de l'intelligible et, par suite, la conjonction avec l'intellect agent.»(19)

Concernant notre corpus, notre grille de lecture, et afin d'étudier nos corpus suivants, les différents récits initiatiques dans la tradition théosophique de l'Islam, nous devons mettre en garde notre lecteur que le récit n'initie personne à l'exception de l'écriture qui se tente dans l'appréhension de la parole initiatique. Quant à la vérité de Dieu, elle est beaucoup plus complexe que le récit même.

Ibn thophaïl nous dit: « que cette vérité dont il avait établi l'évidence, que l'essence du Véritables Puissant et Grand, n'admet aucune espèce de multiplicité, que la connaissance qu'il a de l'essence est son essence même; d'où résulte nécessairement que celui qui arrive à posséder la connaissance de son essence possède son essence »H.I.Y.P.89.

Nous voyons que là, dans ce passage, résulte toute la différence entre l'expérience mystique et le récit initiatique puisque notre auteur confirme que la seule connaissance de l'essence donne droit à l'initiation vers des vérités plus supérieures.

Toute lecture est essentiellement syncrétique avant d'être différentielle: le lecteur associe son entendement à celui du narrateur, la signification de son acte de lecture est un procédé lent et en assimilation et c'est pour cette raison que le narrateur utilise souvent la fonction conative: « n'attache donc point ton coeur à la description d'une chose que ne peut se représenter un coeur humain. Car beaucoup de choses que se représente le coeur humain sont difficiles à décrire; mais combien l'est davantage une chose que le coeur, par aucune voie, ne saurait arriver à se représenter, qui n'appartient pas au même monde que lui, qui ne s'est jamais représenté au coeur d'un mortel »(p.8) .

Puis il dit plus loin utilisant cette même fonction: « si tu es de ceux qui se contentent de ce genre d'allusions et d'indications en ce qui concerne les choses du monde divin, et si tu n'attribues pas aux expressions que nous appliquons aux intelligibles la signification que l'usage courant leur attribue, nous te dirons encore quelque chose de ce que perçut Hayy Ibn Yaqdhân dans la station, mentionnée précédemment, de ceux qui possèdent la vérité »(p.91).

Et c'est ainsi que procède le narrateur à chaque fois que le sens voulu est ambigu de part les mots ou les significations conventionnelles.

Ce que l'initié perçoit en syncrétisme, le narrateur-initiateur se doit de le décrire d'abord dans sa globalité par fidélité à l'auteur, ensuite le différencier dans/ par le langage conventionnel. Autrement l'écriture de l'initiation n'aura plus raison d'être puisque le récit s'adresse plus particulièrement aux non-initiés qui n'ont aucune notion de la théosophie musulmane, surtout que l'expérience de notre auteur est unique dans son genre.

Ibn thophaïl s'engageait par son roman dans le défi du siècle puisqu'il avait lui même dit que «ce récit comprend beaucoup de choses qui ne se trouvent dans aucun écrit et qu'on ne peut entendre dans aucun des écrits oraux qui ont cours, il relève de la science cachée que seuls sont capables de recevoir ceux qui ont la connaissance de Dieu et que seuls ignorent ceux qui méconnaissent Dieu »(p.113).

Puis précise son statut dans la voie du mysticisme où il s'est considéré comme ayant entravé les lois du secret:

« nous nous sommes écartés en le publiant, de la ligne de conduite suivie par nos prédécesseurs et nos vertueux ancêtres, qui étaient jaloux d'un tel secret et s'en montraient avares. »(p.113)

Nous avons dit plus haut que le narrateur-initié se devait de rentrer dans l'espace des autres pour se transposer du syncrétique au différentiel. Son regard extérieur est en fait le regard extérieur de l'autre et là, repose toute l'ambiguïté du récit initiatique puisqu'il se doit de rendre compte d'une expérience mystique proprement personnelle donc de type ésotérique et univoque mais la soumettre au jugement de l'écriture en utilisant les mots de l'autre. Or les mots de l'autre n'ont rien d'ésotérique car les sens conventionnels empêchent les sens ésotériques d'atteindre l'entendement des narrataires et encore plus des lecteurs demandeurs d'initiation que l'on a appelé les lecteurs désirables par rapport aux lecteurs non désirables.

Dans la tradition théosophique de l'Islam, le regard extérieur est appelé « al ghaïr » c'est à dire littéralement « ce qui n'est pas »; on dira « hada ghaïr haq » c'est à dire « cela n'est pas une vérité » ou « cela n'est pas vrai ». Par conséquent le regard extérieur est ce qui n'est pas par rapport à ce qui est vraiment. Donc la fonction du récit initiatique est de différencier entre ce qui est évident dans l'espace de l'initiation selon la manipulation du narrateur, et ce qui est autre par rapport au 1/3 exclus.

9-La dichotomie être- essentiel/être- accidentel.

Pour une meilleur compréhension du genre initiatique, il est nécessaire de souligner cette dichotomie entre l'être essentiel et l'être accidentel ou contingent. En effet, il y a lieu de revenir sur cette question fondamentale afin de désambiguiser cette dualité omniprésente dans quasi tous les récits initiatiques: Dieu/Homme.

A Dieu, il est unanimement reconnu dans toutes les traditions monothéistes la primordialité, il est la cause première de toute cause sans qu'il ne soit soumis à une première cause. De cette primordialité sans cause découlent toutes les vérités premières; par conséquent, toute écriture initiatique tend à rejoindre l'idée de la cause première point causée. Dans notre corpus, c'est tout d'abord ce quelque chose qui a quitté la corps de la gazelle qui n'était pour lui qu'un instrument Ce corps dans son ensemble n'était pour cette chose-là que comme un instrument, comparable au bâton que lui même s'était fait pour combattre les bêtes. Alors, son affection se détourna du corps pour se porter sur le maître et monteur du corps, et il n'eut plus d'amour que pour lui seul.

Depuis la fin du cycle de la corporéité, le récit va tendre de cette unité de sens ( la chose) vers une pluralité lexico-sémantique: Les manifestations internes et externes. Cette unité sera associée à l'être essentiel et ses différentes manifestations à l'être accidentel ou temporel. Les différents champs lexico-sémantiques qui fonctionnent dans la récit comme des unités transformatives sont:

L'association vs dissociation, l'endotopie vs exotopie, et l'endochronie vs exochronie. Nous avons, pour le besoin de notre cause, installé ces concepts que nous définirons dans leur contexte puisque nous avons trouvé nécessaire de leur donner les fonctions disjonctives et conjonctives du sujet en quête de son obhjet.

Rappelons qu'ici, le sujet c'est Hayy en quête de son sujet: l'âme. C'est que ce qui nous permettra de tenter la dichotomie Etre essentiel/ être accidentel ou temporel.

En effet, le récit initiatique dans la tradition théosophique de l'islam développe surtout cette dualité Dieu-Homme et tend en fin de parcours à associer l'idée de la création à celle de Dieu, à la manière platonicienne.

Au niveau de l'écriture, la première relation disjonctive entre le sujet et l'objet est introduite par cette transformation narrative: «  sur ces entrefaites, le corps commença à se corrompre et à exhaler des odeurs repoussantes. L'éloignement qu'il éprouvait pour lui s'en accrut, et il souhaitait de ne plus le voir; » (p.37)

Cette dissociation que nous avons appelé disjonction pour rejoindre la méthode sémiotique des analyses en narratologie, va être la point de départ d'une série de transformations narratives; la quête se déplaçant à chaque fois d'un niveau à un autre dans une sorte d'entropie actancielle: les actants opérateurs des transformations narratives: la corporéité, le feu, les lumières, les sphères etc...., perdent leur substance au profit d'une substance supérieure jusqu'à épuisement des mots de la langue: «  pour moi, je prie mes frères qui liront ce traité de recevoir mes excuses pour ma liberté dans l'exposition et dans la démonstration. Je ne suis tombé dans ces défauts que parce que je m'élevais à des hauteurs ou le regard ne saurait atteindre, et voulais en donner par le langage, des notions approximatives, afin d'inspirer un ardent désir d'entrer dans la voie ». (P.114)

Voilà toute la problématique de la dichotomie de l'Etre essentiel/ l'être accidentel ou temporel. il nous appartient donc de dire que la véritable problématique réside dans la dichotomie compétence/performance puisqu'il s'agit d'utiliser les compétences de la langue, de tendre vers ses performances afin de rendre compte d'une vision extatique et stoïque de l'univers. N'est-ce pas là la thèse du récit impossible?

9-1-L'association vs la dissociation.

Il s'agit là tout d'abord d'étudier l'association de la langue avec l'idée de la quête de l'âme et ensuite l'association de la dualité Dieu-Homme avec l'unité «Dieu-lui-même. »

Concernant l'idée de l'unité et du multiple qui organise le rapport entre l'essence et l'accident ou le temporaire, la philosophie des «  frères de la pureté » nous dit que :

  « le Un est l'origine, la source, le début, le principe, le point de départ, la cause du nombre, de même que Dieu l'est pour les êtres créés .Si Dieu est autre que l'existence, c'est que c'est lui qui donne l'existence aux choses, comme le un aux nombres » (20).

Etudiant tout d'abord comment le narrateur est arrivé par son faire persuasif à développer l'idée de la dissociation. Nous avons déjà dit que la première disjonction entre l'objet (la corporéité) et le sujet ( Hayy) s'est opérée avec la séquence de la mort de la gazelle puisque le corps exhalait une odeur repoussante et n'intéressait plus Hayy.

De là, l'idée du périssable va toujours fonctionner comme un agent opérateur des transformations narratives et progressivement mettre un nouveau programme narrative, celui de la dualité unité vs pluralité.

Le passage le plus significatif de cette dualité est le suivant:

«  puis il examina soigneusement tous les corps, vivants ou inanimés dans lequel il voyait tantôt une seule chose, tantôt une multiplicité infinie; et il s'aperçoit que chacun d'entre eux est indéfectiblement pourvu de l'une des deux tendances suivantes: ou bien il tend vers le haut, tels sont la fumée, la flamme, l'air quand il se trouve sous l'eau; ou bien il tend vers la direction contraire, c'est-à-dire vers le bas; tels sont l'eau, des fragments de terre, des fragment de végétal ou d'animal (....) il examina de même tous les corps, soit inanimés soit vivants, et vit que l'essence des uns et des autres est composé de l'attribut corporéité, que cette autre chose soit unique ou multiple; et ainsi les formes du corps lui apparurent dans leur diversité. Ce fut pour lui la première apparition du monde spirituel » (p.50)

Remarquons que la dualité unité/multiplicité qui se développe dans notre grille de lecture, nous allons la retrouver tout au long des différents récits initiatiques que nous étudierons dans notre deuxième partie. Soulignons tout d'abord que cette dualité se manifestera sous forme de dialogues ente les initiés et les autres voix de l'initiation ( la vérité,Dieu, la Cité éternelle).

A titre d'exemple, le personnage de Samba Diallo dans le récit de Hamidou Kane dialogue avec la divinité qu'il a atteinte:

«  tout prés une voix me parla »;

- Ma présence maintenant te trouble. Délicieux accueil que fait la vallée desséchée au flot revenu. je suis prêt.

As-tu la paix?

- Je n'ai pas la paix. Je t'ai attendu longtemps.

- tu sais que je suis l'ombre.

- J'ai choisi. Je t'ai choisi, mon frère d'ombre et de paix. Je t'attendais. »(21)

Nous verrons que le dialogue dans le récit initiatique est essentiellement un pur monologue puisque tous les personnage qui agissent dans le récit sont des manifestations multiples des différentes voix du narrateur initié. Chacune de ses idées est un actant qui, soit s'exprime en personnage, soit en séquences narratives.

La matérialisation d'une pensée mystique ne peut s'exprimer que sous forme de monologue puisque le narrateur s'adresse avant tout à lui même sachant que le discours du 1/3 exclus évacue aussi bien le narrataire que le profane. C'est un des aspects qui font que le récit initiatique est muet sur le plan du discours exotérique mais significatif sur le plan du discours ésotérique. Or la signification d'une oeuvre initiatique en littérature n'est concevable linguistiquement que si elle est étudiée sur le plan rhétorique ou/et métaphorique.

Pour cette raison, le concept de dissociation ou de la dichotomie corps-âme trouve son champ sémantique au fur et à mesure que la quête du récit résorbe les substances initiales au profit des substances de l'initiation. Nous trouvons que le narrateur utilise le champ sémantique de l'entropie:

« s'il arrive, enfin, que cette forme, dans l'homme, prenne de la force au point que toutes les autres formes s'évanouissent devant elle, et qu'elle demeure seule, consumant de son auguste splendeur tout ce qu'elle atteint(...) »p.25, « la chaleur ayant pour effet pour effet de décomposer et de détruire les humeurs, cet organe (le coeur) avait besoin de quelque chose qui l'entretînt, le nourrît, et lui restituât continuellement ce qui perdait; sans quoi il ne pouvait subsister. »p.27.

Enfin le passage que nous allons citer nous montre comment le narrateur parvient à maîtriser ces concepts et à faire parvenir sa quête à l'idée de l'essence de Dieu:

« En ce qui concerne les attributs affirmatifs ou positifs, sachant qu'ils reviennent tous à son essence même et qu'ils ne contiennent aucune espèce de multiplicité, puisque la multiplicité est un attribut des corps, sachant d'autre part que la connaissance qu'il a de son essence n'est pas une notion surajoutée à son essence, mais que son essence est la connaissance qu'il a de son essence, et que la connaissance qu'il a de son essence est son essence, il comprit que s'il pouvait lui-même connaître l'essence divine, cette connaissance par laquelle il connaîtrait l'essence de Dieu ne serait pas une notion surajoutée à l'essence divine, mais qu'elle serait lui-même: et il vit que se rendre semblable à lui par les attributs affirmatifs, cela consistait à ne connaître que lui seul sans lui associer aucun attribut corporel. C'est à quoi il s'appliqua » P.85.

Par conséquent, la dissociation est une association de figures de styles où le narrateur omniprésent et omniscient utilise le champ sémantique de l'entropie pour faire associer la connaissance à l'essence de Dieu, le langage se substitue à Dieu puisque c'est lui qui opère l'initiation: les mots ont cette fonction angélique d'éterniser le sens de l'acte humain puisqu'ils sont à Dieu ce que la pensée est à l'homme.

Revenons à une idée opératrice du narrateur dans le récit initiatique à contenu théosophique: « celui qui a la connaissance de l'essence possède l'essence de Dieu» et soulignons que le principe fonctionnel de l'initiation par la littérature retient uniquement les procédés heuristiques de l'énonciation, le récit évacue l'imagination dans sa fonction de l'Univers et de l'existence.

C'est pour cette raison que la seule lecture du récit initiatique demeure celle qui rend compte de cette fonction heuristique du langage.

Dans la tradition de l'initiation, en particulier chez les grecs, les épreuves de mortification et les descentes en enfer constituent les procédés fonctionnels pour la libération de l'âme emprisonnée par l'égocentrisme passionnel. Dans la tradition théosophique de l'Islam, l'initiation se fait en particulier par le langage et les secrets des mots sont les clés de la connaissance puisque même les textes sacrés sont considérés comme le miracle du prophète qui nous dit que « tous les prophètes de Dieu ont leur miracle, le mien, c'est le Coran ».(hadith)

Par ce « hadith », tradition prophétique didactique orale, l'Islam entend redonner au langage sa fonction initiale: rendre compte des Vérités intuitives par la force des mots et la magie des métaphores. Soulignons ici que la métaphore est une image intuitive du sens ésotérique de la quête de Dieu, elle est sens générique d'où le langage puise sa détermination à s'imposer comme étant l'unique représentant de la vérité sur terre.

Nous savons que la fonction symbolique du langage est la seule capable de sauver l'écriture de la tautologie stérile puisque c'est elle qui donne à l'écriture cette évasion nécessaire et vitale. Faire venir « l'absent » dans une image mentale est là, tout l'art de la parole.

Le récit initiatique ne pourrait pas être si cette fonction n'existait pas. L'idée de l'âme trop abstraite et trop confuse ne serait pas exploitée par le narrateur si les outils métaphoriques opérateurs étaient absents.

Aussi la notion d'association Homme-Dieu est ici étroitement liée à la notion de l'espace initiatique; le topos, lieu de rencontre de l'idée de l'absolu avec celle du temporaire est une structure à deux face perpétuellement ensemble: l'endotopie et l'exotopie.

9-2-L'endotopie vs exotopie.

Nous avons délibérément installé ces deux concepts puisqu'ils répondent à notre démarche dans l'analyse du récit initiatique dans la tradition théosophique de l'Islam. Nous définissons le concept d'endotopie comme étant la manifestation de l'espace dans le langage et par le langage. L'initié perçoit le lieu du dire dans une structure d'énonciation où il en est la provenance et la destination, il est le point de départ et le point d'arrivée; la pensée est alors ésotérique. Par contre, la notion d'exotopie conçoit le lieu du dire comme étant extérieur à l'initié. C'est le monde des autres, leur lieu de référence, il en a besoin afin de conduire le narrataire par les chemins conventionnels du langage sinon l'exclusion est totale et le récit n'aura plus raison d'être.

Voici un passage où la structure narrative est endotopique:

« il comprit alors que s'il s'était mépris, il le devait à un reste de l'obscurité du corps, à une confusion venant des choses sensibles: car le beaucoup et le peu, l'un, l'unité et la pluralité, la réunion et la séparation sont autant de déterminations des corps: et ses essences séparées, qui connaissent l'essence du Véritable, Puissant et Grand, étant exemple de matière, on ne doit dire ni qu'elles sont plusieurs ni qu'elles sont un, parce que la pluralité ne vient que de la séparation numérique des essences l'une d'avec l'autre, l'unité, de même, n'existe que part la réunion, et rien de tout cela ne se comprend que dans les notions composées, mêlées de matières. Mais il devient ici très difficile de s'exprimer. Car si tu parles de ces essences séparées sous la forme du pluriel, comme nous le faisons en ce moment, cela donne à penser qu'elle ne font qu'un » H.I.Y.P.90.

Nous voyons donc dans ce passage que tout converge vers le corps et en est l'émanation. Ce jeu de l'un et du multiple est une stratégie narrative qui fait que le récit prend l'allure d'une quête de l'Absolu. Toutes les autres séquences ne sont que la récurrence de cette idée matricielle: Le temps et l'espace ne sont que dans le langage.

Ce dernier est le seul opérateur en état de possession du sens des perceptions du monde des images théosophiques. Mais le narrateur dit que « l'essence de cette sphère, essence séparée, a une perfection, une splendeur, une beauté trop grandes pour que la langue puisse les exprimer, trop subtiles pour revêtir la forme des lettres ou du son ».

Cette difficulté annoncée, cette impossibilité d'exprimer les images théosophiques pose ainsi, nous l'avions déjà souligné, toute la problématique de la valeur du récit initiatique puisqu'il n'initie pas à l'expérience mystique mais au langage des mystiques; or ce langage est purement allégorique et métaphorique, ce qui nous laisse croire que le récit a aussi une fonction subversive du langage puisqu'il déroute le sens conventionnel.

Nous avons relevé dans la tradition théosophique ces manifestations métaphoriques et allégoriques de l'endotopie; les poésies mystiques en sont les expressions les plus récurrentes:

« Dans la lune de l'obscurité brille la lumière du soleil.

Je suis de ses branches et il est de ma racine.

Nos intelligences, de l'amour enivrées,

nous feraient croire fous, pourtant fous nous ne sommes,

tu nous vois parmi les hommes, mais nous ne sommes pas ce que tu vois. Car par-delà les cimes les plus hautes, resplendissent nos esprits une intelligence nous est propre, joyau sans défaut.

Ne serait-ce qu'une lueur, c'est le lien qui relie. »(22).

Notons que dans ces vers mystiques, le topos de l'aimé se confond avec celui de l'amant « je suis de ses branches et il est de ma racine ». Cette structure narcissique énonce clairement le jeu de cette dualité que l'on retrouve dans tous les récit initiatiques à contenu théosophiques, l'objet de la quête devient le sujet et vice versa, on ne sait plus où est réellement le lieu du dire puisque le temps et l'essence se confondent dans l'acte de l'énonciation.

Cette manipulation du verbe intensif rejoint toute manipulation par les sectes des discours suggestifs de conversion. En effet, la magie des mots et le charisme des gourous donnent au langage une autre fonction, celle de la marginalisation surtout lorsqu'elle prétend libérer l'homme de ce monde d'ici-bas et de l'emporter dans une dimension où il se considère comme supérieur au commun des mortels.

Certes, nous ne pouvons pas ici faire une analogie entre le récit initiatique et l'initiation dans les sectes puisque les procédés sont différents: les uns manipulent les esprits, les autres le langage mais dans le fond, la démarche est similaire; elle interpelle l'angoisse existentielle comme le souligne J.Chevrier dans la couverture de l'oeuvre de Cheikh Hamidou KANE, « l'Aventure Ambiguë »

«  L'aventure ambiguë, histoire d'un itinéraire spirituel, porte un sous-titre récit.Ce qui frappe le lecteur de ce livre, c'est le classicisme dû autant à la retenue du ton qu'à la portée universelle de la réflexion philosophique. Sans doute l'auteur oppose-t-il à la pensée technique de l'occident, essentiellement tournée vers l'action, la pensée de l'Islam, repliée sur elle même, mais au-delà de cette confrontation c'est finalement le problème de l'existence qui est posé. On voit par là comment Cheikh Hamidou Kane, échappant à la donnée temporelle et politique de son sujet, l'angoisse d'être noir, débouche sue une réflexion qui nous concerne tous: l'angoisse d'être homme ».(23).

Par conséquent, l'aspect endotopique du dire possède une fonction spécifique dans le récit initiatique: celle de valoriser l'angoisse existentielle et de lui donner une fonction didactique: la peur est protectrice et salvatrice. Que seront les sciences des hommes et toutes les découvertes de l'humanité si cette angoisse n'avait pas joué son rôle dans la conservation de espèce humaine. Il appartient donc aussi au langage de permettre à l'homme de connaître la valeur des mots afin d'exorciser cette peur de l'absolu, le récit initiatique en est l'expression la plus complète et la plus complexe.

Si L'angoisse est existentielle c'est parce que le narrateur initié ressent en lui tout l'espace de l'existence de la même manière de celui qui dit « je sens le monde en moi » comme s'il voulait avouer qu'il ressent la lourde responsabilité des hommes. Ce fût aussi le cas de tous les prophètes de Dieu et en particulier les Saints-initiés qui ressentent leur corporéité spirituelle contenir toute l'existence puisqu'ils ont libéré leur âme et qu'elle s'est confondue avec celle de Dieu.

La tradition théosophique nous raconte que Bayezid avait accédé à cette station sublime de l'endotopie principielle où l'espace de Dieu est devenu son lieu du dire et sa convergence:

- Voici le récit initiatique de Bayezid rapporté par Farid-ud-Din'Attar Bayezid dit:(24)

« Lorsque le seigneur très haut, dans sa munificence et sa générosité, m'eut fait grand entre tous et m'eut élevé au rangs supérieur, il éclaira de ses rayons tous mon être extérieur et intérieur, me dévoila tous ses mystères et manifesta dans ma personne toute sa grandeur. Alors, venant à le contempler avec ses yeux mêmes, je vis que ma lumière, comparée à la sienne, n'était que ténèbres et obscurité. De même ma grandeur et ma gloire n'étaient que néant devant sa grandeur et sa gloire. Puis, examinant avec l'oeil de la vérité tant d'actes de piétés et de fidélités à son service que j'avais accomplis, je reconnus que tous provenait de lui et non pas de moi - Mon Dieu, m'écriais-je, que signifie cela? - O Bayazid! me répondit-il, celui qui a accompli les actes de piété, celui qui m'a servi fidèlement, c'est bien toi; mais c'est moi qui t'ai accordé mon assistance, sans laquelle aucun de vous ne serait capable de me servir dignement. »

« quand le Seigneur très haut, anéantissant mon être périssable, m'eut fait participé à sa durée impérissable, la perspicacité de mon oeil infaillible se trouva accrue, considérant Dieu par l'oeil de Dieu, c'est par Dieu que je vis Dieu, et, me cantonnant dans la vérité, je demeurai calme et paisible. Je bouchai l'orifice de mon oreille, je rentrai ma langue dans ma bouche impuissante et je laissai là la science d'acquit que j'avais apprise des créatures.

Grâce à l'assistance du Seigneur très haut, j'éloignais de moi ma personne sensuelle, coutumière de frivolité, et le Seigneur, par une nouvelle faveur, me fit don de la science qui n'a pas eu de commencement. Par sa générosité il a placé dans ma bouche une langue capable de parler et il m'a donné un oeil émanant de sa lumière. Avec cet oeil j'ai pu discerner tous les êtres qui ont été créés. A l'aide de cette langue qui a poussé dans ma bouche par la munificence du Seigneur, lorsque j'ai parlé avec lui dans toute la ferveur d'un entretien secret, il m'est échu une part de sa science souveraine. »

« Lorsque j'ai regardé Dieu avec l'oeil que lui même m'a donné, un ordre suprême m'a été adressé: O Bayezid! nous venons de te donner ce degré sublime; mais n'abandonne jamais la loi écrite et n'en éloigne pas ton pied. Quant à nous, nous ne laisserons pas périr ta peine et nous tenons à te témoigner notre satisfaction. Puis, m'éclairant de sa lumière, il me débarrassa des ténèbres de ma personne sensuelle et me dit: « Demande ce que tu voudras. Mon Dieu, m'écriais-je, de toi je ne veux que toi; enlève de mon coeur ce qui n'est pas toi: alors le Seigneur posa sur ma tête le couronne du don des miracles; il me revêtit lui-même des habits de la grandeur suprême; m'ouvrit la porte de la proclamation de l'unité et me concéda le rang le plus élevé. Puis me faisant avaler le breuvage de sa grâce et de sa libéralité, il me donna une nouvelle vie.(...) voila comment ma langue procède de sa grâce, pourquoi mon oeil et mon coeur procèdent de sa lumière. Tout ce que je dis, je le dis avec son assistance; tout ce que je vois, c'est grâce à sa force que je le vois. C'est par lui que je suis vivant et que je ne serais jamais assujetti à la mort. Quelque chose que je dise, ce n'est pas de moi que je le dis, c'est lui qui fait tourner ma langue vers n'importe quelles paroles il veut. »

Bayezid disait: « Durant trente mille années je volais dans les espaces de l'unité de Dieu . Durant trente mille autres années je volais dans les espaces de son être. Durant trente mille autres années je volais dans les espaces de sa grandeur et de sa majesté. Quand j'eus volé de cette manière durant quatre- vingt- dix mille années, je me vis dans la première station des prophètes et j'y pris un essor qui ne pourrait se décrire. En ce moment je me dis: personne n'est arrivé plus haut que cela.(...) Ensuite mon âme traversa le monde invisible. On me montra le paradis et l'enfer; mais je ne fis attention à aucun des deux, et, de tout ce qu'on me fit voir, je n'eus la force de rien examiner. Chaque fois que j'arrivais à l'âme d'un prophète, je le saluais. Quand j'arrivais prés de l'âme de l'Envoyé, sur lui soit le salut! je vis cent mille mers de feu et mille portières de feu aux rideaux suspendus à la lumière. Si j'avais posé le pied sur une de ces mers j'aurais été entièrement consumé. Je restais frappé de terreur.Jusqu' à quand y aura-t-il entre toi et moi le « moi » et le « toi »? Supprime entre nous mon « moi »; fais qu'il devienne tout entier ton « toi » et ne soit plus mon « moi ». Mon Dieu, ajouta-t-il, si je suis avec toi, je vaux mieux que tous, et si je suis avec moi, je vaux moins que tous (...) ».

Nous avons rapporté ce récit et cette oraison de Bayezid presque dans sa totalité parce que cette attitude qu'a l'initié vis à vis de son moi et ses différentes mortifications sont récurrentes dans tous les récits initiatiques du moins dans la tradition théosophique de l'Islam.

Le rapport du « moi » et de «l' en soi sartrien » crée dans la littérature mystique et particulièrement dans le genre initiatique des possibilités narratives dont les transformations sont soumises à des contraintes sémantiques complexes. A titre d'exemple et en citant un passage du récit de Cheikh Hamidou Kane, l'Aventure ambiguë que nous prendrons comme corpus de vérification, nous verrons qu'il n'échappe pas à cette contrainte sémantique où le « moi » se perd dans le labyrinthe de » l' en soi  sartrien »:

« L'instant est le lit du fleuve de ma pensée. Les pulsations des instants ont le rythme des pulsations de la pensée; le souffle de la pensée se coule dans la sarbacane de l'instant. Dans la mer du temps, l'instant porte l'image du profil de l'homme, comme le reflet du kaïlcédrat sur la surface brillante de la lagune. Dans la forteresse de l'instant, l'homme, en vérité, est roi, car sa pensée est toute puissante, quand elle est. Où elle a passé, le pur azur cristal en formes. Vie de l'instant, vie sans âge de l'instant qui dure, dans l'envolée de ton élan indéfiniment l'homme se crée. Au coeur de l'instant voici que l'homme est immortel, car l'instant est infini, quand il est. La pureté de l'instant est faite de l'absence du temps. Vie de l'instant, vie sans âge de l'instant qui règne, dans l'arène lumineuse de ta durée, infiniment l'homme se déploie. La mer! Voici la mer! Salut à toi, sagesse retrouvée, ma victoire! la limpidité de ton flot est attente de mon regard. Je te regarde et du durcis dans l'être. Je n'ai pas de limite. Mer, la limpidité de ton flot est attente de mon regard. Je te regarde, et tu reluis, sans limites. Je te veux pour l'éternité, l'Aventure ambiguë P.190-191.

Nous voyons clairement dans se passage comment la notion d'endotopie et d'endochronie où le temps et l'espace se confondent dans un topos et où le narrateur initié réduit l'éternité au seul instant de cette fusion mystique.

Voici donc l'itinéraire initiatique de notre personnage matriciel Hayy. Nous n'avons pas épuisé toutes ses stations car elles sont multiples mais nous avons relevé, pour le besoin de notre cause, les plus importantes et les plus significatives. Celles qui nous permettrons dans un deuxième lieu, de mieux comprendre l'évolution de ce genre, le récit initiatique, dans la littérature africaine d'expression française et plus particulièrement d'auteurs à obédience soufi: Mohammed Dib et Cheikh Hamidou Kane. Le premier a tenté ses récits initiatiques sous les contraintes de la langue française et le second, dans l'univers mystique de l'oralité peule-africaine.

Nous étudierons la transformation de ce genre où la tradition théosophique de l'Islam s'est remise à la pensée anthropomorphique de l'Occident et où la Cité se substitue au mythe de la création.

Nous conclurons ce chapitre en disant que l'itinéraire initiatique de Hayy Ibn Yaqdhân provenant de cette angoisse existentielle provoquée par la mort de la gazelle qui l'avait adopté est multidimensionnel: Les différents parcours que la quête entreprend de la connaissance stoïque vont du statut primitif et animal de l'homme en passant par les différentes étapes de différenciation par rapport à l'animalité.

Rappelons que ce récit évolue dans la négation de l'anti-personnage: l'homme-cité. Cette thématique de l'homme-cité; nous allons la retrouver dans un des corpus de vérification que nous étudierons dans notre deuxième partie: Cours sur la rive sauvage de Mohammed Dib, un des volets de la « trilogie initiatique » : cours sur la rive sauvage (1964) la danse du roi (1968) et Dieu en Barbarie (1970)

Les valeurs religieuses vont subir une mutation linguistique où la création littéraire se substitue aux valeurs sacrées du verbe et le personnag matriciel subit une métamorphose aux emprises de l'homme-cité.Notes:

(1) Cheikh Hamidou Kane: l'Aventure ambiguë. Op, cité P.46

Nous soulignons que le récit initiatique dans la tradition théosophique de l'Islam intègre dans son discours plusieurs voix monothéistes. C'est ce qui fait son universalité ainsi que sa perméabilité religieuse. Le cas de Hayy Ibn Yaqdhân est unique dans son genre à s'intégrer dans l'espace judéo-chrétien. Nous en avions déjà parlé lorsque nous avions abordé les influences qui a pu exercer sur les quakers et sur la pensée de Narbonne dans son commentaire.

(2) Pour une définition du Personnage: l'exemple de Germinal cité par J.P. Goldenstein, pour lire le roman. OP. cité, P.46

Nous soulignons que le personnage du récit initiatique est caractérisé, non pas par la description que lui donne le narrateur, mais par le type de réflexion qu'il développe dans sa quête.

(3) Le concept d'homme biologique, nous le définissons ici par opposition à l'homme-cité. C'est l'être qui ne connaît pas encore la cité et qui n'a de rapport qu'avec son corps et ses intuitions naturelles.

(4) Dans la tradition théosophique de l'Islam, l'homme biologique correspond à la « fitra » c'est à dire la première essence de l'être. On peut aussi l'appeler Nature, la philosophie des « frères de la pureté » (ikhûan aç-çafâ) la définissent comme étant « la nature de la génération et de la corruption », « faculté naturelle qui agit sur le corps avec la permission de Dieu  » « Ame universelle » c'est ainsi que les philosophes nomment la Nature, remarquent les « frères de la pureté », qui, eux-mêmes l'appellent une fois « la nature active ». La  loi religieuse , elle, l'appelle « ange », l'un des anges soutenus », »l'un de ses serviteurs obéissants qui font ce qu'ils reçoivent d'ordre de le faire, qui ne désobéissent pas aux ordres de Dieu et le craignent ». Mais plus simplement, la Nature est « l'acte de l'Ame » comme l'intellect est l'acte de Dieu, et comme l'Ame est l'acte de l'intellect et l'âme est sa cause efficiente. Cité par Yves Marquet la philosophie des ikhuan aç-çafâ. OP. Cité, P.160.

(5) L'homme-cité est l'être qui est conditionné par les règles de la cité et non par la nature de son corps et des intuitions naturelles; c'est l'homo-économicus. C'est l'incarnation de l'esprit des lois qui régissent et partagent le pouvoir entre les hommes. C'est aussi l'homme-politique, celui qui pour des raisons idéologiques redéfinit le concept de la création en rendant ce qui appartient à Dieu et ce qui appartient à l'homme.

Dans la littérature mystique moderne et en particulier le récit initiatique, c'est le personnage qui descend dans l'enfer de la cité pour faire son initiation et en remonter illuminé par le besoin d'écrire car la seule lumière qu'il découvre est celle du langage.

(6) Tzvetan Todorov, poétique de la prose, nouvelles recherches sur le récit. OP. Cité, P.83

(7) Modèle établi par Jean-Michel ADAM, avec la collaboration de J.P. GOLDENSTEIN. Pour lire le roman. OP. Cité P.69.

(8) Ives Marquet, la philosophie des ikhuan aç-çafa. OP. Cité. P.85

(9) C.L. Strauss. Cité par Todorov, poétique de la prose. OP.Cité P.122.

(10) Ives Marquet, la philosophie de Ikhuân aç-çafa. OP. Cité P.73

(11) Max Scheler, le sens de la souffrance. Ed. Montaigne. Pari 1936. P.76

(12) Ives Marquet, la philosophie des Ikhuân aç-çafa; OP. Cité P.115

(13) Ibidem. P.115

(14) Ibidem. P.123

(15) Eva de Vitray Meyerovitch, anthologie du Soufisme. Col. Sindbad. Paris, 1978.P. 134

(16) Louis Gardet, la pensée religieuse d'Avicenne. Paris, J.Vrin 1951. P.35

(17) J.P. Goldeinstein, pour lire le roman. OP. Cité P.94

(18) Bourneuf Roland « l'organisation de l'espace dans le roman » études littéraires. Québec, les presses de l'université. Laval. 1970 pp. 77-94 cité par J.P. Goldeinstein, pour lire le roman; OP. Cité P.101

(19) Hayoun. Le commentaire de Moïse de Narbonne. OP. Cité P.68

(20) Ives Marquet, la philosophie des Ikhuân aç-çafa. OP. Cité P.61

(21) Cheikh Hamidou Kane, l'Aventure Ambiguë (roman) OP. Cité P.187

(22) Martin Lings, un saint musulman du vingtième siècle. OP. Cité P.247

(23) Cheikh Hamidou Kane, l'Aventure ambiguë. OP. Cité couverture du roman, texte de J. Chevrier.

(24) Farid-Ud-din Attar, le mémorial des saints. OP. Cité P.178.

Conclusion

Nous concluons cette première partie de notre étude des aspects et fonctions du récit initiatique dans la tradition théosophique de l'Islam en soulignant tout d'abord que notre grille de lecture, Hayy Ibn Yaqdhân d'Ibn Thophaïl est le genre initiatique par excellence puisqu'il rend compte des différentes stations de contemplation du narrateur-initié. Rappelons que nous avions choisi ce corpus parce que la tradition théosophique de l'Islam ne connaît que cette oeuvre écrite qui a survécu aux inquisitions menées contre les Soufis et que la religion orthodoxe a condamnées pour hérésie et blasphème. Nous avions déjà évoqué les sentences de mort prononcées contre El-Hallaj et El-Schahrawardi sans omettre ceux qui se sont vus exilés par la Doxa religieuse. Même Ibn thophaïl, notre auteur dût s'exiler à Marrakech où il mourût.

La pensée néoplatonicienne dans le discours mystique a survécu elle aussi et ceci grâce à l'écriture des expériences mystiques de notre auteur et plus tard du grand maître de l'ésotérisme Muhyî al-dîn Ibn Arabî né à Murcie le 2ème ramadan 560/7, Août 1165 et mort à Damas le 28 rabî' 11, 638/16 novembre 1240.

Quant à notre intention de considérer cette oeuvre comme une grille de lecture du récit initiatique, elle nous a été dictée par notre souci de désambiguiser l'écriture initiatique de certains auteurs musulmans d'expression française. L'univers discursif dans lequel évoluent les personnages respectifs de Mohammed Dib et Cheikh Hamidou Kane en l'occurrence Iven Zohar et Samba Diallo est le même univers théosophique de Hayy Ibn Yaqdhân mais l'écriture s'est transposée du mythe de la création à la seule création littéraire. L'instance narrative de la tradition théosophique conserve son statut dans l'écriture moderne de l'initiation mais le « je » du Narrateur-auteur émerge d'une histoire récente où la langue française va opérer une véritable métamorphose des personnages en quête de la même vérité ontologique développée dans notre premier corpus.

Concernant Mohammed Dib, il déclara lui-même dans une interview accordée à Eric Sellin que son cheminement l'a mené vers « autre chose ». « L'écriture vous transforme », dit-il. « Pendant que vous écrivez vous devenez un autre. », « Je suis passé d'une attitude rationaliste, positive ». Faisant référence à ses premiers romans et en particulier sa première trilogie, « à une attitude progressivement relativiste (...) J'ai choisi le caractère aléatoire de toute chose » cela suppose dit Mohammed Dib, « une évolution spirituelle ».

Or la spiritualité d'un chrétien de foi catholique n'est pas la même que chez un musulman sunnite. Mohammed Dib dont nous connaissons l'enfance à Tlemcen, notre ville natale et dont les liens de parenté nous rapprochent puisqu'il est de la famille de notre défunte mère ne pouvait pas ne pas s'abreuver des sources de la tradition tlemcenienne; tradition essentiellement soufie. Nous ne connaissons pas un seul « derb » (ruelle) qui n'eut pas et n'a pas encore son « wali » (marabout). Tous les petits enfants de Tlemcen devaient aller à l'école coranique mise sous la tutelle du « wali ». Les sciences enseignées étaient surtout mystiques car le « wali » était avant tout « l'incarnation » de Dieu sur terre; il avait le pouvoir de guérir, d'initier à la connaissance Stoïque de Dieu et se caractérisait par les « quaramat » dont il avait le pouvoir (miracles).

Inévitablement, DIB en avait science mais par syncrétisme, il ne pouvait discerner cette vision qu'au moment où il découvrit la langue française. Il l'utilisa dans un premier lieu dans sa littérature de combat, l'indépendance de l'Algérie acquise, cette évolution de la langue le mena inéluctablement à la découverte de cette spiritualité qui ne pouvait évoluer que dans cet univers mystique de son enfance.

Déjà en 1985 Jean DEJEU affirmait à propos du personnage de Iven Zohar de cours sur la rive sauvage  que  son héros subit des épreuves symboliques au cours de son itinéraire initiatique pour parvenir à une individuation personnalisante. Tout se dédouble: Héllé-Radia, mère-soeur, terre algérienne-terre étrangère, mère-épouse étrangère. Il faut de la mer/mère pour renaître de nouveau reconnaître l'épouse, « l'autre » à part entière, mourir à soi pour devenir « autrement » .  «Le fils de la lumière » (Iven Zohar descend jusque dans la grotte matricielle pour se ressourcer mais pour percer aussi les secrets de l'identité et de la différence. Mohammed DIB a lu les oeuvres de Jung et de Gérard de Nerval; Jung lui apporte l'animus et l'anima; Nerval, le voyage initiatique et le dédoublement féminin. Porté à l'introspection, le Romancier retrouve ses préoccupations profondes, essayant de « traduire une vision » de creuser le sens de la condition humaine, de l'altérité, de la mort, de la double culture, du « même » et de « l'autre ». (Hommage à Mohammed DIB dans KALIM n°6, OP.U. Alger (1985.P.246).

Certes, Jean DEJEU avait vu juste en parlant du récit initiatique (voyage initiatique du héros Iven Zohar) cependant attribuer à l'oeuvre de DIB le statut de roman psychologique c'est à notre sens ignorer la portée africaine de la pensée musulmane, d'ailleurs au cours de l'apparition en 1964 de cours sur la rive sauvage, Jean DEJEU nous rapporte dans le même hommage cité supra (p.245) que M.DIB déclare qu'il a été « Africain quand il fallait l'être ». Il est rendu à « ses propres problèmes personnels » il va donc tenter son «Aventure littéraire ».

C'est une des raisons qui nous a mené à prendre l'oeuvre de DIB pour corpus de vérification. Quant à la filiation entre l'oeuvre d'Ibn thophaïl et nos deux corpus de vérification, cours sur la rive sauvage de DIB et l'Aventure Ambiguë de KANE, nous l'étudierons dans l'introduction de notre deuxième partie. Nous pouvons déjà annoncer que c'est le discours théosophique introduit par l'oralité initiatique qui a relié toutes les Zaouiat » (lieux ésotériques du maraboutisme) de l'Afrique du nord et de l'Afrique noire musulmane.

Cette oralité initiatique s'est transmise par la chaîne spirituelle des maîtres mystiques qui ont vécu successivement soit en Espagne, dans sa période musulmane, soit en Afrique du Nord, soit en Afrique noire. Nous verrons comment les mêmes enseignements soufis étaient dispensés dans les Zaouiat qui ont toutes versé dans le soufisme philosophique, après avoir développé durant des siècles le discours sunnite dans les Zaouiat.

Tous ces enseignements ont constitué pour nos écrivains musulmans d'expression française la matéria prima de leur écriture, sauf que les contraintes de l'histoire et de la langue française ont métamorphosé cette même écriture la rendant soit hermétique à l'analyse autobiographique, soit complexe dans son propre statut.

Généralement les études littéraires ont tendance à étudier le roman en prenant comme outil méthodologique les concepts développés par les différentes écoles américaines, européenne ou soviétique : le fonctionnalisme ou le structuralisme. Mais l'étude de l'écriture de la foi ne peut pas négliger les croyances et les symboles développés par les communautés monothéistes qui ont vu naître leur écrivain même si celui-ci a adopté la langue de « l'autre » pour exprimer son sentiment de la vie ainsi que sa vision de la différence.

Concernant le genre initiatique, dans la tradition théosophique de l'Islam, écrit dans la langue de « l'autre », Mohammed DIB et Hamidou KANE sont ici les deux exemples les plus marquants de la littérature africaine d'expression française.

deuxième partie

LA VERIFICATION

* 1 OP.Cité. couf. Note (13).

* * Ikwan eç-çafa ou frères de la sincerité. O.O.cité. Col. Note (16)

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