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La justice aristocratique dans la généalogie de la morale de Nietzsche

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par Pierre Morien MOYO KABEYA
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 0000
  

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CHAP. II.  LES ORIGINES D'UNE CIVILISATION ET LA PROBLEMATIQUE DE LA JUSTICE ARISTOCRATIQUE

Chez Nietzsche l'homme social est le fruit d'un dressage et d'une sélection. C'est un travail de longue haleine et cela exige la mise en place des méthodes violentes. L'objectif est de former la conscience, forger une mémoire qui rende l'homme capable de promettre. Un tel résultat ne s'obtient nullement dans le laisser-aller. Le travail de l'homme sur lui-même se doit de réprimer ses instincts les plus actifs. Il fallut fixer dans la mémoire un ou deux « je ne veux pas...» pour que la vie en groupe soit possible. De la sorte, l'homme deviendra responsable envers ses semblables mais aussi envers la communauté. On ne peut parler des valeurs ou de justice qu'à partir du moment où la société décide ce qui est à faire et ce qui ne l'est pas. Dans cette entreprise, la violence a une place de choix, d'autant plus qu'il s'agit d'un dressage. Mais lorsque surviennent les mauvais maîtres qui ignorent tout de la responsabilité survient aussi un bouleversement aux conséquences terribles. La justice ici est avant tout généalogie. Nous verrons comment l'animal-homme, grâce au dressage, devient responsable devant la communauté. Il sera aussi question de situer l'origine de la justice, etc.

II. 1. ELEVER A LA RESPONSABILITE

II. 1. 1. Promesse, oubli et mémoire

Selon Nietzsche, la culture signifie dressage37(*) et sélection. Elle comporte des mouvements qui lui sont caractéristiques : la « moralité des moeurs. » En effet, le premier paragraphe de la deuxième dissertation de la Généalogie de la morale, pose la question de savoir comment faire une mémoire de volonté, c'est-à-dire une faculté capable à la fois d'oublier positivement et de s'engager de manière responsable38(*). Nietzsche nous présente dans ce paragraphe ce qu'il appelle la mission « paradoxale » de la nature. Cette analyse est une enquête sur la mémoire et l'oubli. Elle est une question qui modifie la compréhension de la conscience et de l'homme lui-même. Le produit fini du travail de la nature sur l'animal-homme est la socialisation. Comme être naturel et social, l'homme est lié aux autres par une promesse, un engagement quelconque, une responsabilité.

L'oubli et la mémoire sont deux principes fondamentaux de la vie de l'homme comme être social. Le premier est un principe régulateur et le second un principe téléologique qui donne la capacité de disposer de soi en tant qu'avenir. Ces deux principes nous placent devant un besoin réel de la promesse. Il faut que soient mises en place les conditions de possibilité pour que la promesse devienne effective.

Promettre est paradoxal ; pour cause, vivre la nouveauté de l'instant présent exige l'oubli. Et vivre exige, toujours et déjà, une alliance avec d'autres hommes. Du coup, survient l'exigence de la régularité, de la mémoire. En d'autres termes, pour vivre l'homme a besoin d'oublier, pour vivre avec les autres, il a besoin de la mémoire.

N'est-ce pas par la promesse que l'homme passe de l'animalité à l'humanité ? L'homme qui promet dispose du temps présent et de l'avenir. Cet engagement face à un temps homogène39(*) lui assure une identité propre. Par la promesse l'homme peut anticiper et manipuler le temps en restant soi. « Car la promesse exige la permanence de l'identité du sujet. »40(*)

Dans le texte auquel nous venons de faire allusion ci haut, on voit se dégager clairement une relation entre l'oubli et la jouissance, un lien étroit entre la mémoire et le caractère estimable, appréciable. Dans ce texte que dit concrètement l'auteur sur la question de l'oubli ?

Oubli n'est pas seulement une vis inertiae41(*), comme le croient les esprits superficiels ; c'est plutôt un pouvoir actif, une faculté d'enrayement dans le vrai sens du mot, faculté à quoi il faut attribuer le fait que tout ce que nous arrive dans la vie, tout ce que nous absorbons se présente tout aussi peu à notre conscience pendant l'état de ` digestion'(on pourrait l'appeler une absorption psychique) que le processus multiple qui se passe dans notre corps pendant que nous `assimilons' notre nourriture [... ] 42(*)

Il faut ajouter à l'enrayement et à la digestion d'autres facultés qui participent à la vie de l'homme. L'oubli est aussi gardienne de la conscience. Il entreprend, de temps en temps, de fermer les portes et fenêtres de la conscience. C'est une faculté qui permet le silence, reformate la conscience pour laisser la place à la nouveauté, au renouveau. Et comme on peut très bien le voir, il n'y a pas de bonheur possible sans cette faculté active qu'est l'oubli. L'homme est un animal nécessairement oublieux. On le sent lorsqu'une personne n'arrive plus à « en finir » de rien.43(*)

L'oubli est à l'esprit ce que la digestion est au corps. Son rôle est sélectif : trier ce qui est bon pour l'organisme. C'est une intégration de l'utile et rejet de ce qui ne l'est pas. Jean Jacques Delfour estime que, comme élément de sélection, l'oubli est aussi source de mémoire ; plus précisément, d'une mémoire qui est inconsciente et involontaire dans les représentations utiles à la vie. Cela n'est possible que dans la mesure où elle libère la conscience pour du nouveau. Par contre, la mémoire qui requiert la promesse, elle est conservation consciente voulue de représentation extrinsèquement utile à la vie, en tant que sociale. Ces deux mémoires n'ont donc pas le même statut ni la même fonction, ni la même origine.44(*)

La « santé robuste » est l'apanage de l'homme oublieux. L'oubli est la condition de possibilité d'une expérience authentiquement subjective. Elle est une ouverture à l'imprévu. Cependant, l'homme s'est créé une faculté contraire : la mémoire. Dans le cas de la promesse, cette faculté, se comporte comme « volonté active de garder une impression.»

Nietzsche distingue la mémoire de la pathologie. C'est une faculté originale et non dérivée. On se rend compte du fait que « Ce qui caractérise l'homme du ressentiment, c'est l'envahissement de la conscience par des traces mnémiques, la montée de la mémoire dans la conscience elle-même. »45(*) A côté de cette mémoire, il y a une autre que la conscience se construit à sa taille. Une « mémoire agie » presque active qui ne repose pas sur des traces. Cette deuxième mémoire se fonde sur la parole et c'est elle qui se manifeste comme faculté de promettre.

Cette mémoire n'est pas une faculté de conservation comme c'est le cas de l'homme du ressentiment. Chez ce dernier, les forces réactives l'ont emporté sur les forces actives. C'est une digestion qui n'en finit pas. Un homme en proie aux continuelles souffrances cruelles. Deleuze fait correspondre la faculté de l'oubli au maître et la mémoire haineuse à l'esclave.

La mémoire dont parle Nietzsche est la pure et simple répétition sans cesse réitérée de l'acte de vouloir, du moins de la partie du vouloir qui précède le passage à la réalisation de l'oubli comme condition de possibilité de la répétition de l'acte de vouloir et de toute autre répétition. D'une certaine manière, L'objet de la promesse est oublié au sens où il n'est pas dans le champ immédiat de la conscience mais remis à la volonté. C'est un oubli différent de la première.

Tout cela signifie que l'homme a dû apprendre à sélectionner le réel pour disposer de soi comme avenir, pour séparer le nécessaire de l'accidentel, pour aller au fond des choses pour prévoir, anticiper, calculer. Il faut distinguer le but du moyen. Ainsi l'homme est devenu appréciable, régulier, nécessaire. L'homme est constamment en face de deux modes : celui propre au présent qui est l'accueil de la nouveauté. C'est un mode qui valorise l'instant présent comme porteur de possibilité nouvelle, comme créateur. Quant à celui de la mémoire, un instant est semblable à mille autres instants ; il n'y a ni singularité ni valeur propre. C'est vraiment une disparition du bonheur conçu comme liberté de laisser être les choses, de l'espérance et de la sérénité. N'est-ce pas à ce prix que l'on devient soi et que la vie à côté des autres est possible ? Ce travail de la nature sur l'homme est rude. Il dure longtemps avant de porter son fruit mûr, à savoir l'homme capable de promettre en souverain.

* 37 « Dresser l'homme signifie le former de telle manière qu'il puisse agir ses forces réactives. L'activité de la culture s'exerce en principe sur les forces réactives, leur donne des habitudes et leur impose des modèles, pour les rendre aptes à être agies. » G. DELEUZE, Nietzsche et la philosophie, p. 153

* 38 G.M, §1, pp. 85-88.

* 39 Promettre c'est disposer de son temps, aujourd'hui comme demain. Cela veut dire aussi que disposer de ce temps n'est pas un obstacle à la détermination de l'action avenir. Dans ce sens le futur est autant disponible que le présent. Pour que présent et avenir soit également disponible, il faut que le temps soit conçu comme « homogène. »

* 40 J.J DELFOUR,  « Nietzsche, la promesse, la mémoire, l'oubli et le temps. Réflexion sur un passage formidable de la généalogie de la morale », in www.philopsis.fr (2006)

* 41 Une force d'inertie

* 42 F. NIETZSCHE, Op. cit., p. II §1, pp. 85-86.

* 43 Ibid., p. 86.

* 44 J.J DELFOUR Op. cit., pp. 8-9.

* 45 G. DELEUZE, Op. cit, p. 131.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus