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Culture et progrès chez Hegel

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par Céline Ko Tine
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2011
  

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CHAPITRE II : La trajectoire de l'histoire universelle

Dans le chapitre précédent, nous avons noté que le processus d'évolution de la conscience nous permettait de voir son mode de culture et il convient ici de mentionner que l'effectivité de celle-ci ne se manifeste de manière concrète que dans l'histoire. Ce qui revient à dire que c'est à travers l'histoire qu'on peut voir la manifestation des différentes figures dans lesquelles l'esprit s'incarne afin de pouvoir cerner son développement ou plutôt son progrès. En adoptant un tel procédé c'est-àdire en partant de la méthode dialectique, Hegel va analyser l'évolution de l'humanité dans la marche de l'histoire universelle.

Ce qui est remarquable dans sa conception de l'histoire, c'est qu'elle est guidée par la raison qui s'incarne épisodiquement dans l'esprit d'un peuple qui se charge à un moment donné de réguler la marche. Ce qui veut dire clairement qu'il y a différents peuples qui se succèdent sur la scène historique. L'importance d'une telle considération est à rechercher dans le fait que chez Hegel, c'est l'esprit qui régit toute l'histoire de l'humanité.

Voilà pourquoi il note à juste titre que : « Le point de vue général de l'histoire philosophique n'est pas abstraitement général, mais concret, et éminemment actuel parce qu'il est l'Esprit qui demeure éternellement auprès de luimême et ignore le passé. Semblable à Mercure, le conducteur des kmes, l'Idée est en vérité ce qui mène les peuples et le monde, et c'est l'Esprit, sa volonté raisonnable et nécessaire, qui a guidé et continue de guider les événements du monde. Apprendre à connaître l'Esprit dans son rôle de guide : tel est le but que nous nous proposons ici48. » En d'autres termes, toute l'histoire est une histoire philosophique gouvernée par la raison. Dans ce cas, l'esprit est un et c'est lui qui est à l'oeuvre depuis le début de l'histoire. Ainsi, il s'agira de cerner le progrès de l'esprit dans l'histoire universelle telle qu'elle apparaît à travers les différents peuples.

48 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 39.

1- Histoire et progrès

En suivant Hegel dans la logique de sa démarche et par rapport à notre problématique, on voit bien l'importance qu'il accorde à l'histoire dans la mesure où c'est à travers celle-ci que se manifeste de manière concrète tout ce travail laborieux de la conscience s'élevant de l'immédiateté à la réalité effective. Le déploiement de l'esprit et le mode de son progrès se manifestent de manière effective dans l'histoire. De ce fait, l'histoire apparaît comme le lieu de la réalisation concrète de l'esprit. Dans ce sens, elle figure donc un théâtre, un champ de manifestation où se jouent les phases de concrétisation des différentes étapes que doit parcourir l'esprit.

Ainsi, cette histoire universelle s'inscrit dans la poursuite d'un but bien précis et c'est ce qui apparaît dans ces propos : « l'histoire universelle est le progrès de la conscience de la liberté : c'est ce progrès et sa nécessité interne que nous avons à reconnaître ici49.» En d'autres termes, pour Hegel, la liberté figurant la caractéristique essentielle de la conscience, elle est aussi le but principal que l'histoire doit réaliser. Ainsi, étant considérée comme fondamentale, la liberté est ce par quoi l'humanité s'affirme en tant que telle. Tout comme nous l'avons vu dans la lutte entre les deux consciences, l'individu ne peut affirmer son humanité que parce qu'il est libre.

Ce qui apparaît au fond de ce processus n'est donc rien d'autre qu'une poursuite de la liberté. Toute l'histoire de l'homme peut, en effet, se résumer dans ce concept précis de la liberté. Dans ce sens, elle figure l'essence et la caractéristique méme de l'esprit du monde, c'est-à-dire ce qui se définit à partir de son propre effort et qui apparaît décisif dans le processus vers la réalisation absolue. Voilà donc pourquoi dans ses différentes manifestations, l'esprit tend toujours vers sa réalisation parfaite.

49 G.W.F. Hegel, Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 84.

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Cette liberté tant prisée et qui a été, de tout temps, la principale cause des combats menés par l'homme a connu une véritable évolution dans la mesure où, chez différents peuples, on peut voir comment s'est développée cette notion. En effet, toutes les révolutions et les guerres dans l'histoire ont éclaté la plupart du temps dans le seul but de réclamer l'indépendance, la liberté. Ce qui revient à dire que si nous observons bien le cours de l'histoire universelle, il apparaît évident que la poursuite de la liberté n'est pas chose aisée et dans ce sens, la dialectique du maître et de l'esclave constitue une parfaite illustration. Une telle considération justifie le fait que la liberté n'est pas une simple donnée de la nature comme le croit certains penseurs comme Jean Jacques Rousseau qui pense que cette liberté est tellement essentielle à l'homme que y renoncer revient d'une certaine manière à nier même son humanité.

Si on se réfère à son l'histoire universelle, Hegel présente différentes figures ou étapes qui s'affichent par ordre et qui retracent le mode d'évolution du concept de liberté depuis l'empire oriental jusqu'à l'épopée germanique. Dans ces différentes étapes à savoir l'empire oriental, le monde grec, le monde romain, le monde germanique, il montre la manière dont s'est opéré le mode de développement ou de progrès de cette notion de liberté en passant d'une étape à une autre. Ce qui veut dire que chacun de ces peuples doit remplir une mission sur la scène de l'histoire universelle.

Voilà pourquoi il conçoit que ce n'est pas un individu singulier qu'il faut considérer dans ce processus d'évolution, mais l'esprit d'un peuple par lequel se joue toute l'histoire de l'humanité. A ce propos, Hegel écrit : « Dans l'histoire, l'Esprit est un individu d'une nature à la fois universelle et déterminée ff 111111111111 1111 l'Esprit auquel nous avons affaire est l'Esprit du Peuple (Volksgeist)LE. » Une telle considération de l'unité dans le cours de l'histoire permet de voir que les différents peuples qui doivent jouer tour à tour un rôle sur cette scène n'y occupent qu'un temps déterminé, car une fois qu'un peuple a accompli sa mission, il est appelé à disparaître de la scène historique et à laisser sa place à d'autres. On peut voir qu'une telle succession ne se réalise pas dans la quiétude mais implique nécessairement le conflit et la violence.

50 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965,p. 80.

Dans la première étape de ce processus qui coïncide avec le monde oriental, Hegel montre que c'est le domaine de l'immédiateté, de la spiritualité pure. En d'autres termes, à ce stade, tout est mélangé comme dans le < Nous » d'Anaxagore et l'individu ne réalise aucune activité lui permettant d'exprimer sa liberté. En effet, il est soumis à des obligations tout comme l'enfant obéit aux ordres qui lui sont dictés. Il y a donc une certaine subordination entre l'individu et la substance universelle. Il est obligé de se plier à l'ordre substantiel, puisqu'il n'a aucune possibilité pour exprimer sa liberté subjective.

Sur le plan social, c'est le patriarcat, autrement dit, le père est le chef et il est le sujet oeuvrant en ce sens qu'il se charge de la protection des individus puisqu'il est le père. Ce qui est remarquable et qui apparaît essentiel à ce niveau, c'est qu'il n'y a qu'un seul qui est libre : c'est le chef. Ce faisant, dans l'ordre éthique, on ne peut véritablement pas parler de lois. Par conséquent, Hegel considère que ce stade correspond à « l'âge infantile » qui caractérise l'immaturité pure de l'esprit comme pour reprendre le vocabulaire kantien car < la liberté subjective n'est pas encore parvenue à son droit propre, n'a pas son honneur en elle-même, mais seulement dans cet objet absolu51. » En d'autres termes, si celui qui dirige détient tous les droits et que lui seul est libre, la conséquence qu'on peut en tirer est que le peuple qu'il gouverne aura comme unique tâche d'obéir et de se soumettre à ses ordres.

Cependant, la liberté dont il est ici question ne peut être effective en ce sens qu'elle ne concerne qu'un individu. Cela signifie que puisqu'il n'y a pas de possibilité pour les autres d'exprimer leur liberté, de même, il n'y a aucune chance pour eux de pouvoir exprimer leur humanité. Mais la question qu'on peut se poser est de savoir si celui qui n'est pas libre en est parfaitement conscient. Ce principe peut se comprendre dans la mesure où on ne peut réclamer une chose que parce qu'on n'est conscient de cette chose. Cette considération permet de voir que l'effectivité de la liberté nécessite une réelle prise de conscience. Dans cette perspective, elle s'inscrit dans l'arsenal de la rupture et de la contradiction. C'est seulement dans cette prise de conscience que l'individu peut atteindre la réalité. Partant de ce fait, il est opportun

51 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE (Coll. < 10/18 »), 1965, p. 285.

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de souligner que ce passage d'un monde à un autre ne relève de la pure contingence mais elle est dictée par une nécessité et toute rupture implique l'anéantissement et donc le drame.

Ainsi, dans la mesure où dans ce monde oriental, l'individu ne jouit pas d'une liberté effective, il faut nécessairement établir une rupture par rapport á ce qui était alors en vigueur. En effet, le passage vers une autre étape incarnée par un peuple s'accomplit dans une certaine mesure par la destruction ou par le massacre du peuple précédent. Dans ce cas précis, on assiste á la destruction ou à l'anéantissement de l'étape précédente tout comme nous l'avons vu dans le rapport entre le sujet et la nature. Cela signifie que le monde oriental va disparaître au profit d'un autre monde qui se chargera, á son tour, de jouer sa partition sur la scène historique. Cette disparition nous rappelle á certains égards toutes les formes de drames que nous constatons dans le cours de l'histoire.

Après la description de cette étape, vient l'époque suivante qui correspond au monde grec et Hegel parlera de l'entrée « dans la terre natale de la vérité52. » Cette époque coïncide avec une certaine prise de conscience qu'on peut considérer comme relative dans la mesure où, sur le plan de la subjectivité, c'est la belle liberté, c'est-ádire que l'individu est libre, mais seulement en s'alliant à l'unité substantielle de l'État. De ce fait, chaque individu est sujet mais référé à un État. C'est ce qui fait dire á Hegel que : « la liberté subjective et la substantialité sont unis C'est le règne de la liberté : non de la liberté déchaînée, naturelle, mais de la liberté éthique qui a un but universel [...]. Il s'agit de la belle liberté qui se trouve dans un rapport naturel, spontané avec la fin substantielle53. »

Dans cette perspective, puisque l'individu ne peut recouvrer sa liberté que rapporté à l'État, cela signifie qu'il est limité dans ses désirs dans la mesure où cette entité est dotée de lois. Etant donnée une telle situation, l'individu ne doit pas enfreindre la loi, il est donc tenu de se soumettre strictement aux règles. Cette liberté n'est pas la liberté naturelle qui signifie absence de lois et de principes et qui

52 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l'esprit Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 146.

53 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 287.

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débouche sur le désordre et le chaos. Ce n'est plus comme dans l'état de nature hobbien où chacun fait ce qu'il veut comme il le veut, mais il s'agit bien de l'État comme une entité qui renferme des lois.

Eric Weil a donc raison de noter que c'est le moment où « l'esprit atteint la beauté morale de la libre sérénité et la lumière [...] mais ignore encore la valeur infinie de l'individu humain et la dignité d'un travail libre, non servile54. » Il y a lieu de mentionner que cette dénomination de liberté n'a pas sa teneur puisqu'elle ne coïncide en aucune manière avec les principes qui déterminent une véritable liberté. Toutefois, l'homme étant un etre de désir, on comprend qu'il veuille s'unir à la substance universelle pour retrouver sa véritable liberté. On peut voir qu'une telle liberté revêt un caractère naturel en ce sens que ce qui est considéré ici comme éthique ne peut pas s'élever à la dimension universelle. Cela s'explique par le fait que, dans la nature, il n'y a pas de liberté. Il est opportun de rappeler que chez Hegel elle n'est pas quelque chose qui est donné d'avance, elle n'est pas une donnée naturelle, mais elle relève plutôt d'une lutte, d'un combat à mener en permanence.

Par-delá toutes ces considérations, il faut remarquer que dans le monde grec tout comme dans le monde romain, l'individu est soumis à une certaine obligation qui est de se soumettre à l'État. Ce qui nous permet de dire que pendant ces deux périodes, la liberté dont il est question n'est qu'une liberté illusoire ou plutôt précaire. S'il en est ainsi, puisque l'individu cherche à affirmer sa liberté, on peut voir qu'à l'occasion de chaque passage la violence surgit car il s'agit de rompre avec des pratiques qui ne sont plus en vigueur.

Durant cette période, le citoyen romain doit non seulement renoncer á luimême, mais en plus, il se met au service d'une tâche bien définie qu'il doit obligatoirement exécuter pour pouvoir reconquérir sa personnalité, ce qui laisse sous-entendre qu'il est sous un pouvoir contraignant auquel il ne peut se soustraire. Cela étant, l'État apparaît comme une instance souveraine qui englobe les individus. De ce fait, l'individu ne pouvant recouvrer sa liberté à ce stade, il s'en suit la nécessité de

54 E. Weil, Philosophie et réalité, Ed. Beauchesne, 2003, p. 159.

supprimer cette étape et c'est à la suite de cette destruction et de cette rupture que nous assistons à l'avènement du monde romain.

Mais dans la mesure où le passage entre les époques débouche toujours sur le chaos et le drame, Hegel le décrit en affirmant que : « Des révoltes des généraux des empereurs renversés par eux et par les intrigues des courtisans, l'assassinat ou l'emprisonnement des empereurs par leurs propres épouses et leurs propres fils, les femmes s'adonnant à toutes les débauches et à toutes les infamies, tels sont les spectacles que l'histoire fait passer ici devant nos yeux, jusqu'à ce qu'enfin l'édifice caduc de l'empire romain d'orient fut abattu par l'énergie des turcs vers le milieu du XVème siècle55 ». A travers ces propos, il apparaît clair que la transition qui s'effectue est loin de coïncider avec la simplicité ou le hasard.

On peut voir en effet, que cette tche qu'accomplit chaque peuple sur la scène historique peut être comparée à une plante qui doit porter ses fruits jusqu'à maturité. Ce qui veut dire que chacun, une fois qu'il est parvenu à son terme, disparaît pour laisser ce qu'il a produit au peuple qui se chargera à son tour de jouer le même rôle jusqu'à la prochaine étape. Il s'agit donc d'une succession logique et nécessaire par laquelle on parvient à saisir le processus de culture de l'esprit dans l'histoire universelle. Dans ce déploiement de l'esprit, l'élément qui est utilisé comme principe de relais ou comme semence est alors transmis d'un peuple à un autre.

La division de l'histoire en différentes étapes permet de voir le mode d'évolution du concept de liberté, évolution qui est ponctué par des ruptures et des déclins. En effet, on se rend compte, à partir de ce que Hegel présente et qui constitue le fil directeur par lequel on saisit la marche de l'esprit, que l'histoire est progrès dans la mesure où, à chaque époque, un peuple courageux et déterminé prend en charge la destinée de l'humanité en vue d'assurer le plus grand bonheur de l'individu.

55 G.W.F. Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, Trad. de J. Gibelin, Paris, Vrin, 1970, p. 262.

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A ce propos, Hegel écrit : « A chaque époque domine le peuple qui a saisi le plus haut concept de l'Esprit56. » Ce qui revient à dire que sur cette scène, les différents peuples jouent tour à tour leur rôle et disparaissent. Il s'agit, pour ces peuples, de remplir une mission bien définie avant de quitter la scène historique. C'est ce qui apparaît dans ces termes de Emile Bréhier qui présente l'histoire comme « une série de civilisations et d'états apparaissant au premier plan de la scène, atteignant leur apogée et sombrant pour ne plus réapparaître57. » Cette considération trouve sa justification dans le fait que le peuple qui se charge à une époque déterminée d'assurer la conduite de l'esprit du monde représente, d'une certaine manière, l'universel qui se manifeste à partir de ses actions.

Le tableau de l'histoire universelle est alors comparable à une scène que les acteurs d'une époque déterminée sont obligés de quitter pour céder la place à d'autres, une fois qu'ils auront accompli leur mission. C'est ce que note à juste titre Mahamadé Savadogo quand il écrit que : « l'histoire apparaît comme une succession de tches qu'il appartient aux différentes communautés d'assumer à tour de rôle, et les traits distinctifs de chacune d'elles se constituent à travers la mission qu'elle remplit58. » En effet, sur cette scène, chacun joue tour à tour son rôle et disparaît. Aussi, le peuple qui se charge à une époque donnée d'assurer la conduite de l'esprit du monde représente d'une certaine manière l'universel qui se manifeste à partir de ses actions.

Grâce au progrès qui se manifeste dans l'histoire, il apparaît clair que l'individu est capable d'une évolution vers le meilleur, de changer le dessein établi par la nature. Mais par-delà cette présentation des époques qui ponctuent le mode de progrès de la liberté dans l'histoire, il convient de mentionner que, chez Hegel, la réalisation effective et concrète de celle-ci se manifeste aussi de manière précise dans l'État. Puisqu'il a un ancrage historique, il convient d'analyser la manière dont la liberté a été acquise et a évoluée dans cette sphère.

56 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 91.

57 E. Bréhier, Histoire de la philosophie, XIXe-XXe siècle, Paris, PUF, 1964, t. III, p. 677.

58 M. Savadogo, Philosophie et histoire, L'Harmattan, 2003, p. 19.

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Sous cet angle, on comprend bien que l'individu ne peut pas se réaliser en dehors de la sphère sociale. Si l'unique but que l'on poursuit dans l'histoire universelle est la liberté, celle-ci ne peut être réalisée de manière effective que dans l'État. Il est la figure concrète, la réalité au sein de laquelle l'individu trouve sa liberté du moment qu'il porte en lui la volonté de l'universel. C'est ce qui fait que, contrairement à l'idée selon laquelle l'État aliène les libertés individuelles et qu'il faut s'en débarrasser, Hegel est convaincu qu'il n'y a de liberté que dans cette sphère et elle occupe une place essentiellement importante puisque c'est ce qui fait l'homme. C'est ainsi que dans Les principes de la philosophie du droit, il considère l'État comme le Dieu vivant. Il est une nécessité même et les individus n'ont de réalité que par lui.

En réalité, l'État, étant le lieu par excellence de la réalisation intégrale de la liberté des hommes, cesse d'être un moyen dont ils usent pour garantir seulement leurs intérêts, mais, il devient plutôt leur but. Ce qui signifie en clair que l'individu ne peut être libre que dans et par l'État, et c'est cela qui justifie le fait que chez Hegel, il n'y a pas, à proprement parler, de contrainte dans cette sphère. C'est ainsi que Hegel envisage la constitution de l'unité à travers la réalisation vivante et concrète de chacune des formes dans lesquelles l'esprit s'incarne au cours de son processus. Mais, il faut rappeler que l'État hégélien est l'incarnation même de Dieu sur terre, d'où son caractère absolu et inaliénable. Par conséquent, les individus sont tenus d'obéir aux principes établis. Dans ce sens, l'État constitue une instance par laquelle se réalisent les libertés individuelles car tout repose en dernière instance sur lui.

L'État apparaît, de ce fait, comme le lieu de la réalisation des aspirations individuelles et qui constitue un moment essentiel du développement de l'esprit, car le droit de l'individu ne peut se réaliser que dans une organisation supra-individuelle. Hegel écrit dans ce sens qu' : « en tant qu'il est l'universel, l'État s'oppose aux individus Il est d'autant plus parfait que l'universel correspond davantage à la raison et que les individus forment davantage une unité avec l'esprit du tout. L'essentielle disposition d'esprit des citoyens à l'égard de l'État [...] n'est ni l'aveugle obéissance à ses ordres ni un assentiment individuel que chacun devrait

apporter aux dispositions et règlements institués au sein de l'État, mais à son égard, une confiance et une obéissance éclairée59. »

En d'autres termes, les rapports entre l'individu et l'État doivent être basés sur des principes qui visent à consolider l'harmonie au sein de cette sphère et qui permettent par là même de garantir la liberté de chacun. Voilà pourquoi, il ne s'agit pas d'une soumission qui réduirait peut-être l'individu en esclave encore moins d'une simple adhésion, mais il est plutôt question de faire confiance à l'État et de lui obéir car c'est le seul moyen qui permet de régler les rapports qui y existent.

De ce fait, par ce processus d'évolution, on comprend alors que l'histoire universelle figure le lieu du développement de l'esprit dans l'effort qu'il fournit, à travers les divers peuples, pour progresser dans la conscience de la liberté. Et cette liberté, une fois acquise, permet à l'individu de s'élever à l'universalité. Mais celle-ci nécessite, comme nous l'avons mentionné plus haut, un combat permanent. En partant de ce fait, on voit que l'action de l'homme sera particulièrement déterminante dans l'accomplissement de cette oeuvre et c'est ainsi qu'on peut parvenir au but qui a été fixé.

C'est de cette action de l'homme que découle toute son ingénieuse oeuvre qui ne reflète que sa capacité créative et transformatrice. Nous pouvons dire, à partir de cette considération, que l'évolution du concept de la liberté rend compte du processus de culture par lequel il faudrait nécessairement passer avant d'accéder au but. Une telle considération de ce processus s'explique par le fait qu'il s'agit d'une véritable formation ou culture qui permet à l'individu de passer d'une étape à une autre. Il est vrai que si nous considérons ce processus de développement dans son ensemble, on se rend compte qu'il y a eu un réel progrès dans la mesure où on est parti du stade le plus élémentaire ou plutôt le plus immédiat pour s'élever progressivement à une réelle prise de conscience.

59 G.W.F. Hegel, Propédeutique philosophique, Trad. de M. de Candillac, Ed. de Minuit, 1949, § 196, p. 218.

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De ce point de vue, toute l'oeuvre de l'homme n'est basée que sur l'action, l'action comme pilier fondamental qui sous-tend toute l'histoire de l'humanité. C'est dans l'action que se dévoile tout l'itinéraire de l'oeuvre humaine. L'action humaine n'est jamais fortuite et c'est ce qui fait donc qu'elle découle toujours de raisons suffisamment claires et explicables. On peut donc dire, si l'on ose s'exprimer ainsi, qu'au commencement était l'action. Dans ce sens, Hegel note que : « la vie est action

Ii114aciIRn aIEIYani sREunI P1i14LI qui Isi sRn REjIi, FIu'IllI iEDY116I IifiLEgfRLPI.

Ce que chaque génération a ainsi réalisé en fait de science, de production spirituelle,

GEUrconcoLaiIRCEIuiYIniIIIWcoLiiIT; TcIIIFICFPRgiliuIfiTcPI, IlaFIXETiECcIEISILiiuIllI

comme une habitude, les principes, les préjugés et la richesse60. »

Cela montre la manière dont l'esprit se déploie dans le cours de l'histoire en s'incarnant dans des figures particulières pour sa réalisation. Dans le passage qui suit, Francis Fukuyama précise la pensée de Hegel en affirmant en ces termes :

« / WIiRiLIEuniYILsIIlIEdIE+ IgIlgLIWETRPSiICnRQi IMIPIni GESLRgLè rdIi FRQJILTEncIYIiTEIEViIiuiiRQV IPILVD11411EIREViNLIMIEgIaniI II l'hRPPI IuiPr PI1 AUXIII naiuLIIdI l'hRPPI nAIsiTSDMLYRILIKI 2iuLI niIO'r iLIE11I111IE chose Pais dI dIYIniL auiLI quI cI qu'IllI coiaii aYani61. » En d'autres termes, à

travers l'histoire universelle, on voit, dans une certaine mesure, la manière dont l'individu prend progressivement conscience de sa situation et cherche à se hisser à un niveau supérieur.

Par-delà toutes ces considérations, on voit que ce qui apparaît donc intéressant à ce niveau, ce n'est pas l'ensemble des événements repérés pele-mêle dans l'histoire universelle, mais bien la détermination des moments clefs qui ont ponctué le cours du développement de la conscience. Cela signifie que ce qui demeure fondamental dans l'histoire, ce sont les enjeux objectifs de l'humanité qui déterminent le processus d'évolution de la conscience.

Dans cette perspective, l'histoire n'a de sens que par l'oeuvre de l'homme et dans la mesure où ce dernier apparaît comme le seul lieutenant au travers duquel on

60 G.W.F. Hegel, / IçRQFPuL l'KIsiRiLIBdI la SIilRsRSKII, IParis, Gallimard, 1954, p. 30.

61 F. Fukuyama, / MIQIIDIRYiRELI et le dernier homme, Gallimard, 1992, p. 90.

parvient à saisir le développement de la conscience dans les différentes figures de l'esprit. L'homme, figurant le principal sujet de cette histoire, ne s'inscrit de manière effective dans cette dernière que s'il contribue, par une lutte particulière, à cette élévation universelle de l'esprit objectif. En ce sens, l'objectivité historique présuppose donc une certaine subjectivité.

L'histoire ainsi conçue permet d'appréhender le mode de progrès du concept de liberté et de l'individualité. En effet, il faut dire que l'essentiel à retenir dans ce récit du développement du concept de liberté dans l'histoire universelle c'est que la poursuite de la liberté implique toujours la contradiction et le négatif qui s'avèrent être une nécessité pour la réalisation de celle-ci. De ce fait, cette contradiction perceptible ne doit pas être considérée comme un élément qui vise le désordre ou la destruction mais elle est un principe essentiel dans l'acquisition de la liberté.

Ainsi, en tenant compte de cette considération, il apparaît clair que la liberté n'a pas été donnée à l'homme. Si l'histoire de l'humanité a pu connaître une telle évolution, c'est parce que les hommes ont acquis progressivement plus de liberté et la référence aux différentes époques que Hegel présente, en constitue une parfaite illustration. De ce fait, nous pouvons que c'est de là qu'il est possible de voir que la réalisation du but que poursuit l'homme peut connaître une finalité. C'est cette réalisation de l'esprit qui apparaîtra comme le moment où l'humanité coïncidera avec son concept.

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