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Les Comités de Défense de la Révolution(CDR) dans la politique du Conseil National de la Révolution(CNR)de 1983 à  1987: une approche historique à  partir de la ville de Ouagadougou

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par Kakiswendépoulmdé Marcel Marie Anselme LALSAGA
Université de Ouagadougou - Maîtrise 2007
  

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VII. 4. La contribution des CDR a la chute du CNR

Il n'est pas du tout facile à l'heure actuelle pour l'historien de situer de façon objective les responsabilités sur les causes du dénouement tragique du 15 octobre 1987. Il y a en effet une diversité de récits contradictoires dont le manque de neutralité vis-à-vis des facteurs principaux de la révolution ajouté à des non-dits crée un enchevêtrement difficile à démêler pour saisir l'objectivité.

En outre, la présence des protagonistes aux commandes de l'Etat jusqu'à nos jours constitue une réalité qui biaise l'authenticité des évènements tels qu'ils sont souvent décrits.

Notre ambition ici n'est pas de saisir la totalité des causes profondes de la crise qui avait miné le CNR jusqu'à sa chute. Nous voulons seulement tenter de décrypter la part de responsabilité des CDR dans cette crise. En quoi les CDR ont-ils été des facilitateurs de la chute du CNR ? Notre étude porte sur deux axes principaux : d'abord la participation des CDR aux dissensions qui ont provoqué la chute du CNR le 15 octobre 1987, et enfin leur dissolution et l'avènement des CR.

VII.4.1. Les CDR dans les dissensions au sein du CNR : de la crise politique au denouement tragique du 15 Octobre 1987

« L'arc-en-ciel du marxisme burkinabe »,500 c'est ainsi que Ludo MARTENS présente l'ensemble des organisations marxistes qui animaient la vie révolutionnaire du Burkina Faso. La singularité de la révolution burkinabé tenait du fait qu'elle ne s'était pas dotée d'un état-major politique, c'est-à-dire un parti communiste à l'instar des pays communistes desquels elle s'inspirait. Babou Paulin BAMOUNI déclarait à ce sujet : « La gauche burkinabe [...] a le grand desavantage d'être divise en de petits partis sectaires [...]. Le dogmatisme, le sectarisme et l'exclusivisme ont jusque-la empeche l'unite de la gauche burkinabe [...]. Dans le contexte actuel, il faut faire un effort de rassemblement de tous les revolutionnaires burkinabe, de tous les communistes burkinabe pour une solide union qui devra se concretiser autour d'un parti proletarien, le Parti Communiste [...]. Sans l'union de la gauche avec un parti proletarien, la Revolution Democratique et Populaire risque de se retrouver dans une impasse [...]. Au niveau du pouvoir populaire actuel, il y a des civils et des militaires relevant tous de la gauche, il s'avere difficile de gouverner ensemble tres longtemps sans un minimum d'entente, sans une ligne politique et ideologique acceptee par tous. Pour arriver a ce consensus, seule la creation d'un parti

166 communiste pourra résoudre le probleme sur la base de la simple adhésion a ce parti de tous les militants de la révolution politiquement et idéologiquement valables ».501 Remarque fort pertinente de la part d'un révolutionnaire convaincu !

Entre le 04 août 1983 et le 15 octobre 1987, une floraison de huit formations politiques de gauche anima la vie politique du Burkina Faso : l'Organisation Militaire Révolutionnaire (OMR), le Parti Africain de l'Indépendance (PAI), le Parti Communiste Révolutionnaire Voltaïque (PCRV), l'Union des Luttes CommunistesReconstruite(ULCR), l'Union des Luttes Communistes-La Flamme (ULC-La Flamme), l'Union des Communistes Burkinabé (UCB), le Groupe Communiste Burkinabé (GCB).

L'affirmation de Emmanuel AUBIN selon laquelle « La vie politique [...] est un terrain fertile pour les intrigues, les tensions, les crises et les réconciliations. Les stratégies opposées des hommes politiques et leur trajectoire personnelle font et défont les alliances et les mouvements politiques qui naissent, prosperent et meurent au fil des évènements qui constituent la matière premiere de la vie »502 s'applique incontestablement à l'univers politique révolutionnaire du Burkina Faso.

Le pluralisme des organisations de gauche et leur incapacité à constituer un bloc politique monolithique furent à l'origine de contradictions et de confrontations politiques auxquelles prirent part les structures populaires de la révolution. La volonté d'hégémonie des organisations politiques les unes par rapport aux autres les avait amenées à faire de la conspiration, de l'exclusion et même de l'oppression, des armes principales de règlements de comptes politiques où l'implication des CDR avait été ressentie. Au fait, la participation des CDR dans les intrigues qui ont miné le CNR répondait à la logique selon laquelle les contradictions au niveau du CNR se reflétaient au niveau des CDR. Chaque tendance voulait tirer les CDR de son côté, leur faisant dire ou faire sa raison.

Le 03 octobre 1983, des militants prirent la décision de créer l'Inter-CDR, une aile fanatique qui se donna pour mission la lutte à tout prix contre toute personne ou tout mouvement qui s'attaquerait à la révolution. Selon les informations dont nous disposons, la création de ce mouvement bis des CDR avait été suscitée par le contexte dans lequel le DOP fut prononcé : après le prononcé du DOP, un courant déviationniste, liquidationniste et contre-révolutionnaire se serait développé d'où l'initiation de l'InterCDR pour conjurer ce danger qui menaçait la révolution.503 L'Inter-CDR se formait non seulement d'inconditionnels de la révolution, mais aussi d'extrémistes et d'anarchistes,

501 Babou Paulin BAMOUNI, 1986, Burkina Faso : processus de révolution, Paris, L'Harmattan, pages 136 et 137.

502 Emmanuel AUBIN, 2003, L'essentiel de l'introduction à la vie politique, Paris, Editions Gualino, page 11.

503 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 95.

167 qui allaient pourfendre les organisations de gauche disgraciées par les leaders du CNR. En fait, l'Inter-CDR constituait une sorte de syndicat des CDR disposant de militants fidèles pour contrecarrer la voracité des groupes politiques.504 En effet, dans l'hebdomadaire CARREFOUR AFRICAIN, l'organisation affirmait : « Considérant que seuls les CDR constituent les vraies organisations de masse mobilisant le peuple voltaïque depuis le 04 aout, nous, militants de l'Inter-CDR, mettons en garde tout mouvement, toute organisation déviationniste contre tout acte contre-révolutionnaire de nature a liquider la Révolution Démocratique et Populaire ; invitons les camarades militants a se démarquer de tous les équilibristes de gauche qui veulent faire d'eux des tremplins pour atteindre un but bien connu mais inavouable ; réaffirmons que la RDP ne saurait etre ni le fait ni l'objet de quelques anciens combattants triomphalistes ».505

Au lendemain de la proclamation de la révolution, la première organisation de gauche à défier le CNR avait été le PCRV. Ce parti créé en 1978 contrairement et curieusement aux autres organisations communistes telles le PAI/LIPAD506 et l'ULCR,507 n'hésita pas un seul instant à développer systématiquement une rhétorique et une action pour contrarier la politique du CNR, ce qui traduisait naturellement sa négation du régime révolutionnaire proclamé. Pour le PCRV, le coup d'Etat du 04 août en dépit de son discours révolutionnaire aigu revêtait un caractère réactionnaire, militariste, fasciste, anti-communiste ; c'était un régime qui allait inéluctablement se muer en une bourgeoisie bureaucratique par des réformes et par le développement d'un capitalisme d'Etat. Par conséquent, le CNR se révélait comme un régime impotent d'élaborer un projet de société dissemblable de la société bourgeoise et néocoloniale.508 En même temps, le PCRV lança des diatribes à l'endroit des partis de gauche qui avaient accepté de partager le pouvoir du CNR. Il affirma que « pour les groupuscules révisionnistes (PAI, ULCR) et autres petits bourgeois arrivistes, c'était l'occasion [coup d'Etat du 04 aout] d'accéder facilement au pouvoir ».509 Il opposa un non possumus à l'appel du CNR à la

504 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 95.

505 L'INTER-CDR, « L'Inter-CDR approuve le CNR - Motion de mise en garde - Motion de soutien au CNR et a son Président » in CARREFOUR AFRICAIN N° 832 du 25 mai 1984, page 11.

506 Le PAI a eu le mérite historique d'avoir introduit le marxisme dans le territoire voltaïque. Fondé en 1963, le PAI mit à partir de 1973 une organisation de masse anti-impérialiste en place, la LIPAD. Grâce à cet organe d'agitation, les idées marxistes avaient rencontré des échos plus réceptifs dans la société. Ce mérite de la paternité du marxisme avait permis au PAI de pouvoir jouer un rôle de premier ordre dans le déclenchement de la révolution.

507 L'ULCR avait été créé en 1978 et connut très vite des dysfonctionnements qui l'avaient amenée à se saborder en février 1981. Elle fut remise sur pied à l'occasion du déclenchement de la révolution d'où sa nouvelle appellation Union des Luttes Communistes Reconstruite. A l'instar du PAI, l'ULCR avait manifesté une grande caution au CNR dès son avènement.

508 BUG-PARGA N°23 de juin 1987 de la page 3 à 13, journal clandestin du PCRV, cité par Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 127.

509 Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 127.

168 constitution des CDR, taxant ces derniers de miliciens fascistes et appelant la population à s'en démarquer.

Cette objection tacite du PCRV au CNR relatait la complexité que ce dernier avait à faire l'unanimité de la gauche un écho acquis à la cause de sa politique. Le PCRV en choisissant l'antipode de la politique du CNR s'exposait de facto aux persécutions non seulement de ce dernier parce qu'instance dirigeante de la RDP, mais aussi des partis qui partageaient le gâteau avec le CNR. S'appuyant sur certains syndicats comme le SYNTER, le SYNTTPBHA (Syndicat National des Travailleurs des Travaux publics, du Bâtiment de l'Hydraulique et Assimilés), le SYNTRAGMIH (Syndicat National des Travailleurs de la Géologie des Mines et des Hydrocarbures), le PCRV dénonça le régime et utilisa toutes les marges à sa disposition pour le rendre impopulaire. Il fut d'ailleurs un bonze du mouvement syndical contre le CNR qui se dessinait dès octobre 1983.

Selon le PAI-LIPAD et l'ULCR, la position anti CNR du PCRV démentait son statut de parti révolutionnaire et sa volonté d'avoir recours aux organisations syndicales pour s'opposer au CNR confessait son anarcho-syndicalisme. En mai 1984, le PCRV connaissait une scission sans doute favorisée par le CNR qui de son côté usait de tous les moyens possibles pour le noyauter. Ainsi, naissait le GCB de Jean Marc PALM, membre du comité central du PCRV. Cette scission illustrait les contradictions qui étaient présentes au sein du PCRV. Mais, pour cette dernière « des elements fatigues, aspirant a une vie d'aisance et de tranquillité sont partis ; il n'y a pas de gloire particulière a faire du bruit là-dessus. Sauf pour les ignorants du développement du parti communiste, cela n'est pas extraordinaire et n'a rien a voir avec une scission. Il n'est pas donne a n'importe qui de pouvoir militer jusqu'au bout dans un parti communiste car c'est trts dur ».510 Le nouveau-né répliqua en exhortant les militants à se démarquer du PCRV dont le verbiage emphatique révélait sa peur de la petite bourgeoisie devant la montée de la révolution et ses tentatives pour étouffer l'élan révolutionnaire des masses regroupées au sein des CDR. 511

A partir du 18 octobre 1984, le CNR durcit le ton : à l'occasion de l'inauguration de la mine d'or de Poura, Thomas SANKARA fit cette déclaration musclée contre le PCRV qui avait une emprise non négligeable sur les travailleurs dont la plupart était affilié au SYNTRAGMIH : « Les tenants de ce courant disent que ce n'est pas encore la revolution au Burkina Faso. Ils veulent que l'or de Poura soit partagé entre eux, ils veulent chasser les a
· cousins sud africains m pour occuper leur place. Ce sont les m-emes caimans de la m-eme mare. Si jusque-ld la direction politique a fait montre de mansuétude,

510 Déclaration du PCRV le 10 février 1985, citée par Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la revolution, Paris, EPO International, page 128.

511 Un tract du GCB cité par Ludo MARTENS, idem, page 157.

169 eh bien, cette période est révolue [...]. Le mensonge sera démasqué, a la provocation sera donnée une réplique implacable, bref l'intoxication et la perturbation seront attaquées aux lance-flammes. A bon entendeur salut ! ».512 Dans la foulée, les activités du SYNTRAGMIH furent interdites le 23 février 1985 par les CDR de la mine. Cette interdiction faisait partie des premières mesures répressives décidées par le CNR contre les syndicats cosignataires de la déclaration du 28 février 1985, date marquant le début de la grande résistance politique syndicale. Cette conjoncture avait permis le rapprochement du PCRV et du PAI-LIPAD disgracié au mois d'août 1984. Cette exclusion consacra la montée en force de l'ULCR.

Le PAI-LIPAD et l'ULCR furent les deux organisations de gauche qui avaient aussitôt béni l'avènement du CNR le 04 août 1983. Le PAI était l'organisation la plus ancienne. Grâce à son organisation de masse, la LIPAD, le PAI trouvait aisément des antennes au niveau de la population voltaïque de l'époque, d'autant plus qu'elle avait des liens d'une étroitesse reconnue avec la CSV de Soumane TOURE. Celui-ci était président de la section lipadiste de Ouagadougou, « poste essentiel dans la mesure oft l'activité politique [était] relativement circonscrite aux limites de la capitale ».513 Ainsi, le PAI avait pu peser significativement dans l'avènement du processus révolutionnaire. Le PAI a eu le mérite d'avoir préparé le terrain et engrangé le capital populaire nécessaire pour permettre à la révolution de se réaliser.

Quant à l'ULCR, malgré son sabordage en 1981, ces éléments en dépit de leur différence numérique par rapport à ceux du PAI avaient marché aux côtés de ces derniers lors des évènements du 17 mai 1983, mais décapités de leur état-major, on n'y avait pas senti visiblement leur influence immédiate. Ce fut seulement après la réalisation du coup d'Etat que ceux-ci avaient redéployé l'étendard de leur organisation : « Nous nous sommes laissés déborder par les évènements déclara Valere SOME. Il est temps que nous sortions de notre stupeur, de notre étonnement des premiers instants pour jouer notre role d'avant-garde. Nous n'avons pas le droit d'abandonner l'armée et la laisser aller au-devant de cette bataille qui se dessine sans son état-major, le parti communiste. Et pour ce faire, il nous faut resserrer les rangs. Pansons nos blessures et oublions nos griefs mutuels. Nos divergences de vue au sein de nos organisations et entre nos organisations ont été résolues par le développement de la vie politique ».514 Rassemblés en conférence constitutive en février 1984, les anciens ? ULCéistes? décidèrent de soutenir la RDP dans le cadre d'une ULC ressuscitée d'où la dénomination ULC-R (Union de Lutte Communiste-Reconstruite).

512 Justin COULIBALY, « Le CNR a l'assaut du gauchisme » in CARREFOUR AFRICAIN N° 854 du 26 octobre 1984, page 15.

513Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 80.

514 Propos de Valère SOME dans le PROLETAIRE N° 04 cités par Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 133.

Avec cette résurrection et cette restructuration de l'ex-ULC, le CNR bénéficiait du soutien simultané du PAI et de cette dernière dès les premiers moments de son avènement. Ces deux organisations participaient sans réserve à la condamnation du PCRV, celui-ci ayant refusé de suivre le processus en cours et ne manquant pas d'occasion pour traiter les premiers de putschistes et d'arrivistes. La hargne de l'ULCR était encore plus vivace à l'encontre du PCRV du fait que tous les deux résultaient de la scission de l'Organisation Communiste Voltaïque (OCV). Celle-ci avait été fondée en 1971 dans le milieu étudiant et ce fut sa division en 1978 sur base de questions idéologiques qui avait donné l'ULC et le PCRV.515 Face aux attaques du PCRV, l'ULCR avait répondu dans le Prolétaire N°4 : « 1l est beaucoup plus difficile de se montrer révolutionnaire dans une situation révolutionnaire. Tout refus des communistes de participer au présent processus équivaudrait pour eux a marcher aux cotés de la bourgeoisie réactionnaire et contre-révolutionnaire ».516 A l'instar donc du PAI, l'ULCR vilipendait le PCRV, ce qui somme toute confortait l'assise du CNR, ce dernier bénéficiant de l'appui des deux grandes organisations politiques civiles. Tout semblait augurer une collaboration saine entre le CNR et les deux organisations.

Cependant, ce ne fut pas le cas, et en une année, le torchon de liaison entre le CNR, le PAI et l'ULCR avait brûlé. L'objet de ce désamour trouvait son explication dans l'aspiration de chacune d'elles à vouloir, comme nous l'avons déjà souligné plus haut, être le chantre incontesté de la révolution, surtout lorsque la question de créer un parti communiste unique fut soulevée. Le PAI se considérait comme le père du communisme dans l'univers politique du Burkina et souhaitait être l'avant-garde de cette révolution. Il chercha alors à prescrire ses visées au niveau du CNR. En effet, lors de son cinquième congrès du 28 au 29 août 1987 dont le rapport fut publié aux lendemains du 15 octobre 1987, le bureau central et exécutif du PAI affirmait : « De toutes les organisations associées au coup d'Etat, la notre était la plus forte, la plus étendue, celle qui avait le plus d'expérience, et s'était le mieux fait connaître et appréciée de l'opinion progressiste ou non, de l'intérieur comme a l'extérieur. Des lors, nous pensions donc que la conduite des affaires apres la prise du pouvoir, ne pouvait se faire sans la participation décisive de notre parti ».517 Une recherche de prééminence qui n'était pour plaire à la partie militaire du CNR, celle-ci ne voulant pas être dominée par les civils préférait plutôt que les organisations se confondent aux CDR. Mais, le PAI n'appréciait guère la nomination de Pierre OUEDRAOGO, militaire, au poste du SGNCDR. Il préférait Soumane TOURE à ce dernier qui, s'en rendant compte, commença à

515 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 80.

516 Idem, page 133.

517 Cité par Valère SOME, 1990, Thomas SANKARA, l'espoir assassiné, Paris, L'Harmattan, page 111.

171 combattre les militants de tendance PAI. De surcroît, l'ULCR mécontente de l'implantation du PAI, prospectait de mettre sur pied l'UDP (Union Démocratique et Populaire) pour amenuiser les bases de la LIPAD. Autant d'intrigues et de désaccords qui, bien entendu, ne pouvaient que corroder la base de confiance entre tous ces partis qui avaient permis la mise en marche de la révolution.

En mai 1984, les dissensions sur la commémoration du 20 mai 1983 précipitèrent la disgrâce du PAI. Babou Paulin BAMOUNI attaqua le PAI en ces termes : « Dans une allure d'anciens combattants et de détectives idéologiques, l'on jettera l'anatheme sur toute idée d'union. Aujourd'hui ce sont des marches anniversaires qui sont prises en otages pour se distinguer, pour montrer un certain pouvoir de mobilisation et s'imposer dans un édifice en construction non stabilisé. C'est incontournablement marcher a coté de la révolution. Certains mettent l'accent sur des partis plutôt que sur la révolution. Ou est donc la sincérité ? Le glas sonne pour les groupuscules. Il est temps que les 0' aumoniers » des 0' chapelles » d'avant le 04 aoilt mettent les clés sous le paillasson car la révolution d'Aoilt apres dix mois d'action a ordonné ses 0' prêtres » qui célébreront son 0' office » progressivement jusqu'd la société sans classes. Ingratitude dirat-on ! Non ! Cohérence dialectique ! La Révolution Démocratique et Populaire ne saurait souffrir du moindre accaparement. Tout est dit ! ».518

Ces paroles bellicistes formaient un marquage du début de l'extirpation du PAI du pouvoir révolutionnaire. Le renvoi du Ministre de la Jeunesse, Ibrahima KONE, qui avait voulu hiberner les CDR dans la commémoration du 20 mai 1983, fut suivi d'une levée de boucliers contre les militants du PAI au niveau des CDR. L'Inter-CDR dirigé par Mahamadi KOUANDA sonna le clairon pour l'épuration des CDR. Il s'agissait d'annihiler l'influence de la LIPAD et par ricochet du PAI. Le 23 mai 1984, l'Inter-CDR adopta une motion condamnant le PAI d' « organisation déviationniste, putschiste, opportuniste et contre-révolutionnaire dangereuse ».519 Selon les estimations du PAI, 200 de ses militants dont 23 délégués de secteurs furent exclus des CDR sans autre forme de procès.520 Le 12 août 1984, tous les ministres du PAI sont renvoyés du gouvernement du CNR. CARREFOUR AFRICAIN commenta l'évènement en parlant de « quelques anarchistes pseudo-révolutionnaires qui se masturbent les méninges devenus réfractaires aux études ».521 Exclu, le PAI se rapprocha du PCRV, ennemi de toujours de l'ULCR.

518 Babou Paulin BAMOUNI, « Editorial : le glas de la clarification » in CARREFOUR AFRICAIN N° 832 du 25 mai 1984, page 07.

519 Idem, page 11.

520 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 114

521 C.A., « Réponse a l'amphigouri d'un professeur inculte » in CARREFOUR AFRICAIN N°852 du 12 Octobre 1984, page 32.

Le renvoi du PAI fit désormais de l'ULCR la nouvelle force politique en pleine ascension. Ses ténors Valère SOME, Basile GUISSOU, Raymond Train PODA, Talato Eugène DONDASSE, Kader CISSE, Alain COEFFE et Moise TRAORE décrochèrent de grands postes de responsabilité dans la gestion de l'Etat. Cette promotion des «ulcéristes» n'empêcha cependant pas l'affadissement des rapports entre leur organisation et les responsables militaires du CNR.

Dès le mois d'août, sitôt après l'exclusion du PAI, l'Inter-CDR s'attaquait à l'ULCR. Au secteur 5, lors des élections de bureaux CDR de septembre 1984, Mahamadi KOUANDA perdait face à un étudiant de L'ULCR, Joseph KABORE, protégé de Talato Eugène DONDASSE, alors ministre du plan. Les partisans des deux camps s'affrontèrent, Mahamadi KOUANDA refusant d'admettre son échec. « On mit un trimestre pour le séparer de son escorte522, et deux autres trimestres pour le désarmer ; lui-même prit trois trimestres pour décolérer » écrivait humoristiquement L'INTRUS.523 De ces évènements commença une haine viscérale qui ne cessa de mettre aux prises l'InterCDR et l'ULCR. Commentant les élections dans CARREFOUR AFRICAIN, l'Inter-CDR annonça « la naissance d'une ere nouvelle qui laissait entrevoir une lutte sans merci avec les opportunistes de l'ULCR ».524

Progressivement, l'ULCR fut ainsi accusée par les défenseurs de la RDP d'hégémonisme, et la réponse des militaires du CNR fut la création d'une nouvelle organisation, l'Union des Communistes Burkinabé (UCB). Les partisans de cette organisation revendiquaient sa fondation en 1984, mais ce fut surtout à partir de l'année 1985 qu'on entendit parler d'elle véritablement. Pierre OUEDRAOGO était le secrétaire général tandis que Thomas SANKARA avait la responsabilité de président.

Avec la création de l'UCB et son admission au CNR, on assistait à un nouveau tournant de la politique révolutionnaire nourri par l'accentuation des intrigues, conduisant inexorablement le CNR à sa chute le 15 octobre 1987.

Désormais, quatre organisations révolutionnaires étaient membres du CNR : l'ULCR, l'UCB, le GCB et l'OMR. Ce fut cette dernière qui servit de cadre de concertation et de coordination des réalisateurs du coup d'Etat du 04 août 1983. Mais avec la création du CNR, celle-ci s'était quelque peu éclipsée. Elle fut réveillée en 1986

522 Il s'agit de ses militants. Selon L'INTRUS N°0021, Mahamadi KOUANDA avait transporté d'autres secteurs des « cargaisons de Ghanéennes et de Yoruba » pour grossir son électorat et gagner les élections.

523 L'INTRUS N°0021 du 14 novembre 1986 : « Le retour des ayatollahs », pages 1 et 6.

524 Dramane PARE, « Ouagadougou a l'ere des CDR sectoriels : la discipline a prévalu » in CARREFOUR AFRICAIN N°849 du 21 septembre 1984, page 12. Voir aussi Ludo MARTENS, op cit, page 100.

par Thomas SANKARA qui commençait à perdre ses bases de soutien au niveau des organisations membres du CNR.525

Le 17 mai 1986, l'ensemble des quatre organisations firent une déclaration commune faisant état de leur volonté de constituer un parti d'avant-garde : « ... En effet, l'unité d'action forgée dans le feu de la lutte d'alors se matérialise aujourd'hui par un renforcement quantitatif et qualitatif du CNR qui comprend désormais : l'Organisation Militaire Révolutionnaire (OMR), l'Union des Luttes Communistes Reconstruite (ULCR), l'Union des Communistes Burkinabé (UCB), le Groupe Communiste Burkinabé (GCB). L'union de ces organisations au sein du CNR sur la base du DOP marque une victoire certaine que le peuple burkinabé inscrit une fois de plus a son actif. Nous, Organisation Militaire Révolutionnaire (OMR), Union de Lutte Communiste Reconstruite (ULCR), Union des Communistes Burkinabé (UCB), Groupe Communiste Burkinabé (GCB) affirmons solennellement notre volonté d'action commune au sein du CNR, nous engageons sur la base de l'unité politique et idéologique a ceuvrer pour le dépassement de nos cadres respectifs en vue de l'édification d'une organisation unique d'avant-garde garante de la continuité conséquente de la premiere révolution [...]. C'est pourquoi nous lançons un appel militant a tous les autres révolutionnaires organisés ou non qui luttent sincerement pour la réussite et la consolidation de la RDP, a se joindre a nous dans le processus d'unification en cours ».526

Malgré cela, la persistance des intrigues intra et inter organisationnelles rendirent caduque cette intention manifestée dont l'effectivité pouvait éviter le dérapage du 15 octobre 1987. La présence des militaires de la révolution dans l'UCB permit à cette dernière de se renforcer par rapport aux autres organisations, lequel renforcement avait contribué sans aucun doute au sabotage du processus d'unification annoncé par la déclaration du 17 mai 1986.

En effet, les cadres de l'UCB battirent en brèche les principes de constitution du parti d'avant-garde. Affichant un certain monocéphalisme pour leur organisation, ils récusèrent le principe « d'ceuvrer pour le dépassement [des] cadres respectifs ». Tout comme le PAI et l'ULCR, l'UCB n'avait pas pu résister à la séduction de l'hégémonisme. En même temps, l'UCB entama une politique d'exclusion, ce qui naturellement rendait nul et non avenu l' « appel militant a tous les autres révolutionnaires organisés ou non » pour la constitution du parti. Pour l'UCB, il fallait enrayer les organisations avec lesquelles elle ne s'accommodait pas, surtout l'ULCR, et réfuter l'affiliation de parti comme le PAI à la création du nouveau parti.527. Les

525 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 85.

526 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 131.

527 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 241.

174 membres de l'UCB se considéraient comme les sommités du communisme autour desquelles le parti communiste devait prendre corps. Sur cette question, ils prirent des distances vis-à-vis de Thomas SANKARA qui était pour des adhésions individuelles et libres. Celui-ci estimait que celles-ci allaient éviter des querelles entre les organisations. SANKARA souhaitait aussi associer les CDR et les autres organisations de masse. L'UCB ne l'entendait pas de cette oreille. Laminé dans sa propre organisation, il tenta de se raffermir dans l'OMR qu'il avait réveillé528, laissant une UCB jupitérienne, devenue sicaire de ceux s'émargeaient de sa ligne politique. Se servant des CDR, l'UCB menait le combat sur deux fronts : d'un côté il s'agit de mâter les syndicats frondeurs contrôlés par le PCRV et le PAI, et de l'autre, il est question de liquider l'ULCR.

Au niveau du premier front, l'UCB accusa le PCRV et le PAI de dérive droitière et d'anarcho-syndicalisme. Elle nargua le rapprochement du PCRV et du PAI en ces termes : « Qu'est-ce qui fait donc qu'on est si pressé de faire une alliance au sommet maintenant en jetant par-dessus la ligne politique a
· ultra révolutionnaire )), messieurs du PCRV ? Le PAI vous a-t-il convaincus que seul le putsch peut vous amener au pouvoir et que l'occasion est trop belle pour la perdre ? Chacun sait aujourd'hui que les bonzes du PCRV parlent d'une situation révolutionnaire. Si cela était, pourquoi mettre en avant les syndicats, si vous n'-etes que de vulgaires anarcho-syndicalistes, de véritables putschistes
».529

Les syndicats contrôlés par les dites organisations devenaient ainsi des ennemis potentiels à abattre. Membre influent de l'UCB, le secrétaire général des CDR ordonna à ses éléments de frapper les syndicats concernés. Tout cela montre que l'UCB avait été le maître d'oeuvre de la campagne totalitaire mise en orbite sous le CNR contre les syndicats à partir de février 1985 jusqu'à la chute du CNR.

S'indignant de la vague de répression dont étaient victimes leurs poulains syndiqués, le PCRV et le PAI saisirent l'opportunité de la première conférence des CDR pour exiger le désarmement et la dissolution de ces derniers parce qu'étant des structures de type fasciste, d'embrigadement, de caporalisation, de répression du peuple. Réplique de l'UCB : « Vous embouchez la m-eme trompette que la bourgeoisie réactionnaire pour chanter cette vieille chanson. Les CDR sont effectivement les organisations authentiques du peuple dans l'exercice du pouvoir populaire et vos déclarations n'y feront rien ».530

Quant à l'offensive contre l'ULCR, au-delà de la violence verbale, celle-ci avait pris l'allure d'un affrontement direct notamment au niveau des structures

528 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 48.

529 Tract de l'UCB cité par Ludo MARTENS, 1989, idem, page 23.

530 VOIE PROLETARIENNE N°04, pages 17 et 18 cité par Ludo MARTENS, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 150.

175 populaires. Dans le contexte de la première conférence des CDR, des rumeurs selon lesquelles Thomas SANKARA procèderait à l'éviction de Pierre OUEDRAOGO au profit de Valère SOME avaient été entretenues dans la ville de Ouagadougou531. Cette suspicion fragilisa encore davantage les rapports déjà houleux entre l'ULCR du premier et l'UCB dont Pierre OUEDRAOGO était le secrétaire général. Disposant de son atout de secrétaire général des CDR, celui-ci soutenu par les « ucébistes » décida la guerre totale contre l'ULCR en laminant sa base de représentation au niveau du gouvernement et des structures populaires. Les CDR furent ainsi récupérés pour des règlements de comptes entre les ténors de la révolution.

A partir de septembre 1985, les rapports nébuleux de Pierre OUEDRAOGO avec les dirigeants de l'ULCR commencèrent à déteindre sur le fonctionnement des structures populaires de l'Université de Ouagadougou dont le bureau était sous le contrôle de l'ULCR.

Dans la perspective de l'organisation de la deuxième conférence des CDR de l'université prévue l'année suivante, le SGN avait envoyé une directive devant servir de canevas de préparation de ladite conférence au bureau CDR de l'université. Mais, ce dernier rechigna quant à la mise en route de la directive. Pendant huit mois un dialogue de sourds s'installa entre le bureau CDR de l'université et le SGN-CDR son état major concernant le choix du thème de la conférence, paralysant ainsi les préparatifs. Finalement la conférence est transformée en conseil d'administration au grand dam du SGN-CDR. La réunion se tint du 26 au 30 août 1986 dans une ambiance explosive faite de contradictions et d'empoignades physiques entre les participants.532 Le bureau étudiant par son président Félix KABRE commit la témérité de faire voter la directive du SGN-CDR, ce qui naturellement remettait en cause l'autorité de celui-ci. N'appréciant pas la manière du désaveu, Pierre OUEDRAOGO contre-attaqua en liquidant le bureau, excluant ses membres de l'activité du CDR pendant un an avec interdiction de se faire élire durant trois ans. Un nouveau bureau favorable au SGN-CDR et surtout à l'UCB fut installé.

L'ULCR ne fut pourtant pas à la fin de ses déboires. La dissolution du bureau CDR »ulcériste" de l'université créa une profonde crise de confiance entre Valère SOME et ses pairs de l'ULCR. Les dissentiments s'exacerbèrent par des accusations mutuelles entre les leaders de l'organisation au sujet des dysfonctionnements. La crise fut si aiguë qu'elle provoqua la désintégration de l'ULCR. Le 02 février 1987, une partie de l'organisation conduite par Kader CISSE et Moise TRAORE scissionna pour former un parti qui reprit l'ancien nom de l'ULCR, avec pour journal politique LA FLAMME,

531Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 40.

532 Idem, page 21.

176 d'où son appellation courante, ULC-La Flamme.533 Traitant Valère SOME de mesquin, capricieux et cacique,534 l`ULC-La Flamme se mit à développer une politique qui prenait le contre-pied de l'ULCR. Cette position la rapprocha de l'UCB.

Face à cette situation, à l'occasion du 1er mai, Valère SOME fit publier dans SIDWAYA Le Prolétaire N°8 (Journal politique de l'ULCR) où il s'en prit hargneusement aux scissionnistes et au «ucébistes". Peut-être se dit-il que la scission de son organisation fut l'oeuvre de l'UCB. Par conséquent, il fallait les ranger dans le même sac : opportunisme et arrivisme, traîtrise, bourgeoisie réactionnaire, corruption, carriérisme forcené535..., bref tout ce qui déniait l'esprit révolutionnaire des cadres de l'ULC-La Flamme et de l'UCB, particulièrement dans la ligne de mire, Kader CISSE et Moise TRAORE de l'ULC-La Flamme, Etienne TRAORE, Gabriel TAMINI et Pierre OUEDRAOGO de l'UCB.536 Pour les cadres de l'ULCR, leur parti était mis en joue par ces personnes, précisément Pierre OUEDRAOGO. Si au niveau de l'université la représentation de l'ULCR avait subi de sérieux revers, elle ne l'était pas dans les écoles supérieures. De ce fait, ses militants dans ces écoles voulurent opérer un travail de sape à l'endroit du nouveau bureau élu proche de l'UCB. Des tracts incendiaires sont alors ventilés contre le bureau. Pour ces faits, et en réplique aux attaques de Valère SOME, l'UCB récupéra l'organisation des journées commémoratives du 17 mai 1983 pour verbaliser les partisans de l'ULCR. « La lutte contre l'opportunisme », tel fut le thème retenu pour les journées. Mais, pendant la conférence, les étudiants de l'ULCR se mirent à chahuter. Quatre d'entre eux furent frappés d'exclusion. Mais, ils refusèrent d'obtempérer. Etienne TRAORE de l'UCB débita dans sa conférence des paroles enflammées contre l'ULCR allant jusqu'à toucher le CNR et son président.537 La tension est à son degré maximal et le lendemain, Basile GUISSOU, Alain COEFE respectivement Ministre de l'Information et Ministre des Transports, Firmin DIALLO le directeur général du CENATRIN, tous cadres de l'ULCR firent leur descente sur le campus. On assista à une confrontation entre les étudiants de chaque tendance, 11 étudiants de l'ULCR furent arrêtés.538 La première partie du discours d'Etienne TRAORE est diffusée à la radio, mais la deuxième partie est censurée par le Ministre de l'Information Basile GUISSOU. L'état d'excitation est à son comble et a pour conséquence la démobilisation au niveau de l'université.

533 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 39.

534 Idem, page 40.

535 Ibidem, Voir les extraits du Prolétaire N°8.

536 Ibidem

537 Ibidem.

538 Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 40.

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Un autre champ de bataille entre l'UCB et L'ULCR aussi intéressant à évoquer fut le département des transports. En 1985, dans les circonstances de la deuxième guerre malo-burkina, les CDR furent appelés à plus de vigilance dans leurs cadres respectifs de travail dans le but d'empêcher les réactionnaires de quitter le pays. Ce fut ainsi que le bureau CDR d'Air Burkina avait pressé le cadre Seydou NACRO, considéré comme un antirévolutionnaire, d'embarquer dans un vol à destination de Niamey, une exigence à laquelle s'était opposé le personnel technique. L'avion fut ainsi interdit de décoller, il a fallu que le ministre de tutelle en personne, Alain COEFE de l'ULCR, intervienne pour faire cesser cette prise d'otage. Désapprouvant l'acte des CDR qu'il taxa de piraterie, le ministre voulut les sanctionner, mais ceux-ci répliquèrent qu'ils dépendaient du SGN-CDR.

Dans le même contexte, un Malgache, Lucien RAKOTONDRAINIBE, cadre ingénieur, avait été engagé comme chef de la navigation aérienne dans un contrat de six mois. Arrivé à l'échéance dudit contrat, le COMISEC des CDR des transports et les CDR de l'ASECNA sur fond de raisons sécuritaires exigèrent son renvoi. Alain COEFE s'opposa obstinément à la requête sous prétexte de défaut d'un autre candidat qualifié pour l'occupation du poste. Mais, Pierre OUEDRAOGO désavoua celui-ci en envoyant un message de félicitation aux militants CDR en ces termes : « J'ai pu me rendre compte de la manifestation de votre vigilance révolutionnaire au sujet d'expatriés a des postes de responsabilité. Le caractere stratégique des postes en question requiert beaucoup de prudence ».539 Alain COEFE répliqua : « Je m'étonne que sans avoir entrepris une concertation ni avec mon cabinet ni avec le Comisec du ministere, vous envoyiez vos a
· félicitations m a un groupuscule d'opportunistes notoirement connus a l'ASECNA que nous avons démasqués et que nous nous apprêtons a liquider. La patrie ou la mort nous vaincrons
».540

La situation s'empira avec la décision du représentant de l'ASECNA d'affecter des militants CDR de son département accusé d'indiscipline, de laxisme et de laisser-aller. Cette disposition est récusée par une assemblée générale des CDR le 26 décembre 1986 : « Nous militants du CDR de l'ASECNA, dénoncons l'attitude anti-CDR et anti-travailleur du camarade TIEBA et rejetons catégoriquement les affectations du 19 décembre 1986 ».541 Sur ce, le SGN-CDR intervenait pour ordonner à BARRO Tiéba de surseoir aux affectations. Mais, celui considérant que le SGN-CDR outrepassait son autorité persista, et face au refus des affectés d'obéir, il suspendit leur traitement, puis

539 Lettre de Pierre OUEDRAOGO, 19 juin 1986, N°860-300, CNR, SGN-CDR, citée par Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 40.

540 Alain COEFE, Lettre confidentielle N° 0069 du 24 juin 1986, citée par Ludo MARTENS, ibidem.

541 Alain COEFE, Lettre confidentielle N° 0069 du 24 juin 1986 citée par Ludo MARTENS, 1989, idem, page 14.

178 les remit à leur ministère d'origine qui les licencia. Au même moment, les CDR s'opposaient à la nomination de Seydou NACRO, le chef du service administratif et financier de l'ASECNA comme directeur des affaires administratives et financières au Ministère de la Question paysanne. Taxé encore d'anti-CDR, Seydou NACRO fut interdit d'accès à son bureau. Les militants CDR tentèrent de confisquer les clés dudit bureau des mains de BARRO Tiéba qui dédaigna. Lors d'une assemblée tenue le 24 janvier 1987, les CDR de l'ASECNA accusèrent le ministre Alain COEFE d'avoir chargé BARRO Tiéba de les liquider. Dans la foulée, le cas de Lucien RAKOTONDRAINIBE refit surface : les CDR, tenant à cor et à cri à le renvoyer, votèrent une motion à l'unanimité pour exiger son départ immédiat.

A partir du 07 avril 1987, la confrontation entre d'une part le ministre Alain COEFE de l'ULCR avec son staff technique et d'autre part les militants CDR de l'ASECNA protégés par Pierre OUEDRAOGO, Secrétaire général national des CDR et Secrétaire général national de l'UCB, atteignit son paroxysme. A l'occasion d'une nouvelle assemblée générale convoquée par Alain COEFE pour situer les responsabilités sur les litiges en cours dans le département, BARRO Tiéba et Lucien RAKOTONDRAINIBE arrivèrent par leur dextérité verbale à discréditer les affectés en question. Selon une motion votée à 94 voix contre 15 abstentions, les intéressés devaient présenter une autocritique sur la base de laquelle ils seraient réintégrés. Mais, le 10 avril, Pierre OUEDRAOGO par un télégramme invalida toutes les décisions avalisées par Alain COEFE : le 04 août 1987, le gouvernement est dissout. Dans le nouveau gouvernement formé, aucun membre de l'ULCR n'était présent, sans doute les comptes avaient été réglés en faveur de l'UCB dont la prépondérance dans la nouvelle équipe était écrasante. Dans les colonnes du quotidien SIDWAYA, les fidèles de l'UCB traitèrent les ministres exclus de l'UCR, notamment Alain COEFE, de ministres en méforme.542 Ce dernier est remplacé par Watamu LAMIEN de l'UCB.

Avec l'exacerbation de la crise politique en août, l'ULC-La Flamme, le GCB, une partie de l'UCB et de l'OMR commencèrent des réunions clandestines. D'après Ludo MARTENS, ces réunions préparaient la constitution du Front Populaire qui fut proclamé le 15 octobre 1987.543 En juin, SANKARA demandait sans résultat à toutes les organisations membres du CNR de s'auto-dissoudre pour préparer la création du futur parti. Mais, l'UCB et le GCB s'y opposaient résolument. La crise syndicale contribua à faire péricliter davantage le dialogue entre les différentes parties. Le parti d'avant-garde tarda à se réaliser. Au sein de l'UCB, les violons entamèrent leur dissonance. Les dissentiments entre Thomas SANKARA et Blaise COMPAORE se cristallisèrent

542 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 19.

543 Idem, page 114.

179 davantage, ce qui provoqua la décomposition de l'UCB et des miliaires, chacun optant soit pour l'un, soit pour l'autre.

La dégradation des rapports au sommet de l'Etat se reflétant sur la base (CDR), on assista à une démobilisation : c'était la déchéance populaire du régime. La logique de la violence nourrie par certains CDR prit le pas sur l'esprit de la discussion et de la critique conseillé par le DOP. Ceci étant, des exactions sont commises un peu partout dans les secteurs. La population désabusée se lassa. Une lassitude qui se justifiait aussi par la politique d'austérité du CNR, par l'utilisation de l'arbitraire et de la coercition exercés par les CDR au niveau des services et au niveau des secteurs. Thomas SANKARA reconnut à l'occasion du quatrième anniversaire de la RDP dans son discours cette asthénie et cette démotivation. Il annonça une pause pour rectifier la révolution, déclarant qu'un pas avec le peuple valait mieux que dix pas sans le peuple.544 Malgré tout, les agitations et les intrigues continuèrent à animer les organisations politiques et à opposer les révolutionnaires.

C'est dans cette conjoncture de contradictions, de crispation et de suspicion totale qu'à travers des étapes encore mal maîtrisées de nos jours, la chute du CNR s'était réalisée le 15 octobre 1987 par un coup d'Etat militaire sous la houlette de Blaise COMPAORE. Thomas SANKARA est assassiné dans l'après-midi par un commando issu des militaires fidèles à Blaise COMPAORE. Le Front Populaire qui se mit en place annonça l'avènement d'un nouveau processus dit de rectification. Ainsi, se dénouait tragiquement la crise politique née au sommet de l'Etat sur la problématique de l'institution d'une organisation d'avant-garde de la révolution.

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