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Les soins psychiatriques sans consentement : la réforme du 5 juillet 2011

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par Delphine ROUZO
Université Catholique de Lille - Master 2 Droit de la responsabilité médicale 2012
  

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Section 2 : Les soins psychiatriques aux personnes détenues

La question des soins psychiatriques et plus largement des (nombreux) cas de maladies mentales en prison n'est pas nouvelle. La France, pays des droits de l'Homme, peine à répondre à la problématique de la prise en charge des pathologies psychiatriques

91 Commentaire Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatre sur la décision n°2012-235 QPC du 20 avril 2012.

92 Date d'abrogation reportée au 1er octobre 2013.

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des détenus (§1), et la loi du 5 juillet 2011 n'a pas dégagé de solutions remarquables, se bornant à renforcer l'aspect sécuritaire et punitif du système (§2).

§1 - Le problème de la prise en charge des maladies mentales en prison

Sujet à controverses, la problématique des détenus souffrant de troubles psychiatriques en prison, du respect de leur dignité et de leurs droits, a toujours fait couler beaucoup d'encre. La difficile alliance entre la détention et la nécessité de soins psychiatriques n'a jamais vraiment rencontré de solution viable, les meilleures intentions se heurtant systématiquement au manque de moyens financiers permettant de dégager un compromis.

Dès 2004, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, a adopté une recommandation93 relative à la protection et à la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux. Le Comité enjoint aux Etats membres d'adapter leur législation et de revoir l'allocation de leurs ressources destinées à la santé mentale afin d'être en mesure de répondre aux différentes lignes directrices de la recommandation. Concernant les détenus, le Comité préconisait déjà le respect du principe de l'équivalence des soins prodigués aux détenus avec les soins assurés en dehors des établissements pénitentiaires et condamnait la discrimination dont les détenus atteints de troubles mentaux peuvent faire l'objet au sein des prisons. Il considère par ailleurs que le traitement involontaire des troubles mentaux ne saurait avoir lieu en prison, mais au sein de services hospitaliers spécialement affecté à cette fin.

C'était précisément dans cet objectif qu'ont été créées les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) qui ont vocation à accueillir les personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques et nécessitant une hospitalisation avec ou sans consentement. D'ailleurs, l'article L.3214-1 du Code de la santé publique précise bien que « l'hospitalisation, avec ou sans son consentement, d'une personne détenue atteinte de

93 Recommandation Rec (2004) 10 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux adoptée par le Comité des Ministres le 22 septembre 2004, lors de la 89e réunion des Délégués des Ministres.

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troubles mentaux est réalisée dans un établissement de santé, au sein d'une unité spécialement aménagée. »

La circulaire interministérielle du 18 mars 2011 relative à l'ouverture et au fonctionnement des UHSA94 précise que celles-ci reposent sur deux principes fondamentaux : même si la personne soignée est en l'occurrence détenue et que de ce fait, elle est soumise à des restrictions concernant notamment sa liberté d'aller et venir, le soin prime sa qualité de détenue ; ce dont il découle le second principe, la nécessité de mettre en oeuvre une prise en charge à la fois sanitaire mais aussi sécuritaire de façon à garantir des soins dans un cadre sécurisé.

Si elles apparaissent comme une solution convenable alliant des objectifs de sécurité et de soins, elles ne sont malheureusement pas en nombre suffisant pour pouvoir accueillir tous les détenus candidats à une telle prise en charge. En effet, la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 200295 avait pour objectif la création de neuf UHSA avant l'année 2011 et de huit autres après. Aujourd'hui en 2012, seules trois UHSA ont été créées dans les villes de Lyon, Toulouse et Nancy, comptant une capacité totale de seulement cent quarante lits, ce qui est très insuffisant par rapport à la demande. Les raisons en sont d'une part, le coût très important de la construction et du fonctionnement d'une telle structure (qui se compte en millions d'euros) et d'autre part, l'idéologie populaire (et médiatique) qui tend à assimiler les personnes souffrant de troubles mentaux aux criminels, dont il faut privilégier l'internement et la surveillance plutôt que le soin et la réinsertion.96Notons toutefois qu'une UHSA est en cours de construction dans la région Nord - Pas-de-Calais, qui devrait voir le jour au premier semestre 2013. Celle-ci aura comme les autres un rayonnement interrégional : des détenus du Nord - Pas-de-Calais mais aussi de la Haute Normandie et de la Picardie pourront y être admis. On relève immédiatement que le nombre de places prévues sera très insuffisant : 60 lits pour des détenus se comptant par milliers.

94Circulaire interministérielle DGOS/R4/PMJ2/2011/105 du 18 mars 2011 relative à l'ouverture et au fonctionnement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).

95 Loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.

96 HENNION-JACQUET (P), La prise en charge des maladies mentales en prison : un problème systémique et perdurant, Revue de droit sanitaire et sociale 2012, p.678.

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Dès lors, comment faire face à l'exigence de la loi du 5 juillet 2011 prévoyant la prise en charge de ces détenus dans des unités spécialement aménagées ? Dans leurs réponses aux questions concernant la loi nouvelle, les pouvoirs publics considèrent que l'article 48 de la loi du 9 septembre 2002 continue de s'appliquer : il prévoit qu'en l'absence d'UHSA sur certains territoires, l'hospitalisation des personnes détenues souffrant de troubles mentaux est assurée par un service médico-psychologique régional ou un établissement de santé autorisé en psychiatrie.

Il semble ainsi que tant qu'une prise de conscience populaire et politique de la nécessité de prévoir des structures particulières permettant de soigner dans le respect des droits et de la dignité des personnes détenues n'aura pas été acquise, ces dernières ne pourront guère bénéficier de soins appropriés au sein d'un lieu approprié à leur état, conformément aux recommandations du Conseil de l'Europe.

Cette prise de conscience pourrait toutefois être déclenchée par les instances supra nationales : la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu son rapport d'activité le 26 janvier dernier. Il nous semble pertinent de rapporter ici les mots de M. BRATZA, président de la CEDH, lors de la conférence de presse annuelle : « Il semble que les droits de l'homme, l'Etat de droit et la justice perdent de l'importance au sein des priorités politiques dans le climat économique actuel. Or, en ces temps incertains, il importe justement de ne pas oublier que les droits de l'homme ne sont pas un luxe et que leur protection relève de la responsabilité commune. » Ce n'est certes pas la première fois que les conditions de détention en France sont condamnées par les autorités nationales et internationales, si bien que de nombreux textes97 ont tenté d'améliorer la situation des détenus et particulièrement ceux souffrant de troubles mentaux, allant même jusqu'à inscrire au Code de procédure pénale que « les détenus atteints de troubles mentaux visés à l'article L.3214-4 du Code de la santé publique ne peuvent être maintenus dans un établissement pénitentiaire »98. La pratique n'a manifestement pas suivie la règle.

97 Par exemple, la loi pénitentiaire n°2009-1436 du 24 novembre 2004 (article 22).

98 Article D398 du Code de procédure pénale.

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La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a de nouveau99 récemment condamné la France pour traitements inhumains et dégradants, sur le fondement de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme portant interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La Cour considère que, conformément aux règles pénitentiaires européennes100 (RPE) telles qu'adoptées en 1973 et révisées en 2006, les détenus souffrant de troubles mentaux doivent être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l'équipement adéquat et disposant d'un personnel qualifié. La Cour considère qu'en l'espèce, le détenu atteint de psychose chronique de type schizophrénique et qui a fait d'incessants allers retours entre la prison et l'hôpital psychiatrique n'a pas été pris en charge par des « mesures aptes à ne pas aggraver son état mental », l'hospitalisation étant ordonnée chaque fois que l'état de santé du détenu n'était plus compatible avec la détention. De plus, la Cour relève que le requérant n'a pas été hospitalisé dans des structures adaptées à son état, et insiste du même coup sur l'urgence qu'il y en France à créer des structures adaptées afin d'être en mesure d'hospitaliser des personnes en détention.

Il semble ainsi que le problème de la prise en charge des troubles psychiatriques des personnes détenues perdure, malgré l'appel de la CEDH aux Etats membres à prendre leur responsabilité et à tout mettre en oeuvre pour assurer une prise en charge respectueuse de leurs droits et de leur dignité.

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