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Le pouvoir de standard and poor's, illustration de la raison néolibérale

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par Elise Fraysse
Université Lyon 2 Lumière - Master 1 2012
  

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Paragraphe 2. Un champ verticalement étendu : la conception fonctionnelle des acteurs du monde

Pour que la mise en concurrence soit optimale, il ne suffit pas que chaque catégorie soit mis en concurrence indépendamment des autres : la mise en concurrence nécessite qu'Etats et entreprises puissent être comparable, ce qui a pour conséquence indéniable d'écorcher l'exorbitance de l'Etat (A) sans pour autant que celui ne tende à disparaitre (B).

A) La contribution de Standard and Poor's à la perte de l'exorbitance de l'Etat

Le modèle néolibéral, on l'a dit, rompt avec le modèle de souveraineté ; on passe d'une raison d'Etat à une raison du moindre Etat60. Dans le modèle précédent, l'Etat jouit d'une autorité suprême, c'est-à-dire que son pouvoir ne peut être restreint par un autre. L'Etat agit sur les comportements de l'extérieur, par des sanctions61, il est le seul à produire du droit et s'applique un droit spécial qu'est le droit public, vecteur de l'« égalité républicaine »62. L'Etat était le « lieu indépassable d'universalisation »63, de totalisation, puisqu'il était le seul, par le biais du droit, à pouvoir lier les gens entre eux, à créer une cohésion sociale, en liant universel et singulier. « Il était seul sujet de droit international et unique source de droit interne »64.

Il semble que ce schéma soit quelque peu bouleversé par Standard and Poor's. Il semble en effet qu'elle écorche la souveraineté des Etats, et ce de deux façons. D'une part, elle érode la souveraineté de façon indirecte, détournée. En effet, Standard and Poor's gère la production d'un bien public qu'est la notation65, que les Etats eux-mêmes devraient assumer, dans la mesure où elle touche deux domaines régaliens : les finances publiques (par le financement de la dette) et la conduite des relations internationales (par l'émission d'obligations). La notation n'est bien sûr pas impérative, mais elle est déterminante.

Dans la mesure où Standard and Poor's influence grandement les relations entre les entités du monde, en ce que la note attribuée aura une incidence sur le choix de son partenaire et sur le montant des taux d'intérêt, l'Etat n'est plus tout à fait en souveraineté quand il se trouve sur le marché obligataire. Ainsi, quand il vend des obligations sur ce marché, l'Etat n'est pas perçu comme un souverain, mais comme un débiteur ; rien ne le distingue d'une entreprise : il cherche à vendre ses obligations au meilleur prix, c'est-à-dire corroborées des taux d'intérêts les plus

60 Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 47

61 Garapon (A.), La raison du moindre Etat, op. cit., p. 32

62 Ibid., p. 36

63 Idem.

64 Garapon (A.), La raison du moindre Etat, op. cit., p. 37

65 Brand (Thomas), Le rôle des agences de notation, Regards croisés sur l'économie, 2008/1, n° 3, p. 266

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faibles, ceux-ci étant déterminés par la note attribuée par les agences de notation. Dès lors, l'Etat poursuit le même but qu'une entreprise et entre ainsi en concurrence avec elle.

Ainsi, l'Etat n'est plus en dehors du système ; il y est intégré. L'Etat n'est plus une « entité exogène à l'ordre marchand mais [...j une entité entièrement intégrée dans l'espace des échanges, dans le système d'interdépendance des agents économiques »66. En effet, pour pouvoir être mis en concurrence, les différents acteurs doivent nécessairement être sur un pied d'égalité, même imparfait, mais ils doivent être comparables. Il n'y a pas de concurrence possible s'il y a souveraineté, car elle l'annihile d'elle-même. C'est pourquoi Standard and Poor's promeut une conception fonctionnelle des acteurs du marché obligataire, c'est-à-dire qu'ils sont perçus non pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils font.

D'autre part, Standard and Poor's érode la souveraineté de façon plus frontale. En effet, pour attribuer une note à un Etat, Standard and Poor's doit évaluer la capacité et la volonté d'un Etat à rembourser son emprunt. Elle doit pour cela mettre en oeuvre une série de critères portant surtout sur la conduite des politiques publiques. En d'autres termes, Standard and Poor's attribue une note, c'est-à-dire, selon la définition courante, « une brève appréciation donnée par un supérieur sur le travail, la conduite de quelqu'un »67 sur la concrétisation de la souveraineté d'un Etat, à savoir sa politique. Or, l'Etat ne peut pas avoir de supérieur. Sans aller jusqu'à dire que l'Etat n'est plus souverain, sans quoi l'Etat ne serait plus, on peut toutefois observer que Standard and Poor's contribue à écorcher l'exorbitance de l'Etat, et ce en contribuant à sa dissociation fonctionnelle. L'Etat est contraint d'adopter diverses facettes ; il se conduit différemment selon qu'il agit sur son territoire ou sur le marché obligataire, en fonction du but qu'il cherche à atteindre, mais reste à savoir si les frontières sont étanches et si une telle dissociation soit effectivement possible. Sur le marché obligataire, en tout cas, il est primordial pour l'Etat de pouvoir emprunter aux meilleurs taux, et ainsi de se mettre en concurrence avec les entreprises, elles aussi présentes sur le marché obligataire.

Un des mécanismes - ou plutôt son absence - de Standard and Poor's est particulièrement révélateur de sa conception fonctionnelle des acteurs du marché, et ainsi du monde, et du fait que Etats et entreprises peuvent être mis en concurrence sans que l'un ne domine nécessairement l'autre. En effet, depuis les années 2000, les agences de notation, et en premier lieu Standard and Poor's, ont abandonné le mécanisme dit de « plafond souverain » (sovereign ceiling) selon lequel « la note en monnaie étrangère d'un titre ou d'une entité ne pouvait pas excéder la notation en monnaie étrangère attribuée à l'État dans lequel l'émetteur était domicilié »68. Plus simplement, ce mécanisme permettait de ne pas accorder à une entreprise une note plus importante que celle allouée à l'Etat dont elle était sous la juridiction.

Ce mécanisme n'existe plus, puisque les dirigeants de Standard and Poor's ne voient pas la note souveraine comme un plafond insurmontable par principe69. En effet, « quand Standard and Poor's publie un rating pour une entité qui est supérieur au rating de son pays respectif, elle exprime le fait que la volonté et la capacité de l'entité de recouvrer sa dette est supérieure à celle

66 Dardot (P.), La nouvelle raison du monde, op. cit., p. 374

67 Le Nouveau Petit Robert, « note », 2007, p. 1705

68 Gaillard (Norbert), Les agences de notation, La Découverte, « Repères », 2010, p. 37

69 Standard & Poor's, CreditWeek, Credit Matter, Special Report On The U.S. Rating Downgrade And Its Global Effects, 17 août 2011, p. 61

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du souverain »70. Quoi qu'il en soit, la suppression de ce plafond souverain est révélateur du fait que l'Etat n'a plus de prééminence intangible sur les entreprises placées sous sa juridiction, que dès lors, ils interagissent sur un même marché, sans que l'un ne domine l'autre, ce qui est un postulat nécessaire à leur mise en concurrence. Du fait de ce glissement d'une conception ontologique de la souveraineté à une conception fonctionnelle de la gouvernementalité71, l'action publique est désenchantée, ce « qui conduit à voir dans l'Etat une entreprise qui est située sur le même plan que les entités privées »72.

A être considéré comme une entreprise et à se comporter comme telle, l'Etat perd donc de son exorbitance, de sa souveraineté et ainsi, de certaines de ses prérogatives. David Rothkopf en conclut qu'il n'existe plus que « 20 ou 30 Etats sur la planète qui possèdent encore ce qui peut être considéré comme les pouvoirs traditionnels et les prérogatives d'une nation » et que 150 ont été diminués au point de devenir des semi-Etats73. A côté de ceux-ci, l'auteur note que 2 000 « super-citoyens » ont émergé, qualifiés de « stateless », car « immortels et pour la plupart légalement obligés de poursuivre non le bien public, l'intérêt général, mais les intérêts restreints de leurs actionnaires »74. Cette victoire de l'entreprise sur la forme traditionnelle de l'Etat n'est toutefois pas synonyme de sa chute ; l'Etat en soi n'est pas l'ennemi du néolibéralisme, c'est sa façon d'agir qui doit changer.

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